dimanche 10 décembre 2017

Mt 4, 1-11

Lectures bibliques : Mt 3, 13-17 ; Mt 4, 1-11
Thématique : la tentation de réduire l’existence à nos attachements et à la matérialité. 
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 10/12/17

* Nous connaissons bien ce texte des tentations de Jésus que racontent, à la fois, les évangélistes Matthieu et Luc. 

Selon ces évangélistes, Jésus vient de recevoir le baptême au cours duquel il accueille l’Esprit de Dieu et par lequel il est identifié et reconnu comme « Fils de Dieu », c’est-à-dire comme celui que Dieu a choisi pour porter son message de salut aux humains. Et c’est alors qu’il est conduit par le Souffle de Dieu au désert. 

Le désert, c’est, d’une part, un lieu de silence, de solitude, d’introspection vis-à-vis de son être profond… un lieu communion possible avec Dieu : c’est le lieu où les prophètes viennent s’isoler pour vivre une expérience spirituelle, pour rencontrer Dieu. 

Mais, le désert, c’est aussi - et d’autre part - un lieu aride : le lieu de la tentation face à soi-même, face à la faim et à la soif. C’est le lieu de l’épreuve, du doute ou du découragement : le lieu où le peuple d’Israël libéré a lui-même rencontré un certain nombre de péripéties au cours de sa longue marche avec Dieu. C’est donc aussi symboliquement le lieu où se révèlent nos mauvais démons… susceptibles de nous ramener en arrière, vers l’illusoire ou le passé. 

Comme ce peuple avait marché quarante ans dans le désert avec Moïse, ici, symboliquement, il est dit que Jésus va y demeurer quarante jours et quarante nuits. 
Or, notre passage nous montre que c’est dans ce lieu désertique - lieu de coeur à coeur avec Dieu et avec soi-même - que se présente et se vit également l’expérience de la tentation ou de la division. 
C’est là, au moment de vivre une intense communion spirituelle - au moment de l’union du Soi, de l’unité avec le divin - que peut se vivre également l’expérience d’un bouleversement, d’une sorte division intérieure. 

Cet épisode évangélique nous introduit donc dans une vérité : A savoir que c’est au moment de l’élévation de notre âme vers Dieu… c’est au moment d’un mouvement de totale confiance, d’un lâcher-prise complet de notre âme, pour entrer en communion spirituelle avec le Père… que quelque chose, un obstacle, peut apparaître. Comme si un adversaire intérieur – notre ego, notre mental, notre corps – était alors susceptible de se présenter, pour venir remettre en doute cette confiance et faire barrage à cette communion spirituelle.

Cet adversaire, Matthieu le nomme symboliquement « le diable », c’est-à-dire ce qui vient créer de la division dans notre intériorité et dans notre monde. 

Bien sûr, le personnage du « diable » ne colle pas vraiment avec notre rationalité du 21e siècle… où nous n’accordons du crédit qu’à ce qui est visible ou tangible. 
Il nous faut aussi dépasser les représentations artistiques ou picturales que nous avons peut-être en mémoire… qui ne sont que le fruit de notre imaginaire collectif et d’une vision mythologique du démon ou de Satan (avec les cornes et les pieds fourchus). 

Ici, selon toute vraisemblance, le « diable » ne représente pas une sorte d’entité maléfique, un personnage ou une force surnaturelle concurrente à Dieu, mais c’est la figure de ce qui vient nous diviser intérieurement, c’est la personnification de ce qui vient faire obstacle en nous, afin de nous empêcher d’entrer dans une pleine confiance en Dieu… c’est ce qui vient faire barrage à notre unité intérieure avec le divin. 

Or, qu’est-ce qui peut nous empêcher de vivre une telle unité, sinon nos propres attachements. 

Le démon ou le diable, dont on parle ici est - je le crois - une figure imaginaire, qui personnifie une réalité intérieure (quelque chose de réel), à savoir nos propres attachements : tous ces attachements qui nous empêchent de vivre en pleine communion avec le divin.

Ces attachements sont diaboliques, dans le sens où ils sèment en nous de la confusion, de la division… où ils sont capables de nous tenir en esclavage… de réduire la pleine dimension de notre humanité unie à Dieu. 

Quels sont généralement ces attachements ?

Je dirai qu’il n’y a pas forcément besoin de l’évangile pour les découvrir : il suffit, par exemple, d’ouvrir le journal télévisé (qui nous montre souvent la laideur du monde ou la conséquence des dérèglements humains) ou encore de regarder des films de cinéma… où le héros est, par exemple, un personnage puissant dominé par ses mauvais démons. 
Ce sont, par exemple, l’orgueil, la convoitise, l’avidité… c’est la soif de toujours plus de pouvoir, d’argent, de sexe, d’influence…ce sont finalement toutes ces choses - ces désirs de l’ego - qui créent tant d’injustices dans le monde.

A sa manière, Matthieu nous présente - à travers Jésus - la force de ces tentations. 
Pour lui, ces attachements sont liés au pouvoir de l’ego. 
L’ego cherche toujours à retirer de chaque situation - et notamment de la relation au divin - un intérêt personnel. C’est, par exemple, la tentation de se servir de Dieu à son profit. 
Mais, c’est aussi la quête de plus de pouvoir ou de plus de puissance, pour répondre à une soif d’orgueil, d’accaparement ou de domination. 

* On peut constater, à travers les trois domaines qui nous sont présentés, qu’à chaque fois les attachements liés aux tentations consistent à ramener Jésus sur le plan matériel. 

Il y a ainsi une sorte de combat spirituel : 
- D’un côté, nos démons intérieurs nous ramènent et nous réduisent à la seule matérialité de notre existence… comme si nous étions réduits aux désirs du corps, du mental ou de l’ego. 
- D’un autre côté, les réponses de Jésus consistent à transcender cette matérialité, pour ouvrir l’humain à sa dimension spirituelle. Autrement dit, à chaque fois, Jésus nous ramène à la relation de l’âme avec Dieu. 

On peut brosser rapidement ces aspects :

* La première tentation est liée aux désirs du corps, aux besoins de pain face à la faim. 
Pour répondre à cette situation de manque se présente la tentation d’utiliser sa relation Dieu – de se servir de Dieu –  à des fins personnelles et matérielles.

La réponse de Jésus est éclairante : « ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra ».
En d’autres termes, Jésus rappelle (se rappelle et rappelle à son/ses interlocuteur/s) qu’il n’y a pas que la faim physique. Nous sommes aussi animés d’une faim spirituelle : la parole de Dieu peut être une nourriture pour notre âme. 

Il me semble que, bien souvent, nous avons tendance à considérer notre corps comme « le tout » de notre personne. Nous pensons que nous sommes « un corps », au point que nous passons beaucoup plus de temps à nous préoccuper de quoi nous allons nourrir ou vêtir ce corps, plutôt que de nous mettre à l’écoute de notre âme.

Mais, si nous écoutons ce passage de l’Evangile et si nous nous souvenons que notre corps est là pour 100 ans (au mieux), alors que notre âme nous est donnée pour l’éternité : nous sommes appelés à entendre ce que dit Jésus et à renverser l’ordre de nos priorités.

Quelle nourriture proposons-nous à notre âme ? Nous mettons-nous à l’écoute de celle-ci, par la méditation ou la prière ? Nous laissons-nous inspirer au quotidien par notre âme ?

Jésus ne nie pas les besoins du corps… mais, il nous montre que nous ne devons pas en être esclaves… nous ne sommes pas obligés d’y répondre immédiatement. 
Notre corps ne vit pas seulement de pain, de matérialité, de préoccupations terrestres… nous avons aussi une âme à nourrir : une âme qui a besoin d’être en communion spirituelle avec le divin.

Bien sûr, cette réponse de Jésus a de quoi nous faire réfléchir : A l’heure où notre société de consommation s’essouffle dans un modèle purement matérialiste marqué par l’avoir, le « toujours plus », l’accumulation des biens matériels…  il est bon de réentendre que ce qui nourrit vraiment l’être humain vient aussi d’ailleurs : de notre relation au divin, du silence, de la méditation de la Parole…

* Après les attachements du corps, la deuxième tentation porte sur les attachements de l’esprit, du mental.

Face à la possibilité d’être blessé ou même de perdre la vie… donc face à la perspective de la mort (que nous pouvons simplement subir ou provoquer par notre imprudence)… nous éprouvons le besoin de demander des preuves à Dieu : preuve qu’il est digne de confiance… preuve qu’il est capable de nous apporter le salut. 
Nous aimerions, en effet, pouvoir vérifier que Dieu nous protège de tout danger… y compris d’un éventuel danger mortel. 

La réponse de Jésus nous éclaire sur l’objet de l’obstacle : « tu ne chercheras pas à éprouver le Seigneur ton Dieu ».

La mort constitue, pour nous, la situation ultime devant laquelle se joue notre confiance en Dieu. 
Or, ici, c’est la tentation de la preuve qui est mise en avant. Notre mental a besoin de preuves. Il refuse la confiance que notre âme porte spontanément à Dieu. Il demande des raisons, des justificatifs.

Ainsi, notre âme devrait prouver à notre esprit (à notre mental) que nous sommes bien « fils ou filles de Dieu »… elle devrait prouver que Dieu est digne de confiance et capable d’agir pour nous sauver… elle devrait prouver qu’elle est immortelle.

Mais, le paradoxe de la situation - que Jésus a bien compris - c’est que, si notre âme devait prouver quoi que ce soit à notre esprit, elle ne serait plus dans la confiance.
Elle se séparerait d’avec Dieu… elle quitterait l’unité avec Dieu… en lui imposant de se justifier, en le contraignant à prouver son amour.

Jésus laisse donc passer l’obstacle, en écoutant son âme et en signifiant qu’il n’a pas besoin de preuve, puisqu’il fait confiance à Dieu.

Cette réponse de Jésus - qui refuse de demander des preuves à Dieu - mais qui croit en sa Providence et en son Salut, avec confiance - est un enseignement pour nous… car en fait, bien souvent, nous manquons de foi. C’est un fait ! Nous laissons notre mental dominer notre âme.
La méfiance ou la peur nous guettent et nous guident.

Loin de faire confiance à Dieu pour notre vie ici-bas et pour notre vie par-delà la mort, nous pensons plutôt - notamment grâce à de nouvelles techniques médicales - parvenir à acquérir un pouvoir sur la mort, par nous-mêmes, par nos propres forces. 
Vous savez peut-être que des grandes sociétés ou des multinationales comme « Google » investissent des milliards de dollars dans la recherche, pour essayer de transcender la mort : l’objectif est que l’homme puisse vivre plusieurs centaines d’années… voire un jour éternellement… c’est la visée du transhumanisme, du développement de l’homme augmenté. 
Le désir, c’est - demain - de parvenir à repousser les limites de notre humanité, d’acquérir plus de pouvoir sur la matière et sur la mort elle-même. 

Ainsi, le désir qu’expose l’évangile de repousser les limites de la souffrance et de la mort est tout à fait réel. L’être humain est trop attaché à la vie terrestre, pour oser faire confiance à Dieu : 
il préfèrerait, soit pouvoir se débrouiller par lui-même pour repousser les limites de son humanité, soit avoir des preuves que Dieu est vraiment en capacité de pouvoir le sauver. 

Dans notre épisode, la réponse de Jésus est toute autre : il nous rappelle que la promesse d’être « enfants de Dieu »… donc d’être aimés quoi qu’il arrive… n’a pas besoin de preuve : la confiance se suffit à elle-même.
Seul l’esprit demande des preuves. L’âme, elle, connaît tout : elle sait notre unité avec le divin. Elle sait que Dieu nous aime pour toujours et que son salut nous éternellement offert. 

* Après les attachements du corps et du mental, Matthieu présente enfin les attachements de l’ego. La troisième tentation qui se présente à Jésus est l’obstacle du pouvoir, le désir de la toute-puissance. C’est la voix de l’ego qui aimerait dominer : 

« Si vraiment tu es Un, uni à Dieu et unifié par Lui, tout est possible : tu peux tout être, tout demander, tout avoir. Alors, pourquoi ne pas profiter de ce pouvoir pour toi-même ? » : Au milieu du coeur à coeur avec Dieu, les désirs de l’ego resurgissent : il voudrait plus d’avoir, de pouvoir, de reconnaissance, de réussite… Il voudrait devenir un maître par plus de puissance. 

Mais, Jésus l’a bien compris : répondre à ce pouvoir pour soi, pour satisfaire son ego, ce serait renier l’unité avec Dieu.
Quand on a atteint l’illumination, l’unité avec le divin, on n’a pas besoin de la richesse matérielle, on a déjà un trésor dans le ciel : un trésor éternel de communion et d’amour.

De plus, utiliser son pouvoir – le pouvoir de Fils, obtenu par la communion avec le Père – ce serait une manière de glorifier un autre Dieu : le dieu Mammon. Ce serait une manière d’utiliser le Père comme un moyen d’obtenir un but suprême qui serait « le pouvoir et l’argent ». Ce serait de l’idolâtrie : confondre la fin et les moyens.

En tant qu’auditeurs ou lecteurs de l’évangile, nous le savons : le but de notre vie n’est pas d’accumuler des biens ou de briller en société… ce n’est pas d’acquérir plus de pouvoir ou d’avoir … ces choses que finalement nous n’emporterons pas au paradis… Mais c’est essayer d’exprimer qui nous sommes vraiment : nous sommes « enfants de Dieu »… c’est essayer de parvenir à exprimer dans toute notre vie et à travers toutes nos relations humaines, notre vrai Soi en communion avec Dieu. 

Jésus répond donc, à juste titre, que cet type d’attachement est vain. Dieu seul est Dieu : « c’est à Dieu seul que tu rendras un culte » précise-t-il.

Ainsi, Jésus, par son unité avec le Père, parvient à dépasser tous les obstacles à la communion de l’âme avec Dieu : - le corps avec ses besoins et ses appétits ; - l’esprit et le mental qui exigent des preuves et refusent la confiance inconditionnelle ; - enfin, l’ego qui voudrait bien profiter de la situation pour accroitre son pouvoir.

Les réponses de Jésus relativisent donc tous nos attachements : 
A nous, qui nous sommes souvent tentés de croire que le bonheur se trouvent dans l’assouvissement des désirs du corps, du mental et de l’ego, Jésus nous appelle ainsi à expérimenter une autre source de bonheur : il nous rappelle le vrai bonheur que l’on trouve en Dieu lui-même, dans la communion avec le divin en soi, dans son intériorité… il nous invite à persévérer dans cette voix de la spiritualité. 

* En conclusion…  que peut-on retenir de cette méditation ?

Nous le voyons dans cet épisode de l’évangile, Jésus refuse d’enfermer l’existence humaine dans la seule matérialité. Il refuse d’être l’esclave de ses sens, de son mental ou de son ego, et de réduire ainsi son existence à une vie de servitude, au service de tous nos attachements matérialistes. 

Dans une certaine mesure, Jésus nous appelle plutôt au détachement, pour vivre « libres » sous le regard le Dieu. 

Il nous montre, en effet, que nos divers attachements peuvent nous éloigner de Dieu, dans la mesure où l’on a la fâcheuse tendance à les ériger en absolu… dans la mesure où on les divinise, où on leur donne une place qui ne devrait revenir qu’à Dieu seul. 

C’est le danger de « l’autonomie » (autonomos, au sens d’être à soi-même sa propre loi) qui est ici pointé : 
Si je parviens à combler tous mes besoins, par moi même… si je vis, par exemple, dans l’opulence, en pleine santé, avec tout l’avoir, la richesse et le pouvoir possible… dans une certaine mesure, je n’ai plus vraiment besoin de Dieu : je cours alors le risque de devenir moi-même « dieu », à la place de Dieu.

En nous racontant cet épisode, les évangélistes Matthieu et Luc opèrent donc une relecture : ils réinterprètent la définition du terme « fils de Dieu ».

Pour Jésus, être « fils de Dieu », ce n’est pas détenir une puissance ou un pouvoir qui appartiendrait à Dieu, qui viendrait de lui et dont je serais l’héritier ou le possesseur, en tant que fils du Père…. un pouvoir qui ferait de moi un « sur homme ». 

Etre « fils de Dieu », c’est, au contraire, accepter de vivre dans la vulnérabilité d’une relation de confiance avec Dieu. 
C’est accepter d’être totalement dépendant de Dieu et de ne pas vouloir se faire un nom par soi-même. 

Nous le voyons clairement dans ce récit : ce qui est mis derrière le mot « tentation », c’est, à chaque fois, une tentative de dépassement et donc de négation de notre propre fragilité, de notre vulnérabilité…. Comme si le fondement de toute tentation consistait à refuser la condition humaine et ses faiblesses. 

Pour sa part, Jésus répond à chacune de ces tentations (qui sont aussi les nôtres)… à chacun de ces attachements matériels… par une attitude de confiance en Dieu. Sa réponse se situe toujours sur un plan spirituel. 

Il me semble que l’évangile nous adresse - avec ce passage - un appel et un enseignement pour notre vie : 
Comme Jésus l’a vécu au désert, le chemin de l’unité intérieure et de la communion avec Dieu commence par le fait d’accepter d’oser le détachement, pour nous mettre à l’écoute de notre âme… pour nous souvenir de ce tout ce que notre âme sait déjà intuitivement… de la promesse qu’elle a reçue :
« En toi, j’ai mis tout mon Esprit – dit Dieu – tu es mon enfant bien aimé ! »

C’est cette promesse que Jésus a reçue au moment de son baptême (cf. Lc 3,22 // Mt 3,17). C’est la promesse que Dieu offre à chacun de ses enfants.

Jésus nous rappelle donc que nous sommes « enfants de Dieu », que cette identité est imprenable !… et que c’est la chose la plus importante pour nous. 

A nous de vivre pleinement cette identité de « fils » et de « fille » de Dieu… en inscrivant toute notre vie dans la confiance et l’amour qui viennent de notre Père céleste. 


Amen. 

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