dimanche 12 novembre 2017

La foi ou la religion : Mc 5, 24-34

Lecture biblique : Mc 5, 21-43 (= voir texte, en bas de cette page)
Thématique : la foi ou la religion, à la lumière de Mc 5, 24-34
Prédication de Pascal LEFEBVRE, Tonneins, le 12/11/17
(inspiré d’une réflexion de John Shelby Spong, in Jésus pour le XXIe siècle)

* Quelle est la différence entre la foi et la religion ? 

C’est une question qui se pose - ou qu’on pose - régulièrement à un pasteur, à différentes occasions… par exemple, lorsqu’une famille distancée de l’Eglise demande un acte pastoral (un acte religieux, plus ou moins envisagé comme un « rite de passage »), à l’occasion d’un mariage ou pour des obsèques. [note 1]
L’enjeu est alors d’essayer de transformer cette demande religieuse (traditionnelle) en acte de foi (en la possibilité d’une relation de confiance avec Dieu). 

A cette question, on peut donc répondre très succinctement que la « Foi » est de l’ordre de la confiance (relative à une Force de vie et d’amour, qu’on appelle « Dieu ») et la « Religion » de l’ordre de la croyance (relative à un Système de dogmes au sujet de Dieu et de l'Homme). Mais, le mieux est encore de nous plonger dans quelques épisodes du Nouveau Testament. 

Dans les évangiles, la distinction entre la foi et la religion apparait clairement en suivant le parcours de Jésus. 
On ne cesse de voir cet homme agir à l’encontre de la religion : il opère des guérisons le jour « sacré » du sabbat ; il partage sa table avec des parias (collecteurs d’impôts et femmes de « mauvaise vie ») rejetés par les Pharisiens ; il s’approche et touche des lépreux ; il chasse les vendeurs du temple, pour dénoncer la notion de relation marchande avec Dieu ; etc.

Jésus est celui qui vient remettre en cause la fonction tribale de la religion, qui distingue et qui sépare ceux qui font partie du groupe (de la tribu) : les bons croyants, fidèles à Loi ou craignants Dieu, qui méritent l’amour divin… des autres : les étrangers, les païens, les impurs, les infidèles ou les « pas comme il faut », qui ne sont voués qu’au mépris de Dieu, aux yeux des adeptes de la religion. 

Jésus est celui qui vient briser les préjugés racistes et les stéréotypes (par exemple, à l’égard des Samaritains : cf. Lc 10 ; Lc 17 ;  Jn 4), car une des fonctions de la religion est de protéger le groupe, de le « sécuriser » face à « l’autre » (avec ses références, ses valeurs et ses croyances différentes), face à la peur et l’insécurité que suscite l’altérité. 

Jésus a toujours placé l’humanité avant la loi religieuse, déplaçant ainsi cette loi (avec tous ses attributs) vers un but plus élevé : une humanité plus unie, plus libre, plus fraternelle… réaffirmant le lien indéfectible qui existe entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain (cf. Mt 22, 34-40 ; Lc 10, 25-37 ; 1 Jn 4, 20).

* Nous en avons un exemple dans un épisode biblique (Mc 5, 24-34) : la femme hémorroïsse : [note 2]

Au milieu de l’épisode de la guérison de la fille de Jaïros (un des chefs de la synagogue), Marc raconte que Jésus est interrompu par une femme hémorroïsse. 
A cause des saignements incessants dont souffre cette femme, elle se trouve continuellement exclue de la société humaine, car elle est considérée comme une personne « impure » et infréquentable ad vitam aeternam. 

Comme chacun le sait, une des caractéristiques d’un système religieux consiste à définir ce qui constitue la pureté rituelle, et ce qui fait que certaines personnes sont « pures » et d’autres « impures ». 
En ce sens, comme d’autres religions anciennes, la Torah interdit de toucher une femme dans sa période de menstruation (cf. Lv 12, 1-8 ; 15, 19-30). Etant déclarée impure pendant ses règles, toute femme est condamnée à un isolement temporaire forcé, par respect des autres (notamment des hommes)… vu l’influence « négative » et le « danger » potentiel qu’elle pourrait représenter pour le bien-être de la « tribu » à ce moment-là. Pendant quelques jours par mois, une sorte de honte imposée par la culture (ou plutôt la religion) enveloppe donc bon nombre de femmes. 

Le problème de la femme hémoroïsse, c’est qu’elle est perpétuellement « impure », puisque ses saignements sont continus. Naturellement, elle a cherché une aide médicale pour résoudre son problème, mais en vain… sans résultat. De ce fait, le sens de sa valeur s’est certainement effondré. Elle se considère comme inutile et même « maudite », et ce sentiment s’est inévitablement accompagné d’une diminution de son humanité, puisqu’elle n’a plus de vie relationnelle. 

On imagine la force de caractère qu’il a fallu à cette femme - qui est alors l’objet de crainte et de mépris - pour décider, par une sorte de subterfuge, de s’évader de sa prison imposée par la religion. 
Elle se met donc à la recherche de Jésus, dont elle a entendu parler, et décide de se glisser incognito dans la foule, pour le toucher physiquement. Elle imagine sans doute que si elle, « l’impure », parvient à toucher celui qui est « pur » parmi les purs (puisqu’il parle et agit au nom de Dieu, comme un prophète), alors quelque chose de sa lumière ou de sa pureté viendra la toucher et la transformer. 

Elle espère donc secrètement que cette action un peu folle - qui est pour elle son dernier espoir - pourra la sauver, la guérir. 
Et c’est ce qui se produit : Le toucher du vêtement de Jésus lui apporte la guérison. « A l’instant même - raconte l’évangéliste Marc - l’hémorragie s’arrêta et elle ressentit en son corps qu’elle était guérie de son mal ». Mais le problème c’est que Jésus s’aperçoit également « aussitôt qu’une force était sortie de lui ». 

L’effet dramatique de la scène est amplifié par le fait que Jésus se trouve au milieu de la foule et qu’il ne peut savoir qui l’a touché dans une intention particulière. Bien qu’il le pressente. 

Face au regard de Jésus, la femme est obligée de se démasquer. Lorsqu’elle se jette à ses pieds pour lui avouer son geste, sa peur est qu’une fois encore, les règles de pureté religieuse soient utilisées pour l’isoler et la rejeter. 
En effet, en touchant le maître, cette femme n’a pas seulement franchi un interdit (vis-à-vis de la Loi), elle a arraché une guérison à l’insu de Jésus. De plus, elle l’a « contaminé » et rendu « impur » à son tour. 
Or, les lois rituelles exigeaient que Jésus accomplisse maintenant des rites de purification pendant le nombre de jours prescrits. 

Mais, la difficulté, c’est que Jésus n’en a pas le temps : il est en chemin et pressé, pour aller sauver la fille de Jaïros. Il va donc aller guérir cette enfant (la fille du chef de la synagogue !) en étant un homme « impur ». Ce qui n’aura pas la moindre influence sur le résultat positif de la guérison qu’il va apporter. 

De manière subtile, en emboitant ces deux épisodes, Marc montre que ces règles religieuses de pureté sont, en réalité, aussi inutiles qu’inefficaces. Elles sont même « contreproductives » dans la mesure où elles contribuent à exclure des êtres humains de la vie sociale. [note 3]

Jésus accueille, avec bienveillance et grâce, l’histoire de cette pauvre femme. On peut même soupçonner qu’il l’ait touchée à nouveau pour la relever. 
« Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal » (v.34)

Bien évidemment, le terme « ma fille » traduit un sens de la relation humaine d’une grande proximité et d’une grande douceur… une forme de tendresse. 
Mais quelle est donc cette « foi » que Jésus met en avant ?… et qui aurait sauvé cette femme ?

Cette foi signifie-t-elle que cette femme croyait ce qu’il fallait croire ? Bien évidemment que NON. Sa foi était d’une certaine manière superstitieuse, car médiatisée par un vêtement : comme si toucher le manteau de Jésus pouvait la guérir (comme si le manteau du maître était imbibé d’un pouvoir magique, d’une sorte de fluide vital, capable de la sauver). 

En réalité, ce que cette femme avait perçu, c’est qu’au-delà de ce vêtement (et de tout fétichisme), il émanait quelque chose de Jésus : un amour, une lumière, qui pouvait lui redonner vie et confiance. 

Elle pensait peut-être naïvement que la vie était contagieuse… puisqu’on lui avait dit que l’impureté l’était. Elle imaginait qu’en touchant un être humain pleinement humain, comme Jésus, quelque chose de cette pleine humanité - de cette vitalité, de cette force d’amour - viendrait sur elle, en elle, pour lui rendre son humanité.

La foi qui était la sienne, c’est que grâce à Jésus, sa vie pouvait être désormais plus que ce qu’elle avait connu jusqu’alors. [note 4]
C’était - à travers Jésus - la foi en l’Amour qui pourrait la libérer et la rendre fondamentalement différente. 

On peut donc penser que le média de la foi que cette femme a utilisé - le vêtement - n’a, en réalité, aucune importance. Ce qui compte c’est ce qui se cache derrière sa foi/ notre foi, toujours imparfaite : 
Ici, ce fut la confiance en l’amour de Dieu, que cette femme avait senti en Jésus… confiance que cette force d’amour qui s’écoule d’un être humain à un autre, pouvait la toucher, la libérer, la guérir. 

Cette confiance a déclenché son courage (jusqu’à transgresser publiquement un interdit) et l’a libérée de son enfermement. [note 5]

« Sois guérie de ton mal » lui dit Jésus. Il reçoit - et certainement approuve - le geste de cette femme, puisqu’il la renvoie en paix. 

Chose surprenante pour son entourage : Jésus accepte le geste de foi et d’audace de cette femme, sans la condamner. Il accepte - du même coup - d’être celui qui vient briser les frontières religieuses du pur et de l’impur. [note 6]

* Conclusion : En relisant cet épisode de l’évangile, on voit que là où la religion peut exclure - par principe - la foi, elle, peut sauver - dans la mesure où elle nous ouvre à la liberté et à la plénitude de notre humanité. 

Jésus apporte une autre dimension à notre foi que ce qu’apporte la traditionnellement la religion.

La religion prétend apporter des réponses à nos angoisses existentielles : qu’est-ce que le péché ? Sommes-nous sauvés ? Y a-t-il une vie après la mort ? etc. Elle apporte une forme de sécurité, en nous disant ce qu’il est bon - ou conforme - de croire, ce qui est bien ou mal, ce qui est pur ou impur, etc. 

Jésus nous apprend à franchir un pas au-delà de la religion, source de sécurité - quitte à la remettre en cause et même à la contester - pour trouver la foi - la confiance - et devenir pleinement humains. 

On peut supposer que c’est parce que les gens, les disciples, ont senti en Jésus cette pleine humanité (comme il n’en avait sans doute jamais connu), qu’ils se sont mis à le suivre. 
Ils ont découvert en lui un type d’humanité véritablement libre et complet, d’une autre dimension… par le rayonnement et la compassion qui émanaient de lui. 
En un mot, ils ont perçu la présence du divin - du Vivant - au creux même de cette pleine humanité. [note 7]

La foi de cette femme nous invite à vivre la même expérience de Jésus, qui fut la sienne : 
Chercher et trouver au creux de notre humanité la trace du divin. 
Lâcher nos sécurités (nos certitudes ou prétentions de savoir), pour trouver la liberté et la confiance, et découvrir dans notre humanité - ici-bas - la présence de l’amour de Dieu.


Amen. 

Notes :
[1] :  Dans ce dernier cas, il est demandé que soit prononcée une parole d’espérance ou de réconfort, face à la finitude de la vie et l’inconnue, plus ou moins angoissante, que représente la mort. Il est évident que nous avons besoin des mots, pour dire notre chagrin et notre espérance, et pour dire « merci » (rendre grâce à Dieu) pour tout ce que nous avons pu partager (donner et recevoir) avec la personne aimée disparue. 

[2] :  L’histoire que raconte Marc est celle d’une femme qui a trouvé la libération et la guérison dans la foi, dans une rencontre avec Jésus qui a bouleversé son existence. 

[3] : Questions : La femme hémorroïsse guérie par Jésus souffrait depuis 12 ans… La fillette sauvée par Jésus avait 12 ans : Pourquoi Marc donne-t-il ces précisons (ce chiffre symbolique) ? Quel lien faut-il faire entre ces deux « résurrections » ? Veut-il dire que ces deux femmes sont enfin reconnues dans leur identité comme des êtres humains à part entière (capables de relations) à partir de leur rencontre avec Jésus ?

[4] : Ce qui pourrait être une belle définition de la foi : croire qu’avec la force de l’amour de Dieu, notre vie peut être plus grande, plus belle, plus épanouie, plus rayonnante, plus fraternelle.

[5] : En lui disant ces mots (« Ma fille, ta confiance t’a sauvé ; va en paix et sois guérie de ton mal »), Jésus la voit vraiment. Il établit une relation avec elle et l’appelle « ma fille ». Il joue, pour ainsi dire, le rôle de père (par son écoute et le désir de vie et de dépassement qu’il stimule en elle) et lui donne le courage de voir sa propre vie telle qu’elle est. Il la reconnaît comme une personne à part entière, dans sa dignité. Jésus la renvoie simplement à son désir et à sa foi. Elle a en elle la foi et la confiance, une source à laquelle elle peut puiser. C’est là l’origine et le moteur de sa guérison : la foi est « une puissance de vie ». Par le mouvement de confiance que Jésus a suscité en elle, dans son intériorité – et qui s’est traduit par un mouvement extérieur jusqu’à toucher le vêtement du maître – elle a pu s’ouvrir à l’action positive et salutaire de Dieu dans son esprit et son corps.

[6] : Ou, tout du moins, d’être celui qui vient surmonter ces barrières, qui oppressaient cette femme et condamnaient son humanité. 

[7] : C’est d’ailleurs ce que Jésus affirme lui-même dans l’évangile selon Jean, lorsqu’il parle de son intime communion avec Dieu qu’il appelle Père (cf : Jn 14, 9-11 « je suis dans le Père, comme le Père est en moi »).


* Texte biblique :


Quand Jésus eut regagné en barque l’autre rive, une grande foule s’assembla près de lui. Il était au bord de la mer. Arrive l’un des chefs de la synagogue, nommé Jaïros : voyant Jésus, il tombe à ses pieds et le supplie avec insistance en disant : « Ma petite fille est près de mourir ; viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. » Jésus s’en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et l’écrasait. 

Une femme, qui souffrait d’hémorragies depuis douze ans – elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins et avait dépensé tout ce qu’elle possédait sans aucune amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré –, cette femme, donc, avait appris ce qu’on disait de Jésus. Elle vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement. Elle se disait : « Si j’arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée. » A l’instant, sa perte de sang s’arrêta et elle ressentit en son corps qu’elle était guérie de son mal. Aussitôt Jésus s’aperçut qu’une force était sortie de lui. Il se retourna au milieu de la foule et il disait : « Qui a touché mes vêtements ? » Ses disciples lui disaient : « Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : “Qui m’a touché ?” » Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. Alors la femme, craintive et tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. Mais il lui dit : « Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal. » 


Il parlait encore quand arrivent, de chez le chef de la synagogue, des gens qui disent : « Ta fille est morte ; pourquoi ennuyer encore le Maître ? » Mais, sans tenir compte de ces paroles, Jésus dit au chef de la synagogue : « Sois sans crainte, crois seulement. » Et il ne laissa personne l’accompagner, sauf Pierre, Jacques et Jean, le frère de Jacques. Ils arrivent à la maison du chef de la synagogue. Jésus voit de l’agitation, des gens qui pleurent et poussent de grands cris. Il entre et leur dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte, elle dort. » Et ils se moquaient de lui. Mais il met tout le monde dehors et prend avec lui le père et la mère de l’enfant et ceux qui l’avaient accompagné. Il entre là où se trouvait l’enfant, il prend la main de l’enfant et lui dit : « Talitha qoum », ce qui veut dire : « Jeune fille, je te le dis, réveille-toi ! » Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher, – car elle avait douze ans. Sur le coup, ils furent tout bouleversés. Et Jésus leur fit de vives recommandations pour que personne ne le sache, et il leur dit de donner à manger à la jeune fille.


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