dimanche 26 novembre 2017

Jonas ou l'idée qu'on se fait de Dieu

Lectures bibliques : Livre de Jonas ; [Lc 18, 9-14 ou Mt 5, 43-45 ou Lc 13, 1-5]
Prédication de Pascal LEFEBVRE (inspirée d’un ouvrage de Jean-Marc Babut) / 
Tonneins, 26/11/17

* C’est une évidence d’affirmer que l’histoire qui est racontée dans le livre de Jonas n’a rien d’historique. Personne ne peut croire qu’un homme soit resté trois jours dans le ventre d’un monstre marin immergé et qu’il en soit sorti vivant. Il faut donc entendre ce qui se joue, dans ce récit de fiction, sous un autre registre - un peu à la manière d’un conte - et comprendre qu’il nous délivre une vérité, à travers un récit à la fois imaginaire et humoristique. 

Cette histoire - bien qu’elle soit fictive ou légendaire dans ses détails - a véritablement quelque chose à nous dire. Elle vient nous interroger sur notre manière de comprendre Dieu, dans la mesure où le personnage principal : Jonas est lui-même retourné, du tout au tout, quant à ses présupposés théologiques. Ce qui le met en rogne à la fin de l’histoire : constater que Dieu n’est pas comme il le pensait. 

On découvre au cours du récit que Jonas a une image ambiguë de Dieu, du Dieu Adonaï en qui il croit : 

- D’un côté, il y a ce qu’il imagine : il voit Dieu à la manière des païens : Dieu est comme une puissance. Il le voit à l’image du tyran-type de l’antiquité, comme celui qui détient tous les pouvoirs, qui détruit ses adversaires et punit tous ceux qui contreviennent à sa volonté. Autrement dit, il croit en un Dieu qui n’en fait qu’à sa tête, un Dieu qui récompense les siens, les fidèles, et qui sanctionne les méchants (comme ceux qui commettent des atrocités). 

- D’un autre côté, il y a ce qu’il a appris « au catéchisme » ou dans les Psaumes (dont sa prière est inspirée) : Dieu est bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et riche en fidélité. 
Cela, il le sait « inconsciemment » ou plutôt « intuitivement ». Il l’avoue à la fin, mais il ne veut pas (ou ne peut pas) vraiment y croire. Comment croire, en effet, que Dieu puisse être ainsi avec des païens, qui ont autrefois fait la guerre et détruit une partie du pays des Juifs, le peuple élu ?

Jonas est présenté comme un anti-héros, comme un prophète de Dieu - un de ses porte-paroles - mais un prophète qui se défile devant sa tâche et sa responsabilité.  

On voit, en effet, que Jonas se dérobe devant la mission que Dieu lui confie : il est censé porter un avertissement de la part de Dieu dans la grande ville de Ninive, une ville païenne. Mais, il s’enfuit en sens opposé à des milliers de kilomètres de là, à Tarsis. 

* La question que le lecteur d’aujourd’hui peut immédiatement se poser est la suivante : pourquoi Jonas refuse t-il cette mission ? 

La réponse est évidente pour celui qui connait le contexte historique. Ninive est la grande ville qui deviendra la capitale de l’empire assyrien [Elle le deviendra sous l’autorité de Sennachérib (-704-681)] : En 722 av J-C, le royaume d’Israël et sa capitale Samarie ont été détruits par les Assyriens. Seul, le petit royaume de Juda au sud s’en est sorti. 
Ninive sera à son tour conquise et ruinée un siècle plus tard (en -612), sous les coups des Medes et des Babyloniens. 

Quand l’histoire de Jonas est racontée, sans doute au 4eme siècle avant notre ère, il y a plus d’un siècle que Ninive n’existe plus, mais l’Assyrie est restée dans les mémoires comme un peuple ennemi et païen, une puissance implacable qui a écrasé le royaume d’Israël, patrie de Jonas. 

Par ailleurs, les rois assyriens étaient tristement réputés pour leur violence et les atrocités commises par leurs armées, ainsi que les pillages infligés aux vaincus. D’où la référence à la cruauté, dont l’écho, le bruit - nous dit le narrateur - est monté jusqu’à Dieu. 

Dans ces conditions, on comprend que Jonas n’ait pas du tout envie d’effectuer cette mission : il répugne - selon toute vraisemblance - à porter un message de la part de Dieu à un peuple qu’il considérait comme l’ennemi impardonnable d’Israël. 

D’ailleurs, il est vraisemblable que Jonas ne comprenne pas pourquoi Dieu s’intéresse aux habitants de Ninive. Ce sont des « gentils », des « païens », qui sont belliqueux et qui demeurent, aux yeux de Jonas, en dehors du cadre de l’amour de Dieu délimité par les Juifs. 

Jonas prend donc la poudre d’escampette et fuit loin de Ninive : devoir porter un avertissement de la part de Dieu aux ennemis les plus féroces de son peuple lui ait insupportable, au point que quand le bateau qui le conduit sur une route opposée vers Tarsis, menace de sombrer dans la tempête et qu’il est démasqué par l’équipage comme celui qui est responsable de la « colère de Dieu » et des vents tempétueux, il préfère choisir la mort que de se rendre à Ninive : 
« Prenez-moi, jetez-moi à la mer, et sa fureur se calmera » dit-il aux marins païens. « Je le reconnais en effet : c’est par ma faute que cette grande tempête s’est levée contre vous ».

* A cet instant, Jonas voit la mort comme l’ultime moyen par lequel il peut échapper définitivement à Dieu et à cette mission prophétique. Mais, c’est sans compter la persévérance de Dieu. 

C’est par le moyen d’un gros poisson que Dieu va, d’une part, faire réfléchir Jonas face à la mort qu’il va expérimenter, et, d’autre part, le sauver de son entêtement à fuir ses responsabilités… toujours dans le but que le prophète accomplisse enfin sa mission. 

Contrairement à l’idée qui revient toujours, chaque fois qu’on évoque le nom de Jonas, le gros (ou grand) poisson qui vient à point nommé pour gober le prophète, quand il est jeté par dessus bord, n’est pas une baleine. 
Non seulement la baleine n’est pas une espèce qu’on rencontre en Méditerranée, mais son gosier est trop étroit pour laisser passer en son entier le corps d’un homme. Le gros poisson du récit biblique n’est pas identifiable à une espèce connue. 

Ce poisson intervient comme l’instrument anonyme que Dieu fait survenir au bon moment, pour empêcher Jonas de lui échapper en se jetant dans la mort. 
Le prophète récalcitrant reste alors trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson. Ce temps est assez long pour lui permettre de prendre conscience de sa véritable situation. 

Autrement dit, en sauvant Jonas d’une mort pourtant ardemment souhaitée, Dieu lui fait découvrir - du même coup - ce qu’est véritablement la mort. C’est dans cette circonstance redoutable que Jonas adresse à Adonaï une prière, largement inspirée des psaumes. [[D’ailleurs, nombreux sont les exégètes qui pensent que cette prière a été insérée ultérieurement dans le récit de Jonas.]] C’est une prière de détresse qui appelle Dieu au secours et qui reconnait que le salut lui appartient. Elle s’achève sur une promesse de fidélité envers Adonaï. 

Par cette prière, Jonas supplie Dieu de le faire sortir de sa situation de détresse, lui qui se trouve prisonnier du monstre marin. 

Adonaï ordonne alors au poisson de restituer Jonas sur la terre ferme (2,11). Mais Dieu n’a sauvé Jonas que pour le renvoyer à Ninive, accomplir son devoir prophétique. 

* Quelle est donc la mission confiée à Jonas ? 
L’histoire montre qu’il faut distinguer la mission réelle de la manière dont Jonas la comprend : 

- La mission réelle est un avertissement. Jonas doit littéralement crier contre la population de Ninive. 
Adonaï, Dieu est présenté comme un Dieu qui parle, qui prend l’initiative de la communication (via son prophète), dans l’intention de faire passer un message de salut, c’est-à-dire de mettre en garde les habitants de Ninive contre la catastrophe qui se prépare, s’ils conservent leurs comportements violents et cruels, s’ils continuent à agir comme il le font. 

- De son côté, Jonas semble comprendre le message que Dieu lui confie, non comme un avertissement, mais comme l’annonce d’une catastrophe inéluctable : la condamnation et la punition de Dieu vont tomber sur la grande ville, à cause du comportement des habitants païens… un peuple coupable et cruel… qui est forcément étranger à la promesse de salut de Dieu, aux yeux de Jonas. 

Il y a donc une ambiguïté sur la manière de comprendre le message prophétique dont Jonas est porteur au nom de Dieu. 
Ce message apporte une nouvelle inquiétante : il reste quarante jours avant le grand chambardement de Ninive. 

Encore une fois, la question est de savoir comment interpréter le message de Dieu (?) (un peu comme nous quand nous lisons la Bible, il nous faut interpréter) : 
- Est-ce la prédiction d’une punition inéluctable ? Mais si tel est le cas, on se demande pourquoi il est nécessaire d’attendre quarante jours - presque 6 semaines - pour que la sentence annoncée soit appliquée. 
- N’est-ce pas plutôt un temps de préparation ou d’épreuve, permettant aux habitants de prendre conscience de l’urgence du changement à effectuer, face à une situation de crise… comme le chiffre symbolique de quarante jours semble le suggérer ? 

Dans ce cas, le message ne consisterait pas en l’annonce d’une condamnation ou d’une punition prochaine, mais en l’annonce d’un désastre à venir, si rien ne change, si les conduites inhumaines perdurent. 

Jonas vient ainsi crier « casse-cou » à des gens totalement inconscients de la folie de leurs comportements fondés sur la violence et la cruauté vis-à-vis des autres peuples… Or, s’ils sont responsables de ces comportements, ils risquent aussi d’en être prochainement les victimes… à moins d’une conversion, d’un retournement, d’un changement radical de mentalité. 

* A ce stade du récit, on ne sait pas encore si cet avertissement va être entendu. On sait que dans la Bible tous les prophètes se sont heurtés à des oppositions. 

La difficulté rencontrée par cet avertissement, ce message de salut, tient au fait qu’il met radicalement en question le comportement social, économique et politique des humains, fondé sur la rivalité et la concurrence… donc sur une forme de rapport de force, de violence… comme si la chose était inéluctable. 

Ce comportement vise essentiellement au « chacun pour soi » au niveau individuel et même au niveau collectif (comme au niveau des états aujourd’hui) : chacun défendant ses propres intérêts. 
Ce comportement qui vise à avoir à soi - et pour cela, à exercer un pouvoir ou une domination - est en réalité ruineux pour l’ensemble de l’humanité. 
C’est toujours de la sorte que notre monde fonctionne aujourd’hui, sous des dehors plus « civilisés », disons moins « barbares » et « sanglants » qu’autrefois.

Un tel système fait inévitablement des victimes et appelle à la réciprocité, à une réaction en miroir, qui - en retour - risque de susciter toujours plus de violence. 
Nous le constatons depuis des siècles : Tant que notre niveau de conscience n’évoluera pas, notre monde risque d’aller de crise en crise. 

Malheureusement, les humains, qui se méfient les uns des autres, et qui veulent toujours avoir le dernier mot, considèrent la plupart du temps que « la force » est le seul moyen efficace, et donc incontournable, pour maintenir l’ordre et la sécurité au profit du système en cours (c’est-à-dire, le plus souvent, au profit des plus puissants). 

(Aujourd’hui, on pense encore à « la force » comme solution à tous nos malheurs, aussi bien comme moyen préventif que curatif, pour infliger à autrui un avertissement ou une punition, le cas échéant. 
Les Etats n’agissent pas autrement au 21e siècle : par intimidation ou par rapport de force… comme si la rivalité ou la violence pouvait régler les problèmes. Et d’ailleurs, on croit encore qu’en étant violent avec les violents, on va régler le problème du terrorisme. On ne se rend pas compte que ce système, lui-même, ne fait que de susciter plus de haine de l’autre.)

Face à nos comportements ancestraux et primaires, le message de Dieu - qu’on trouve par exemple dans l’Evangile de l’amour du prochain, qui appelle au service, au partage, à la fraternité - est jugé, par beaucoup, comme trop dérangeant et irréaliste. Mais la vérité : c’est que nous n’arrivons pas à nous remettre en cause !

En regardant notre monde tel qu’il est… on peut simplement constater que les normes humaines ne sont pas encore au niveau de ce que l’Evangile de Dieu propose pour notre humanité. 
On en est toujours - au mieux - au « oeil pour oeil, dent pour dent » (cf. Ex 21, 23-25 ; Lv 9, 17-22 // Mt 5, 43-48). 

Nous savons combien notre monde et nos coeurs ont besoin d’être pacifiés !… Combien nous avons besoin de réentendre les discours des prophètes et les paroles de Jésus. 

PAUSE

* Ici - contre toute attente - le message de Dieu est entendu. (C’est peut-être en cela que ce récit est une fiction.) 
Jonas n’a pas besoin de trois jours de déambulation pour atteindre l’objectif que Dieu lui a fixé. Car, dès la fin du premier jour, la population réagit positivement à ce qu’il proclame. Ce qui semble surprenant.

« Les habitants de Ninive firent crédit à Dieu » nous dit le narrateur, ou - autre traduction - : ils crurent ; ils mirent leur foi - leur confiance - en Dieu. 
Autrement dit, ils ont accueilli l’avertissement que Dieu leur envoyait et en on tiré immédiatement les conséquences. 
Mieux encore : ils y ont vu, non pas une menace, même si Jonas l’avait prêchée comme telle, mais un message de salut.
La réponse est unanime : même le roi se met à l’unisson de ses sujets, ordonnant au passage que personne ne reste à l’écart du comportement qui convient. 

Si les gens de Ninive ont fait « crédit à Dieu », c’est qu’ils ont reconnu la justesse de la critique dont ils étaient l’objet - à savoir leur tradition de violence et de cruauté - et qu’ils décident - en conséquence - d’opter pour un changement radical de comportement. C’est à cela que le roi appelle expressément ses sujets. 

Seulement une telle conversion ne peut porter ses fruits que dans l’avenir. Dans l’immédiat ce changement passe par une forme religieuse : pour illustrer sa consternation, la population doit prendre le deuil, revêtir le « sac » (une sorte de pagne de tissu grossier), se frotter de cendre et entrer dans un jeûne total, en s’abstenant de toute nourriture et boisson. 
Mais ce qui intéressant, c’est surtout l’engagement pris devant Dieu. Je cite : 
« Qu’hommes et bêtes soient couverts de la tenue de deuil, qu’ils s’adressent à Dieu avec force, que chacun renonce à sa funeste manière de vivre et à la violence dont ses mains sont pleines ! » (3,8). 
Ce qui est sous-entendu, c’est : voilà ce à quoi nous nous engageons ! 

Puisque ce peuple a entendu le message de Dieu et accepte de changer du tout au tout, Dieu prend la parole et annonce que, si tel est le cas, il n’en sera pas ainsi : Ninive ne connaitra pas un destin tragique… pour autant que ce changement se réalise… que chacun renonce à sa funeste manière de vivre. 

Ce changement d’avis de Dieu montre qu’il se laisse guider par son coeur… il se laisse émouvoir par la promesse des habitants de la grande ville. C’est donc un Dieu compatissant que présente ici le narrateur. 

* De ce fait, le narrateur permet au lecteur de s’interroger sur le thème du jugement : 

L’idée d’un jugement final - exercé par Dieu ou un représentant - est présent dans la Bible. 
La question est de savoir comment envisager ce jugement : 

- Doit-on le voir comme la punition que Dieu inflige à une humanité dévoyée, comme semble l’imaginer Jonas ? Mais, dans ce cas, cela implique de croire en un Dieu capable de punir. Ce qui ne correspond pas, dans le Nouveau Testament, à la manière dont Jésus parle de Dieu comme un Père à l’amour inconditionnel (cf. par ex. Lc 15). 

- Ou, doit-on voir ce jugement comme le désastre annoncé… désastre que les humains se sont inconsciemment préparés à eux-mêmes. Dans ce cas, Dieu n’est ni un juge ni un bourreau : son « jugement » consiste simplement à laisser les humains récolter ce qu’ils ont eux-mêmes semé. 

Il me semble que c’est cette deuxième perspective qui est ici présentée : En changeant d’avis, Dieu montre à Jonas qu’il est en réalité plus miséricordieux que punisseur… que si les Ninivites changent, leur destin aussi changera. 

En demandant à son porte parole, son prophète, de prévenir les Ninivites, le narrateur montre que l’action de Dieu vise le salut : 
Le message de Dieu est comme une lumière, un phare destiné à éclairer la réalité. Dieu essaie d’avertir et de limiter les dégâts avant qu’il ne soit trop tard, avant que la violence n’ait définitivement conduit le pays au désastre. 

* [[L’incroyable s’est donc produit dans ce récit que raconte la Bible : la population la plus brutale et la plus inhumaine a reconnu la perversité de sa tradition et de ses comportements, pour décider de repartir sur des bases saines et nouvelles. 
Malgré la mauvaise volonté de son porte-parole, Dieu a quand même atteint son objectif : sauver une population du désastre vers lequel elle se précipitait les yeux fermés. 

Dieu a donc eu gain de cause avec Ninive, mais pas avec son messager. 
Jonas, en effet, n’est pas du tout d’accord avec Dieu. Il lui reproche de ne pas avoir tenu parole… d’avoir changé d’avis. 
Du coup, son désir secret de revanche sur l’ennemi détesté est battu en brèche par Dieu… par le Dieu de son propre peuple. 
Et beaucoup plus grave pour Jonas : Dieu n’est pas ce qu’il devait être !
Jonas a confondu Dieu avec l’idée qu’il se faisait de Dieu… il a confondu le Dieu vivant avec une idole.]]

Le revirement de Dieu - dû au revirement des habitants de Ninive - plonge donc Jonas dans la colère. 
En fait, c’est contre lui-même que Jonas est en colère : il s’aperçoit combien il s’est trompé sur Dieu, sur l’image qu’il s’était forgée de Lui : Un peu comme le fils ainé de la parabole du fils prodigue (cf. Lc 15), qui peut être identifié au Pharisien, au croyant fidèle à la Loi… Jonas croyait en un Dieu sévère et stricte, mais il s’aperçoit que Dieu est bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et riche en fidélité… comme le lui avait, sans doute, appris son « catéchisme » ou les psaumes… comme il l’avait pressenti intuitivement.

Seulement, s’il croyait en la miséricorde de Dieu, c’était pour son peuple, pour ses fidèles, il ne pouvait pas concevoir une miséricorde universelle, aussi vaste, y compris pour un peuple étranger et païen… voir ennemi (ou terroriste). 
Jonas ne pouvait pas imaginer que les habitants de Ninive - qui sont des non-Juifs et des belliqueux - puissent être destinataires de l’attention et de la compassion divines. 
Il découvre que l’amour de Dieu est le même pour tous les humains… et pas seulement pour son peuple, pour les siens… et cette découverte le met en rogne. 

Jonas est tellement furieux qu’il demande une nouvelle fois la mort. Cette demande est à nouveau une fuite, mais cette fois : une fuite devant la nécessité absolue de revoir de fond en comble sa « théologie » (c’est-à-dire l’idée qu’il se fait de Dieu). 

* La réponse de Dieu révèle une merveille de patience. Devant l’aveuglement de Jonas, qui refuse de voir clair en lui-même, Dieu va l’y aider en lui faisant faire une expérience personnelle :
Il fait pousser un ricin (c’est-à-dire une plante, un arbrisseau) pour protéger Jonas du soleil. Ce qui le réjouit. Le lendemain, il laisse le ricin mourir, piqué par un ver qui s’en nourrit. Ce qui désespère Jonas et le met à nouveau en rogne. 

Dieu profite ainsi de cette expérience pour le faire réfléchir : 
Tu t’es pris d’affection ou d’attachement pour quelque chose qui n’est qu’une simple plante - dit-il, en substance - … une plante dont tu ne peux même pas prétendre que tu l’as voulu, ni fait pousser, ni soignée. Sa disparition te désole et te met en rogne. Mais c’est à cause du confort qu’elle t’apportait face au soleil ou du réconfort qu’elle t’apportait face à ta contrariété. 
Si toi tu te désoles ainsi pour une simple plante, à combien plus forte raison ne devrais-je pas me désoler pour Ninive et tenter de la sauver… à combien plus forte raison ne devrais-je pas être affecté par le sort de ces milliers d’être humains incapables de « distinguer leur droite de leur gauche »… c’est-à-dire incapables de conduire leur vie et d’orienter leur décision… un peuple se laissant aller à ses tendances naturelles, faute de directives pour orienter leur existence.

Certes, ce n’est plus le cas des Ninivites depuis que Dieu leur a fait parvenir l’avertissement que l’on sait. Mais c’était leur cas avant que Jonas, bien malgré lui, ne leur apporte un message de salut, destiné à un changement de vie. 

* En conclusion, on voit que le livre de Jonas est un récit polémique, qui remet en question une certaine théologie : il remet en cause les préjugés dominants, dont Jonas est le représentant : à savoir l’idée d’un Dieu tribal, qui ne se préoccuperait que de son peuple élu : Israël, et qui mépriserait ou punirait les autres peuples. 

A la fin de l’aventure de Jonas, le lecteur est déplacé dans ses représentations : il en vient à se dire qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la manière de voir de Jonas : qui éprouve finalement plus de compassion pour un arbre que pour les habitants de Ninive. 

Dieu - Adonaï - n’est donc pas du tout ce qu’imaginait son prophète Jonas. Il est donc grand temps de mettre à jour notre théologie.

Ce récit montre aussi - sous forme humoristique - que les prophètes - dont Jonas est un représentant - étaient aussi enracinés dans leurs propres présupposés, leurs préjugés, et dans l’idolâtrie, au même titre que n’importe quel être humain. Mais cela n’empêche pas la Parole de Dieu de se frayer un chemin. 

Ainsi, sous la forme d’un petit conte merveilleux, ce livre est en réalité une véritable théologie, un enseignement fondamental sur Dieu : il laisse transparaitre l’image d’un Dieu compatissant et miséricordieux, qui se soucie de toutes ses créatures, aussi bien les bons croyants que les païens, aussi bien justes que les injustes. 
Il appelle seulement ceux qui sont violents à changer de comportement, pour éviter le désastre et la ruine, pour éviter que le monde ne se déchire… autrement dit, pour que le monde soit enfin plus humain et plus vivable. 
C’est un Dieu qui appelle à la fraternité. Ce que Jonas a lui-même du mal à vivre… dans la mesure où il est loin de considérer les Ninivites comme ses frères. 

Le récit opère donc un retournement : 
- A la fin de l’aventure, les Ninivites païens se sont mis à l’écoute du message divin et souscrivent à un changement de mentalité et de comportement. Ils se sont montrés plus ouverts que le prophète de Dieu. 
- Jonas, de son côté, a encore besoin de conversion. Il doit accepter d’abandonner ses fausses images de Dieu, pour s’ouvrir à un Dieu qui aime et qui sauve tous les humains, sans distinction. 

Enfin, ce récit nous interroge sur la notion de salut :
L’idée du salut est ici rapportée à une Parole extérieure - une Parole de Dieu - qui nous appelle à un changement de comportement, un retournement, une conversion. 
Ce n’est pas l’idée que Dieu apporte le salut, avec une baguette magique, du haut du ciel, mais qu’il nous appelle à entrer dans le salut, dans notre existence… un salut qui passe par l’adoption d’une nouvelle mentalité. 
Le salut est lié à l’idée de transformation. 

Adonaï ne veut donc pas que les humains fassent n’importe quoi, et qu’ils se détruisent les uns les autres, jusqu’à détruire leur humanité et l’humanité toute entière. 
Le salut qu’il propose n’est pas à attendre dans un au-delà, mais à trouver ici-bas, ici et maintenant, au creux de notre humanité (C’est là qu’on peut trouver Dieu.). 
C’est urgent : il reste quarante jours… c’est-à-dire symboliquement, il est temps de rentrer dans ce temps de changement… avant que la situation n’empire !

Ecoutons cette Parole qui, aujourd’hui encore, nous appelle à nous interroger sur notre vie, sur notre relation à Dieu et aux autres !  
Amen. 

dimanche 12 novembre 2017

La foi ou la religion : Mc 5, 24-34

Lecture biblique : Mc 5, 21-43 (= voir texte, en bas de cette page)
Thématique : la foi ou la religion, à la lumière de Mc 5, 24-34
Prédication de Pascal LEFEBVRE, Tonneins, le 12/11/17
(inspiré d’une réflexion de John Shelby Spong, in Jésus pour le XXIe siècle)

* Quelle est la différence entre la foi et la religion ? 

C’est une question qui se pose - ou qu’on pose - régulièrement à un pasteur, à différentes occasions… par exemple, lorsqu’une famille distancée de l’Eglise demande un acte pastoral (un acte religieux, plus ou moins envisagé comme un « rite de passage »), à l’occasion d’un mariage ou pour des obsèques. [note 1]
L’enjeu est alors d’essayer de transformer cette demande religieuse (traditionnelle) en acte de foi (en la possibilité d’une relation de confiance avec Dieu). 

A cette question, on peut donc répondre très succinctement que la « Foi » est de l’ordre de la confiance (relative à une Force de vie et d’amour, qu’on appelle « Dieu ») et la « Religion » de l’ordre de la croyance (relative à un Système de dogmes au sujet de Dieu et de l'Homme). Mais, le mieux est encore de nous plonger dans quelques épisodes du Nouveau Testament. 

Dans les évangiles, la distinction entre la foi et la religion apparait clairement en suivant le parcours de Jésus. 
On ne cesse de voir cet homme agir à l’encontre de la religion : il opère des guérisons le jour « sacré » du sabbat ; il partage sa table avec des parias (collecteurs d’impôts et femmes de « mauvaise vie ») rejetés par les Pharisiens ; il s’approche et touche des lépreux ; il chasse les vendeurs du temple, pour dénoncer la notion de relation marchande avec Dieu ; etc.

Jésus est celui qui vient remettre en cause la fonction tribale de la religion, qui distingue et qui sépare ceux qui font partie du groupe (de la tribu) : les bons croyants, fidèles à Loi ou craignants Dieu, qui méritent l’amour divin… des autres : les étrangers, les païens, les impurs, les infidèles ou les « pas comme il faut », qui ne sont voués qu’au mépris de Dieu, aux yeux des adeptes de la religion. 

Jésus est celui qui vient briser les préjugés racistes et les stéréotypes (par exemple, à l’égard des Samaritains : cf. Lc 10 ; Lc 17 ;  Jn 4), car une des fonctions de la religion est de protéger le groupe, de le « sécuriser » face à « l’autre » (avec ses références, ses valeurs et ses croyances différentes), face à la peur et l’insécurité que suscite l’altérité. 

Jésus a toujours placé l’humanité avant la loi religieuse, déplaçant ainsi cette loi (avec tous ses attributs) vers un but plus élevé : une humanité plus unie, plus libre, plus fraternelle… réaffirmant le lien indéfectible qui existe entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain (cf. Mt 22, 34-40 ; Lc 10, 25-37 ; 1 Jn 4, 20).

* Nous en avons un exemple dans un épisode biblique (Mc 5, 24-34) : la femme hémorroïsse : [note 2]

Au milieu de l’épisode de la guérison de la fille de Jaïros (un des chefs de la synagogue), Marc raconte que Jésus est interrompu par une femme hémorroïsse. 
A cause des saignements incessants dont souffre cette femme, elle se trouve continuellement exclue de la société humaine, car elle est considérée comme une personne « impure » et infréquentable ad vitam aeternam. 

Comme chacun le sait, une des caractéristiques d’un système religieux consiste à définir ce qui constitue la pureté rituelle, et ce qui fait que certaines personnes sont « pures » et d’autres « impures ». 
En ce sens, comme d’autres religions anciennes, la Torah interdit de toucher une femme dans sa période de menstruation (cf. Lv 12, 1-8 ; 15, 19-30). Etant déclarée impure pendant ses règles, toute femme est condamnée à un isolement temporaire forcé, par respect des autres (notamment des hommes)… vu l’influence « négative » et le « danger » potentiel qu’elle pourrait représenter pour le bien-être de la « tribu » à ce moment-là. Pendant quelques jours par mois, une sorte de honte imposée par la culture (ou plutôt la religion) enveloppe donc bon nombre de femmes. 

Le problème de la femme hémoroïsse, c’est qu’elle est perpétuellement « impure », puisque ses saignements sont continus. Naturellement, elle a cherché une aide médicale pour résoudre son problème, mais en vain… sans résultat. De ce fait, le sens de sa valeur s’est certainement effondré. Elle se considère comme inutile et même « maudite », et ce sentiment s’est inévitablement accompagné d’une diminution de son humanité, puisqu’elle n’a plus de vie relationnelle. 

On imagine la force de caractère qu’il a fallu à cette femme - qui est alors l’objet de crainte et de mépris - pour décider, par une sorte de subterfuge, de s’évader de sa prison imposée par la religion. 
Elle se met donc à la recherche de Jésus, dont elle a entendu parler, et décide de se glisser incognito dans la foule, pour le toucher physiquement. Elle imagine sans doute que si elle, « l’impure », parvient à toucher celui qui est « pur » parmi les purs (puisqu’il parle et agit au nom de Dieu, comme un prophète), alors quelque chose de sa lumière ou de sa pureté viendra la toucher et la transformer. 

Elle espère donc secrètement que cette action un peu folle - qui est pour elle son dernier espoir - pourra la sauver, la guérir. 
Et c’est ce qui se produit : Le toucher du vêtement de Jésus lui apporte la guérison. « A l’instant même - raconte l’évangéliste Marc - l’hémorragie s’arrêta et elle ressentit en son corps qu’elle était guérie de son mal ». Mais le problème c’est que Jésus s’aperçoit également « aussitôt qu’une force était sortie de lui ». 

L’effet dramatique de la scène est amplifié par le fait que Jésus se trouve au milieu de la foule et qu’il ne peut savoir qui l’a touché dans une intention particulière. Bien qu’il le pressente. 

Face au regard de Jésus, la femme est obligée de se démasquer. Lorsqu’elle se jette à ses pieds pour lui avouer son geste, sa peur est qu’une fois encore, les règles de pureté religieuse soient utilisées pour l’isoler et la rejeter. 
En effet, en touchant le maître, cette femme n’a pas seulement franchi un interdit (vis-à-vis de la Loi), elle a arraché une guérison à l’insu de Jésus. De plus, elle l’a « contaminé » et rendu « impur » à son tour. 
Or, les lois rituelles exigeaient que Jésus accomplisse maintenant des rites de purification pendant le nombre de jours prescrits. 

Mais, la difficulté, c’est que Jésus n’en a pas le temps : il est en chemin et pressé, pour aller sauver la fille de Jaïros. Il va donc aller guérir cette enfant (la fille du chef de la synagogue !) en étant un homme « impur ». Ce qui n’aura pas la moindre influence sur le résultat positif de la guérison qu’il va apporter. 

De manière subtile, en emboitant ces deux épisodes, Marc montre que ces règles religieuses de pureté sont, en réalité, aussi inutiles qu’inefficaces. Elles sont même « contreproductives » dans la mesure où elles contribuent à exclure des êtres humains de la vie sociale. [note 3]

Jésus accueille, avec bienveillance et grâce, l’histoire de cette pauvre femme. On peut même soupçonner qu’il l’ait touchée à nouveau pour la relever. 
« Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal » (v.34)

Bien évidemment, le terme « ma fille » traduit un sens de la relation humaine d’une grande proximité et d’une grande douceur… une forme de tendresse. 
Mais quelle est donc cette « foi » que Jésus met en avant ?… et qui aurait sauvé cette femme ?

Cette foi signifie-t-elle que cette femme croyait ce qu’il fallait croire ? Bien évidemment que NON. Sa foi était d’une certaine manière superstitieuse, car médiatisée par un vêtement : comme si toucher le manteau de Jésus pouvait la guérir (comme si le manteau du maître était imbibé d’un pouvoir magique, d’une sorte de fluide vital, capable de la sauver). 

En réalité, ce que cette femme avait perçu, c’est qu’au-delà de ce vêtement (et de tout fétichisme), il émanait quelque chose de Jésus : un amour, une lumière, qui pouvait lui redonner vie et confiance. 

Elle pensait peut-être naïvement que la vie était contagieuse… puisqu’on lui avait dit que l’impureté l’était. Elle imaginait qu’en touchant un être humain pleinement humain, comme Jésus, quelque chose de cette pleine humanité - de cette vitalité, de cette force d’amour - viendrait sur elle, en elle, pour lui rendre son humanité.

La foi qui était la sienne, c’est que grâce à Jésus, sa vie pouvait être désormais plus que ce qu’elle avait connu jusqu’alors. [note 4]
C’était - à travers Jésus - la foi en l’Amour qui pourrait la libérer et la rendre fondamentalement différente. 

On peut donc penser que le média de la foi que cette femme a utilisé - le vêtement - n’a, en réalité, aucune importance. Ce qui compte c’est ce qui se cache derrière sa foi/ notre foi, toujours imparfaite : 
Ici, ce fut la confiance en l’amour de Dieu, que cette femme avait senti en Jésus… confiance que cette force d’amour qui s’écoule d’un être humain à un autre, pouvait la toucher, la libérer, la guérir. 

Cette confiance a déclenché son courage (jusqu’à transgresser publiquement un interdit) et l’a libérée de son enfermement. [note 5]

« Sois guérie de ton mal » lui dit Jésus. Il reçoit - et certainement approuve - le geste de cette femme, puisqu’il la renvoie en paix. 

Chose surprenante pour son entourage : Jésus accepte le geste de foi et d’audace de cette femme, sans la condamner. Il accepte - du même coup - d’être celui qui vient briser les frontières religieuses du pur et de l’impur. [note 6]

* Conclusion : En relisant cet épisode de l’évangile, on voit que là où la religion peut exclure - par principe - la foi, elle, peut sauver - dans la mesure où elle nous ouvre à la liberté et à la plénitude de notre humanité. 

Jésus apporte une autre dimension à notre foi que ce qu’apporte la traditionnellement la religion.

La religion prétend apporter des réponses à nos angoisses existentielles : qu’est-ce que le péché ? Sommes-nous sauvés ? Y a-t-il une vie après la mort ? etc. Elle apporte une forme de sécurité, en nous disant ce qu’il est bon - ou conforme - de croire, ce qui est bien ou mal, ce qui est pur ou impur, etc. 

Jésus nous apprend à franchir un pas au-delà de la religion, source de sécurité - quitte à la remettre en cause et même à la contester - pour trouver la foi - la confiance - et devenir pleinement humains. 

On peut supposer que c’est parce que les gens, les disciples, ont senti en Jésus cette pleine humanité (comme il n’en avait sans doute jamais connu), qu’ils se sont mis à le suivre. 
Ils ont découvert en lui un type d’humanité véritablement libre et complet, d’une autre dimension… par le rayonnement et la compassion qui émanaient de lui. 
En un mot, ils ont perçu la présence du divin - du Vivant - au creux même de cette pleine humanité. [note 7]

La foi de cette femme nous invite à vivre la même expérience de Jésus, qui fut la sienne : 
Chercher et trouver au creux de notre humanité la trace du divin. 
Lâcher nos sécurités (nos certitudes ou prétentions de savoir), pour trouver la liberté et la confiance, et découvrir dans notre humanité - ici-bas - la présence de l’amour de Dieu.


Amen. 

Notes :
[1] :  Dans ce dernier cas, il est demandé que soit prononcée une parole d’espérance ou de réconfort, face à la finitude de la vie et l’inconnue, plus ou moins angoissante, que représente la mort. Il est évident que nous avons besoin des mots, pour dire notre chagrin et notre espérance, et pour dire « merci » (rendre grâce à Dieu) pour tout ce que nous avons pu partager (donner et recevoir) avec la personne aimée disparue. 

[2] :  L’histoire que raconte Marc est celle d’une femme qui a trouvé la libération et la guérison dans la foi, dans une rencontre avec Jésus qui a bouleversé son existence. 

[3] : Questions : La femme hémorroïsse guérie par Jésus souffrait depuis 12 ans… La fillette sauvée par Jésus avait 12 ans : Pourquoi Marc donne-t-il ces précisons (ce chiffre symbolique) ? Quel lien faut-il faire entre ces deux « résurrections » ? Veut-il dire que ces deux femmes sont enfin reconnues dans leur identité comme des êtres humains à part entière (capables de relations) à partir de leur rencontre avec Jésus ?

[4] : Ce qui pourrait être une belle définition de la foi : croire qu’avec la force de l’amour de Dieu, notre vie peut être plus grande, plus belle, plus épanouie, plus rayonnante, plus fraternelle.

[5] : En lui disant ces mots (« Ma fille, ta confiance t’a sauvé ; va en paix et sois guérie de ton mal »), Jésus la voit vraiment. Il établit une relation avec elle et l’appelle « ma fille ». Il joue, pour ainsi dire, le rôle de père (par son écoute et le désir de vie et de dépassement qu’il stimule en elle) et lui donne le courage de voir sa propre vie telle qu’elle est. Il la reconnaît comme une personne à part entière, dans sa dignité. Jésus la renvoie simplement à son désir et à sa foi. Elle a en elle la foi et la confiance, une source à laquelle elle peut puiser. C’est là l’origine et le moteur de sa guérison : la foi est « une puissance de vie ». Par le mouvement de confiance que Jésus a suscité en elle, dans son intériorité – et qui s’est traduit par un mouvement extérieur jusqu’à toucher le vêtement du maître – elle a pu s’ouvrir à l’action positive et salutaire de Dieu dans son esprit et son corps.

[6] : Ou, tout du moins, d’être celui qui vient surmonter ces barrières, qui oppressaient cette femme et condamnaient son humanité. 

[7] : C’est d’ailleurs ce que Jésus affirme lui-même dans l’évangile selon Jean, lorsqu’il parle de son intime communion avec Dieu qu’il appelle Père (cf : Jn 14, 9-11 « je suis dans le Père, comme le Père est en moi »).


* Texte biblique :


Quand Jésus eut regagné en barque l’autre rive, une grande foule s’assembla près de lui. Il était au bord de la mer. Arrive l’un des chefs de la synagogue, nommé Jaïros : voyant Jésus, il tombe à ses pieds et le supplie avec insistance en disant : « Ma petite fille est près de mourir ; viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. » Jésus s’en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et l’écrasait. 

Une femme, qui souffrait d’hémorragies depuis douze ans – elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins et avait dépensé tout ce qu’elle possédait sans aucune amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré –, cette femme, donc, avait appris ce qu’on disait de Jésus. Elle vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement. Elle se disait : « Si j’arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée. » A l’instant, sa perte de sang s’arrêta et elle ressentit en son corps qu’elle était guérie de son mal. Aussitôt Jésus s’aperçut qu’une force était sortie de lui. Il se retourna au milieu de la foule et il disait : « Qui a touché mes vêtements ? » Ses disciples lui disaient : « Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : “Qui m’a touché ?” » Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. Alors la femme, craintive et tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. Mais il lui dit : « Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal. » 


Il parlait encore quand arrivent, de chez le chef de la synagogue, des gens qui disent : « Ta fille est morte ; pourquoi ennuyer encore le Maître ? » Mais, sans tenir compte de ces paroles, Jésus dit au chef de la synagogue : « Sois sans crainte, crois seulement. » Et il ne laissa personne l’accompagner, sauf Pierre, Jacques et Jean, le frère de Jacques. Ils arrivent à la maison du chef de la synagogue. Jésus voit de l’agitation, des gens qui pleurent et poussent de grands cris. Il entre et leur dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte, elle dort. » Et ils se moquaient de lui. Mais il met tout le monde dehors et prend avec lui le père et la mère de l’enfant et ceux qui l’avaient accompagné. Il entre là où se trouvait l’enfant, il prend la main de l’enfant et lui dit : « Talitha qoum », ce qui veut dire : « Jeune fille, je te le dis, réveille-toi ! » Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher, – car elle avait douze ans. Sur le coup, ils furent tout bouleversés. Et Jésus leur fit de vives recommandations pour que personne ne le sache, et il leur dit de donner à manger à la jeune fille.


dimanche 5 novembre 2017

Chercher le règne de Dieu en soi

Lectures bibliques : Mt 5, 1-10 ; Mt 8, 18-22 ; Mt 13, 44-46
Thématique : chercher le royaume des cieux à l’intérieur de soi / le règne de Dieu en soi
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 05/11/17

* Pour recevoir, peut-être de façon nouvelle, les textes que nous venons d’entendre aujourd’hui - et qui sont bien connus - je vous propose d’entamer notre méditation par deux citations de l’évangile selon Jean, qui pourraient nous servir de grille de lecture :

- La première est au chapitre 10. C’est Jésus qui s’adresse à ses contemporains : « Moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance » (Jn 10, 10). 
L’Evangile, le message de Jésus, la vérité sur la vie et sur Dieu qu’il est venu révéler, est une Bonne Nouvelle, qui est censée nous apporter plus de vitalité… nous rendre plus vivants. 
Et comme Dieu peut être défini comme « Le Vivant » et que la vie est ce que nous avons de plus précieux, nous pouvons comprendre que ce que Jésus est venu nous apporter, c’est la possibilité de vivre en communion, en union, avec Dieu lui-même, qui est la Vie. Jésus vient nous apprendre à nous ouvrir à Dieu lui-même, qui est la Vie en plénitude, qui est la Lumière, qui est l’Amour. 

- La deuxième citation est au chapitre 14 : « Celui qui m'a vu a vu le Père […] je suis dans le Père, comme le Père est en moi. Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même. Au contraire, c’est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres oeuvres. » (cf. Jn 14, 9-11)
Jésus annonce ici sont intime communion avec Dieu, celui qu’il appelle Père ou que l’Eglise appellera aussi le Souffle de Dieu, l’Esprit saint. Le Dieu dont il parle n’est pas un Être suprême quelque part au ciel, mais une réalité qui l’habite, qui est présente en lui, qui vit en lui. 
Jésus nous fait part d’une expérience spirituelle ou mystique : Dieu en lui. 

Après avoir cité ces deux extraits, la question qui se pose à nous, est de savoir si nous ne devons pas relire les textes que nous venons d’entendre dans l’évangile selon Matthieu à la lumière de cette expérience mystique - de cette communion spirituelle - que vit Jésus. 

Voyez-vous, si nous prenons au sérieux ce que dit Jésus dans l’évangile selon Jean, mais aussi dans un passage de Luc, où il affirme une chose stupéfiante au sujet du royaume de Dieu - je cite : « Le règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. On ne dira pas « le voici » ou « le voilà ». En effet, le Règne de Dieu est parmi vous / en vous / à votre portée » (Lc 17, 20-21)…. Si on prend au sérieux toutes ces affirmations, il apparait que nous pouvons comprendre autrement le terme « royaume des cieux »  ou « Royaume de Dieu », comme un terme qui décrit - non pas un lieu inaccessible ou paradis post-mortem - mais la présence de Dieu à l’intérieur de nous… son règne en nous… donc une réalité mystique ou spirituelle qui nous habite et que nous pouvons découvrir, à laquelle nous pouvons nous ouvrir. 

* En partant de cette hypothèse de lecture, les Béatitudes nous annoncent une Bonne Nouvelle. 
Je vous relis les versets qui se trouvent au début et à la fin : 
« Heureux les pauvres de coeurs, le Royaume des cieux est à eux. […] Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, le Royaume des cieux est à eux. » (Mt 5,3.10)

Ces affirmations nous révèlent que pour expérimenter la présence de Dieu en nous, il faut accepter en premier lieu d’être « pauvre de coeur » ou « pauvre en esprit » (cf. Mt 5,3)… donc accepter d’être humble, de lâcher-prise de son mental, de sa rationalité, de son savoir, de toutes ses certitudes… pour laisser Dieu être Dieu en nous… sans lui faire barrage. 

Elles nous annoncent - un peu plus loin - que lorsque nous vivons selon la justice (c’est-à-dire des relations justes), alors, malgré les difficultés extérieures ou les menaces de persécutions, nous sommes dans la présence de Dieu : le Royaume des cieux est à nous (Mt 5,10)… Dieu est avec nous. 

Ainsi, les Béatitudes nous révèlent que lorsque nous sommes en relation avec Dieu - lorsque notre intériorité est en communion avec Dieu - autrement dit, lorsque nous expérimentons Dieu en nous, comme Jésus l’a vécu - alors plus rien ne change, plus rien ne peut nous ébranler, rien ne peut troubler la paix de l’âme, quelles que soient les épreuves et les vicissitudes extérieures. 

On peut atteindre une forme de « Béatitude » et parvenir à relativiser les souffrances ou les difficultés, par rapport à la paix qu’on trouve dans la profondeur de soi-même, dans la présence de Dieu. 

En d’autres termes, on peut relire ce texte des Béatitudes comme un appel que Jésus nous adresse : il invite chacun de nous à chercher en soi-même la réalité lumineuse et intime qu’est Dieu, à l’intérieur de nous. 

Ainsi donc, si nous prenons au sérieux cette affirmation des Evangiles que le « règne de Dieu » ou « royaume des cieux » est « à notre portée, au-dedans de nous », cela signifie que nous pouvons avoir une connaissance et une expérience personnelle de Dieu, comme Jésus les a vécues. 
C’est d’ailleurs cette « réalisation » que cherchent les mystiques de toutes les religions. 

« Dieu en moi », « Dieu en nous » que nous pouvons découvrir et rencontrer ; la vie de notre vie ; l’âme de notre âme ; une lumière intérieure, qui peut se réjouir en toute situation, en toute circonstance, même au coeur des crises ou des souffrances. 

C’est la promesse que dans la communion avec Dieu, même au sein de l’épreuve ou de la souffrance, il est possible de trouver, dès ici-bas, une joie surhumaine, spirituelle, pour ne pas dire « divine » : la « joie qui demeure », celle qu’on désigne par « Béatitude ».  

Il ne s’agit plus alors de paroles morbides ou paradoxales - qui consisteraient à se réjouir coûte que coûte dans l’adversité - mais d’une expérience intérieure purement lumineuse, dont Jésus nous fait part,  et dans laquelle je peux découvrir que Dieu n’est pas un autre que moi, mais que je suis uni à lui et lui à moi. 

Plonger en soi-même, pour y découvrir la présence du divin, nous propulse ainsi dans une liberté d’une plénitude inexplicable. Ce bonheur n’est plus soumis aux évènements heureux ou malheureux de l’existence ordinaire. 

Au fond, la joie qu’exprime les Béatitudes est comparable à la joie de la grâce ou de l’amour inconditionnel : c’est la joie que vous éprouvez quand vous vous sentez aimés, compris, accueillis, soutenus. 
Jésus nous révèle que cette joie peut se découvrir en soi-même et rien ne peut l’affecter. 

On peut donc penser que Jésus - dans ce passage du sermon sur la montagne - nous témoigne d’une expérience personnelle : il nous parle d’un état de conscience transcendant, baigné de la présence et de l’amour de Dieu… un état de conscience transcendant le bonheur ordinaire qui est le contraire du malheur, et le malheur qui est le contraire du bonheur. 

Autrement dit, l’union avec Dieu en soi est un état qui transcende les contraires et la vision dualiste du monde de la relativité. 

Et cette lumière que nous pouvons accueillir en nous a la capacité de nous rendre nous-mêmes lumineux, de rendre notre vie lumineuse (cf. Mt 5,14 ; Ep 5,8). 

* J’en viens maintenant aux petites paraboles du Royaume que nous avons entendues. Je pense que cette manière d’envisager les Béatitudes peut nous éclairer pour les comprendre. Car, du coup, nous pouvons mieux visualiser ce que peut bien être ce « trésor » ou cette « perle » rare que nous pouvons tenter de chercher et d’acquérir : c’est peut-être cet état de béatitude, cet état de communion avec Dieu, qui est la Vie-même au coeur de la vie. 

Il existe au moins deux manières de lire ces petites paraboles :

- La première, la plus inhabituelle, c’est de comprendre que cet homme qui cherche un trésor caché ou une perle de grand prix : ce n’est pas d’abord moi : c’est le Christ.

C’est Jésus Christ - ce chercheur de Dieu et ce chercheur des hommes 
et c’est lui qui m’a trouvé le premier.

Etre « fils du royaume », c’est avoir été trouvé par le Christ qui a labouré le monde à la recherche de l’humanité véritable et qui tel un marchand a vendu tout ce qu’il avait pour m’acheter moi : la perle de grand prix. 

Etre « fils du royaume », c’est-à-dire « fils de Dieu », c’est avoir été trouvé par notre frère le Christ, le marchand de perles. C’est être devenu, par sa seule volonté à Lui, la perle de grand prix pour laquelle il donne tout ce qu’il a.

Autrement dit, cette parabole me rappelle que je suis pour Dieu : un trésor, bien que je me cache parfois dans la terre. / Je suis une perle précieuse, bien que je sois parfois dissimulée. C’est une bonne nouvelle de savoir que le Christ est venu me chercher et me trouver… que je ne suis plus perdu, mais sauvé. 

- La deuxième manière de lire ces courtes paraboles est peut-être plus classique : c’est celle qui nous intéresse aujourd’hui, si nous associons le « royaume des cieux » à la présence même de Dieu. Car, vous savez que dans la pensée hébraïque, on ne prononce pas le nom de Dieu, donc dire le « royaume de Dieu » consiste à dire ou à parler de la présence même de Dieu. 

Jésus nous apprend que pour être « sujet du Royaume », c’est-à-dire pour devenir « enfants de Dieu » ou dit autrement « pour entrer dans la communion avec Dieu »,  il faut chercher sans relâche et être prêt à tout vendre quand on a trouvé le vrai trésor. 

Remarquez que le mot clef de ces deux petites histoires, c’est le verbe « trouver » : le trésor caché est trouvé fortuitement par un agriculteur ; la perte rare est trouvé par un marchand après de longue recherches.

Il y a là un premier aspect : que l’on trouve un trésor un peu au hasard ou après une longue quête, peu importe… mais pour trouver, il faut chercher. 

C’est là le premier enseignement ou la première question : est-ce que je considère qu’il y a - qu’il existe - quelque chose de plus précieux que tout ce que je possède déjà ? Quelque chose qui vaille le coup de se donner la peine de chercher ?

Il y a certes des choses précieuses dans ma vie : les biens que je possède, mon avoir, ma richesse, ma maison, mon travail, mes moyens financiers.
Il y a quelques chose de plus précieux que cela : ma famille, mes amis, ma vie sociale et relationnelle, mais aussi : ma vie elle-même, ma santé, le temps qui m’est donné de vivre : rien n’est plus précieux que le temps.

Mais, y a t-il quelque chose d’encore plus précieux, qui vaille la peine d’être cherché… c’est-à-dire de prendre du temps pour me mettre en quête ?
Ne serait-ce pas Dieu lui-même, qui est la Vie même, la plénitude de la vie et de l’amour ? 

Trouver le royaume des cieux, ce serait trouver la présence de Dieu, trouver son amour, sa lumière, sa paix, sa joie, sa justice : et c’est peut-être dans mon intériorité que je peux les découvrir … comme m’y invite les Béatitudes.

Il me faut oser labourer et retourner le champ de mon coeur, de mon âme, de ma conscience, pour trouver au fond de moi l’étincelle de Dieu.

Le deuxième aspect - le deuxième mouvement - décrit par ces petites histoires : c’est qu’après avoir cherché et trouvé, il faut accepter de vendre. 

Les paraboles nous montrent que pour prendre possession de la réalité de grand prix (le trésor ou la perle), il faut vendre tout ce que l’on a. 
Il y a donc là un choix à opérer, un lâcher-prise à avoir : accepter de renoncer à une chose, pour en avoir une autre…  Il faut, en quelque sorte, consentir à un sacrifice, un abandon. Car, on ne peut pas tout avoir : accepter de lâcher une chose de moindre valeur, pour en avoir une plus belle : pour recevoir le vrai trésor. 

Le deuxième enseignement ou la deuxième question est donc le/la suivant/e : qu’est-ce que je suis prêt à lâcher ou à abandonner dans ma vie, pour obtenir quelque chose de plus précieux ? Pour entrer dans la communion avec Dieu ? Pour prendre part à son règne en moi ?

Abandonner un peu de mon temps, de ma sécurité, de mes habitudes, de mes loisirs, de mon argent, quelque chose de moi-même… ou même tout quitter… pour acquérir quelque chose de plus précieux… pour entrer dans la vie en plénitude…

* En conclusion…  Ces petites paraboles mettent donc en avant deux aspects complémentaires :

- La grande joie pour celui qui cherche et qui trouve : la joie de celui qui découvre le royaume des cieux - la présence de Dieu - grâce à la prédication de Jésus, qui témoigne de son expérience personnelle… mais surtout grâce au pas à franchir, puisqu’il nous invite à le suivre… c’est-à-dire à, nous aussi, passer du temps à méditer, à chercher, à nous ouvrir à Dieu en nous-même, dans notre intériorité. 

- Et aussi - un deuxième point : la nécessité de lâcher prise et d’oser quitter quelque chose. Cette découverte merveilleuse ne va pas sans un abandon, sans un sacrifice : accepter de relativiser tout ce qu’on a, et même de le laisser tomber ou de le vendre, pour cette chose unique que Matthieu appelle « le royaume des cieux ». 

Je crois que l’Evangile nous ouvre, ce matin, de nouvelles perspectives : imaginons le bonheur et la joie de trouver la présence de Dieu en nous… nous aimerions - c’est certain - vivre cette expérience inouïe … cette expérience de Béatitude. 

Jésus nous rappelle que ce chemin implique notre engagement… cela implique de prendre du temps pour soi… prendre du temps pour découvrir cette communion avec le divin : 
D’une part, il faut chercher, pour trouver…  D’autre part, il faut accepter de lâcher tout ce qui est, en fait, accessoire ou moins important que cela dans notre vie… tout ce qui encombre notre vie : nos préoccupations matérielles, nos soucis, nos peurs, nos habitudes, nos routines, etc. 

C’est à chacun de faire le point sur sa propre vie : qu’est-ce que je suis prêt à abandonner pour le royaume de Dieu ?… pour continuer à avancer dans ma marche vers Dieu ?… pour le trouver en moi ?… pour que ma vie brille d’une nouvelle lueur ?


Amen.