dimanche 15 janvier 2017

Mc 1, 21-34

Mc 1, 21-34
Lectures bibliques : Lc 6, 31-36 ; Lc 14, 12-14 ; Mc 1, 21-34
Thématique : Du vraiment nouveau
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 15/01/17
(Inspiré en partie d’une méditation de Jean-Marc Babut)

* Les textes que nous écoutons aujourd’hui mêlent et croisent de façon originale deux thématiques : d’un côté, la gratuité, de l’autre, le refus de la résignation ou du fatalisme. C’est un véritable changement de mentalité que Jésus nous propose. Regardons cela ensemble :

* A l’époque de l’évangéliste Marc, on associait souvent la maladie et l’influence d’un esprit impur ou mauvais. Sans explication rationnelle, ni scientifique, il était courant de dire que les malades étaient plus ou moins démoniaques, qu’ils avaient en eux un esprit mauvais, qui devait être la cause de leurs symptômes et de leurs maladies.

Faute de pouvoir expliquer un certain nombre d’anomalies, comme l’aliénation mentale, une excessive nervosité, telle maladie ou telle infirmité, on attribuait ces maux à la présence et à la l’action maléfique d’un « esprit », qualifié d’« impur ». On désignait par là tout ce qui peut faire obstacle à une relation avec Dieu.

Bien sûr, les choses ont évolué avec le temps. On n’explique toujours pas la cause de toutes les maladies – et d’ailleurs, nous en traitons plus souvent les effets que les causes réelles – mais on ne croit plus qu’elles soient liées à la présence d’un esprit démoniaque.

Nous avons donc une autre manière de voir les choses aujourd’hui. Pour autant, il ne faudrait pas nous croire en bonne santé – je veux dire : il ne faudrait pas croire, malgré tout, que notre monde n’est plus malade et qu’il n’est pas soumis à des mauvais démons.

Certes, il ne s’agit pas forcément de croire à une force personnifiée, surnaturelle, concurrente à Dieu, qui s’appellerait le Diable et qui aurait une armée de démons à son service. Mais, nous ne pouvons pas dire, non plus (d’une certaine manière) que notre monde n’est pas encore et toujours soumis à des mauvais démons, des forces ténébreuses, qui obscurcissent notre conscience, nos facultés de discernement et nos capacités d’altruisme.

Nos mauvais démons ont des noms. Il s’appellent : orgueil, égoïsme, convoitise, jalousie, colère, intolérance… ou encore indifférence, fatalisme, résignation, … et le Diable – ou le Démon – n’est qu’un nom qui sert à dire ce qui nous divise nous-mêmes et nous éloigne des autres. C’est l’étymologie du mot « Diabolos » : ce qui divise. Ici ou là, Jésus le nomme aussi Mammon, le Dieu Argent, par exemple.

Nos principaux mauvais démons sont « la peur perdre » et « l’oubli de Soi », de qui nous sommes vraiment. C’est le fait d’oublier que nous sommes tous liés, que nous sommes unis : nous sommes un avec nos frères et sœurs humains ; nous sommes un avec Dieu.
C’est ce que Jésus demande au Père pour nous dans l’évangile de Jean et ce qu’il souhaite que ses disciples réalisent. Je cite : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi […] » (Jn 17, 21).

Lorsque nous agissons comme si nous étions séparés et divisés – c’est-à-dire de manière égocentrique – forcément, cela a des conséquences néfastes pour les autres, mais aussi souvent (à moyen ou long terme) pour nous-mêmes.
C’est un des messages centraux de l’Évangile, de la Bonne Nouvelle que Jésus apporte : Il nous invite à prendre conscience de nos mauvais démons, et d’y remédier en n’agissant plus « chacun pour soi », mais en tenant compte des autres… en agissant, en conscience, comme si nous étions toujours unis, en communion, avec les autres et avec Dieu.

Au salut individualiste, au monde du « chacun pour soi », Jésus oppose une nouvelle réalité : le monde nouveau de Dieu, le Royaume : un monde de paix, de réconciliation et de guérison, qui advient quand on comprend et qu’on agit en se pensant toujours uni à autrui.

* Évidemment, nous qui connaissons bien le Nouveau Testament (peut-être depuis notre enfance), nous ne réalisons pas toujours la nouveauté que Jésus est venu apporter dans notre monde.
Le Christ nous invite à un retournement, à une révolution, dans nos mentalités et nos comportements. Il nous appelle à agir dans la gratuité, le désintéressement, à donner sans compter, à partager, à oser vivre dans le détachement, à oser ouvrir les mains et lâcher-prise… et donc à quitter nos habitudes de penser en termes d’accaparement, d’avoir, de mérite, de récompense, de donnant-donnant.

Nous voyons, en ce moment, combien c’est difficile. Nous le saisissons, par exemple, à travers le climat international, qui traduit un repliement sur soi des états et des nations. Aux États Unis, l’élection du conservateur Donald Trump en est un des symptômes. Mais, nous pouvons aussi nous en rendre compte, par exemple, à travers un des thèmes qui vient de s’inviter dans la campagne électorale en France : celui du revenu universel… un thème qui crée beaucoup de réactions et de crispations… alors qu’il me semble que c’est quasiment un thème évangélique.

L’idée – émise par certains hommes politiques – de donner à tous les citoyens d’un pays une somme d’argent de façon inconditionnelle fait bondir bien des gens. Comment cela se pourrait-il ? Cela remettrait radicalement en cause notre façon de penser, le monde du travail, du mérite, du donnant-donnant : où chacun doit travailler et suer pour gagner sa croûte et mériter son salaire. Et tout d’un coup, on introduirait de la gratuité dans la société. On viendrait dire à chaque citoyen que sa survie n’est pas une question de mérite, de capacité, de travail, mais de dignité inconditionnelle.

Au fond, à travers ce débat, la question n’est pas tellement de savoir si ce serait possible ou non techniquement – car, la politique est toujours une question de choix et de priorités : il suffit de le vouloir et de le choisir, pour y parvenir. L’argument économique ne peut pas être la vraie raison du rejet de ce type d’orientation –. C’est, en réalité, une question philosophique de fond : voulons-nous changer de paradigme, de modèle par rapport à la question de la réciprocité, du mérite ? La survie doit-elle être offerte à tous gratuitement, sans condition, ou doit-elle être méritée ? Doit-on la gagner ?

L’enjeu de ce débat, c’est aussi la question du travail, qui est a été placée au centre de notre vie, par nos choix de société. Car si on décidait de donner à chacun un revenu de base de 750 ou 800 euros par mois, il faudrait sans doute reconfigurer complétement notre manière de penser le travail. Sinon, celui qui faisait un métier difficile d’aide soignant, de conducteur de bus, d’éboueur, de technicien de surface ou un travail en usine – souvent payé une misère, au regard de la pénibilité – n’aurait plus vraiment de raison de se lever pour aller travailler.
Demain, il faudrait peut-être payer davantage tous ceux qui ont été exploités jusqu’alors, pour les encourager à travailler.
C’est, en tout cas, ce dont on a peur : que les gens s’arrêtent de travailler. Mais, cela me semble tout à fait irrationnel, car ce n’est pas avec un revenu de base minimum qu’on va, de toute façon, pourvoir payer ses crédits pour sa maison ou sa voiture.

A vrai dire, le même débat avait déjà eu lieu lorsque le RMI a été mis en place. Des réactions de peur s’étaient fait entendre. On croyait alors qu’on ferait de la société une société de paresseux, que les gens resteraient chez eux, au lieu d’aller travailler. Mais, cela ne s’est pas produit. Tout simplement, parce que nous avons besoin d’avoir une vie sociale et que le travail peut aussi être un lieu d’accomplissement et d’épanouissement, lorsqu’on respecte les salariés. Évidemment, tout dépend des conditions de travail.

En d’autres termes, il faut voir combien cela fait réagir les gens dès que quelqu’un introduit ici ou là la notion de gratuité, la reconnaissance d’une dignité inconditionnelle.
Cela remet en cause nos mentalités ancestrales fondées sur l’idée de mérite. C’est en quelque sorte une idée nouvelle par rapport à nos logiques humaines. C’est pourtant de cette manière là que Dieu agit avec les humains – nous dit Jésus : il ne tient pas compte de nos œuvres, de nos comportements ou de nos mérites, pour nous aimer. Son amour est inconditionnel.

C’est en ce sens que Jésus appelle, par exemple, ses disciples à agir gratuitement, sans compter. Cela est illustré, aussi bien, à travers l’appel à aimer et à prêter sans rien espérer en retour (cf. Lc 6, 31-36), qu’à travers l’appel à inviter les pauvres, plutôt que ceux qui peuvent nous rendre la pareille, ceux qui ont les moyens de répondre à nos actes (cf. Lc 14, 12-14).

Et je dois dire que c’est ce que nous faisons – sans le savoir – lorsque nous envoyons un don à une association humanitaire ou caritative. Nous ne nous occupons pas de savoir si les plus pauvres, qui sont les destinataires en Afrique ou en Asie, méritent notre don ou s’ils nous le rendront un jour. Mais nous donnons par solidarité, par fraternité, parce que notre compassion et notre altruisme nous invitent à le faire, simplement par humanité.

* En parlant de gratuité et d’amour inconditionnel, Jésus apporte donc quelque chose de vraiment nouveau. Et cela est aussi illustré dans notre passage où nous le voyons manifester son autorité dans la synagogue (cf. Mc 1, 21-28).

Là, en ce jour de sabbat, tout le monde est surpris par la force de son enseignement.
Son contenu, l’évangéliste Marc ne nous l’a pas livré précisément ici, mais il nous l’a résumé juste avant, à travers cette affirmation de Jésus : « le règne de Dieu est devenu tout proche, changez de mentalité, croyez ce message de salut » (Mc 1, 15).

Il n’annonce pas un « règne de Dieu » qui tombera un jour ou l’autre du haut du ciel – « tout cuit », prêt à consommer – mais, une nouvelle réalité, une nouvelle mentalité, dans laquelle nous pouvons entrer, pour vivre une existence nouvelle, qui réponde enfin au projet de Dieu pour notre humanité.

Et d’ailleurs, ce règne de Dieu, Jésus ne se contente pas de l’annoncer, il l’apporte concrètement en paroles et en actes.

Cet enseignement nouveau qui a frappé les auditeurs de Jésus, il est justifié par son « autorité ». C’est ainsi que le traduisent la plupart de nos versions.
Je cite : « Qu’est-ce que cela ? Voilà un enseignement nouveau, plein d’autorité ! Il commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent » (v.27).
Mais le mot qu’emploie Marc désigne aussi parfois la « liberté ». Nous pourrions, en fait, traduire ce verset de la manière suivante : « Qu’est-ce que cela, demandaient-ils ? Un enseignement nouveau donné avec une souveraine liberté »

Précisément, cet enseignement est comparé avec celui que les croyants reçoivent habituellement de la part des « scribes » et des « maîtres de la loi ».
Ces maîtres habituels n’ont pas la même « souveraine liberté » : quand ils parlent et veulent convaincre, ils se réfèrent à une tradition. Ils se placent sous l’autorité d’autres maîtres, ceux du passé. Tandis que le message de Jésus prend sa source ailleurs que dans le passé, en Dieu lui-même, dans la liberté qui est celle de Dieu.

Jésus ne reprend pas ce que d’autres ont déjà dit. Il ne présente pas son message comme « ce qui fait autorité, puisque ça a toujours été comme ça ». Il apporte, au contraire, du neuf : le changement dont notre monde a tant besoin.

Ce qu’il dit, lui, est de première main. Ce qu’il enseigne est vraiment différent. Nous le voyons, par exemple, dans l’évangile à propos des discussions au sujet du sabbat ou du pur et de l’impur.

Jésus sort des sentiers battus de la tradition ; il brise les cercles vicieux des antiques raisonnements humains, de ces convictions ancestrales qui enferment l’humanité, depuis toujours et partout, dans la sinistre certitude que la force et le mérite, l’avoir et le pouvoir, sont, en fin de compte, les seules solutions aux problèmes humains.
Jésus refuse d’appliquer ces recettes qui ont, en réalité, plongé l’humanité dans un monde fondé sur la rivalité, la concurrence, la domination et l’exclusion.

Devant ceux qui sont qualifiés de malades, de dominés par un esprit « impur » ou « mauvais », Jésus refuse le fatalisme.
Car, c’est, au fond, ce que traduit cette expression de « mauvais démon », d’« esprit impur » : elle signifie que l’homme se trouve aux prises avec une puissance plus ou moins secrète, qui fait violence à un être humain et qui est complétement étrangère au règne de Dieu.

Devant ces forces mystérieuses qu’ils ne savent pas maîtriser, les humains ont malheureusement souvent abdiqués. Ils ont pris l’habitude de se taire et de se résigner :
« Il n’y a rien à faire – dit-on –. De toute façon, mieux vaut ne pas s’y frotter. Ça pourrait être dangereux. »

Finalement, c’est la raison pour laquelle l’esprit « impur » – pour parler comme l’évangéliste Marc – est tellement à l’aise parmi les humains : Personne ne le conteste.
Au contraire, le pouvoir qu’on lui reconnaît lui laisse toute liberté d’agir à sa guise.

« Parce qu'on le tient à distance, il ne se sent nullement menacé. Il a tout loisir d'opérer sans danger et de continuer à faire des victimes. Les humains acceptent son pouvoir comme inévitable : en un certain sens, pensent-ils, cette puissance qui asservit, fait partie du monde où nous vivons. Il faut donc bien s'en accommoder.

En revanche, l'avènement du Règne de Dieu qui vient prendre pied sur notre terre, représente pour « l'esprit impur » la menace suprême. Pour la première fois cette puissance d'asservissement, de violence et de torture sent qu'il y a danger pour elle. D'où son agressivité à l'égard de Jésus.
Car, contrairement aux humains, Jésus ne reconnaît à cette puissance aucun pouvoir. Il refuse d'abdiquer devant elle ; il refuse de se résigner.
Qu'une telle puissance, même spirituelle, puisse tenir un être humain en son pouvoir et lui prendre sa dignité et sa liberté lui est intolérable. Un tel esclavage est incompatible avec le Règne de Dieu qu'il est venu semer sur notre terre.

Davantage, quand le Règne de Dieu est enfin là, cette prétendue puissance qui asservit l'être humain n'a même plus le droit à la parole. Elle doit se taire et s'en aller sans la moindre compensation. Tel est l'ordre de Jésus : Tais-toi et sors de cet homme ! (v.25)

Ce qui est nouveau et profondément bouleversant, c'est que « l'esprit impur » ne peut pas résister. En la personne de Jésus, le Règne de Dieu se présente avec une telle assurance, sa vérité éclate avec une telle évidence que le pouvoir de « l'esprit impur » perd toute consistance : un dernier bluff (le pauvre malade est malmené en tous sens), un dernier cri, et c'est fini.

Ce matin-là, à Capharnaüm, le Règne de Dieu a pris pied sur notre terre et il a montré, sans la moindre violence, toute son efficacité pour sauver l'être humain de ses démons.

L'Évangile, ce n'est pas seulement des mots, […] c’est une vie [nouvelle]. ­Enfin on va pouvoir sortir de l'engrenage mortel dans lequel l'humanité se trouve prise. Enfin il y a un espoir ! Enfin quelque chose va pouvoir changer sur notre terre !

C'est pourquoi nous devrions nous réjouir, ce matin, de cette victoire pacifique du Règne de Dieu dans la synagogue de Capharnaüm. Elle est prometteuse pour nous.
Certes on ne parle plus aujourd'hui « d'esprits impurs » ; le mot a disparu de notre vocabulaire. L'idée a disparu de nos pensées d’Occidentaux modernes.

Mais tant que nous acceptons le pouvoir de certaines forces d'asservissement de l'être humain [ou de résignation] la situation restera pour nous sensiblement la même que pour les gens de Capharnaüm.

Au temps de Jésus on situait les « esprits impurs » dans le domaine spirituel. Aujourd'hui ce n'est plus le cas. Mais ces prétendues puissances n'ont pas disparu pour autant ; elles ont simplement changé de domaine.
Pour ma part, je pense qu'elles ont émigré du domaine spirituel au domaine du comportement humain [fondé sur la domination, notamment en matière économique]. C'est là, en effet, que la violence continue d'exercer ses ravages : qu'on pense [aux relations de concurrences que les personnes, les entreprises ou les nations se livrent entre elles, mais aussi à la corruption,] aux oppressions de toutes sortes […], [ou encore] aux intolérances, aux racismes, aux tortures, aux guerres qui déchirent notre humanité. Voilà les démons d'aujourd'hui.

Jésus nous encourage à refuser de reconnaître le moindre pouvoir à ces puissances d'asservissement. C'est ainsi que doit commencer leur déconfiture et que le monde nouveau de Dieu prend pied sur notre terre. Et c'est là que doivent commencer notre étonnement et notre joie, mais aussi notre combat, car le Règne de Dieu, c'est vraiment du neuf ! »[1]

Cela implique, bien sûr, un changement personnel, pour chacun de nous. Car, c’est avec nous, et par nous, ses disciples, que cette nouveauté peut advenir. Cela signifie que nous acceptions nous-mêmes ce changement, même s’il nécessite de revoir – de fond en comble – nos mentalités et nos comportements.  

Amen.



[1] Extrait de : Jean-Marc Babut, Actualité de Marc, Cerf, p.22-26.

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