dimanche 22 janvier 2017

Mc 3, 7-19

Mc 3, 7-19
Lectures bibliques : Mc 1, 32-34 ; Mc 3, 1-19
Thématique : être envoyé pour libérer et pour guérir, pour redonner les gens à eux-mêmes
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 22/01/17.
(inspiré d’une méditation de Jean-Marc Babut)

* Il est question, aujourd’hui, de la mission que Jésus confie à ses disciples, et, donc, de ce qui devrait être au centre des préoccupations des Églises, dans la mesure où nous nous reconnaissons disciples du Christ : qu’est-ce que Jésus attend de ses disciples ?

* Pour répondre à cette question, observons d’abord son action à lui : Qu’est-ce que fait Jésus depuis le début de l’évangile selon Marc ?
On pourrait le résumer en quelques phrases : Jésus proclame la Bonne Nouvelle, la proximité du Royaume, du règne de Dieu (on pourrait dire « du monde nouveau de Dieu »), dans lequel on peut entrer. C’est un langage nouveau, une révélation nouvelle : Dieu est accessible à tous. Chacun peut recevoir son Esprit saint en lui. Dieu peut agir dans notre intériorité, pour nous guérir, nous régénérer, nous transformer. C’est un enseignement nouveau qui vient se confronter aux traditions religieuses.

Jésus opère des guérisons – y compris le jour du sabbat – qui étonnent tout le monde, à commencer par les Religieux de son temps. Il mange avec ceux qui sont considérés comme « impurs » ou « indignes » : des collecteurs d’impôts, des pécheurs. Ce qui choquent les Pharisiens qui pensaient que Dieu et son action bienveillante étaient réservés aux croyants purs et fidèles.
Jésus rappelle, à sa manière, que chacun est « digne » sous le regard de Dieu, quel que soit son chemin, car l’amour de Dieu est inconditionnel, ouvert et promis à tous.

Le lecteur de l’évangile de Marc ne peut pas ne pas être frappé de la bonté profonde et de la disponibilité que Jésus manifeste à celles et ceux qu’il croise sur son chemin, en particulier à tous ceux qui traînent avec eux diverses misères humaines.
C’est sa façon de vivre le message dont il est porteur, c’est pour lui une manière d'affirmer que le Royaume – le monde nouveau de Dieu – est devenu tout proche (cf. Mc 1, 15).

En effet, si ce Règne de Dieu est devenu tout proche, il suffit d'un pas pour y entrer, et dans ce Règne les malades doivent être guéris, ceux qui sont possédés de démons (ou de quelques souffrances) doivent être délivrés, ceux qui sont en quarantaine (considérés comme des parias) comme les ramasseurs de taxes doivent être accueillis, ceux qui sont exclus comme les lépreux doivent être purifiés et réintégrés à la société, ceux qui ont faim comme les disciples qui arrachaient des épis un jour de sabbat doivent pouvoir calmer leur faim sans que cela fasse scandale, car « le sabbat a été fait pour l’homme » (cf. Mc 2,27), pour les êtres humains : voilà un des secrets du Règne de Dieu.     

Aujourd’hui, dans un monde économique plus que religieux, on pourrait dire : parce que « l’économie a été fait pour l’homme » et non l’homme pour l’économie. Mais, ce n’est pas une parole facile à entendre, tant notre monde est galvanisé par l’argent.

En bref… Jésus met en œuvre « l’amour du prochain » à chacune des rencontres qu'il fait. Quelle que soit la misère particulière de l'un ou de l'autre, Jésus la voit et il a le geste qu'il faut, ou le mot qu'il faut, pour que tout bascule dans le Règne de Dieu. Voilà une des merveilleuses nouveautés de l'Évangile qu'il apporte.

* Mais – nous l’entendons avec notre passage d’aujourd’hui – les choses ne sont pas simple pour Jésus et son message. Devant le succès populaire de ses paroles et ses actes, Marc nous fait part de l’afflux incroyable de gens qui arrivent jusqu’à lui, même de très loin, de pays païens voisins, en vue d’obtenir une guérison.

Le début de l’évangile semble nous montrer un Jésus qui est littéralement débordé de toute part par une foule de malades, à cause de son action thérapeutique. Comme il guérit les maux et les malheurs des humains : hommes possédés, paralytiques, lépreux, etc., il est assailli de partout. Il n’a pas d’autre solution que de se réfugier dans des lieux déserts ou d’aller dans la montagne pour chercher un peu de repos et de paix, ou lorsqu’il est au bord d’un lac, de prévoir une sorte d’« issue de secours » : une barque pour pouvoir fuir la foule qui risque de l’écraser, nous explique l’évangéliste Marc.

Bien sûr, nous pouvons essayer d’imaginer ces événements et ces mouvements de foule que nous raconte Marc. Mais, ils peuvent aussi nous interroger, car, pour nous, Jésus n’est pas seulement un guérisseur. Il est le porteur de l’Esprit de Dieu, le Christ.
Jésus est d’abord celui qui annonce que le monde nouveau de Dieu est devenu tout proche, qu’il faut changer de mentalité, de manière de considérer Dieu et les autres, que nous sommes appelés à vivre unis, en communion les uns avec les autres.
Jésus est le porteur d’un message de confiance – il nous appelle à croire à son message de salut – et de transformation.

Il y a donc là une sorte d’ambiguïté, dans le récit de l’évangile, pour tous ces gens qui suivent Jésus et courent après un miracle :
Les guérisons que Jésus opère ne sont que l’illustration de son message. Il me semble que Jésus n’est pas seulement venu soulager les misères humaines – certes, il l’a fait – mais, son message était plus vaste : toute véritable guérison ne peut advenir sans confiance et sans un changement profond. Jésus appelait ses auditeurs à changer enfin de mentalité, pour entrer dans la Conscience de Dieu, dans la manière d’agir de Dieu, c’est-à-dire dans l’amour et la gratuité.

* Quoi qu’il en soit de la façon dont son message a été reçu, ce que nous montre Marc, c’est la résolution que Jésus a prise devant le succès de son action :
Jésus a compris, à un moment ou un autre, qu’il ne pouvait plus faire face, seul, à cette situation.
Devant la misère des gens qui l’assaillent de toute part, et à laquelle il ne peut plus répondre seul, il décide alors d’établir autour de lui – et avec lui – douze disciples à qui il donne une mission et il transmet son autorité, sa capacité de guérir et de libérer.

Je cite l’évangéliste Marc : « il établit les douze pour qu’ils soient avec lui, pour les envoyer proclamer, prêcher, en leur donnant autorité pour jeter dehors les démons » (v.15).  

Évidemment, nous ne dirions pas les choses de cette manière aujourd’hui. Derrière l’expression « chasser les démons », il faut entendre « libérer les hommes de leurs maux, de leurs malheurs ». Il s’agit de rendre à chacun son unité, son intégrité, sa capacité d’être lui-même, d’accéder à son vrai Soi, et donc de ne plus être divisé – car vous savez que ce qu’on met derrière les mots « diable » ou « démon » désigne, en fait, une force capable de nous diviser intérieurement, de nous asservir, de nous posséder, donc de nous rendre esclave, d’une certaine manière.
La mission que Jésus confie à ses disciples est celle de redonner les gens à eux-mêmes, de leur rendre leur liberté, leur intégrité, l’accès à leur vrai Soi, en relation avec Dieu.

Je crois, chers amis, que c’est là la mission qui est confiée à tout disciple de Jésus. Quand Jésus choisit les Douze, il les destine à faire, à leur tour, ce que lui-même fait : proclamer l’Évangile et chasser les démons (c’est-à-dire, chasser le mal, pour en libérer les humains et les guérir).
Les Douze doivent, en quelque sorte, prendre le relais de Jésus, prolonger son action et la multiplier. A leur tour, ils doivent rencontrer les misères humaines et y remédier avec les moyens que Jésus leur donne. Tel est l’avenir immédiat qu’il place devant eux.

Cela doit nous instruire pour comprendre la mission de l’Eglise, aujourd’hui encore :
- En tant que disciples de Jésus, nous ne sommes pas là pour faire de la religion. Parce que Jésus n’a jamais proposé une religion, mais un Evangile libérateur, synonyme de vie.
- Nous ne sommes pas là non plus pour détenir un monopole : celui de l’Évangile et être les gardiens de « l’orthodoxie » – c’est-à-dire de la foi « correcte » – contre les « hérésies » ou tel ou tel courant.
- Nous ne sommes pas là non plus pour faire croire au gens que nous pouvons les sauver par des rites que ce soit le baptême ou une cérémonie funèbre d’action de grâce. Ce n’est pas l’Eglise qui apporte le salut, c’est l’Esprit de Dieu. Ce souffle a pour nous été manifesté par Jésus et son message d’ouverture et de transformation.
Jésus, lui-même, d’ailleurs, ne revendiquait rien pour lui-même. Il n’avait aucune prétention. Il disait qu’il ne pouvait rien faire, par lui-même, que c’est son Père – Dieu, notre Père – qui agissait en lui et par lui (cf. Jn 5, 19. 30 ; Jn 14,10).

Autrement dit, réduire le message de Jésus – l’Evangile – à une religion qui distribue des sacrements pour sauver les pécheurs, c’est, à mon avis, tordre le coup au sens et à la portée de l’enseignement de Jésus, qui s’est heurté aux gardiens de la religion et des traditions de son temps.
La religion est dans la répétition, le conservatisme et l’immobilisme de la tradition. Jésus ne vient pas répéter, mais créer, innover, inventer : son message est transformateur. C’est celui d’un changement de mentalité et de vie.

Vous connaissez sans doute ces paroles : «  Personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon, le vin fera éclater les outres, et l’on perd à la fois le vin et les outres ; mais à vin nouveau, outres neuves » (Mc 2,22).

Bien sûr, ce n’est pas toujours évident de faire comprendre cela à beaucoup de nos contemporains qui ne fréquentent des Églises que très occasionnellement, par exemple, pour demander un acte pastoral, au moment du baptême d’un enfant, d’un mariage ou d’un enterrement. Cela nécessiterait qu’ils revoient complétement leur manière de penser la mission de l’Eglise, ainsi que le message de Jésus, qui n’a pas grand chose à voir avec des rites ou des traditions.

Jésus est venu pour faire du neuf, pour annoncer une Bonne Nouvelle qui nous déplace, nous bouscule, nous guérit et nous transforme, pas pour enterrer nos morts ou baptiser nos bambins, d’ailleurs, lui-même n’a jamais baptisé personne et nous a demandé de laisser nos morts enterrer nos morts.

Si nous revenons donc à la mission que Jésus confie au Douze : prêcher la Bonne Nouvelle de l’Evangile et libérer les humains de leurs maux, je ne peux pas imaginer aujourd’hui – face à des Eglises et des Temples à moitié vides – que l’Eglise puisse envisager un autre avenir que celui-là, que ce que Jésus a lui-même initialement proposé.

Voyez-vous, si l’Eglise n’est plus attentive, comme son Maître, aux misères de ce monde pour y porter remède, avec les moyens que son Seigneur lui a donnés, alors, demain, elle ne représentera plus rien d'important.
Elle sera peut-être une association religieuse plus ou moins solide, plus ou moins fragile, mais elle ne sera plus l'Église de Jésus.

Dans le passé les Églises, répondant à cette vocation de miséricorde pour les détresses humaines, ont créé des écoles, des hôpitaux, des orphelinats, des centres d'accueil, par exemple. Nous en avons ici encore à Tonneins des traces concrètes avec l’APRES (autrefois l’orphelinat protestant), l’Entraide Protestante ou d’autres associations.

Depuis lors, d'autres ont pris le relais et poursuivent la même action. Mais aujourd'hui, dans le monde extraordinairement violent où nous vivons, les détresses humaines ne se comptent plus. Il suffit d’ouvrir la télévision pour s’en rendre compte ou une revue de l’ACAT.

On torture encore dans de très nombreux pays. Dans presque tous les pays aussi on enferme, parfois sans jugement des opposants, ceux qui pensent ou disent autrement que le régime en place. Cela se passe même à aux portes de l’Europe, en Turquie ou en Russie.
Ailleurs, on supporte de plus en plus mal ceux qui sont différents par leur couleur, leur religion, leur sexe, leur langue, leur culture.
Il y a de larges zones du monde où l'on crève lentement de faim et de sous-développement. Il y a des prisonniers libérés à réinsérer, des femmes qui attendent qu'une place légitime leur soit enfin reconnue, etc.

Nous, les disciples du Galiléen, qu'allons-nous faire au nom de Jésus ? Bien sûr, nous ne pouvons tout faire. Mais nous ne pouvons pas non plus rien faire.
Nous pouvons toujours œuvrer ici ou là, dans / et avec telle ou telle association, par nos moyens physiques, intellectuels, financiers, etc.
Nous sommes seulement appelés à agir dans le sens de l’action engagée par Jésus, avec nos faibles moyens s’il le faut, avec nos forces modestes : nos « cinq pains et nos deux poissons », comme au jour de la multiplication des pain (cf. Mc 6, 30-44).

C’est seulement pas la cohérence entre nos paroles et nos actes que le message de Jésus peut avoir un impact.
Par notre « faire », par la diaconie et le service envers les plus petits parmi nos frères, non seulement nous pouvons agir en synergie avec le message de l’Evangile, mais nous pouvons aussi permettre à nos contemporains de prendre plus au sérieux ce Jésus que beaucoup méconnaissent, ignorent ou fuient, car, ils en sont restés à une vision de la religion des siècles passés.

Je voudrais conclure en quelques mots :
Nous nous inquiétons parfois pour notre avenir paroissial, de la fragilité de nos Eglises. Je le comprends et c’est une saine inquiétude. Car, il y a beaucoup à faire et les ouvriers sont peu nombreux. Mais, nous pouvons faire confiance à l’Esprit saint. Il souffle partout et aussi au-delà des murs de nos temples et de nos institutions : notamment dans toutes les associations qui s’engagent en faveur de plus d’humanité et de dignité dans ce monde, qu’elles connaissent ou non le nom de Jésus Christ. Nous n’avons pas l’apanage de la fraternité et de la solidarité.

La vraie question – bien que cela puisse nous chagriner – n’est pas de savoir s’il y aura encore des cultes dans ce temple dans 20 ans, 50 ans ou 100 ans. Nous n’en savons rien !
Quoi qu’il arrive, soyons certains que l’Evangile continuera à être proclamé d’une manière ou d’une autre, ici ou là. Car il en va du salut de tous – d’un salut universel – et non pas d’un salut individualiste, du « chacun pour soi » que met si souvent en avant notre société et notre mode de vie matérialiste.

La vraie question – il me semble – c’est celui de l’engagement des Chrétiens – et en particulier des Protestants – au nom de Jésus et derrière lui, avec les moyens que Dieu nous donne, car l’Evangile ce n’est pas seulement des belles paroles – proclamées le dimanche matin – cela implique aussi des actes : un changement de mentalité, un engagement personnel à la suite de Jésus.

Être appelé à entrer dans le Règne de Dieu, c’est franchir un pas à la suite de Jésus, c’est accepter d’être à l’écoute des misères du monde autour de nous – comme Jésus le faisait – pour y porter le remède de l’amour et de la libération qui viennent de Dieu.


Amen.

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