dimanche 13 août 2017

Jn 9

Lecture biblique : Jean 9 
Thématique : quand la religion nous empêche d’avoir la foi / le péché, comme aveuglement
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 13/08/17

* En passant, Jésus croise les pas d’un aveugle de naissance. Une question des disciples surgit : celle du péché. 
« Qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? »

Cette question, qui peut aujourd’hui nous sembler saugrenue, voire choquante, répond à une conviction - une croyance - répandue à l’époque de Jésus : 
Rien n’arrive par hasard. Rien ne se fait sans la volonté de Dieu. Dieu est juste. Si un homme se trouve porteur d’une maladie ou d’un handicap, c’est que Dieu l’a voulu ou plutôt que cet homme l’a mérité. 
On considérait donc le handicap comme une sorte de punition divine ou de conséquence de la justice rétributive :
Dieu étant juste. Il ne peut punir un innocent. Si quelqu’un porte un handicap, c’est que lui ou ses parents ont fait quelque chose de travers et sont responsables d’une faute. 

Ainsi donc, on liait la maladie ou le handicap au péché. 
L’aveugle-né était considéré comme un pécheur-né. 
C’est ce qu’on comprend un peu plus loin dans le dialogue entre cet homme et les Pharisiens qui lui disent : « Tu n’es que péché depuis ta naissance et tu viens nous faire la leçon ! » 

Dès lors, on comprend mieux la question des disciples posée à leur maître : d’où vient le mal ? Comment se fait-il que cet homme soit né avec un handicap ? Qui a péché dans cette histoire : est-ce lui ou ses parents ?

Jésus répond clairement : ni lui, ni ses parents. Ce qui signifie : Son handicap n’a rien à voir avec le péché. 

D’ailleurs, Jésus confirmera cette affirmation à la fin du dialogue avec les Pharisiens en leur disant : « si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ». 
Ce qui indique clairement qu’il prend le contre-pied de cette manière de voir les choses. Pour lui, la malformation ou le handicap dont souffre cet homme depuis sa naissance n’a rien à voir avec le péché, avec une quelconque faute. Il est clair là-dessus. Le péché, c’est tout autre chose, comme nous le verrons plus loin dans ce récit. 

Et Jésus poursuit sa réponse aux disciples : en disant, il n’y a pas d’explication religieuse, pas de raison valable à vue humaine… Il écarte les théories courantes à ce sujet… 
Mais, du coup - ajoute-t-il - le handicap de cet homme va maintenant permettre de manifester les oeuvres de Dieu, c’est-à-dire l’action salvatrice de Dieu… qui va guérir cet homme. 

Autrement dit, pour le Christ, Dieu n’est pas à l’origine de la maladie ou du handicap de cet homme, mais de ce qui va maintenant lui arriver de bon, à savoir sa guérison. 
Dieu n’est pas du côté du passé (difficile), mais de l’avenir (meilleur). Il n’est pas la cause (de nos malheurs), mais la perspective (de notre salut). 

Jésus opère alors un signe et agit en vue de rendre à cet homme sa pleine intégrité physique. 

On a du mal à percevoir comment la thérapie proposée par Jésus peut le guérir : Jésus fait une sorte de cataplasme ou de baume avec sa salive qu’il applique sur les yeux de l’aveugle. (De façon symbolique, cela nous renvoie peut-être à une sorte de nouvelle création ou de re-création, à l’image de la création d’Adam, avec la glaise, dans le livre de la Genèse.) 
Puis il l’envoie se laver à la piscine de Siloé, qui veut dire symboliquement « envoyé ». 
Plus tard, l’individu voit enfin. Il découvre la vue, à son retour.

* Nous n’avons pas d’explication rationnelle sur la méthode thérapeutique employée par Jésus. D’une certaine manière, cela dépasse toujours la médecine d’aujourd’hui. Mais ce qui est intéressant et là où l’évangéliste Jean veut en fait nous amener c’est sur un autre terrain : 
c’est le fait que ce signe va, en réalité, permettre à cet homme d’accéder à une autre vue, une autre lumière : cet homme va finalement découvrir que Jésus est la véritable lumière, la lumière du monde. 

Il va affirmer sa foi, sa confiance, à la fin du dialogue avec Jésus : Je crois en toi, Seigneur, va-t-il dire : je crois que tu es le Fils de l’homme, celui qui a été envoyé par Dieu. 

Ce n’est donc pas seulement une vue physique, physiologique, que Jésus va donner à cet homme, c’est en réalité, une vue spirituelle, une nouvelle vision de l’action de Dieu. 

L’enjeu de ce passage biblique n’est donc pas la question thérapeutique de la guérison de l’aveugle-né. Mais, la question principale est en réalité : celle de la foi.
Qui est Jésus ? Qu’est-ce que le péché ? Comment Dieu agit-il dans le monde ?

Les réponses sont clairement établies :
Pour l’aveugle-né - et pour l’évangéliste Jean - Jésus est le Christ, il vient de Dieu, il agit au nom de Dieu : cela l’homme l’affirme aux Pharisiens à sa manière. Je cite : « Si cet homme n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire » dit-il clairement. 

Mais, en face de lui, c’est l’incrédulité des Pharisiens qui se devine : Ils disent être « disciples de Moïse » et ne pas savoir d’où vient Jésus. D’ailleurs, ils affirment plutôt que cet homme - ce Jésus - ne respecte pas la loi et le sabbat…. Que c’est un pécheur… puisqu’il a enfreint la loi en opérant un travail, une guérison le jour du sabbat. 

Les pharisiens refusent donc de voir en Jésus un homme de Dieu, malgré les signes, malgré cette guérison. C’est l’aveuglement qui est de mise.

La fin du dialogue nous ouvre à une nouvelle définition du péché.
Je cite à nouveau les deux derniers versets de ce récit :  
« Les Pharisiens qui étaient avec lui … lui dirent : « Est-ce que par hasard, nous serions aveugles, nous aussi ? » Jésus leur répondit  : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché. Mais, à présent, vous dites ‘nous voyons’ : votre péché demeure ». »

L’ironie est mordante dans ce passage. Elle met en perspective un retournement de situation : 
Ceux qui voient sont déclarés aveugles et pécheurs. 
Et l’homme aveugle-né voit désormais, et il est déclaré sans péché. 

Jésus vient - comme il le dit lui-même - « remettre en question » les présupposés et les certitudes de ses contemporains. (Cf. v.39 : le terme « remise en question » semble ici plus adéquat que le mot « jugement ».)

Ainsi, d’une part, il affirme que le handicap n’est pas dû à un péché, n’est pas la conséquence d’une sorte de faute.
Mais, plus encore, d’autre part, il retourne la situation et déclare que ceux qui prétendent voir sont les véritables « aveugles » et c’est cela le vrai péché. 
Le péché, c’est l’aveuglement !

Ces religieux - ces connaisseurs de la loi de Moïse - ont sous les yeux des signes qui leur révèlent que Jésus est un homme de Dieu et ils refusent de le reconnaitre, tout cela parce que cet homme ne répond pas pleinement à leurs critères religieux, parce que cet homme a, par exemple, rompu le sabbat, en faisant une guérison un jour « interdit » car considéré comme « sacré ».

Leur religiosité est devenu, en quelque sorte, un obstacle à la foi… à la confiance en Dieu, manifestée en Jésus. 

* Ce récit - avec son ironie - peut être lu comme une critique incisive de la religion. 
Il montre que nos croyances religieuses peuvent parfois devenir un obstacle à la véritable foi, à la confiance en Dieu… en tout cas, à la confiance, en celui qui a été envoyé par Dieu : ici, Jésus. 

C’est un récit polémique, d’une part, à l’égard de la compréhension du péché - qui est redéfini comme l’incrédulité et non comme la conséquence d’une faute morale - et, d’autre part, vis-à-vis de la religion - qui peut devenir un obstacle pour la foi… puisque sous prétexte de croyances, les Pharisiens refusent de croire en Jésus, comme étant un homme de Dieu, un « envoyé » de Dieu. 

Ainsi, l’agnosie visuelle de l’aveugle-né renvoie à un aveuglement beaucoup plus grave : à la cécité spirituelle de l’humanité ignorante du vrai Dieu et de son action salvatrice dans le monde. 

Deux mille ans plus tard, ce récit a toujours une certaine actualité pour nous : est-ce que notre religion n’est pas - pour nous aussi, parfois - un obstacle à la foi, à la confiance en Dieu ?

Je veux dire : est-ce que … parce qu’on imagine ou l’on se représente Dieu ou le Christ de telle ou telle façon…. est-ce que, du coup, nous ne nous empêchons pas de voir la présence de Dieu - la main de Dieu - dans tel ou tel évènement… derrière telle ou telle personne, telle ou telle coïncidence ? 

Voyez-vous, ce qu’on constate, à travers l’attitude des Pharisiens, c’est qu’ils ont construit leur Dieu et leurs croyances de telle ou telle manière, à partir de la loi de Moïse. Et du coup, comme Jésus ne répond pas pleinement à leurs critères religieux, ils refusent de voir en lui un homme de Dieu…. malgré des signes évidents… 
Mais ne sommes-nous pas un peu comme eux, nous aussi ? 

Certes, pour nous, Dieu s’est pleinement révélé en Jésus Christ. Il est la révélation centrale de Dieu. 
Nous croyons en Jésus, comme le révélateur de l’amour de Dieu, comme « l’homme venu de Dieu » (pour reprendre le titre d’un ouvrage de théologie de Joseph Moingt). 
Mais, croyons-nous sincèrement que Dieu ait cessé de se révéler depuis 2000 ans ?… croyons-nous que Dieu se soit manifesté une fois pour toute en Jésus… et depuis, plus rien ? 

C’est ce que croyaient les Pharisiens avec Moïse… et cela les a empêché de croire en Jésus… de s’ouvrir à la nouveauté : 
Ne vivons-nous pas, inconsciemment, la même forme d’incrédulité (même en tant que Chrétiens… et Protestants) ?

Pour ma part, je crois en Jésus comme mon Maître et Seigneur… mais, je crois aussi qu’on ne peut pas enfermer Dieu dans des doctrines, ni dans des lois, dans des textes considérés comme « sacrés », ni dans un canon biblique (clôturé définitivement). 
Je crois que Dieu continue d’agir imperceptiblement dans notre monde d’aujourd’hui, à travers une multitude d’hommes et de femmes, qui sont, d’une certaine manière, à leur échelle (leur niveau), des hommes et des femmes de Dieu : par qui Dieu agit et montre son amour, sa compassion, sa bienveillance, sa sollicitude aux humains. 
Et peut-être même, sommes-nous, nous-mêmes, parfois, dans telle ou telle situation, à notre niveau, des hommes ou des femmes de Dieu, lorsque nous agissons avec altruisme, bonté, bienveillance vis-à-vis de telle ou telle personne ?

Dans les Béatitudes, nous avons cette magnifique affirmation : « Heureux ceux qui font oeuvre de paix, ils seront appelés « fils de Dieu ». » (Mt 5,9)

Oui… nous sommes, nous aussi, des enfants de Dieu… des hommes et des femmes de Dieu… ses envoyés, ses prophètes, quand nous sommes artisans de paix, de réconciliation, de pardon, de liberté, de joie. 

« Être de Dieu » cela veut dire « accomplir la volonté de Dieu ». C’est bien ce qu’a fait Jésus, en faisant le bien, en soulageant les souffrances, en sauvant, en guérissant, en aimant jusqu’à donner sa vie pour autrui, pour l’Evangile de l’amour du prochain… 

C’est aussi ce que nous pouvons faire : nous pouvons aussi être des hommes et des femmes de Dieu, en accomplissant sa volonté d’amour pour notre monde et nos frères.

Osons donc sortir de la religion, de tous les critères religieux, qui ne sont que des schémas mentaux, des représentations culturelles et des constructions traditionnelles, pour nous ouvrir à la vraie foi, à la confiance en Dieu, en sa Providence, en son action toujours nouvelle en nous et dans le monde. 

Dieu peut agir en nous : il le fait à chaque fois que nous sommes ouverts à son amour… que nous incarnons son amour concrètement dans notre existence. 

J’en veux pour preuve ce que dit Jésus lui-même dans les évangiles :
Dans l’évangile selon Jean, il affirme : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite, ne marchera pas dans les ténèbres » (Jn 8,12).
Dans l’évangile selon Matthieu, il précise à ses disciples : « vous êtes la lumière du monde. […] Que votre lumière brille pour tous les hommes, pour qu’en voyant vos bonnes/belles actions ils rendent gloire à votre Père céleste » (Mt 5, 14.16). 

Mais, parfois, sans le vouloir, nous sommes plutôt comme les Pharisiens : nous doutons. Nous ne voyons plus rien de positif autour de nous. Nous ne discernons plus l’action salvatrice de Dieu. 
Nous sommes si sûrs de nous - de nos croyances, de nos convictions - que nous ne prenons même plus la peine de regarder autour de nous et d’interroger les situations… nous ne prenons même plus la peine de regarder ce qui se passe, de nous ouvrir au positif… C’est alors que nous sommes, d’une certaine manière, « aveugles ». 

Il faut alors nous mettre à l’écoute de l’Evangile, pour comprendre, à nouveau, que Dieu ne cesse d’agir avec bonté dans notre monde, par ces témoins : des hommes et des femmes, comme vous et moi. 

* C’est aussi - voyez-vous - ce que nous révèle - à sa manière - le grand « mythe » de la parabole du jugement dernier dans l’Evangile selon Matthieu… dont je cite maintenant un passage, pour conclure notre méditation : 

« Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité … Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire ? Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu et de te vêtir ? Quand nous est-il arrivé de te voir malade…, et de venir à toi ?” Et le roi leur répondra : “En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (cf. ext. Mt 25, 34-40)

… à chaque fois que vous agissez pour le bien en faveur de vos frères et soeurs … vous êtes des hommes et des femmes de Dieu… vous êtes ses envoyés… vous incarnez son amour et sa bienveillance… et c’est comme si vous faisiez du bien au Christ ou à Dieu lui-même ! 
Quelle merveilleuse nouvelle ! 

C’est sur ce terrain de la fraternité que sans cesse l’Evangile nous appelle, en nous rappelant que Dieu peut agir par nous, en nous… que nous réellement ses enfants !   


Amen.