dimanche 15 octobre 2017

Mc 3, 1-6

Lectures bibliques : Rm 8, 31-39 ; Mc 2, 23-27 ; Mc 3, 1-6
Thématique : la guérison de l’homme à la main desséchée
Prédication (inspirée de Anselm Grün), Marmande, le 15/10/17.

Dans la T.O.B., l’épisode que nous entendons aujourd’hui a pour titre « Guérison le jour de sabbat ». Ce titre semble assez bien résumer - à lui seul - notre affaire : il s’agit de la guérison d’un homme à la main desséchée, qui se passe dans l’assemblée des fidèles, des croyants, le jour du sabbat : un jour particulier, consacré à Dieu, où il n’est pas permis de faire un quelconque travail, et donc d’effectuer une guérison. En agissant pour cet homme, Jésus se rend donc « coupable » vis-à-vis de l’interprétation de la Loi, qui est celle des Pharisiens. Il fait ce qui n’est pas permis à leurs yeux. Et cette action - cette guérison - va inévitablement lui attirer des ennuis. Ce que Jésus assume parfaitement : puisque pour lui, c’est l’humain, la fraternité et l’ouverture du coeur qui sont prioritaires, et pas une Loi. « Le sabbat a été fait pour l’homme », et non le contraire (cf. Mc 2, 27).

Cela dit, si nous nous arrêtons au titre de la T.O.B. (« Guérison le jour de sabbat ») et à cette interprétation - à la fois, classique et juste -, cet épisode n’a pas forcément grand chose à nous dire pour aujourd’hui : D’une part, parce que Jésus n’est plus là - en chair et en os - pour accomplir un tel prodige (pour autant que la chose se soit produite exactement comme Marc le raconte), et, d’autre part, parce que nos contemporains ne respectent plus vraiment le jour du sabbat (ou un jour pour Dieu) aujourd’hui. Donc, la question et la polémique soulevées par cet évènement peuvent nous paraitre tout-à-fait anciennes et dépassées. 

Pour que ce texte nous parle encore aujourd’hui, il faut peut-être accepter de le relire d’une autre façon, sous un angle plus symbolique, plus psychologique… car, au fond, peut-être que les personnages en présence : l’homme à la main desséchée et les pharisiens (qui ont le coeur dur et desséché) parlent aussi de nous… et pas seulement d’une veille histoire qui est arrivée il y a 2000 ans. 

J’appuierai donc cette relecture sur une réflexion du théologien Anselm Grün (cf. Anselm Grün, Le chemin de la liberté, Evangile de Marc) :

Dans une synagogue, Jésus voit un homme dont la main est desséchée. On imagine sans difficulté le problème de cet homme : 
Habituellement, la main est ce que me sert à saisir les objets au quotidien et à donner forme à ma vie, à la prendre en main. Avec la main, je prends ce dont j’ai besoin et je donne ce que j’ai à donner ; je touche les autres, je leur tends la main, je noue des relations, j’offre un soutien, je manifeste ma tendresse et mon amour. 

La « main sèche » peut signaler physiologiquement un homme qui a la main paralysée. Mais elle peut aussi décrire symboliquement un homme qui a retiré, repris sa main ; une personne qui ne veut pas se brûler les doigts ni se salir les mains. 
Quelqu’un qui a déserté le combat pour la vie, se contentant du rôle de spectateur. 

A force d’essayer de s’adapter et de se conformer aux autres, ou d’être ballotté de tout côté et malmené, il a perdu toute énergie, il s’est refermé sur lui-même, il ne peut plus rien prendre en main ; il est devenu incapable d’agir. 

D’une certaine manière, nous ressemblons parfois à cet homme : lorsque nous sommes éprouvés ou bouleversés par une situation qui semble au dessus de nos forces, nous laissons la main à d’autres. Nous nous sentons parfois impuissants ou spectateurs face à certains évènements autour de nous… face à des craintes ou des angoisses. 

C’est le jour du sabbat : un jour « interdit », selon les Pharisiens. Il n’est pas permis d’agir ou de guérir, sauf en cas de danger mortel : 
Pour ces religieux légalistes, le respect du commandement de Dieu - de la Torah - compte plus que la guérison d’un homme. Ce qui fausse évidement le sens originel du sabbat. 

Mais, Jésus, lui, ne laisse pas les pharisiens entraver son action. Il ordonne à l’homme à la main sèche : « Lève-toi. Viens au milieu! » (v.3). 
C’est sans doute la dernière chose que cet homme a envie de faire. 

Cet homme qui n’a jamais fait que s’effacer, qu’observer de côté tout ce qui se passait, sans jamais prendre d’initiative ni de responsabilité, doit maintenant se mettre au centre et affronter le regard des autres. 

Ce n’est certainement pas pour gêner cet homme que Jésus lui demande cela. C’est plus vraisemblablement pour provoquer un déblocage, un premier pas vers une guérison. 
Voilà ce qu’on peut entendre dans cet ordre de maître : 
« Toi aussi, tu es important, tu es à ta place au milieu ! »

C’est un appel à une prise de conscience et à un déplacement, qui signifie : « courage !  Assume-toi enfin toi-même ! Tu es décentré, recentre toi sur toi-même ! »

Jésus demande là presque l’impossible à cet homme, sur qui tous les regards sont maintenant rivés, et à qui il arrive ce qu’il avait toujours voulu éviter. 
Maintenant, il ne peut plus se dérober, il doit affronter la situation. Mais il n’est pas seul : Jésus est à ses cotés. Il va prendre en charge la confrontation avec ceux que le malade s’est toujours appliqué à esquiver. 

Il me semble que ce récit de guérison n’est pas le seul à faire appel au courage du malade. Si on se souvient, par exemple, du récit de guérison de l’aveugle Bartimée, on trouve cette même invitation : 
« Confiance, courage… lève-toi… il t’appelle » (cf. Mc 10,49). 

Jésus se tourne alors vers l’assistance composée - entre autres - de Pharisiens, retranchés derrière la Loi… qui attendent de voir ce que Jésus va faire… s’il va - oui ou non - opérer une guérison en ce jour particulier. 

Jésus semble seul, face à un mûr de silence et d’hostilité. Mais, il est là, calme, entièrement présent à cet instant. On l’imagine rayonnant d’une telle vie, d’une telle force et densité de présence que personne ne peut l’ignorer, même si chacun attend, tiré dans son retranchement et obligé de prendre position.

Jésus leur demande : « est-il permis, le jour du sabbat, de faire le bien plutôt que le mal ? De sauver une vie au lieu de la détruire ? » (v.4) 
La question peut sembler rude aux Pharisiens, car leur seul souci était d’observer les commandements et de les faire passer dans la pratique quotidienne. 

Mais Jésus conteste leur interprétation nocive, parce qu’elle laisse encore un espace au mal et permet de détruire la vie. 
Elle enferme, elle sclérose et contribue à exclure ceux qui ne vivent pas les choses de la même manière. 
Considérer la Loi comme plus importante que l’homme, placer la norme au-dessus de la détresse ou de la souffrance d’un malade, c’est faire le mal - même involontairement ou inconsciemment. 

Dans le contexte d’une telle étroitesse doctrinaire et formaliste, l’être humain étouffe ; il ne peut pas vivre. 
Se crisper sur les seuls commandements, c’est enfin de compte tuer l’âme, psukhè (en grec), mot qui signifie l’âme, mais aussi la personne et sa vie même. 
Emprisonner la personne dans des normes strictes la détruit. L’âme a besoin de liberté pour s’épanouir, et non d’un corset de prescriptions. 

Mais cette polémique - ou problématique - a-t-elle encore une actualité pour nous ? 

Aujourd’hui, notamment en Europe, la plupart de nos contemporains ne sont plus enfermés dans des normes religieuses. On peut - bien sûr - s’en réjouir. Mais, ce n’est pas le cas partout ailleurs :
Dans des pays musulmans, des femmes continuent à souffrir de pressions sociales pour porter le voile ou le voile intégral. En Afrique ou ailleurs, on continue à exciser des jeunes filles, pour perpétuer des traditions ou des coutumes… on continue à persécuter des gens pour leurs choix : leur appartenance religieuse ou leur préférence sexuelle (par exemple, les personnes homosexuelles), alors que tout cela relève de la vie privé. 

La liberté de penser et d’agir selon sa conscience n’est pas du tout la norme majoritaire. Il y a des choses que se font et ne se font pas : et les humains continuent à être victimes d’eux-mêmes, de leur manque de liberté, de leur silence… de règles qu’ils se sont eux-mêmes infligés… comme si Dieu voulait telle ou telle chose, quitte à ce que cela nous impose contraintes et souffrances.

Or, comme Jésus nous l’a révélé, Dieu ne demande rien pour lui-même. (Il n’exige rien pour sa gloire.) Sa volonté bienveillante n’est que pour nous les humains. Ce qu’il veut, c’est enfin plus d’amour du prochain, de fraternité et de compassion. 

Les pharisiens restant muets, l’évangéliste Marc nous raconte que « Jésus les toisa du regard avec colère… affligé de l’endurcissement de leur coeur. » (v.5) 
Jésus, dans sa compassion, éprouve à la fois de la colère et de la tristesse : une association d’émotions tout-à-fait humaines. 

- La colère ne signifie pas que Jésus explose ou qu’il vocifère contre eux, mais qu’il prend, avec force, une distance, pour se défendre de leur manière de penser. 
Il leur dit de cette façon : « Libre à vous d’avoir un coeur desséché et endurci : c’est votre affaire ! Quand à moi, je n’agirai pas ainsi, Je ferai ce qui me semble juste ! ». 
Jésus va agir en accord avec son intuition et sa voix intérieure, en harmonie avec Dieu. 

La colère peut parfois être une « sainte colère ». Elle révèle que nous sommes bien humains. Nous ne pouvons pas toujours regarder les choses avec détachement, quand nous sommes émus par une situation douloureuse ou injuste. 
Ici, la colère libère Jésus du pouvoir de ses adversaires et le laisse en accord avec lui-même, centré sur lui-même. 

- Jésus est aussi triste et affligé. Le texte grec exprime une sorte de compassion. 
Le maître prend du recul, mais il ne rompt pas le lien avec eux ; il leur tend la main - si l’on peut dire - déplorant cette dureté qu’il est capable de ressentir de l’intérieur : 
Que peut-il bien en être de ces coeurs pour qu’ils soient devenus tellement secs ? Quelle peur doit les étreindre, pour qu’ils soient si étroits ?
Combien de désespoir, et combien de mépris pour l’homme faut-il avoir en soi, pour que l’on se ferme ainsi à la souffrance ?

Cette tristesse de Jésus nous renvoie à nous-mêmes : 
A force de voir des choses terribles aux informations télévisées, ne nous arrivent-ils pas - nous aussi - de nous habituer à des situations pourtant choquantes, injustes ou révoltantes ? 
Ne devenons-nous pas parfois insensibles au sort d’autrui ? Simplement « spectateurs » ou « indifférents »…. comme s’il ne s’agissait pas de nos frères humains ?

C’est souvent de fausses croyances, de fausses idées ou même la peur qui nous conduisent à devenir insensibles aux autres… j’en veux pour preuve la montée des conservatismes, des extrêmes ou de nationalismes, ici ou là, en Europe ou aux Etats Unis, qui nous invitent à voir autrui - celui qui est différent ou étranger - comme un « concurrent » ou comme une « menace ». 

Il faut voir en Allemagne, par exemple, combien la chancelière a essuyé de critiques après avoir accepté d’accueillir nombre des Réfugiés et de Migrants les années passées. Elle en paie aujourd’hui le prix politiquement. Mais ça, ce n’est pas grave. Ce qui est plutôt dommageable ce sont tous les discours qui oublient que ces personnes étrangères sont des frères et soeurs humains, qui ont été contraints de quitter leur pays, pour échapper à la guerre, la pauvreté ou la misère. 

Bien souvent, toutes nos peurs sont irrationnelles et finissent par nous faire penser ou agir de façon presque inhumaine : c’est la peur de perdre (perdre son intégrité, son identité, son pouvoir d’achat, sa sécurité) ou la peur de manquer… alors que si on partageait un peu plus ou un peu mieux, on pourrait éradiquer la pauvreté de la surface de notre planète. 

Dans notre épisode, Jésus, lui, a cette lucidité, cette clairvoyance. Il a pleinement conscience de la réalité autour de lui et de la souffrance de cet homme. 
Il ne se conforme pas à ce que la majorité silencieuse pense autour de lui, à la norme en vigueur, mais il a cette force d’esprit - de caractère - que lui donne la présence de l’Esprit saint, l’Esprit de Dieu, en lui. 

Pour pouvoir établir un vrai contact avec les autres, il faut être centré sur soi-même, autonome. 
Qui n’a pas ses propres frontières est déterminé par les sentiments des autres et n’agit pas librement. 

Jésus, lui, est libre - comme d’ailleurs tous les prophètes avant ou après lui l’ont été : qu’on pense aussi à Paul, Luther ou d’autres. 

Il me semble que la prière ou la méditation servent aussi à cela : elles ont pour but de nous mettre en contact avec Dieu ou avec notre vrai Soi (notre âme, elle-même en communion avec Dieu). 

La méditation et la prière permettent d’éveiller et d’élever notre conscience : pour être plus présent et plus sensible à notre réalité, à notre environnent, aux autres. Et du coup, plus libres et innovants, pour chercher des moyens et des solutions, pour aider, aimer, partager, venir en aide. 

C’est ce qu’a fait Jésus avant nous. 

Certainement, il voulait avoir une relation avec les pharisiens, ces frères « séparés ». Il leur tend, avec tristesse, une main qu’ils ne prennent pas. 
Au contraire, ils s’en vont et décident d’éliminer le gêneur, en le faisant périr. 

Cette menace n’empêche pas Jésus d’accomplir sa vocation d’enfant de Dieu. Grâce à son action, le malade comprend et à désormais le courage d’étendre la main, de prendre sa vie à bras-le-corps, même si cela doit engendrer des conflits. 
Il va devenir celui qui agit et ne plus accepter qu’on agisse à sa place et qu’on décide de son destin. 

A la fin de l’épisode, Marc annonce déjà la destinée violente de Jésus, en même temps qu’il relate cet acte guérisseur, cette lutte contre ce qu’il appelle des puissance démoniaques, c’est-à-dire des forces inconscientes, des peurs, le pouvoir des habitudes ou des coutumes, qui finissent pas nous  scléroser ou nous diviser. 

En décidant la mort de Jésus, les Pharisiens ne savent pas qu’ils scellaient en réalité non seulement la fin de l’existence physique du maître, mais sa victoire prochaine sur toutes les puissances qui menacent la vie. 
Car, nous qui avons souvent peur de tout - peur de la vie, des autres, ou de la mort -, nous devons avoir conscience - comme nous le révèle le Nouveau Testament - que la mort n’est pas la tragédie - le clap de fin  - que nous imaginons. 

La foi de Jésus Christ nous appelle à croire que dans la mort nous recevrons aussi la vie : cette vie nouvelle qui fut donnée à l’homme à la main desséchée… et par laquelle sa vie fut transformée. 

« Si Dieu est avec nous … qui sera contre nous ? » (cf. Rm 8) demande l’apôtre Paul.

La foi, la confiance en Dieu, pour aujourd’hui et pour demain, nous conduit à lâcher toute nos peurs…. Car, quoi qu’il arrive, nous ne sommes pas seuls, nous sommes aimés de Dieu. 

Il nous suffit simplement de lui faire confiance et d’aimer notre prochain comme nous-mêmes : c’est ce que Jésus nous propose, pour vivre en plénitude. 

Soyons sûrs de l’amour de Dieu pour chaque être humain ! 
Et ouvrons nos consciences à cet amour pour nous… et pour nos frères et soeurs… 


Amen. 

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