jeudi 24 décembre 2015

Le petit âne - veillée de Noël

 Le petit âne
Lecture biblique : Lc 2, 1-18 ; Nb 22, 21-35
Thématique : à l’image de l’âne, s’inscrire dans la patience, l’amour et l’humilité
Prédication de P. Lefebvre / reprise et adaptée d’une méditation de Roland Revet
Veillée de Noël 2015 à Marmande (le 24/12/15)
& veillée de Noël 2021 à Bordeaux (temple du Hâ)

* Pour notre veillée de Noël… je vous propose de méditer – de façon un peu inhabituelle – à travers un thème peu commun… plus exactement à travers un personnage souvent oublié de nos récits bibliques : l’âne.

Il paraît – selon des écrits apocryphes[1] et certains pères de l’Eglise – qu’un bœuf et un âne étaient dans l’étable, avec Marie et Joseph, au moment de la naissance de Jésus.

On voit aussi souvent – dans les peintures et les tableaux de la nativité – la présence d’un âne portant Marie sur son dos … alors qu’elle est enceinte, sans doute éprouvée par le long voyage qui devait la conduire avec Joseph, de Nazareth à Bethléem, à près de 150 kilomètres de là, sur des mauvaises routes, en vue du recensement. … et cela alors qu’elle arrive au terme de sa grossesse.

Ou encore – nous avons d’autres représentations picturales – qui font état du second périple de Marie sur son âne… cette fois avec Jésus, après la naissance…   jusqu’en Egypte. Puisque Hérode a décidé de faire périr tous les jeunes enfants, au cas où un rival, un futur roi, se trouverait parmi eux.

L’âne est un animal très présent dans les représentations picturales évoquant la nativité ou la fuite en Egypte. Il est cet animal serviable, doux et humble… sur qui on peut compter pour porter des charges ou des personnes, même sur des chemins rocailleux et difficiles… même si on sait aussi qu’il a parfois une tête de mule ou un caractère de cochon.

On dit aussi de lui – à cause de son entêtement – qu’il est rebelle. « L’âne sauvage » est réputé pour être indomptable. Il symbolise, par exemple, dans certains récits bibliques, la personne ou le peuple obstiné qu’on ne peut pas maîtriser (cf. Gn 16, 11-12). Celui qui n’est pas à l’écoute et qui n’en fait qu’à sa tête... qu'on représente aussi parfois par le bouc ou la chèvre rebelle.  

En réalité, l’âne n’est pas explicitement nommé dans l’histoire de Noël racontée par les évangiles canoniques. Il est tout de même bien présent dans la Bible. Puisqu’il en est fait mention près de 90 fois.

Il sert, par exemple, à Abraham et Isaac pour se rendre sur le lieu du sacrifice. Le patriarche conduit son âne chargé de bois sur la montagne indiquée par le Seigneur.

Nous avons aussi l’ânesse de Balaam qui est la seule à être suffisamment sensible et éveillée, pour reconnaître l’ange de Dieu qui lui barre la route, alors que Balaam, lui, n’a rien vu et rien compris. A travers le comportement inhabituel de l’animal, le prophète finit par percevoir la volonté du Seigneur. Là où l’homme est souvent aveuglé, l’ânesse, elle, discerne l’invisible ; elle est sensible à la présence de l’ange de l’Eternel.

On retrouve encore l’animal au moment de la rencontre entre Samuel et Saül. Alors que Saül est à la recherche de ses ânesses, Samuel reçoit l’ordre de l’Eternel de oindre le jeune homme, pour faire de lui le chef du peuple d’Israël.

Dans le Nouveau Testament, c’est encore sur un âne – cette modeste monture – que Jésus a voulu entrer à Jérusalem, comme nous en faisons mémoire le jour des Rameaux.
Autrement dit, on retrouve l’âne un peu partout dans la Bible, parce qu’il était très présent au Moyen Orient.

Toute une symbolique est attachée à cet animal. Contrairement au cheval qui symbolise la force orgueilleuse, la puissance et la richesse –  Il paraît d’ailleurs que Salomon avait un nombre important de chevaux. Mais les prophètes Esaïe, Osée et Michée, par exemple, contesteront les choix de vie marqués par l’égocentrisme et le luxe. Critiquer les privilèges des puissants ne date pas d'aujourd'hui. Ils diront que mettre sa confiance dans les chevaux, c’est un peu comme se détourner de l’Eternel  – l’âne, pour sa part, animal humble mais solide, serait plutôt un signe d’attachement fidèle et sûr.

Evidemment, notre culture contemporaine et urbaine est éloignée des images bibliques d’antan. L’âne représente davantage pour nous, aujourd’hui, un symbole de bêtise et d’entêtement, à l’origine du bonnet d’âne infligé autrefois aux cancres. Ou encore, dans le meilleur des cas, l’âne est un animal-jouet, un peu comme une grosse peluche vivante, destinée à promener les enfants dans les jardins publics ou sur les routes de montagne.

Mais, ce qui nous intéresse ce soir, c’est de nous souvenir que cet animal peu glorieux, patient, persévérant, dur au mal… et doté d’un cri assez désagréable… Dieu l’a souvent choisi – d’après la Bible – pour accompagner le déroulement de certains épisodes de l’histoire qu’il entreprend et tisse avec les être humains.

Bien sûr, il est parfois nécessaire d’interpréter ces récits bibliques de façon symbolique…  L’histoire d’une ânesse dotée de la parole, et qui entre en dialogue avec le prophète Balaam a de quoi nous étonner…  de même que l’histoire des anges célestes qui se rassemblent en masse sur le lieu de la naissance de Jésus pour chanter les louanges de Dieu : tout cela à de quoi nous questionner.
Mais la Bible n’est-elle pas aussi là pour pousser notre raison dans ses derniers retranchements ?… pour nous inviter à lâcher notre mental… et nous appeler à voir les choses autrement ?

En faisant appel à tout un imaginaire et à des éléments symboliques, la Bible nous permet d’aller au-delà des plans matériels et visibles, pour nous rappeler que tout être vivant est mû par la vie, par une force qui le dépasse et l’anime : le souffle de Dieu.

Par des images merveilleuses, elle nous ouvre sur la présence de l’invisible. Elle nous permet de comprendre que la présence de Dieu se manifeste parfois là où l’on ne l’attend pas : dans sa création, dans ses créatures et même – de façon centrale – dans cet enfant nouveau-né placé dans une mangeoire.

* Alors, ce soir – une fois n’est pas coutume – nous pouvons lâcher notre raison… et laisser libre cours à notre imagination…
Osons imaginer de façon un peu décalée et extravagante cette scène de Noël :

« [Ce jour-là] les anges ont chanté dans les cieux à la gloire de Dieu. On peut supposer que les bergers ont chanté quelque chose sur la route en se rendant à Bethléem. Il est évident que Marie a chanté une berceuse à son bébé. Alors, imaginons que l'âne ait voulu chanter lui aussi. Quel concert ! Quelle cacophonie !

On aura essayé de le faire taire – [ce pauvre animal] – mais je voudrais croire alors que Dieu lui aura dit :
« Tant pis ! mon vieux, vas-y quand même, brais de tout ton cœur, c'est le moment ou jamais de se réjouir ! ».
Et c'est tant mieux pour nous [aussi] qui, bien souvent, [à notre manière, agissons comme] des ânes.
Peu importe que nous chantions juste ou faux, nous sommes des ânes parce que nous n'arrivons pas à être les anges que nous aimerions être.

Nous sommes venus ce ­­[soir] avec nos préoccupations terre à terre, nos soucis de santé, d'argent, de cadeaux […], nos querelles avec des voisins ou des proches, nos regrets pour des choses que nous avons faites et qu'il aurait mieux valu éviter, nos inquiétudes pour le climat [pour telle ou telle épidémie ou pour les attentats], notre crainte des terroristes ou des extrémistes, et nous pensons à tout ça, même au milieu de [cette veillée], et peut-être à tant d'autres choses qui détonnent, qui tranchent par rapport à l'état d'esprit qu'il convient d'avoir quand on est au culte.

Et si Dieu voulait nous dire, par exemple :
« Ne vous en faites pas, car c'est justement à cause de tout cela qu'il y a ce temps de l’Avent [et de Noël], ce temps où je prépare la venue parmi vous de celui qui prendra tout cela en charge à vos côtés.
Le cadre que je prépare, c'est une étable, et là, il y aura un âne, l'animal servile, l'animal du travail qui symbolise toute la servitude, toute la misère du monde, que je veux partager avec vous en cet enfant, en cet homme qu'il deviendra.
Tant mieux qu'il soit là, cet âne, et vous avec lui, c'est pour cela que tout est en train de se mettre en place, à Bethléem.
Alors, mes chers ânes, n'étouffez pas vos soucis lorsque vous venez me rencontrer, c'est justement à cause d'eux que toute cette histoire va se dérouler ! »

Oui, l'âne reste un symbole fort.
On le retrouve par exemple le jour des Rameaux (je l'ai dit), lorsque Jésus arrive sur un âne alors que certains l’auraient plutôt attendu à cheval, pour libérer Jérusalem et inaugurer le règne de Dieu. Quelle déception !
Seulement, nous voyons bien que cet âne n'est pas là par hasard, parce que Jésus n'aurait rien trouvé d'autre. Il l'a voulu, il l'a envoyé chercher.

Jésus n’est pas venu en s’imposant, en cherchant à se faire respecter à tout prix, comme n'importe quel fils de dieu. Il est là pour les pauvres, les pécheurs, les ânes que nous sommes parfois.
Il n'est pas venu proposer la richesse, le succès, le triomphe, un bon truc pour réussir en affaires. Il est venu nous parler du secret de Dieu, qui est l'amour et l'humilité.

Donc, l'âne, c'est bien.
Est-ce que c'est nous ?
Disons que ça devrait être nous.
Rappelez-vous : en allant chercher l'âne des Rameaux, les disciples ont dit « le Seigneur en a besoin ». S'il a eu besoin d'un âne, il peut bien avoir besoin de nous.

Le problème, c'est que si l'âne est ­symbole de patience et de persévérance, ces qualités sont parfois celles qui nous manquent le plus.
Spontanément, nous aurions plutôt envie d'être riches, forts, reconnus. N­ous aimons mieux qu'on nous écoute. Et nous ne nous laissons pas [forcément] marcher sur les pieds. […]
Et c'est sans doute parce qu'il y a, dans le monde, beaucoup d'ânes qui se prennent à tort pour des chevaux que la lumière de l'évangile a bien du mal à percer.

[Bien sûr] nous pouvons toujours déplorer la méchanceté du monde et nous inquiéter parce que tout va si mal, [Mais] soyons d'abord des ânes qui acceptent d'être ce qu'ils sont. L’âne qui fait son petit travail indispensable, mais si modeste… que même l'évangéliste Luc n'en parle pas, en dépit de sa présence évidente dans l'étable.

Donc, au lieu de chercher à tout prix à nous faire remarquer, à laisser des traces de notre passage, faisons, comme l'âne, notre petit boulot !

L'âne, à petits pas, sous sa charge, il avance patiemment, avec obstination, avec persévérance.
Qui sait ? C'est peut-être ça qui nous manque le plus : la persévérance !
C’est plus facile quand la vie chrétienne se concentre sur quelques feux de paille saisonniers, Noël, Pâques, [Pentecôte] etc.
Il est plus difficile de persister dans l'accomplissement des humbles tâches qui manifestent la présence de l’évangile dans nos existences quotidiennes.

C'est moins gratifiant, mais c'est ainsi que Jésus est présent dans le monde, puisque nous, pauvres ânes que nous sommes, il nous invite à être son corps – le corps du Christ – c'est-à-dire ses bras, ses jambes, sa bouche, ceux et celles qui marchent et parlent pour lui !

Si ce temps de Noël, et cette nouvelle année qui s'annonce pouvaient nous inciter encore plus à changer quelque chose dans nos vies, à nous rapprocher les uns des autres pour mettre en commun des idées et que notre Église fasse encore mieux qu­’elle ne fait aujourd’hui et que nous y puisions toujours plus de forces pour vivre l'Évangile au quotidien !
Que nous ayons pour cela la persévérance nécessaire...

En repensant à [cette veillée], j’ai découvert un texte, un poème ou une chanson, (comme on voudra), qui date des années 60. […] C’est un texte du pasteur Alain Burnand, de l’Eglise du Canton de Vaud […].

Puisque de toute façon, la [médiation] d'aujourd'hui a pris une allure un peu inhabituelle, je vais la terminer de façon inhabituelle, non pas en vous chantant cette chanson, mais en vous en lisant les paroles et puis, si ça vous a plu, vous pourrez emporter le texte. Ce sera un petit souvenir [de cette veillée de Noël]. »[2]

« Le petit âne » d’Alain Burnand

* Sur le pont de l'arche, Noé le patriarche
Voit avec angoisse l'orage qui menace
Cherchant un refuge contre le déluge
Tous ses pensionnaires ont franchi la barrière
Mais soudain, quelle surprise, on devine tout là-bas
Une étrange forme grise qui trottine à petits pas

C'est moi, le p'tit âne, pardon si je flâne
Personne ne m'avait invité
Je ne sais que braire, j'ai sale caractère,
Je suis sûr de vous irriter!

Mais non, petit âne, Noé te réclame,
Il veut que tu viennes avec nous,
Ton humble patience, ta persévérance
Seront nécessaires entre nous !

* Dans la nuit si fraîche, priant devant la crèche
Joseph s'émerveille et l'enfant sommeille,
Bergers et rois-mages, mêlant leurs hommages
Ont rempli l'étable de leurs voix admirables.
Mais soudain, dans la chorale, un chanteur a déraillé,
Et sa clameur animale a failli les effrayer !

C'est moi, leur dit l'âne, pardon! j'ai fait l'âne,
J'ai cru que je pourrais chanter,
Mais je ne sais que braire, c'est mon caractère,
C'est bon, je m'en vais m'arrêter.

Mais non, petit âne, Joseph le réclame,
Il veut que tu chantes avec nous,
Car Dieu notre Père connaît nos misères
Ce soir, il a pitié de nous.

* Ils sont près de mille, sortis de la ville,
Accourus en masse pour le roi qui passe.
Mais lui reste calme, au milieu des palmes
Qu'en signe de joie la foule déploie.
Mais quelle étrange monture pour ce prince original ?
Il aurait plus grande allure s'il était sur un cheval !

Allons, petit âne, mon bon petit âne,
Tous ceux qui voudraient critiquer
Il est bien probable qu'ils sont incapables
De vivre dans la charité.

En toi, petit âne, Jésus le proclame,
Parmi toutes les qualités,
Celles qui dépassent de loin toute grâce
Sont l'amour et l'humilité !



[1] Comme le Pseudo-Matthieu qui compile sans doute d’autres sources.
[2] Extrait d’une prédication du pasteur Roland Revet, prononcée à Bordeaux Rive droite le 20/12/15.

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