dimanche 21 août 2016

Vous êtes des dieux !

« Vous êtes des dieux ! »
Lectures bibliques : Ps 82 ; Jn 10, 31-42 ; 1 Jn 3,1
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 21/08/16 [1]

Le passage de l’évangile selon Jean que nous venons d’entendre retrace un épisode polémique de tensions entre Jésus et des adversaires religieux : Jésus est menacé d’être lapidé par des Juifs pieux. Il leur demande alors pour laquelle de ses bonnes actions ils voudraient le lapider. Ils répondent que ses bonnes actions ne sont pas en cause, mais seulement le fait « qu’il se fasse Dieu ». En clair, ils lui reprochent d’avoir un comportement qui l’assimile à Dieu. Ils y voient là une sorte d’affirmation et d’attitude blasphématoires.

Si tel est le cas, c’est sans doute que ces Juifs qui interpellent Jésus ont entendu cela de la foule qui suivait le Maître. Tant il est vrai qu’un homme extraordinaire, porté aux nues par ses admirateurs, a tendance à être fait Dieu. (C’est ce qu’on constate encore aujourd’hui, par exemple, aux J.O. de Rio, avec quelques athlètes comme Usain Bolt, triple médaillé d’or, devenu une sorte de dieu du stade.) Mais Jésus, pour sa part, renvoie la balle. Il va chercher une phrase du Psaume 82 qui affirme « Je le déclare : vous êtes des Dieux » pour retourner le compliment à ses adversaires. Cette phrase des Ecritures est plutôt ennuyeuse pour eux, car la pensée juive avait tendance à placer Dieu très haut dans le ciel, loin des hommes et de leur médiocrité. Ennuyeuse aussi parce que le compliment du Psaume 82 s’adresse en fait à des hommes – à des juges, en l’occurrence – qui font mal leur travail. Autrement dit, on peut comprendre la réponse de Jésus de façon ironique… bien qu’elle contienne en même temps une vérité.

Dans le psaume en question (Ps 82), c’est à des juges qui commettent l’injustice, en favorisant les coupables et en flouant le faible, le pauvre et l’orphelin, qu’il est justement rappelé cette parole : « vous êtes des dieux », qui peut être interprétée de différentes façons :

-       Elle peut vouloir dire : « vous êtes comme des dieux, vous avez le rôle supérieur de rendre la justice… vous avez cette fonction quasi-divine… alors faites-le de façon droite et équitable, comportez-vous de façon « juste », à la manière de Dieu ! ».
-       Mais elle peut aussi vouloir dire : « vous êtes des dieux. Vous êtes tous Fils du très haut ! Ne l’oubliez pas ! ceux que vous considérez comme des misérables, des petits, des pauvres, des moins que rien : ce sont vos frères. Ce sont aussi des dieux, des fils de Dieu. considérez-les donc comme vous égaux ! Comportez-vous donc avec eux comme vous le feriez avec vous-mêmes… c’est-à-dire comme avec des semblables ! ».

Quoi qu’il en soit de ces interprétations, l’affirmation du psalmiste « vous êtes des dieux. Vous êtes tous des fils du très haut » peut nous interroger…. de même que cette réponse du Christ : Comment les interlocuteurs de Jésus pourraient-ils être des Dieux ?

Jésus s’explique en rajoutant une phrase : « Il arrive donc à la Loi (c’est-à-dire de façon plus large aux Ecritures) d’appeler Dieux ceux auxquels la Parole de Dieu fut adressée. » L’évangéliste Jean nous introduit ici dans sa conception du Logos : Pour lui, la Parole de Dieu, la Sagesse de Dieu, en pénétrant les hommes, leur rappelle leur origine divine… et les restaure dans leur participation à la divinité.[2] Comme dit le Prologue (cf. Jn 1, 12-13 ; voir aussi Jn 3), ceux qui ont reçu le Logos, la Parole (on pourrait traduire aussi la Sagesse) sont nés de Dieu : ils sont nés à nouveau, rappelés à leur origine divine.

Le fait de se souvenir de cette origine divine ne place pas les hommes au dessus de leur condition terrestre, inscrite dans la matérialité, donc dans la finitude. C’est avant tout une façon de rappeler notre vocation… d’où nous venons et où nous allons… et ce qui nous est donné.
En l’occurrence, dans le Psaume 82, la parole qui annonce aux juges qu’ils sont comme des dieux, affirme aussi qu’ils mourront, comme tous les hommes. Il ne faut donc pas s’arrêter au titre reçu ou donné. C’est ce que Jésus signifie à ses adversaires, en choisissant de citer ce psaume. Lui-même… même s’il est le Christ, l’envoyé de Dieu… même si des gens le reconnaissent comme « Fils de Dieu »… cela ne l’empêchera pas de mourir… et même d’être crucifié comme un bandit. Il n’y a donc pas de blasphème, en tant que tel : on peut être « fils de Dieu » par l’Esprit, par grâce, parce que des promesses divines nous sont offertes, et « humain » par la chair, par notre biologie. Il n’y a pas de contradiction.

En réalité, d’autres passages de la Bible donnent raison à Jésus : Dans le livre de la Genèse (cf. Gn 1, 26-27), par exemple, il est dit que Dieu est Créateur et que Dieu a créé l’humain (homme et femme) à son image et à sa ressemblance. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Cela ne veut pas dire que nous ressemblons à Dieu d’un point de vue physique, en termes d’apparences. Cela signifie que Dieu – qui est créateur – fait de nous des co-créateurs : il nous donne l’opportunité, la responsabilité et la chance de créer notre propre réalité. Il nous confie la possibilité de créer… comme lui.  

Dieu est la Vie, le Vivant… la Puissance, la Force de vie, de dynamique à l’origine et derrière la Création, mais ce pouvoir de création, il nous le donne, d’une certaine façon : il nous donne le choix, la liberté, de créer notre existence et nos expériences, de faire ce que nous voulons de notre vie.

Il me semble que bien souvent nous doutons d’avoir réellement ce pouvoir. Nous nous positionnons parfois comme des victimes ou des spectateurs face aux évènements ou aux expériences qui traversent notre vie.
Bien souvent, nous avons peur de la nouveauté, peur du lendemain, à cause des autres, de notre éducation, des discours de la société fondés sur la méfiance, ou des « mauvaises » expériences passées.
Or, inlassablement l’Evangile nous permet d’entendre ce qui constitue certainement un des points clés de l’enseignement de Jésus : à savoir, un appel constant à la confiance (le fameux « N’ayez pas peur ! Ne craignez pas ! ») – confiance en l’avenir et en la Providence du Père – et un appel à l’amour.

Si véritablement Dieu est avec nous et agit en nous et par nous, il nous transmet une confiance : celle de pouvoir créer notre réalité, par nos pensées, nos paroles et nos actes.

Je crois que c’est en ce sens qu’on peut comprendre cette affirmation : « vous êtes des Dieu ! Vous êtes tous fils de Dieu » : cela signifie que Dieu agit en nous et par nous, en nous donnant le pouvoir de créer et de choisir ce que nous voulons vivre dans notre existence.

Bien sûr, une telle affirmation nous pose inévitablement des questions personnelles : est-ce que nous en avons conscience ? Y croyons-nous réellement ? Et, d’autre part, est-ce que nous utilisons véritablement ce pouvoir de création d’une manière lucide et qui nous satisfait ?

Autrement dit, est-ce que notre vie nous ressemble ? (Est-elle une affirmation fidèle de ce que nous sommes réellement ou de ce que nous pensons être ?) Est-ce qu’elle nous satisfait ? Si oui, c’est parfait. Si non, pourquoi ne pas changer les choses, puisque nous en avons la possibilité ?... puisque Dieu nous a donné les clefs… les rênes de notre vie.

Dans la théologie classique, quand on parle de l’être humain, on parle, en réalité, de trois aspects (trois plans) : le corps, l’esprit et l’âme. Le corps biologique et l’esprit – c’est-à-dire l’égo, le mental, l’intelligence – sont transitoires : ce sont les moyens matériels qui nous sont donnés pour faire l’expérience de la vie dans le monde sensible. En revanche, l’âme est désignée par nombre de théologiens ou philosophes comme immatérielle et immortelle, c’est-à-dire comme ce qui constitue notre part divine : ce qui en nous vient de Dieu… est créé à l’image de Dieu.

Si tel est le cas… si ceux qui pensent ainsi ont raison… cela signifie que notre vocation, notre mission dans cette vie est de nous mettre à l’écoute de notre âme, c’est-à-dire de ce qui est en communication avec Dieu, de ce qui relève de Dieu… et ceci, afin d’accomplir les désirs de notre âme, c’est-à-dire d’accomplir ce qui est le plus beau, le plus élevé en nous-mêmes… afin de réaliser pleinement notre véritable Soi.  

Dans les faits, je crois que nous avons du mal à accepter cette affirmation « vous êtes des Dieux » : Elle nous gêne ou nous dérange. Nous la trouvons présomptueuse ou orgueilleuse… voire blasphématoire ou fausse.
Il n’est pas question pour l’humain de se prendre pour Dieu : ou bien ça risque de mal finir… « la chute » risque d’être fatale… comme Adam et Eve, qui auraient écouté le serpent trompeur de la convoitise et se seraient trouvés « chassés du paradis », pour avoir voulu être « tout puissant », comme le Dieu qu’ils fantasmaient.

Mais, il faut prendre cette affirmation dans un autre sens : « Vous êtes des Dieux » veut dire – je crois – « il y a en vous une part divine – votre vrai Soi créé à l’image de Dieu – qu’il vous faut écouter et entendre… en vue de créer votre réalité, vos expériences, non pas seulement à la lumière des désirs matériels de votre corps et de votre égo… mais à la lumière de votre âme : de l’étincelle d’amour que Dieu a placé en vous ».

Nous avons la possibilité de créer à partir des trois plans de notre être : notre corps, notre esprit et notre âme. Les outils que nous avons à disposition pour créer notre réalité sont la pensée, la parole et l’action.

Toute création commence par la pensée (qui peut être inspirée par le Père). Puis, elle passe par la parole (c’est par exemple, ce qu’on fait dans la prière ou avec les projets et les rêves dont on parle à nos proches. Jésus nous dit : « demandez et vous recevrez. Parlez et on vous répondra… ou frappez et on vous ouvrira »). Et elle s’accomplit par l’action (la parole prend chair : ce que le prologue de Jean dit du Logos : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous »).

Ce que nous pensons, dont nous parlons, et que nous faisons, finit par se manifester dans notre réalité… pour autant que nous le fassions avec foi et engagement. C’est ce que Jésus affirme quand il dit que « tout est possible pour celui qui croit » (cf. Mc 9,23) ou que la foi peut déplacer les montagnes (cf. Mc 11, 23-24 ; Mt 17,20).

En d’autres termes, ce que nous rappellent ces passages bibliques ce matin, c’est la confiance et le don de création que nous avons reçus et dont nous devons avoir conscience. Le destin ne décide pas pour nous, comme certains le croient. Les autres ne décident pas pour nous, sauf si nous les laissons faire – D’ailleurs, le destin ou le hasard n’existent pas. C’est nous qui sommes (individuellement et collectivement) les artisans, les décideurs, les acteurs de notre vie (en relation avec Dieu).

Il me semble que nous devons prendre au sérieux cette réponse de Jésus aux Religieux qui contestent son identité et entrent en polémique avec lui. Ce n’est pas simplement une réponse ironique ou une esquive : Jésus traduit ici une vérité.

La vie est un processus de création permanente. Dire « vous êtes des dieux », c’est affirmer que Dieu s’expérimente à travers nous… qu’il nous fait confiance, en nous donnant la possibilité de décider et de créer qui nous voulons être à chaque instant, dans chaque situation, chaque jour.

Dire « vous êtes des Dieux », c’est dire que Dieu est en nous, que nous sommes ses enfants spirituels, et qu’il nous confie la fonction d’expérimenter la vie dans l’univers physique de la matérialité.

Tout en faisant l’expérience de la vie dans notre corps et notre esprit, nous devons nous rappeler que notre âme (qui a la connaissance) vient de Dieu et retournera à Dieu. (Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter pour cela !)
Entre temps, durant notre existence terrestre, il nous est donné de faire l’expérience de la vie, en saisissant chaque occasion (qu’on juge bonne ou mauvaise, facile ou difficile, joyeuse ou triste – mais, en fait, ne devons pas les juger) comme des occasions offertes, pour réagir, décider et choisir d’être qui nous voulons être, qui nous sommes vraiment, en laissant notre vrai Soi s’exprimer.

Quand je parle du « Soi » – vous l’avez compris – je ne parle pas de l’ego, du mental, ou de ce que les autres ou la société attendent de nous, du masque que nous portons parfois pour donner une apparence. Je parle du « vrai Soi » que nous pouvons décider d’exprimer, pour accomplir vraiment qui nous sommes.

Il me semble que c’est cela être « fils de Dieu », c’est pouvoir exprimer notre âme, notre part divine, ce qui est le plus élevé, le plus beau en Soi (en chacun de nous).

Du coup, il est possible de saisir chaque situation, chaque événement, comme une occasion, comme un cadeau, qui nous est donné, pour expérimenter notre vrai Soi en relation avec Dieu.

« Être des Dieux » (comme l’affirment le psalmiste et Jésus dans l’évangile de Jean), cela signifie « être des créateurs » : cela veut dire que nous pouvons changer les choses en nous et autour de nous qui ne reflètent pas ou qui ne reflètent plus le sentiment le plus élevé de qui nous sommes.

Nous avons la possibilité et la chance chaque jour de pouvoir nous créer de nouveau, à l’image et à la ressemblance de Dieu, c’est-à-dire de qui nous sommes vraiment, en tant que « fils et filles de Dieu ».

Nous avons l’occasion et l’espace nécessaire dans notre vie pour générer une réalité de plus en plus élevé de nous-mêmes, fondée sur notre idée la plus élevée de nos capacités.

Pour exprimer cette potentialité, le théologien Anselm Grün affirme dans un de ses ouvrage que Dieu se fait une image magnifique de ses enfants, donc de chacun de nous.
Mais avons-nous la même image de nous-mêmes ? Nous voyons-nous réellement comme des enfants de Dieu ? comme des êtres beaux, des créatures merveilleuses, voulues par Dieu ?

Parvenons-nous à exprimer ici-bas, dans notre monde, notre Soi, ce qui correspond au meilleur de nous-mêmes, à l’idée la plus élevée que nous nous faisons de nous-mêmes ?

Je crois que c’est là notre vocation, le but de notre âme : s’accomplir pleinement pendant qu’elle est dans le corps… pour devenir l’incarnation de tout ce qu’elle est vraiment, pour exprimer notre part de divinité… et ne pas être à côté de la plaque… ne pas passer à côté de notre vie, de nos potentialités, de l’accomplissement de notre personnalité.

C’est en ce sens qu’on peut comprendre les paroles de Jésus lorsqu’il dit : « le Père est en moi comme je suis dans le Père » (Jn 10, 38 ; voir aussi Jn 10,30 ou Jn 14,11) et en même temps, lorsqu’il affirme à ses auditeurs que ses disciples pourront accomplir les mêmes choses que lui, faire les mêmes œuvres que lui (cf. Jn 14,12). Il ne dit pas qu’il aurait une particularité, un pouvoir spécifique, qu’il jouirait de certains privilèges : il affirme, au contraire, à ses disciples que tout ce qu’il vit en terme de relations avec le Père, nous pouvons le vivre nous aussi. Il suffit de nous tourner vers notre être intérieur en relation avec Dieu (cf. 1 Jn 3,1).

* En conclusion, dire que « nous sommes des dieux, des fils de Dieu »… c’est dire que Dieu nous donne un potentiel illimité en matière de choix. Nous pouvons décider qui nous voulons être et ce que nous voulons faire : vivre ici ou déménager là-bas à l’autre bout du monde. Nous pouvons parler français ou apprendre d’autres langues. Nous pouvons agir sur le terrain associatif ou écologique. Nous pouvons vivre seul ou en couple, devenir un grand musicien ou un champion olympique, un artisan, un enseignant ou un médecin. Nous pouvons choisir ceci ou cela. Les rênes de notre vie sont entre nos mains. C’est nous qui construisons chaque jour notre réalité par nos choix et par le type de relations que nous développons avec les autres.
Nous sommes créateurs de notre vie. Nous avons créé notre vie exactement comme elle est aujourd’hui. Et les choses ne sont pas achevées : nous pouvons toujours les changer, évoluer, et faire de nouveaux choix.

Au-delà du contexte polémique et de la réponse à ses adversaires, entendre de la bouche de Jésus l’affirmation « vous êtes des Dieux », c’est entendre que Jésus croit en nous, qu’il nous fait confiance pour nous mettre à l’écoute de notre âme en relation avec le Père… et donc qu’il nous fait confiance pour mener notre vie à la manière de Dieu, c’est-à-dire dans l’amour.    

Amen.



[1] Le début de la prédication est inspiré d’une méditation d’Henri Presoz.
[2] L’Église orthodoxe a conservé, au centre de sa théologie, l’idée de « déification de l’homme » dont le Christ est l’origine et le modèle.

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