dimanche 29 mai 2016

Lc 18, 9-14

Lc 18, 9-14
Lectures bibliques : Mt 6, 5-8 ; Lc 18, 9-17
Thématiques : faire confiance à Dieu ou à ses oeuvres / lâcher son égo, pour accéder au divin.
Prédication de Pascal LEFEBVRE (= voir après les lectures) / Tonneins, le 29/05/16 – Fête de paroisse

Lectures :

Mt 6, 5-8 :  Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans les synagogues et les carrefours, afin d’être vus des hommes. En vérité, je vous le déclare : ils ont reçu leur récompense. 6Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. 7Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer. 8Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.

Lc 18, 9-17 :  Il dit encore la parabole que voici à certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres : 10« Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l’un était Pharisien et l’autre collecteur d’impôts. 11Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : “O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères, ou encore comme ce collecteur d’impôts. 12Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme de tout ce que je me procure.” 13Le collecteur d’impôts, se tenant à distance, ne voulait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine en disant : “O Dieu, sois réconcilié avec moi, le pécheur [prends pitié du pécheur que je suis.]” 14Je vous le déclare : celui-ci redescendit chez lui justifié, et non l’autre, car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. »

15Des gens lui amenaient même les bébés pour qu'il pose les mains sur eux. Voyant cela, les disciples les rabrouaient. 16Mais Jésus fit venir à lui les bébés en disant : « Laissez les enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux. 17En vérité, je vous le déclare, qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas. »

Prédication :

Quand j’étais un bambin (grand, comme nos jeunes de l’école biblique)… et que j’étais assis à table pour déjeuner, il m’arrivait de lorgner dans l’assiette de mon frère, pour voir s’il n’en avait pas eu un peu plus que moi. Ma grand mère me disait avec le sourire : « on ne regarde pas dans l’assiette de son voisin ! ». Ce qui voulait dire : inutile de comparer ! ça ne sert à rien ! Ne sois pas inutilement jaloux !

Avec le temps, j’ai compris qu’il y avait quelques vérités dans cette sagesse populaire : se comparer aux autres, n’apporte jamais le bonheur : cela entraine soit de la frustration ou de la jalousie, soit, a contrario, un sentiment d’autosatisfaction, voire de supériorité.

C’est un peu ce qui arrive à notre Pharisien...
Dans les évangiles, nous avons ce récit qui met en perspective une comparaison entre deux comportements.
Il est vrai qu’habituellement, Jésus nous appelle à sortir de tout jugement vis-à-vis d’autrui. Il nous invite à ne pas nous comparer aux autres (cf. par ex. Mt 20, 1-16), à ne pas les juger (Mt 7, 1-5), mais ici, il fait, d’une certaine manière, une entorse à ce commandement, en vue de nous livrer un enseignement.

Et le paradoxe de cette histoire, c’est que quand on compare les deux personnages et qu’on juge (avec raison) que le Pharisien n’est pas très sympathique… on devient inévitablement soi-même une sorte de Pharisien, car on s’estime supérieur à lui :
C’est terrible ! A moins de refuser tout jugement, on ne peut pas ne pas être un Pharisien !

Notre passage tente de répondre à une question : comment prier ?[1] Comment se mettre en contact, en relation avec le Souffle de Dieu, avec Dieu qui est Esprit (comme nous l’a rappelé récemment le récit de Pentecôte) ?

Indirectement, ce passage éclaire aussi la question : Qui est ce Dieu en qui on peut se confier ?

Pour nous permettre de répondre à ces questions, Jésus part d’une comparaison entre deux hommes, deux attitudes, qui invite chacun d’entre nous à réfléchir et à changer de manière de voir.

* Je voudrais partager avec vous deux manières d’envisager ce passage qui sont complémentaires. La première est relativement classique, elle consiste à s’appuyer sur les deux personnages de l’histoire, pour voir ce qui les différencie et en quoi l’attitude du second est la seule juste.

- On apprend que nos deux protagonistes montent à Jérusalem pour prier dans le Temple. Le premier, nous dit-on, est un Pharisien.
Les Pharisiens sont des croyants convaincus, très attachés à l’étude de la Loi et à son application maximale, notamment la mise en pratique des règles liées au jeûne, aux prescriptions alimentaires (sur le pur et l’impur), à l’aumône et à la prière.
Certains diraient que ce sont des religieux orthodoxes, voire ultra-orthodoxes, qui sont plutôt bien vus, bien considérés, à cette époque.

Qu’apprend-on au sujet de ce pharisien ?
D’abord, il se croit irréprochable. Il est sûr de lui-même, plein d’autosatisfaction.
Il fait valoir ses œuvres, ses mérites personnels : il est honnête et intègre. Il « jeûne deux fois par semaine » et « paie la dime sur tout ce qu’il acquiert ».
Et il fait preuve d’une certaine arrogance, en se comparant aux autres, en se jugeant supérieur à eux. Il considère certains autres autour de lui, comme « voleurs, malfaisants ou adultères ».
Il s’élève, en écrasant les autres, en s’estimant au-dessus de la mêlée.

Son attitude révèle un certain orgueil. S’il croit en lui-même et en ses capacités (ce qui n’est pas forcément un défaut), il n’est pas très charitable vis-à-vis d’autrui. On ne peut pas dire qu’il éprouve de l’amitié ou de la sympathie pour celui qui prie avec lui dans le Temple : ce collecteur d’impôt. En réalité, il le méprise.

Les propos de ce pharisien semblent montrer que cet homme est assez imbus de sa personne et de sa condition : il est fier d’appartenir à la bonne classe, la bonne caste : celle des bons croyants, des justes et fidèles religieux.

Mais même si c’était vrai – même si cet homme était un bon pratiquant… après tout, on peut le croire… – son attitude pose question :
D’une part, parce qu’il se glorifie, il fait preuve d’un certain égocentrisme. En fait, il ne parle que de lui dans sa prière.
D’autre part, parce qu’il dénigre autrui.  Il a une attitude qui abaisse, qui méprise, qui exclut.

Le pharisien a donc un problème, comme le souligne, dans un de ses sermons, Martin Luther : son problème, c’est son cœur.
Il aurait beau accomplir toutes les œuvres bonnes, ce qui ne l’est pas, c’est son cœur…  comme le montre son manque d’empathie, de compassion et d’altruisme.

Une telle mentalité – encore courante dans notre monde d’aujourd’hui – pose question : pourquoi l’être humain éprouve-t-il si souvent le besoin de se comparer à autrui ? N’est-ce pas une manière de se rassurer ? ou de se faire valoir ?

Pourquoi ne se tourne-t-il pas vers Dieu, tout simplement, sans parler de lui (sans mettre en avant ses mérites) et sans rabaisser autrui ?

Cette attitude nous interroge : Sur quoi se fonde-t-elle ?
Est-ce que ce ne sont pas, en réalité, des présupposés inculqués par la religion qui déterminent son attitude ? Sa croyance en l’élection (la certitude de faire partie des élus, de ceux qui ont été choisis par Dieu) et la fierté d’avoir respecté les valeurs morales, inscrites dans la Loi ?

En d’autres termes, son attitude présomptueuse n’est-elle pas le résultat d’un conditionnement religieux ? La certitude d’avoir raison et de détenir la vérité ?
N’y-a-t-il pas un danger spirituel à se croire possesseur de la vérité, du seul chemin qui conduit à Dieu ou à la justice ?
Ceci doit nous interroger : n’avons-nous pas tendance, nous mêmes, à avoir la même prétention, en tant que Chrétiens ?

Par ailleurs, cela pose un autre question : en quel Dieu croit ce religieux ?
En un Dieu comptable qui additionne ou soustrait les points ? en un Dieu-juge qui se fonderait sur des critères moraux, pour distinguer parmi les humains ?

Faut-il croire en un Dieu moral et moralisateur qui établira son jugement final à partir d’une liste de vertus et de vices ?
Peut-on diviser l’humanité en deux : les bons et les mauvais ?
Ne doit-on pas, au contraire, se reconnaître « à la fois juste et pécheur » ?
Et plus fondamentalement, doit-on croire en un Dieu exigeant qui compte les points ?

Si Jésus remet en question l’attitude de ce Pharisien, ce n’est pas un hasard. Pour lui, il est à côté de la plaque. Il n’a pas compris Qui est vraiment Dieu.

C’est précisément ce que souligne le théologien Rudolf Bultmann. Pour lui, le Pharisien représente l’humanité tout entière dans sa méconnaissance de Dieu : le Dieu des œuvres, de Dieu-moral, le Dieu de la religion, plutôt que le Dieu d’amour, le Dieu de grâce… qui inspire ceux qui s’ouvrent à lui.

Mais revenons à notre passage : Ce que montre la manière de prier de cet homme, c’est son égocentrisme, son orgueil spirituel et son manque de charité vis-à-vis de son prochain.
On a finalement l’impression que sa prière est un monologue. Elle n’est destinée qu’à lui-même. Il s’écoute prier dans une sorte d’autosatisfaction.

Par sa manière de penser et de faire, cet homme s’isole en lui-même. Il n’est pas dans une attitude d’ouverture à autrui, ni au Transcendant.
Il établit une sorte frontière : il y aurait d’un côté, les bons croyants, les Juifs pieux, dont il fait partie : « le camp de Dieu » ; et de l’autre, le reste des hommes, dont le collecteur d’impôt est un exemple : un ramassis « de pécheurs et d’infidèles, promis à la colère divine ».

Cette vision manichéenne et caricaturale peut nous paraître, avec le recul, tout à fait anti-évangélique : en tout cas, contraire à ce que Jésus proclame.
Jésus n’annonce-t-il pas un Dieu d’amour, accessible à tous les humains ? un royaume ouvert à tous ceux qui acceptent de s’en remettre à Dieu, qui entrent dans sa confiance et dans une nouvelle mentalité… c’est-à-dire dans son règne de grâce ?

Mais, le paradoxe (et le danger), c’est que l’Eglise, dans son histoire, a reproduit une chose identique à la prière du Pharisien : dès qu’elle proclame une vérité qu’elle prétend détenir exclusivement (« hors de l’Eglise point de salut ») et qui exclut autrui (ceux qui ne pensent pas pareil ou qui ne sont pas dans le bon chemin : les hérétiques, les membres des autres religions), elle use en réalité du même orgueil spirituel que ce pharisien.

Il faut donc décrypter à travers ce que Jésus dit de l’attitude du Pharisien, non pas seulement une critique des Juifs pieux et orgueilleux (il ne faut surtout pas tomber dans une lecture antisémite de ce passage), mais une critique radicale de la religion, ou plus exactement du religieux, qui est à côté de la plaque quand il se regarde le nombril, prétend détenir la vérité, en excluant ou méprisant les autres. Ce danger guète tout croyant, y compris les bons protestants !

- De l’autre côté, nous avons affaire à un péager : publicain ou collecteur d’impôt.

C’est quelqu’un qui a reçu la charge de collecter des impôts pour l’occupant romain. Il travaille donc pour des païens, des ennemis.

Les péagers étaient considérés comme « impurs », car ils fréquentaient des païens et manipulaient de l’argent touché par toute sorte de personnes.
Ils gagnaient leur vie sur le dos de tous ceux qui payaient des taxes. Ils étaient souvent mal vus ou exclus, car ils n’étaient pas toujours très « honnêtes ». Leur moralité était douteuse ; leur réputation mauvaise. On s’en méfiait. Certains les considéraient même comme des parias. On peut penser au personnage de Zachée, dans les évangiles (cf. Lc 19).

Quelle est l’attitude de ce péager ?
Il est humble ; il se tient à distance de l’espace le plus « sacré » du temple.
Il a les yeux baissés. Il se frappe la poitrine en signe de repentance.
Pourquoi ? sans doute par modestie ou par honte. Il a conscience de son péché. Il estime ne pas être à la hauteur de la justice attendue par Dieu.

Notre passage montre bien les différences entre les deux hommes :
- Le premier ne parle que de lui. On pourrait dire qu’il ne place sa confiance qu’en ses mérites, ses bonnes œuvres.
- Le second, reconnaissant son péché, ne place sa confiance qu’en Dieu seul, qu’en sa grâce… puisqu’il s’estime incapable en lui-même, par lui-même, de répondre aux exigences de la Loi.

Le péager estime n’avoir rien à faire valoir, aucune œuvre personnelle, aucun mérite à revendiquer, pour son salut. Il espère tout de la seule miséricorde de Dieu.
Ce qu’il demande à Dieu (v.13), c’est d’être réconcilié avec lui, c’est le rétablissement d’une relation. C’est l’espérance qui l’anime, la foi en un Dieu compatissant.

Or, contre toute attente, à l’opposé de ce que pensaient les gens autour de lui, Jésus va opérer un retournement : il va donner raison au péager, au pécheur, et non au bon croyant, au pharisien.

En quoi donne-t-il raison au second ?
Ce n’est pas à cause de sa conduite morale, qui est sans doute moins bonne que celle du Pharisien. Non. C’est à cause de sa foi, de sa confiance en Dieu.
Le premier croit en lui-même. Il est plein de lui-même. Le second croit en l’amour et la miséricorde de Dieu. Il a confiance en la grâce de Dieu.

Ainsi, Jésus nous révèle que ce ne sont pas nos bonnes œuvres qui nous rendent justes, c’est le fait de s’en remettre à Dieu et de lui demander son aide et son appui, pour qu’il nous transforme, qu’il nous ouvre, nous libère, nous rende meilleurs et plus aimants.
Cela n’est possible que si nous lui faisons confiance, que si nous nous ouvrons à lui, pour le laisser agir en nous.

Pour exprimer cela, l’évangéliste Luc introduit une catégorie juridique : il nous dit que le collecteur d’impôt est « justifié », c’est-à-dire « rendu juste, déclaré juste », agréé par Dieu, du fait de son attitude.

Le thème de « la justification par grâce par le moyen de la foi » sera largement développé par l’apôtre Paul. Comment pourrait-on traduire cette idée en langage plus contemporain ?

Cela signifie que le fait que cet homme reconnaisse humblement sa pauvreté, sa faiblesse, son insuffisance, c’est-à-dire le fait qu’il n’ait rien à revendiquer par lui-même, en lui-même, lui permet de se tourner avec confiance vers Dieu, vers l’amour et la grâce de Dieu : et cela est en fait une attitude juste.

Par ce comportement vrai – malgré son péché et son injustice – il est reconnu juste et acquitté, c’est-à-dire accepté, sauvé, pardonné par Dieu.

C’est en ce sens que Jésus déclare dans la 1ère béatitude : « Heureux les pauvres de cœur - ceux qui se reconnaissent pauvres en eux-mêmes – le royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3).

Pour Jésus, Dieu conforte celui qui reconnaît avoir besoin de lui. Cette attitude de pauvreté, d’humilité, est la seule possible, pour entrer en relation avec Dieu.
Celui qui prétend déjà être parfait (Jésus dira aussi celui qui est riche de lui-même, de son savoir, de ses biens) n’a pas besoin de Dieu pour le sauver. Il est autosuffisant. Il n’y a plus aucune place pour autre chose, pour quelqu’un d’autre, que lui-même dans son existence.

Jésus opère donc un renversement de perspective : Pour lui, l’accès à Dieu est, d’une certaine manière, barré à celui qui montre un égo trop fort. (Il n’est pas barré à cause de Dieu, d’une décision divine, mais à cause de l’attitude de l’homme.)
Au contraire, l’humilité, la disponibilité de cœur et la confiance sont des conditions nécessaires à la prière authentique, à une relation possible avec Dieu.

C’est parce qu’il a lâché son égo, qu’il s’est ouvert à la confiance et l’amour de Dieu, que le collecteur d’impôt va rentrer chez lui transformé, justifié, réconcilié avec lui-même et avec Dieu.

* Je voudrais vous livrer maintenant – pour conclure - une deuxième interprétation de ce passage… qui n’est pas différente de ce que je viens de dire… mais qui va plus loin.

Il me semble que la question de fond, ici, n’est pas une question éthique ou morale, mais celle de la prière et de l’accès à Dieu.

Notre passage nous apprend qu’il est nécessaire de lâcher son mental, son égo, son autosuffisance, ses mérites ou ses absences de mérites, pour entrer en relation avec Dieu.
La confiance, la disponibilité de cœur et l’ouverture d’esprit sont des dispositions nécessaires à une relation authentique avec Dieu.

Cela Jésus l’exprime dans notre passage à travers les notions de justification par grâce.
Dans le passage suivant, avec les bébés qu’on lui présente (v. 15-17), Jésus le souligne à travers les termes d’accueil et d’entrée dans le royaume de Dieu. Il le fait en invitant ses auditeurs à adopter le même comportement de confiance et d’ouverture de cœur que les enfants.
L’accès à Dieu est ouvert à ceux qui sont comme eux, qui ont un cœur disponible et confiant, comme des enfants.

Ce dont il est question ici, ce n’est pas une leçon de morale. Ce n’est pas seulement un appel à l’humilité, ou un appel à ne pas juger autrui et à ne pas se comparer aux autres. Tout cela est juste. Mais ce passage nous parle de quelque chose de plus fondamental encore.

La question sous-jacente, c’est : En quel Dieu se confier et comment entrer en contact avec lui ?
A mon avis, notre texte va beaucoup plus loin que ce que la conclusion de Luc (v.14b) laisse entendre.[2]

Le Dieu de Jésus Christ est un Dieu d’amour, un Dieu tout Autre. En réalité, il ne correspond à aucune de nos images, de nos projections humaines.
Il ne correspond pas à Celui qu’imagine le Pharisien, qui est le Dieu sévère et exigeant de la Loi et des œuvres, le Dieu-juge de la religion… ni même à Celui que prie humblement le péager, qui, d’une certaine manière, est encore un Dieu moral, un Dieu qui serait fâché par son péché et devant lequel, il faudrait s’abaisser pour être pardonné, pour se réconcilier avec lui. Ce que laisse entendre la conclusion qui a été rajoutée par l’évangéliste Luc (v.14b).

J’imagine, pour ma part, en m’appuyant sur d’autres passages des évangiles, que le propos de Jésus devait aller plus loin.

Le Dieu de Jésus Christ n’est pas le Dieu-juge, ni le Dieu de la morale. Ce n’est pas un Dieu comptable, dont il faudrait mériter l’amour. Cela, il nous l’offre par grâce.
Dans une de ses paraboles, Jésus compare Dieu au père du fils prodigue, qui attend le retour de son fils et qui l’accueille sans condition (cf. Lc 15). Il nous dit dans son sermon sur la montagne qu’il est au-delà du bien et du mal, du juste et de l’injuste, puisqu’il est un Dieu gratuit et créateur, un Dieu offert par grâce, qui fait lever son soleil et pleuvoir sa pluie sur les justes et les injustes (cf. Mt 5, 45). En d’autres termes… un Dieu qui est au-delà de nos catégories humaines.

Si on cherche à rencontrer Dieu, à travers sa moralité, sa religiosité ou ses œuvres, ou, a contrario, à travers son manque de moralité, la reconnaissance de son péché, de ses insuffisances ou de sa culpabilité, cela ne suffira pas encore à le rencontrer véritablement, car on en reste à une compréhension morale de Dieu et une préoccupation égocentrique et narcissique de soi-même.

Ce qui est juste dans l’attitude du péager, ce n’est pas seulement son humilité ou la reconnaissance de son péché, tout cela est vrai et sans doute nécessaire… mais un détail supplémentaire nous est donné :
« Il se tient à distance » nous dit-on… à distance de quoi ? De l’espace le plus « sacré » du temple, sans doute… mais aussi et surtout, à distance de lui-même, de son égo.

Ce n’est pas parce qu’il reconnaît son péché en se frappant la poitrine qu’il adopte une attitude juste, c’est parce qu’il s’adresse à Dieu en comptant sur lui… en sortant de lui-même… pour s’appuyer sur Dieu : A ce moment là, il n’est plus centré sur ses mérites ou ses insuffisances, sur ses réussites ou ses échecs… à ce moment-là, il s’ouvre à Dieu… il accède à la foi, il entre dans la confiance en Dieu.

Autrement dit, le Dieu Père et Esprit que Jésus Christ est venu révéler ne peut se rencontrer qu’en lâchant son égo, la préoccupation de soi-même…pour le laisser agir en soi.
Car si on demande à Dieu d’agir dans notre intériorité, pour nous transformer et nous rendre meilleur, pour nous ouvrir à une dimension spirituelle de la vie et à l’amour du prochain, il est nécessaire de ne pas prendre toute la place en nous-mêmes… de lâcher le souci de soi-même, pour laisser à Dieu la place d’agir en nous, pour nous transformer.

Et c’est bien l’objet de la méditation et de la prière : non pas rabâcher des demandes à Dieu (cf. Mt 6, 5-8)… mais faire silence en soi, pour se mettre à l’écoute de Dieu.

Je crois donc que ce que Jésus nous invite à vivre, c’est oser lâcher tout jugement aussi bien sur autrui que sur nous-mêmes, pour nous tourner vers Dieu en toute confiance.
Car le Dieu de Jésus Christ est un Dieu qui appelle l’humanité à se mettre à son écoute, à se relever et à se réveiller… pour avancer et progresser… pour se libérer de ses esclavages... de ses idoles (quelles que soient leurs noms : religion, perfection… argent, rentabilité… technologie, nouveauté… science ou politique)… pour vivre l’amour, la justice et la paix. Pour cela, Jésus nous invite à lâcher-prise et à faire enfin confiance à Dieu !

Amen.  




[1] Le but des 2 hommes est spirituel : ils vont au temple « pour prier » (v.10.)
[2] Beaucoup d’exégètes pensent que le v.14b a été ajouté par Luc. On le retrouve aussi en Lc 14,11. L’idée se trouve aussi en Ph 2, 8-9.

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