dimanche 8 janvier 2017

Mt 2, 1-12

Mt 2, 1-12
Lectures bibliques : Es 60, 1-6 ; Mt 2, 1-12 ; Mt 6, 22-23
Thématique : Entrer – avec les mages – dans la révolution de Noël / Avec œil sain, se laisser guider par la Lumière, pour offrir nos dons et recevoir celui de Dieu
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 08/01/17

* « La lampe du corps, c’est l’œil. Si ton œil est sain, ton corps tout entier sera dans la lumière » (Mt 6,22).

Pour Jésus, tout est une question de regard. Tout dépend de notre manière de regarder la vie, les êtres et les choses autour de nous.
L’œil est l’organe qui perçoit et reflète la lumière dans tout le corps. L’œil sain est celui qui regarde avec bonté et bienveillance autour de lui… et qui, du coup, éclaire la vie et le corps tout entier. L’œil simple, l’œil bon est celui qui ne se laisse pas séduire par la cupidité ou la jalousie. Au contraire, l’œil mauvais est toujours avare de ses bien (cf. Dt 15,9) ou envieux de ceux d’autrui (cf. Si 14, 8-10).

Cette maxime sur l’œil lumineux est une façon de parler de ce qui nous conduit, de nos désirs, de nos motivations… de la manière dont nous regardons ce qui brille autour de nous.
Pour certains, ce qui brille, ce qui est lumineux, c’est la quête de Dieu, c’est un désir de transformation, de croissance et d’élévation spirituelles.
Pour d’autres, c’est l’attrait du pouvoir, de leur influence ou celui de l’argent, de la richesse à tout prix, à n’importe quel prix.
Quelle étoile suivons-nous ? Quelle lumière reflète-elle dans nos yeux ?

L’œil lumineux est celui qui reflète la lumière dans tout le corps, c’est-à-dire pour toute notre personne, pour toute notre existence. Mais, Jésus nous informe que cet œil peut parfois devenir malade. Il peut devenir ténébreux.
Il devient alors un peu comme le sel qui perd son goût et devient insipide (cf. Mt 5,13). L’œil – notre regard – peut nous entraîner vers les ténèbres, au lieu de nous appeler vers la lumière.

[Bien évidemment, nous ne nous rendons pas toujours compte que nous sommes dans les ténèbres.
Si nous pensons, par exemple, dans l’évangile au dialogue touchant entre Jésus et le jeune homme riche, on voit bien que le jeune homme est honnête et qu’il cherche réellement la bonne voie, une voie de salut (cf. Mc 10, 17-23).
Mais Jésus l’invite à changer de regard. Il tente de lui faire prendre conscience que le but le plus élevé de la vie n’est pas d’accumuler la plus grande richesse, mais de faire le plus grand bien, donc de donner.]

Ainsi donc, la question à travers cette maxime de l’œil est de savoir ce qui nous motive, ce qui nous guide fondamentalement.
Cela peut constituer une bonne grille de lecture pour relire le récit de l’épiphanie, avec les mages, les scribes et le roi Hérode. Car, on y discerne différentes motivations, différentes manières de voir briller la lumière ou les ténèbres.

* Cette histoire de « l’épiphanie » nous est bien connue. Et nous savons toute l’ambivalence des personnages qui la constitue :

- La motivation du roi Hérode, c’est celle du pouvoir. On le voit à travers bien des éléments, des indices du récit : son inquiétude face à la nouvelle d’un nouveau roi qui viendrait de naître et qui pourrait devenir un concurrent dangereux. ; son désir de se renseigner auprès des spécialistes, des services secrets religieux de l’époque ; et la convocation secrète des mages qu’il missionne comme des espions à son service.

Tout sent la peur, l’intrigue et la dissimulation dans la manière d’agir du roi. Une seule chose le motive : conserver son pouvoir et ses privilèges, coûte que coûte.
Rien ne nous est dit, en revanche, sur son souhait de servir l’intérêt général et d’améliorer le sort de ses concitoyens.
Matthieu nous brosse davantage le portrait d’un homme politique égocentrique, prêt à tout – y compris à tuer, comme le raconte le récit du massacre des innocents – pour satisfaire son appétit de pouvoir.

- Malheureusement, le portrait des religieux : des grands prêtres et des scribes n’est pas tellement plus flatteur.
Ils symbolisent, d’une certaine manière, le conservatisme religieux. Ces hommes semblent être au service du roi. Matthieu nous révèle qu’ils savent des choses, qu’ils connaissent les Écritures, qui annoncent la venue d’un chef (d’un messie ou d’un roi) à Bethléem, mais qu’ils n’ont pas bougé le petit doigt, pour s’en soucier. Ils ne se préoccupent absolument pas de cette question. Leur seul souci est de maintenir l’ordre établi.

Autrement dit, la religion est ici présentée comme une autre forme de pouvoir tout aussi dévoyée que l’institution politique.

Il y a comme une sorte d’ironie dans la situation : Ce sont, en effet, des mages, des païens, qui indique à Hérode la naissance d’un nouveau roi pour Israël, alors que celui-ci est entouré de scribes, c’est-à-dire de spécialistes qui gardent les Écritures hébraïques et savent les interpréter.
Or, ces spécialistes du Judaïsme n’ont visiblement pas été capables de reconnaître les signes de la venue du Messie, ni de faire le moindre pas en direction de Bethléem, pour accueillir leur futur roi. Ce qui révèle un certain aveuglement de leur part… un manque d’ouverture d’esprit… et même une forme d’enfermement dans leurs habitudes et leurs traditions.

Cela prouve – en tout cas – que la connaissance des Écritures ne suffit pas, pour que nous nous mettions en marche et en accord avec les événements de Dieu. Il ne suffit pas de savoir, il faut accepter de se mettre en route, de se déplacer, se mettre en quête, donc d’agir.

- C’est – troisièmement – ce que symbolisent les mages : ils représentent ceux qui – au-delà des étiquettes, au-delà des institutions politiques et religieuses – sont capables et désireux de chercher, de se mettre en marche, pour répondre à une quête spirituelle. Ce sont finalement les seuls vrais croyants du récit de l’épiphanie.

Ces mages sont peut-être des sages, des savants, des astronomes ou simplement des observateurs du ciel étoilé. Ce sont des étrangers, des non-juifs, qui partageaient sans doute avec le peuple d’Israël une espérance messianique.
Mais surtout ce sont des hommes en quête de lumière, ouverts à la nouveauté… des veilleurs attentifs aux signes du temps… des hommes courageux et libres, prêts à bouger, à chercher, à se déplacer, à quitter leurs habitudes et leur quotidien, pour avancer dans leur quête vers le nouvel astre qui vient d’apparaître.

A côté des autres figures typologiques du récit : le pouvoir politique, les religieux, qui sont dans l’immobilisme, ils représentent la figure des croyants actifs, de ceux qui sont en quête spirituelle.

* Nous savons, en effet, pourquoi l’évangéliste Matthieu raconte cette histoire assez extraordinaire d’une étoile qui semble indiquer un lieu et révéler une personne.

Au-delà des aspects légendaires ou historiques, il s’agit de dire qui est Jésus, l’enfant de la crèche : à l’image du nouvel astre lumineux apparu dans le ciel, Jésus est le Christ, celui qui vient manifester la lumière de Dieu au monde, pour éclairer et illuminer notre route.

Le mot « épiphanie » signifie « manifestation » ou « apparition ». Et pour Matthieu, c’est évident : Jésus est le Messie tant attendu, le porteur de l’Esprit de Dieu, celui qui sera lumière du monde (Jn 1, 9 ; Jn 8, 12), lumière pour éclairer les nations (Lc 2, 32). 
Il invite les lecteurs/ auditeurs de l’évangile à le reconnaître avec les mages.

Il nous invite – nous aussi – à nous mettre en quête spirituelle, à prendre notre bâton de pèlerin, pour nous mettre en route aux côtés des mages, et entrer dans la joie de ceux qui, à la vue de l’astre, ont reconnu en Jésus la lumière, susceptible de les guider.

* On peut donc, dans une lecture symbolique de ce récit, nous identifier ou nous projeter sur ces personnages que sont les mages.
La légende et la tradition ont identifié leur cheminement à notre pèlerinage à travers l’existence :

Tout comme eux, nous suivons, nous aussi, l’étoile de notre aspiration : elle se lève à l’horizon de notre cœur, elle guide notre œil, pour nous conduire au but, après maints détours, jusqu’à la maison où nous serons vraiment chez nous.

La question est de savoir quelle est pour nous cette étoile qui nous fait briller les yeux ?
Aspirer à plus d’avoir ou de pouvoir ? (Comme la société nous y invite… et comme Hérode le veut) ou davantage, aspirer à une vrai connaissance ? à notre vrai Soi en communion avec Dieu… à une croissance spirituelle et relationnelle… à une vie plus épanouie, à la paix intérieure, à une forme d’illumination ?

Quel est notre œil, notre regard ? De quoi avons-nous vraiment soif ?
Quelle est notre étoile ? Qu’est-ce qui nous guide ?

La légende et la tradition ont changé les trois mages en rois, un jeune, un vieux et un noir. Peut-être pour signifier que l’être humain doit se mettre tout entier en chemin – avec tout ce qu’il est – pour trouver l’enfant dans la crèche et l’adorer… pour accéder à l’enfant intérieur créé à l’image de Dieu… pour accéder son vrai Soi en communion avec Dieu…. pour découvrir la part humble et lumineuse de soi-même, libérée de la puissance de l’égo.

S’étant prosternés devant l’enfant, les mages ont atteint le but de leur pèlerinage et de leur vie. Ils ont atteint la joie véritable.

Serait-ce un message pour nous rappeler que la véritable joie n’est pas pour Hérode, c’est-à-dire pour ceux qui, comme lui, ne rêvent que d’un toujours plus – plus d’avoir et de pouvoir – mais qu’elle n’est, en réalité, accessible qu’aux humbles… à ceux, qui comme les mages, sont prêts à se mettre en question, en quête, en recherche, et à se dépouiller de leurs biens, à donner et offrir leurs dons ?

N’est-ce pas d’ailleurs un enseignement que rappellera aussi Jésus : « Heureux les pauvres de cœur, les pauvres en eux-mêmes, le royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3).

Devant Jésus, les trois mages – trois rois, dit-on – ouvrent alors leurs cœurs et leurs « cassettes » renfermant leurs trésors.
Ils offrent au nouveau-né de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

L’or et l’encens correspondent aux dons mentionnés par Esaïe (cf. Es 60,6) ; ces trois substances étaient offertes au dieu Soleil.
En Jésus Christ, le vrai Soleil s’est levé, la lumière du monde.

Différentes interprétations symboliques ont été proposées au sujet des cadeaux :

- L’or est reconnaissance de l'enfant dans la crèche en tant que vrai roi. Offrir son or, c’est offrir ce que l’on a de plus précieux. C’est offrir son amour.
Mais cela signifie, en même temps, savoir se dépouiller de ses richesses matérielles, accepter de lâcher-prise, de se dépréoccuper de ses biens terrestres, qui ne sont que des moyens, pas des buts.

- L’encens, c’est un cadeau divin, c’est une manière de reconnaître en Jésus la présence de Dieu. L’encens traduit notre ardente aspiration avec le Ciel, notre aspiration spirituelle.
A l’image de ce qui monte dans l’air, vers le Ciel, c’est l’image des prières que nous pouvons offrir et adresser à Dieu.

- La myrrhe, quant à elle, est « préfigurative ». Elle était utilisée pour embaumer les corps morts. Elle évoque peut-être la mort future de Jésus sur la croix.
Elle signifie également offrir toute notre vie jusqu’à la mort… s’offrir soi-même – et tout entier – à Dieu… y compris nos souffrances et nos blessures. Tout cela, nous le possédons, il nous suffit de l'apporter à la crèche, c’est-à-dire de les confier et les abandonner au Christ.

Mais, la myrrhe n'évoque pas seulement la souffrance ou la mort, en tant que plante médicinale, elle veut signifier la guérison de nos blessures.

En effet, nous savons tous que la vie n’est pas un long fleuve tranquille… qu’elle est plutôt un chemin parfois fait de difficultés, de chutes, de blessures.
Or, la myrrhe, comme l’encens, provient d’une substance résineuse « cicatrisant » naturellement la plante quand elle est blessée. La résine est ce qui vient colmater l’écorce, pour lui permettre de cicatriser, pour réparer une incision ou une lésion.

Ainsi, offrir la myrrhe au Christ, c’est lui demander de nous apporter la guérison.
Quand nous nous présentons tels que nous sommes au Christ, nos blessures s’apaisent – elles cicatrisent – et notre désir atteint son but.

* Bien sûr, dans l’histoire de l’épiphanie, ce sont les mages qui apportent des cadeaux à l’enfant nouveau-né. Mais, en réalité, nous savons que Noël est un renversement : c’est, en fait, l’enfant de la crèche, qui est le Vrai cadeau offert par Dieu à l’humanité (cf. Jn 3,16).

Les mages font tout un périple, un très long chemin, pour venir en pleine nuit s’incliner devant un nouveau-né, c’est-à-dire devant l’être le plus faible qui soit sur la terre et le couvrir de trésors : Il y a là un paradoxe !

C’est là que se trouve le coup de tonnerre de l’évangile, le renversement complet de l’ordre des choses dans les sociétés humaines, habituellement gouvernées par la force, le pouvoir, la domination et la rivalité.

Une révolution se produit dans le cœur de l’homme, lorsqu’il comprend que la faiblesse, la fragilité, est le socle même de son humanité.
L’amour est une force fragile. L’enfant nouveau-né – être totalement dépendant de ceux qui l’entourent, de ceux qui prennent soin de lui – nous rappelle que nous sommes des êtres interdépendants…. que ce qui nous est donné de vivre – le sens de la vie – ne se trouve pas dans une quête d’avoir ou de pouvoir à conquérir, mais dans ce qui relève de l’amour, de ce qui est à donner, à recevoir, à partager.

C’est en acceptant cette fragilité, cette faiblesse humaine – qui permet l’amour –… c’est en l’acceptant, pour soi… et en acceptant aussi celle des autres… qu’on peut entrer dans le monde de la vraie relation à l’Autre.

En d’autres termes, comme les mages, nous ne sommes pas seuls à apporter l'amour (à travers l’or, l’encens ou la myrrhe) :
A travers l’enfant appelé « Emmanuel » (Dieu avec nous), nous faisons l’expérience de l’amour incarné de Dieu.

En ce monde, où nous sommes des étrangers, pèlerins de passage sur cette terre, où nous n’avons pas réellement de toit définitif, où nous connaissons la fragilité et la précarité de toute chose, y compris de notre habitation corporelle et terrestre, nous avons l’assurance d’être accueillis tels que nous sommes par le Seigneur.
C’est là la seule véritable certitude qui nous donne courage et confiance : celle de l’amour de Dieu… amour lumineux, manifesté en Jésus Christ.

Ce récit de l’épiphanie nous rappelle fondamentalement que Dieu ne choisit pas de se manifester à travers la voix des puissants de ce monde – d’Hérode ou des grands prêtres  – mais de manifester sa grâce dans ce qui est humble et faible : un enfant dans une crèche, pour manifester son amour aux hommes et les appeler à naître à une vie nouvelle, où se manifeste enfin la fraternité, la justice et la paix.

Seuls ceux qui sont en quête, comme les mages, qui ont un œil sain et intègre, peuvent discerner cette lumière et se laisser guider par elle.

* En ce début d’année, en ce temps de vœux… chers amis…. je vous souhaite à toutes et à tous une année lumineuse, une année de transformation, d’accomplissement et d’épanouissement, sous l’action de l’Esprit de Dieu.
Que cette année fasse de vous… de nous… des mages en quête de la véritable étoile… des mages en mouvement, animés du dynamisme du marcheur, du randonneur, en quête de lumière, pour aller vers eux-mêmes et vers les autres… pour offrir à ceux qui nous entourent nos dons les meilleurs : notre amour et notre générosité. 

Que la joie des mages nous anime, et fasse vaciller nos soucis, nos inquiétudes et nos peurs.

Guidés par la lumière, portés par la foi du Christ, soyons, nous aussi, saisis et rayonnants d’une grande joie !  

Amen.

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