dimanche 9 octobre 2016

Mc 12, 28-34

Lectures bibliques : Mc 12, 28-34 ; Mt 5, 43-48 ; Q 6, 20-23 (ou Lc 6, 20-23)
(= Voir ci-dessous, après la prédication)
Thématique : l’amour universel du prochain, pour répondre à l’amour inconditionnel de Dieu
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 08/10/16.
(Inspiré d’une méditation de Jean Marc Babut)

Prédication

* Nous abordons, aujourd’hui, avec ce passage de l’Evangile, ce qui est au cœur de l’enseignement de Jésus, ce qui est considéré comme « les commandements les plus importants » pour les croyants. Et c’est justement la question que pose le scribe à Jésus : Qu’est-ce qui est le plus important de tout ? Qu’est-ce qui est fondamental et prioritaire ?

Evidement, nous connaissons tous la réponse de Jésus – qui constitue ce qu’on appelle « le sommaire de la loi » : l’amour de Dieu et l’amour du prochain.[1]

Pourtant, en les relisant ce texte, deux choses peuvent nous interroger sur le fond :
-       Premièrement, comment est-il possible de nous demander d’aimer ? L’amour peut-il vraiment être commandé ? (puisque nous appelons ça un « commandement »)
-       Deuxièmement, que signifie vraiment le fait que dans ce passage de l’Evangile les deux « commandements » semblent intrinsèquement liés… que l’amour de Dieu et du prochain soient mis sur le même niveau d’exigence ?

* Le premier point porte sur l’exhortation, l’injonction « tu aimeras Dieu… » ou… « tu aimeras ton prochain… ». Il est évidement que cela pose difficulté, si nous pensons à l’amour tel que nous le concevons souvent, c‘est-à-dire comme un « sentiment ».

En effet, un sentiment ne se commande pas ; il ne se décrète pas… alors comment peut-on nous appeler à aimer ?
La réponse est relativement simple : pour la Bible, « aimer » est moins une affaire de sentiment qu’une façon d’être avec l’autre ou d’agir en sa faveur.

Lorsque Jésus appelle par exemple ses disciples à aimer sans condition, sans espoir de retour… jusqu’à « aimer ses ennemis » (Mt 5, 43-48)… il est évident qu’il ne nous demande pas d’éprouver un sentiment de sympathie ou d’attachement envers des ennemis ou des personnes qui nous font du mal. Ce qu’il demande, c’est de stopper la violence (c’est d’éviter d’entrer dans l’engrenage de la réciprocité, de la relation de miroir « donnant-donnant »)… c’est d’agir avec eux, comme s’ils n’étaient pas nos ennemis… c’est de les considérer d’abord comme des frères, comme des égaux.

« Aimer » est ici de l’ordre du faire, de l’agir… des actes… plutôt que d’un sentiment.

« Aimer Dieu », c’est chercher à faire ce qu’il attend de nous… à savoir, agir de la même manière que Lui. Ce que Jésus explique dans l’Evangile, lorsqu’il appelle ses disciples à imiter Dieu : « soyez miséricordieux, comme Dieu est miséricordieux »… soyez bons avec les autres, comme Dieu est bon avec vous et avec chacun… sans condition (cf. Lc 6,36 ; Mt 5, 45 ; voir aussi Ep 4,32).

Et « aimer notre prochain », c’est commencer par le considérer comme « notre prochain », comme « un frère »… et le traiter ainsi comme Dieu l’attend de nous, c’est-à-dire comme Dieu le traite lui-même, avec bienveillance.

Il ne s’agit donc pas d’un sentiment.
Pour la Bible, « aimer », c’est d’abord « agir », « faire », « entreprendre ».
Il s’agit d’entrer dans une nouvelle mentalité… où l’on prend l’initiative du bien, du « bien être » et du « bien faire », quelle que soit la personne en face de nous… qu’elle le mérite /ou non… qu’elle soit sympathique /ou non… qu’elle soit proche (de ma famille, de mon cercle d’amis, de ma religion, de mon pays) /ou non.
Pour la Bible, « aimer », c’est d’abord « faire »… agir positivement, de façon inconditionnelle.

En ce sens, l’exhortation « tu aimeras ton prochain, comme toi-même » peut nous éclairer. On peut la comprendre à la lumière de la « règle d’or ». Elle n’est qu’un manière abrégée de dire : « tu aimeras ton prochain, comme tu aimerais qu’on t’aime toi-même ».
Autrement dit, « tu agiras avec ton prochain, comme tu voudrais que l’on agisse pour toi… et comme tu agirais toi-même pour toi ».
Ce que Jésus affirme ailleurs en disant : « Tout ce que vous voulez que les homme fassent pour vous, faites-le vous-mêmes [d’abord] pour eux ! » (Mt 7,12 ; Lc 6,31). En d’autres termes : prenez l’initiative du bien !

* Le deuxième point à souligner, c’est que ce passage de l’Evangile semble lier les deux aspects : « l’amour de Dieu » et « l’amour du prochain », de façon inséparable l’un de l’autre… comme s’il s’agissait, en fait, d’une seule et même chose : comment et pourquoi ? (B) Et qu’est-ce qui est vraiment nouveau dans cet enseignement ? (A)

(A) Je commencerai par essayer de vous montrer qu’il y a ici deux nouveautés dans la manière de penser de Jésus. Si nous rapprochons ce que Jésus a fait (par ses actes et ses guérisons) de ce qu’il dit, ici (d’aimer notre prochain), nous pouvons reconsidérer la définition du prochain par rapport au Premier Testament :

« (1) Tout d’abord, quand Jésus parle du prochain, il ne se réfère pas seulement au compatriote coreligionnaire ou à l'étranger qui, vivant en Israël, s’est déjà plus ou moins assimilé, membre de la même communauté nationale, sociale ou religieuse.
Pour Jésus, on le voit en le suivant au fil de l’Évangile, le prochain c’est aussi, par exemple, le possédé de Gérasa de l’autre côté du lac – vous savez bien, celui qui couchait dans les cimetières et que personne ne pouvait maîtriser –.
Pour Jésus, le prochain c'est encore la femme syro-phénicienne qui venait le supplier de délivrer sa fillette d’un démon.
Pour Jésus le prochain, ce sont encore ces quatre mille païens qu’il a nourris en partageant avec eux ce que la petite troupe [des disciples] avait prévu pour son propre repas.
Cette façon que Jésus a de voir un prochain même dans l’étranger païen qu’il rencontre, ça c’est vraiment nouveau. »[2]

Et, bien sûr, cette nouveauté est d’une grande actualité pour nous. Car, dans notre situation contemporaine, nous comprenons, du coup, que nos prochains, ce ne sont pas seulement nos frères chrétiens, ni nos compatriotes de la République française… ce sont aussi les étrangers, les migrants, les réfugiés… que nous avons bien du mal à accepter ou à accueillir.
La tentation du repli sur soi et du communautarisme (même à l’échelle de la République ou de la Nation – on parle de « communauté nationale ») est grande, en ces temps difficiles. Même en Angleterre, un mouvement de « préférence nationale » se fait jour. (Nous en avons entendu parlé cette semaine aux infos sur Arte.) Certains militent pour donner prioritairement du travail aux uns plutôt qu’aux autres, en raison de leur origine ou de leur nationalité… oubliant du même coup que le prochain, ce n’est pas seulement celui qui a le même drapeau que moi sur sa carte d’identité, c’est plus largement tout être humain.

« (2) La seconde nouveauté qui apparaît quand Jésus cite lui-même et rapproche les deux commandements du sommaire de la loi, c'est ce qu'aimer veut dire pour lui.
Dans le livre du Lévitique la phrase « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » vient à la fin de toute une série de recommandations concernant précisément « le prochain » au sens étroit du mot : le compatriote, le coreligionnaire.
On s'aperçoit alors que pour le livre du Lévitique aimer son prochain, c'est essentiellement veiller à ne pas lui faire de tort. Mais pour Jésus, si on s'en tient seulement aux quelques exemples que j'ai énumérés il y a un instant, aimer son prochain va beaucoup plus loin.
Puisqu'on n'aime vraiment qu'avec des actes, aimer son prochain c'est d'abord ne pas faire de différence selon ses origines ou ses croyances. C'est travailler à le libérer des puissances cachées qui le maintiennent en servitude. C'est lui accorder le temps qu­'il faut, c'est partager avec lui ce que l'on a, etc.
C'est tout l'Evangile qu'on pourrait citer ici pour illustrer ce que Jésus entend par aimer son prochain. »

On le voit, aimer son prochain (à la manière de Jésus), cela n'a rien d'évident. C’est exigeant. Cela réclame des actes et cela engage toute la vie. C'est peut-être pour cela que nous y sommes rarement champions.

[ Et c’est peut-être pour cela aussi que Jésus annonce à ses disciples, qui adopteront cette nouvelle manière de voir les choses (cette nouvelle mentalité et ce nouveau comportement), qu’ils risquent de rencontrer un certain nombre de difficultés, d’oppositions et de critiques, voire de persécutions…  car quand on veut étendre la définition du prochain, de façon universelle, à tout être humain, on s’oppose forcément à ceux qui veulent limiter cette définition en fonction de leurs seuls intérêts : économiques, politiques ou religieux, pour protéger leurs privilèges, leur façon de voir, leur avoir et leur pouvoir.

On comprend donc mieux pourquoi Jésus, dans ce qu’on appelle habituellement « les béatitudes » (ici, reconstituées dans la Source Q, en Q 6, 20-23, ou aussi en Lc 6, 20-23), prévient ses disciples qu’ils risquent de rencontrer l’hostilité de tous ceux qui préfèrent privilégier leur communauté religieuse ou nationale.

Mais Jésus assortit cet avertissement, cette menace de persécution qui pèse sur ses disciples, d’une promesse : C’est pour ça qu’il dit « Heureux… » ou « quel bonheur pour vous… » à ses disciples. Cette promesse, c’est celle d’être du bon côté : celui des Justes… celui de Dieu, qui aime tout être humain de façon inconditionnelle, puisque, indistinctement, il fait lever son soleil sur les bons et les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes (Mt 5,45).

Pour Jésus… ceux qui agissent en faveur de tous… et pas seulement d’eux-mêmes, de leurs intérêts ou de ceux de leurs proches… sont dans la bonne voie : celle du royaume, du monde nouveau de Dieu.
Même s’ils risquent l’hostilité de beaucoup, ils sont en réalité dans la lignée glorieuse des prophètes, des porte-parole de Dieu, qui, tels Esaïe ou Osée (par ex Es 1, 10-17 ; Os 6,6), appelaient à ne pas seulement aimer Dieu par des rites, des traditions religieuses ou des sacrifices, mais à véritablement agir envers le prochain avec bonté, générosité et solidarité, notamment envers les plus petits, les plus faibles, parmi nos frères. ]

(B) Enfin, pour essayer de répondre à la question que j’évoquais tout à l’heure… à savoir que l’Evangile – et même l’enseignement de l’Eglise – semble lier les deux « commandements » : « l’amour de Dieu » et « l’amour du prochain », de façon inséparable l’un de l’autre, comme s’il s’agissait, d’une seule et même chose… la raison en est explicitée à plusieurs endroits du Nouveau Testament :

- D’une part, Jésus l’affirme ici (Mc 12, 28-34) : Aimer Dieu et aimer son prochain sont aussi importants l’un que l’autre.

- D’autre part, la première épitre de Jean le confirme (cf. 1 Jn 2, 7-1 ; 4, 20) : On ne peut pas aimer Dieu, si on aime pas son prochain. Mais aimer son prochain ne remplace pas l’amour que nous devons à Dieu. Les deux commandements vont de pair. Ce que Jean dit de la façon suivante : « Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20b).

- Enfin, nous avons la parabole du jugement dernier (en Mt 25, 31-46) où il est fait un lien explicite entre le plus petit parmi nos frères et le Christ lui-même. Agir pour son prochain, c’est d’une certaine manière, agir pour le Christ lui-même. Nous ne sommes pas des êtres isolés, mais en communion les uns avec les autres. Il n’y a pas de séparation entre l’autre, le Christ et moi : nous sommes unis par Dieu, par le fait que nous soyons tous « enfants de Dieu ».

Ainsi, comme le souligne Jésus, si les deux commandements d’amour ne peuvent être honorés qu’ensemble, c’est pour nous rappeler que, contrairement à ce que nous pensons, nous sommes incapables de vivre seuls. C’est pour nous dissuader de penser « chacun pour soi », pour nous dissuader de comprendre notre vie, comme si nous étions le centre du monde et que tout ce qui est autour de nous n'était là que pour être à notre service.

Au contraire, l’Evangile affirme que notre vie n’est viable et épanouie que si elle est tournée vers un autre que nous, vers Dieu qui veut nous sauver de nos mauvais démons (de notre égocentrisme et de notre égoïsme, pour nous libérer et nous guérir) et vers celui que Jésus appelle « le prochain », qui nous permet de nous ouvrir au monde, de nous dépasser et d’élargir nos horizons… puisqu’il attend de nous que nous lui offrions un peu de notre personne : un peu de notre temps, un peu de ce que nous avons, un peu de notre cœur.

* En conclusion… je crois qu’il est important de garder en mémoire ce lien entre le commandement d’amour de Dieu et du prochain… parce qu’il est révélateur de ce que Dieu lui-même attend de nous.

Dieu n’exige rien de nous pour lui-même : il n’est pas un monarque, quelque part dans le ciel, qui attendrait que nous le servions ici-bas comme des esclaves et qui nous donnerait quelques récompenses ou quelques faveurs, en échange. Non ! Jésus nous parle de Dieu comme un « Père » (un Père bien-aimant) plutôt que comme un « roi ».

Le règne de Dieu – le monde nouveau de Dieu –, dit Jésus, est à notre portée… parmi nous… entre nos mains : il est en nous (Lc 17, 20-21). Et du coup, si Dieu est en nous comme nous sommes en Lui – c’est en tout cas ce que Jésus affirme dans l’évangile de Jean, lorsqu’il dit : « je suis dans le Père comme le Père est en moi » (Jn 14, 10-11 ; 14, 20 ; 10,30) – nous pouvons comprendre, comme l’Evangile nous le confirme à nouveau ce matin, que ce que Dieu veut et attend de nous, nous concerne « nous » (nous personnellement et nous tous) et pas Lui seul, comme s’il était indépendamment de nous.

L’amour universel du prochain est une manière de répondre à l’amour de Dieu, c’est un moyen de montrer à Dieu que nous l’aimons… un moyen aussi de répondre en conscience à notre lien, notre unité et notre solidarité de destin avec tous les humains et avec la création toute entière.

Ce que Dieu attend de nous… « ce qu’il veut de nous... c'est que nous changions notre manière de vivre et que nous apprenions enfin à aimer le prochain qui croise notre route. Et c'est en aimant ce prochain comme nous-mêmes que nous montrerons à Dieu que nous l’aimons vraiment, Lui.

Le scribe qui dialoguait avec Jésus avait déjà compris cela. C'est pourquoi Jésus conclut leur rencontre en lui disant : Tu n’es pas loin du monde nouveau de Dieu ».

Quand le double commandement d'amour sera pleinement entré dans notre vie, alors nous aussi, nous ne serons pas loin du monde nouveau de Dieu.

Amen.

Lectures bibliques

Mc 12, 28-34
Un scribe s’avança. Il les avait entendus discuter et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus répondit : « Le premier, c’est : Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur ; tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. » Le scribe lui dit : « Très bien, Maître, tu as dit vrai : Il est unique et il n’y en a pas d’autre que lui, et l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices. » Jésus, voyant qu’il avait répondu avec sagesse, lui dit : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.

Mt 5, 43-48
« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir ? Les collecteurs d’impôts eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

Q 6, 20-23 :
En regardant ses disciples, Jésus dit: « Quel bonheur pour vous, les pauvres, parce que c'est à vous qu'est le monde nouveau de Dieu [=le royaume] !
Quel bonheur pour vous qui souffrez de la faim, parce que vous aurez de quoi être rassasiés !
Quel bonheur pour vous qui êtes à la peine, parce que vous recevrez du secours !
Quel bonheur pour vous, quand on vous insultera, qu'on vous persécutera et qu 'on dira toute sorte de mal sur vous à cause du Fils de l'homme ! Soyez alors dans la joie, dans la plus grande joie, parce qu'il y a pour vous beaucoup à recevoir dans le ciel [= en Dieu]. C' est comme cela en effet qu'on a persécuté les prophètes qui sont venus avant vous. »



[1] Ce sont deux versets du Premier Testament. Le premier est tiré du Deutéronome : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force ». Le second vient du Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
[2] Les paragraphes entre « … » citent Jean Marc Babut, dans Actualité de Marc, Cerf, 2002, p.270-275.

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