dimanche 22 novembre 2015

Un regard chrétien sur notre monde… suite aux attentas

Lectures bibliques : Lc 6, 36-42 + Rm 12, 12-21  (les lectures sont à la fin de cette page)
Thématique : Suite aux attentas… un regard chrétien sur notre monde
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 22/11/15.

Accueil / Annonce de la Grâce / Cantique

Prédication (introduction)

Le culte d’aujourd’hui est un peu exceptionnel.
Nous vivons depuis le 13 janvier dans un contexte particulier.
Nous avons besoin de prier et d’échanger sur cette actualité.

Quel regard chrétien peut-on avoir sur ces évènements ?
Comment – au regard de l’Evangile – analyser et réagir à ces attentats terroristes ?

* Nous pouvons en premier lieu exprimer solidarité et compassion

L’apôtre Paul, dans sa lettre aux Romains, invite les Chrétiens à vivre dans le soutien fraternel et la compassion.

« Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent ; pleurez avec ceux qui pleurent. » dit-il (Rm 12,15)

C’est cet amour mutuel, cette solidarité, cette capacité d’empathie et de compassion que nous pouvons manifester les uns pour les autres, plus particulièrement à l’égard des familles qui ont été directement touchées par les évènements terribles qui ont secoué Paris la semaine passée et Bamako vendredi.

L’ensemble de la communauté nationale – et internationale – s’est sentie concernée par la violence de ces attentas.

Face à la barbarie, les responsables des Eglises et les politiques ont rappelé l’importance de se tenir unis dans l’épreuve, alors que ce sont les valeurs humanistes de la République et de la démocratie qui ont été visées.

Comme le rappelait Laurent Schlumberger (président du CN de l’EPUdF) dans son message : « Les victimes, touchées au hasard des fusillades et des explosions, étaient présentes dans des lieux qui, eux, avaient été à l’évidence soigneusement ciblés : stade de foot, salle de spectacle, terrasses de cafés et de restaurants. Ce sont des lieux de détente ou de culture, où il fait bon se retrouver, en toute liberté, entre amis et au milieu de tous. Ce sont ces lieux de rencontre et de convivialité qui étaient visés. C’est cela aussi qu'il faut maintenir et protéger. »

L’objectif des tueurs était à l’évidence de marquer l’opinion publique, de nous faire trembler, de susciter la peur… mais aussi de nous toucher dans notre mode de vie, ouvert à la liberté et à la culture… et ensuite de nous encourager à la violence communautaire. Rien ne réjouirait plus les terroristes que nous exercions maintenant une violence vengeresse à l’égard des communautés musulmanes, que nous montrions du doigt l’étranger, que nous soyons divisés.

Il ne faut donc pas tomber dans ce piège et garder notre unité nationale… beaucoup l’ont souligné, à juste titre.

Dans un communiqué, le président du Conseil national de notre Eglise invite les Protestants à se tourner vers Dieu et vers les autres, à cultiver, par des paroles et des gestes, la fraternité et la solidarité au cœur de la société française… Je cite une partie de son communiqué :

« Dans l’effroi et l’accablement, que faire ?
Nous pouvons prier. Porter devant Dieu les victimes, et toutes celles et ceux qui en prennent soin. Porter les hommes et les femmes des services publics qui sont mobilisés, et les responsables de notre pays. Mais aussi prier pour que la violence recule chez ceux qui sont aveuglés par des fantasmes de pureté radicale.
Nous pouvons offrir notre écoute et notre parole. Dans nos relations, notre temps, nos réunions, nos lieux de culte, faire place à la parole et au silence échangés. Accueillir et partager les mots, les soupirs, les sanglots, les pourquoi, les colères.
Nous pouvons aussi cultiver la solidarité et la fraternité, si fragiles, si précieuses, qui nous sont confiées.
Nous remettons le temps présent et toute chose au Dieu vivant qui, en Jésus-Christ, nous rejoint et nous accompagne dans nos détresses et dans nos espoirs ».

Nous tourner vers Dieu, vivre les valeurs de l’Evangile, c’est le premier pas que nous pouvons faire pour tenter de nous relever de la violence de ces attentats. En même temps, nous avons aussi besoin d’échanger, de parler, d’essayer de comprendre.

Plaçons-nous ce matin en toute confiance devant le Seigneur et confions lui ce que nous avons dans le cœur.

Prière de repentance / Cantique

Annonce du pardon / Cantique  

Volonté de Dieu (Rm 12, 12-21) / Cantique

Lecture biblique (Lc 6, 36-42) / Cantique

Prédication (suite)

Quel regard chrétien peut-on avoir sur les attentats ? / Comment analyser et réagir à ces évènements ? C’est le thème de notre méditation.

* Nous pouvons, bien entendu, prier pour les familles des victimes (nous l’avons dit), mais nous avons aussi besoin de réfléchir, de comprendre… et de nous interroger sur nous-mêmes.

Cette semaine, devant l’horreur et l’absurde de ce massacre en Ile-de-France, devant ces vies détruites et ces familles décimées… pour rien… des articles de presse et des messages des uns ou des autres ont essayer de mettre des mots sur ce qui nous a sidéré.

Comment comprendre ce qui a pu pousser ces êtres humains à commettre des gestes aussi lâches et inhumains : tuer des dizaines et des dizaines de personnes de façon aveugle, au hasard ?

Bien sûr  – du point de vue de la raison, de l’émotion ou de l’intelligence – rien ne peut justifier ce déchainement de violence gratuit et meurtrier. La barbarie est d’une forme de folie meurtrière. Que des hommes décident de se sacrifier pour imposer à autrui la souffrance et la mort, cela dépasse notre entendement.
Pourtant, nous ne pouvons pas en rester là. Nous avons besoin de comprendre, d’essayer de chercher des motifs à ce qui semble insensé et absurde. Nous éprouvons le besoin d’analyser les causes de ce mal.

Deux réponses peuvent se dégager, pour tenter de comprendre les motivations des terroristes :

- Le premier motif qu’on peut discerner - du point de vue des terroristes - est idéologique.

Ces attentas répondent à un double but :
. « Servir » Dieu… enfin le dieu qu’ils imaginent… un dieu violent et sanguinaire qui élimine les infidèles et écrase les opposants… un dieu qui n’est que la projection du désir de toute-puissance de quelques hommes… un « dieu » assoiffé de pouvoir et de sang… comme le sont aussi ses fidèles.
Bien sûr, un tel « dieu » n’a rien à voir ni avec le Dieu de Jésus Christ, ni avec le Dieu appelé « le miséricordieux » dans le Coran.

. Deuxième objectif : atteindre le mode de vie et les valeurs universalistes que les démocraties occidentales défendent, notamment la liberté, l’égalité, et la fraternité.
Comme nous l’avons souligné, les cibles choisies par les terroristes (des lieux de détentes et de culture) sont tout à fait symboliques et destinées à frapper l’opinion publique.

- A coté de ces « motifs » idéologiques - l’occident représentant les valeurs du chaos : débauche des mœurs, impureté, désobéissance face à Dieu et à la loi coranique… en un mot : le mal incarné… - on peut discerner un autre motif à l’action des terroristes : la vengeance. C’est la raison qui aurait été invoquée par les terroristes eux-mêmes.

Qu’il soit réel ou fictif, ce motif nous oblige à nous interroger.
Il signifie que – de notre point de vue – si nous considérons la France et ses habitants comme des victimes de la violence causée par autrui, les terroristes – quant à eux – ont une vision contraire et considèrent qu’ils ne font que répondre à la violence causée par l’occident sur « leur territoire ». Pour eux, leurs actes constituent une réponse à l’implication de la France dans la guerre en Syrie.

Evidemment, nous pouvons avoir du mal à entendre cet argument, car rien ne peut justifier la barbarie. Malgré tout, cette explication de texte, pour simpliste qu’elle puisse paraître, doit nous questionner : Quels liens est-on en droit de faire entre ces attentats à Paris et ce qui s’est passé ces dernières années en Irak et en Syrie ?

Ces attentats – aussi absurdes et inhumains soient-ils – ne viennent pas de nulle part, n’ont pas été perpétrés sans raison. Ne découlent-ils pas d’un processus de violence et de haine, dont nos gouvernements occidentaux, sont en partie responsables, pour l’avoir alimenté ? Il faut oser se poser la question en vérité.

Depuis la guerre en Afghanistan, en passant par les guerres du Golf, celles en Irak, en Lybie ou en Syrie, les occidentaux – et particulièrement les Américains – ont, par leur attitude impériale et leurs choix stratégiques, favorisé l’émergence de groupes radicaux, partenaires directs ou indirects de certains pays musulmans.

Pour des raisons d’intérêts, notamment géopolitiques, financiers et économiques – et pas du tout pour des raisons démocratiques ou humanistes, comme on aimerait le croire – des accords ont été passés avec des pays et des partenaires appartenant à la mouvance salafiste, comme l’Arabie Saoudite.

Par leurs choix stratégiques et leurs engagements, les Américains et les pays européens alliés (notamment le Royaume Unie et la France) ont fait le choix de soutenir tels ou tels politiques, avec des moyens militaires considérables. Evidemment, quand on peut vendre des armes, pour nourrir notre économie et notre besoin de croissance, et en même temps récupérer du pétrole, pourquoi se contenter de défendre les droits de l’homme.

Bref, on peut voir avec le temps – depuis les années 80 – combien cette région du globe a été déstabilisée par l’interventionnisme des occidentaux, notamment des Américains. 

[Sans donner raison à l’explication de texte des terroristes – car bien entendu, rien ne peut justifier la barbarie - ni à la position du président syrien Bachar al-Assad qui considère que la politique française en Syrie a contribué à "l'expansion du terrorisme" – on peut quand même s’interroger sur cette politique française.]
La France a fait le choix de participer aux raids de la coalition internationale menée par les Etats-Unis contre l'Etat Islamique en Syrie et en Irak. Connaît-on les motivations réelles qui ont gouverné ce choix ? Ce choix a-t-il été efficace et bon, pour la France ou pour la Syrie ?

Plus fondamentalement, peut-on lutter contre l’idéologie de la haine et de la violence avec les armes de la violence ? Ne risque-t-on pas d’alimenter toujours plus l’engrenage et l’escalade de la violence ?

Avec un peu de recul, on voit bien le chaos et la misère dans tous ces pays du Moyen-Orient depuis que les occidentaux y interviennent. On voit bien que les réfugiés affluent en nombre de ces pays pour sauver leur peau.
Nous devons faire preuve d’humilité et de lucidité, et oser remettre en question les choix politiques de nos dirigeants et de nos sociétés.

Nous avons fait des mauvais choix guidés par des intérêts économiques, par l’argent et nos objectifs de croissance. Nous avons joué avec le feu et bradé nos valeurs républicaines – nos valeurs judéo-chrétiennes – pour des intérêts financiers, par convoitise.

Nous avons passé des accords politiques et économiques avec des pays qui appliquent la charia (la loi islamique : Arabie saoudite, Soudan, Nigéria, Iran, Afghanistan), dont les valeurs ne correspondent pas à celle des nos républiques démocratiques, ni aux conventions internationales en matière de droits de l’homme.
Nous avons passé des accords avec des pays qui eux-mêmes interdisent le multipartisme, favorisant par là la montée des mouvements extrémistes… des pays musulmans qui jouent la carte de la radicalisation sunnite, voire salafiste… des pays « conservateurs » qui ont tout fait pour éteindre les désirs populaires de libération et de démocratisation manifestés dans les printemps arabes.

Ces même pays avec lesquels nous commerçons luttent-ils réellement contre les trafics de migrants, d’armes, et de drogues ?… font-ils profiter leur population des fruits de la rente pétrolière ?

En bref… nous devons prendre conscience que la matrice du mouvement terroriste a été alimentée par les conflits en Afghanistan ou en Irak.
En Irak, il s’agissait de lutter soi-disant contre le terrorisme mais le résultat obtenu a été exactement inverse : les Etats unis ont fait augmenter la menace terroriste, après avoir menti au monde entier sur les causes de déclenchement du conflit.

Il faut donc oser dire – sans complaisance – que nous sommes certainement victimes de ce qui vient d’arriver à Paris, mais que nous ne sommes pas des victimes innocentes … - Ce n’est pas tout blanc / tout noir. Avec d’autres… nos gouvernants ont participé au développement de la misère dans ces pays et indirectement de la menace terroriste.

Je vous livre une réflexion du théologien Hervé Ott (dans Réforme) qui se questionne et nous interroge :
« Et si cette « barbarie » qui nous surprend était le reflet de celle que nous entretenons pour protéger nos intérêts : les contrats avec des dictatures – financières d’extrémistes – pour l’emploi et la croissance, un partage des richesses profondément injuste, des pollutions tous azimuts de notre environnement et de nos aliments, une compétitivité mortifère ? Et si l’« autosacrifice » de ces illuminés était le miroir de tous les sacrifices que nos modes de vie engendrent et justifient ? Nul doute que leur réaction absurde est à la mesure de leur désespérance. Notre réaction sera-t-elle plus sensée ? Saurons-nous inverser la spirale de toute cette violence ? »

Il est rare quand on vit une situation particulièrement éprouvante, d’avoir le courage de regarder la situation en face et d’en chercher les causes, et d’accepter de discerner notre part de responsabilité dans ce qui nous arrive. C’est vrai à titre individuel, comme à titre collectif.
Il est aisé et fréquent, au contraire, de nous tourner vers les autres pour nommer les responsables de nos maux… pour accuser l’autre de l’entière responsabilité du malheur qui nous assaille… et de vouloir le détruire.

Or, dans la Bible, il y une parole qui nous livre une loi de l’existence : L’apôtre Paul la met à jour dans son épître aux Galates : « Ce que l’homme sème, il le récoltera » (Ga 6,7).

Victor Hugo l’a reprend autrement, mais il dit la même chose :
« De quoi demain sera-t-il fait ? L'homme aujourd'hui sème la cause, Demain Dieu fait mûrir l'effet. »
 Je ne sais pas si c’est Dieu ou simplement la vie qui fait mûrir les actions posées par les hommes, mais cette parole met à jour un mécanisme, une sorte de loi de l’existence.

On ne comprend pas toujours pourquoi nous nous retrouvons au milieu de circonstances difficiles où le trouble nous envahit et la confusion nous fait perdre toutes directions. Si nous étions plus attentifs à cette « loi de la semence » nous réaliserions peut être pourquoi nous vivons parfois de telles oppositions ou adversités.

Il y a bien sûr souvent un certain laps de temps entre le moment où l’on sème et celui où l’on récolte... mais cette parole nous annonce que nous ne sommes pas innocents de ce qui nous arrive. Nous contribuons, par notre conscience, par nos choix, notre libre arbitre, à notre présent et notre avenir. Nous participons aujourd’hui à la réalité de demain, comme nous avons créé hier par nos pensées, nos paroles, nos actions, notre réalité d’aujourd’hui. (Nous sommes co-créateurs de notre réalité.)

Ainsi, au lieu d’accuser le destin et de désespérer… au lieu de remettre toute la faute sur autrui… posons-nous simplement la question : qu’avons-nous semé hier, pour avoir ce résultat aujourd’hui ? Et dès lors changeons de cap, convertissons-nous !

* Changer de cap / se convertir

Malheureusement, beaucoup de nos dirigeants n’ont pas fait cet examen de conscience. Ils prétendent que la guerre, la riposte, la réponse armée est la solution adaptée à la situation.

Ainsi, le président de la République a affirmé cette semaine : « Le terrorisme ne détruira pas la république, car c’est la République qui le détruira ! »  Sur la forme, on comprend bien ce qu’il veut dire – il veut montrer que le gouvernement prend les choses en mains – mais sur le fond, on peut s’inquiéter de cette vision dualiste et binaire. Quelle violence et quel orgueil dans ces propos !

L’objectif de la République est-il de détruire qui ou quoi que ce soit ? Quelle est donc cette République qui entend imposer ses valeurs par la force ? Peut-on imposer à autrui la liberté, l’égalité, la fraternité ?... et par le moyen des armes ? Ne risque-t-on pas à notre tour de sombrer dans une forme de totalitarisme ? La fin justifie-t-elle les moyens ?

C’est bien le problème soulevé par toute guerre : celui de la surenchère du mal.
Peut-on agir contre le mal sans faire du mal en plus ? Parvient-on vraiment à arrêter le mal par le mal, par le moyen de la violence ?
Et d’ailleurs, qui est à l’origine de ce mal qu’on prétend écraser ? N’est-il pas aussi présent en nous et à l’intérieur même de notre société… en France ou en Belgique… là où on grandit certains des terroristes incriminés ? N’est-il pas temps de remettre en question notre modèle de société, qui laisse tant de jeunes perdus sur le bord de la route ?

N’y a-t-il pas là un manque de discernement quant aux mécanismes de la violence – à son caractère mimétique[1] : la violence engendre la violence ; la haine nourrit la haine ; la France est maintenant entrainée dans la spirale infernale de la guerre – et un aveuglement quant au fait qu’on ne peut pas gagner la guerre contre un ennemi invisible, mutant, changeant, opportuniste… un ennemi qui dépasse largement le territoire de la Syrie et de l’Irak, lieu des frappes aériennes.
Les terroristes sont partout et nulle part : en France, en Belgique, au Mali, en Russie, en Turquie, en Egypte, etc. …

Il faut certes sécuriser notre territoire national et protéger les français, mais fallait-il / et faut-il encore / faire la guerre en Syrie ?
Ce n’est pas par une réponse armée qu’on peut vaincre le terrorisme, mais par d’autres moyens : financiers et économiques, d’une part (en coupant les moyens de subsistance des terroristes), policiers et judicaires, d’autre part (en les mettant hors d’état de nuire), pédagogiques et éducatifs, enfin (en sensibilisant les jeunes et en censurant les sites internet violents).
Il faut trouver des moyens pour désolidariser et déradicaliser des forces qui s’agglutinent autour du terrorisme. Il faut une vision politique et humaniste, bien au-delà des bombes et des aspects militaires.
Et il faut déjà commencer par s’interroger sur les pays avec qui nous entretenons des alliances stratégiques et des partenariats économiques.[2]

La réponse armée – celle de la violence – n’est pas la bonne réponse. Elle active sans cesse des velléités de vengeance. Elle se révèle souvent inefficace et contre-productive, puisqu’elle nourrit par sa propre logique les forces et les situations qu’elle prétend combattre.
La guerre menée contre le terrorisme aujourd’hui a ainsi toutes les chances d’alimenter le terrorisme de demain.[3]

Dans la Bible, relisons l’histoire de Joseph et de ses frères (Gn 37 – 50), et posons-nous la question : comment l’histoire aurait-elle fini si Joseph avait répondu à ses frères avec la même violence que celle qu’il a dû endurer ? C’est bien parce qu’il a su transformer ce mal et cette violence que Joseph est une figure du Christ, une figure du changement, d’un autre avenir possible !

D’ailleurs, pour nous Chrétiens, il faut rappeler que la riposte armée n’est pas une réponse évangélique, car elle oublie la compassion et la souffrance infligée… elle oublie que ceux qui sont bombardés au loin sont aussi des êtres humains, même s’ils ont sombré dans la violence et l’inhumanité… elle oublie ici les familles déboussolées et désespérées de ces jeunes fanatisés.
Ce sont certes des coupables, des criminels, des assassins, mais ce sont aussi des victimes… des victimes manipulées par des commanditaires fanatiques… des victimes de la misère, du désespoir et de la propagande… des victimes d’une société – la nôtre – où règne la loi du plus fort, la concurrence et la rivalité. Et comme ils n’ont pas trouvé leur place dans cette société là, ils se sont laissés aspirer par la voie séductrice du mal… Refusant d’être comptés au rang des perdus, des exclus, des « moins que rien », amassés et rejetés dans les cités et les quartiers des banlieues, ils ont décidé d’exceller dans le mal : là où on leur a donné une chance de faire quelque chose de leur vie.

Il faut ajouter que la souffrance subie aujourd’hui dans notre pays risque d’anesthésier en nous la compassion et de nous rendre inconscients de la souffrance que nous allons à nouveau provoquer et entretenir par notre réponse armée.[4]

Nous devons absolument réfléchir aux moyens que nous employons pour lutter contre le terrorisme. Nous devons à la fois protéger notre territoire et agir auprès de cette jeunesse laissée-pour-compte, mais devons aussi être conscients que la voie des armes est non seulement inefficace mais dangereuse. Ecoutons les avertissements que la Bible nous communique. Je cite :

« Ne jalouse pas le violent et n’adopte aucun de ses procédés » (Prov 3, 31)

« N'excite pas les gens sans foi ni loi,
ce serait allumer un feu auquel tu pourrais te brûler. […]
N’entre pas en conflit avec le violent,
ne l'accompagne pas dans un endroit désert,
Car à ses yeux le sang versé compte pour rien,
là où tu ne pourras appeler à l’aide, il se jettera sur toi. »
(Sir 8, 10.16)

« Ne rendez à personne le mal pour le mal. Efforcez-vous de faire ce qui est bien devant tous. […] Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. » (Romains 12, 17.21)

Pour le dire autrement :
« Si tu veux la paix, prépare la paix, pas la guerre »
« Sème aujourd’hui ce que tu veux récolter demain »

Pour le dire avec les mots de Jésus : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes [d’abord] pour eux » (Mt 7,12)

* Alors, que peut-on faire ?

« Donnez et il vous sera donné » (Lc 6,38) dit aussi l’Evangile : c’est une autre loi spirituelle qui nous enseigne que l’on ne peut rien avoir, ni amour, ni paix, ni transformation, ni fruits, si l’on ne dispose pas des semences appropriées. Il faut savoir trouver et semer la bonne semence afin de récolter de bons fruits (voir aussi Lc 6,44 ; Mt 7, 16s).

Là-bas, en Syrie, maintenant que nous sommes engagés, il est difficile de reculer, mais il faudrait modifier rapidement notre mode d’action. Notre rôle devrait certainement être d’accompagner les pays et les groupes qui défendent les valeurs démocratiques, de les soutenir par notre expertise, mais pas de prendre les armes à leur place, indépendamment de leur contexte et leur culture. Nous ne pouvons pas imposer notre manière de voir les choses et notre culture aux autres, de même que nous ne pouvons pas accepter que les autres imposent leur idéologie meurtrière et totalitaire dans notre pays et sur notre continent. Nous ne pouvons pas continuer à alimenter une guerre sans fin qui nourrit elle-même la haine et le terrorisme.

Ici, dans notre pays, nous devons être des faiseurs de paix, des chercheurs de dialogue. Il faut nous atteler à susciter le dialogue, pour pallier au phénomène de la radicalisation : éviter que les jeunes se laissent enrôler par les vidéos sur internet (qui appellent au djihad) ou par la propagande dans les mosquées, les quartiers ou en prison.
Notre société ne peut plus laisser passer des appels à la haine : Elle doit protéger ses valeurs, par des lois, par l’éducation, l’enseignement et la justice.

Elle doit également susciter l’espérance et la confiance, pour ouvrir un avenir meilleur aux jeunes. Car le terrorisme se nourrit aussi de l’injustice et du désespoir d’une jeunesse perdue ou désabusée.

A notre niveau, dans nos associations, l’Eglise, l’Entraide, dans notre commune, nous pouvons prendre part à ce dialogue entre les peuples et les religions.
Nous devons faire preuve de pédagogie et montrer en quoi les idéologies issues du fondamentalisme religieux rigoriste et intolérant sont non seulement éloignées des textes de référence (que ce soit le Coran ou la Bible) – toujours à resituer dans leurs contextes – mais sont dangereuses pour l’humanité et le vivre-ensemble.

Jésus nous appelle à un chemin de justice et de paix, à être des artisans de paix : « Heureux ceux qui font œuvre de paix, ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9)

« Heureux LES artisans de paix » annonce-t-il au pluriel : c’est ensemble que nous y arriveront. Tout seul on ne peut pas. Pour être artisans de paix, on a besoin de Dieu, de son Esprit d’amour, et on a besoin des autres.

Le travail qui est devant nous est grand : il doit être culturel, pédagogique et communautaire : c’est Ensemble que nous pouvons avancer.

Pour conclure, je vous livre cette phrase du pasteur Martin Luther King qui résume notre méditation :

« L’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité : seule la lumière le peut. La haine ne peut pas chasser la haine : seul l’amour le peut. »

Amen.

Suite du culte



[1] Le philosophe René Girard a analysé le caractère mimétique de la violence et le phénomène du bouc émissaire
[2] On ne peut pas continuer à entretenir des relations commerciales avec des pays qui soutiennent le djihad et qui ne respectent pas les droits de l’homme. On ne peut pas faire comme le Etats Unis qui adorent les fondamentalistes religieux du moment qu’ils sont libéraux économiquement.
[3] En septembre 2014, un ancien ministre des affaires étrangères affirmait déjà : Toutes les guerres menées depuis l’Afghanistan ont été des échecs sur le plan politique, sans exception. Le terrorisme de Daesh nous l’avons en grande partie nous-mêmes enfanté, de guerres en guerres, par le cycle de la surenchère, en cristallisant les oppositions. Les guerres que nous menons là-bas sont non seulement inefficaces, mais dangereuses, car le monde arabo-musulman est traversé de crises, de blessures et meurtri sur bien des plans, notamment sur le plan socio-économique, à cause de la rente pétrolière, de la corruption, des inégalités, de la paupérisation des classes moyennes, dont sont issues bon nombre de djihadistes. Notre attitude au Moyen orient ne fait qu’alimenter un processus de destruction qui se retourne contre nous. / En d’autres termes, il lançait une sorte d’avertissement : Si nous nous engageons militairement, nous finirons par récolter les fruits du désordre que nous semons !
[4] N’oublions pas ces paroles de Gandhi :
« Nul être humain n’est assez parfait pour avoir droit de tuer celui qu’il considère à tort comme entièrement mauvais » (Extr. Lettres à l’ashram, Gandhi)
« Tous les hommes sont frères et aucun être humain ne devrait nous être étranger, le bien de tous devrait être notre but. Dieu est le lien commun qui unit tous les êtres humains. Briser ce lien, même s'il s'agit de notre plus grand ennemi, c'est écarteler Dieu. Il y a de l'humanité même dans le plus pervers » (extr. Tous les hommes sont frères, Gandhi)

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Lectures bibliques dimanche 22 novembre 2015

Rm 12, 12-21
Soyez joyeux dans l’espérance, patients dans la détresse, persévérants dans la prière. 13Soyez solidaires des saints dans le besoin, exercez l’hospitalité avec empressement. 14Bénissez ceux qui vous persécutent ; bénissez et ne maudissez pas. 15Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. 16Soyez bien d’accord entre vous : n’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble. Ne vous prenez pas pour des sages. 17Ne rendez à personne le mal pour le mal ; ayez à cœur de faire le bien devant tous les hommes. 18S’il est possible, pour autant que cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes. 19Ne vous vengez pas vous-mêmes, mes bien-aimés, mais laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit : A moi la vengeance, c’est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur. 20Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire, car, ce faisant, tu amasseras des charbons ardents sur sa tête. 21Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien.

Lc 6, 36-42
« Soyez Compatissants (généreux) comme votre Père est compatissant (généreux). 37Ne vous posez pas en juges et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, acquittez et vous serez acquittés. 38Donnez et on vous donnera ; c’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante qu’on vous versera dans le pan de votre vêtement, car c’est la mesure dont vous vous servez qui servira aussi de mesure pour vous. »

39Il leur dit aussi une parabole : « Un aveugle peut-il guider un aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou ? 40Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, mais tout disciple bien formé sera comme son maître.

41« Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? 42Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, attends. Que j’ôte la paille qui est dans ton œil”, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Homme au jugement perverti, ôte d’abord la poutre de ton œil ! et alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère.

Autres passages bibliques :

« Ce que l’homme sème, il le récoltera » (Ga 6,7).

« Ne jalouse pas le violent et n’adopte aucun de ses procédés » (Prov 3, 31)

« N'excite pas les gens sans foi ni loi,
ce serait allumer un feu auquel tu pourrais te brûler. […]
N’entre pas en conflit avec le violent,
ne l'accompagne pas dans un endroit désert,
Car à ses yeux le sang versé compte pour rien,
là où tu ne pourras appeler à l’aide, il se jettera sur toi. » (Sir 8, 10.16)

« Ne rendez à personne le mal pour le mal. Efforcez-vous de faire ce qui est bien devant tous. […] Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. » (Romains 12, 17.21)

« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes [d’abord] pour eux » (Mt 7,12)

« Donnez et il vous sera donné » (Lc 6,38)

« Heureux ceux qui font œuvre de paix, ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9)

& une citation de Martin Luther King :
« L’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité : seule la lumière le peut. La haine ne peut pas chasser la haine : seul l’amour le peut. »

dimanche 8 novembre 2015

Mt 21, 33-46

Mt 21, 33-46 (La parabole des vignerons révoltés)

Lectures bibliques : Lc 12, 22.23. 31-32 ; Mt 21, 33-46
Thématique : un Royaume donné… pour en partager les fruits
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 08/11/15.

Cette parabole se trouve dans un contexte particulier : celui d’un dialogue entre des religieux juifs (grands prêtres et anciens du peuples, v.23) et Jésus.

La parabole nous livre plusieurs informations :

1) En premier lieu, comme dans toute parabole, il faut essayer de décrypter qui est qui (?) Il faut tenter de comprendre ce qui se cache derrière l’image de la vigne.

Dans le livre d’Esaïe (Es 5), la vigne symbolise la maison d’Israël (cf. Es 5,7), c’est-à-dire le peule qui appartient à Dieu… qui est, d’une certaine manière, son bien, sa propriété. On parle donc à propos d’Israël de « peuple élu », choisi par Dieu pour manifester son alliance avec les humains.

Ici, Jésus reprend du prophète Isaïe le thème de la vigne à la fois choyée par son propriétaire mais décevante quant à ses fruits. Mais, il en change le sens et ajoute des personnages : les vignerons.
La vigne ne renvoie plus à un peuple, mais au bien qui est confié à ce peuple pour qu’il produise des fruits. Ce bien, c’est le Royaume de Dieu (v.43).[1]

La parabole nous apprend purement et simplement que Dieu confie aux Croyants – et non plus aux seuls Juifs – son Royaume, son règne de justice et d’amour. C’est là la vigne, l’héritage offert aux humains.

Bien évidemment, il n’est pas facile en quelques mots de définir cette vigne, ce royaume de Dieu qui est confié aux croyants.
Que peut-on dire du royaume de Dieu ?

Les évangiles en parlent de différentes façons :

Dans l’évangile de Luc, par exemple, Jésus dit à ses disciples que le royaume est à leur portée… parmi eux… en eux (cf. Lc 17, 21). Ce qui semble indiquer qu’il y a en nous une réalité spirituelle qui appartient à Dieu.
Le royaume, c’est le territoire privilégié qui appartient au roi : Il y aurait donc quelque chose en nous qui relèverait du domaine spirituel, pour ne pas dire « divin »… une réalité qui relèverait de Dieu, de la conscience divine.

Bien souvent dans les paraboles, le royaume n’est pas un lieu déterminé ou un paradis post-mortem, c’est une réalité offerte… à accueillir dans le présent de notre vie.
Le royaume de Dieu est présent là où l’Esprit de Dieu est présent et accueilli, là où règne la force de l’amour en nous et autour de nous.

Recevoir le Royaume… Entrer dans le royaume, le monde nouveau de Dieu… c’est entrer dans la nouvelle mentalité que Jésus nous invite à vivre : avant tout apprendre à vivre dans la confiance et la gratuité… vivre toutes les relations, avec les autres et avec nous-même, dans la justesse et la justice.

Prendre part au royaume de Dieu, c’est d’abord laisser l’amour de Dieu régner en nous… c’est ensuite essayer de vivre cette réalité au quotidien dans notre existence : c’est vivre le partage, le pardon, la paix, la justice… c’est agir en aimant les autres, comme Dieu aime les humains. C’est un éveil et une élévation de notre conscience… imprégnée de la conscience divine.

On pourrait dire, en reprenant les mots de l’apôtre Paul, que le Royaume est présent là où l’on en voit les fruits. Les fruits de l’Esprit ce sont « l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la foi, la douceur, la maîtrise de soi » (Ga 5,22). C’est tout ce qui est produit de bon, là où le souffle de Dieu est accueilli… là où il vient transformer les personnes et les situations.

Dans l’évangile selon Luc, il y a aussi un passage où Jésus appelle ses disciples à ne pas s’inquiéter pour la nourriture ou le vêtement, à lâcher les soucis matériels, pour se concentrer sur la recherche du royaume de Dieu ici et maintenant… pour vivre de la grâce de Dieu.
Le passage se conclut par les mots que nous avons entendus : « sois sans crainte, petit troupeau, car le Père a trouvé bon de vous donner le Royaume » (Lc 12,32)

Cette affirmation correspond exactement à ce que Jésus affirme en conclusion de la parabole : « le royaume de Dieu [qui vous avait été confié, à vous les prêtres, les anciens, les responsables de la maison d’Israël] vous sera enlevé, et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits »… sous-entendu, il sera confié à d’autres, à la génération nouvelle des croyants, à ceux qui sont susceptibles d’accueillir le Royaume et de le partager avec d’autres.

Il faut se méfier ici de la manière dont on comprend cette conclusion. Il ne s’agit surtout pas de se faire l’écho d’une sorte d’anti-judaïsme primaire, mais d’observer que cette parabole aboutit à une sorte de jugement à l’encontre des responsables religieux de l’époque de Jésus (grands prêtres, [scribes] et anciens, qui formaient l’assemblée du Sanhédrin, c’est-à-dire l’organe suprême de l’institution religieuse d’Israël)[2]. La parabole révèle leur incapacité à partager les fruits que Dieu leur a permis d’obtenir, en leur confiant sa vigne, c’est-à-dire son royaume : sa présence, ses dons, sa Parole, son Esprit.

A travers cette parabole, Jésus explique pourquoi le royaume sera ainsi confié à d’autres, car les premiers ont refusé de partager les fruits de l’héritage. C’est cela qui leur est reproché : de garder pour eux les fruits de la vigne, sans en faire profiter autrui.

Autrement dit, Jésus s’en prend directement à l’institution religieuse de son temps qu’il disqualifie. Il l’accuse de se comporter en propriétaire des choses de Dieu, de son Royaume… de s’être arrogé un véritable monopole en ce domaine. Pour lui, l’institution religieuse n’est plus vraiment là pour servir Dieu, mais pour se servir elle-même de Dieu. Elle se comporte comme si elle se prenait pour Dieu lui-même. Elle ne cherche en réalité qu’à défendre ses propres intérêts. Elle agit comme un escroc… à la manière de ces vignerons.

* Pour y voir plus clair… je vous propose de prendre quelques instants pour relire le texte :

Le propriétaire – sans doute une image de Dieu – fait confiance aux hommes et donne sa vigne, son bien, son héritage, en gérance, en fermage, à des vignerons – qui représentent vraisemblablement ici les responsables religieux juifs de l’époque de Jésus.

Première surprise du récit : au moment de la récolte, les vignerons refusent de partager les fruits de la vigne. Ils s’accaparent, pour eux seuls, les biens que le maître leur avait confiés. Ils ne se comportent pas en gérants, mais en propriétaires. Ils entendent confisquer les fruits et se refusent à tout partage.
Cette attitude égocentrique de convoitise est mise en perspective par l’envoi des serviteurs du maître – sans doute une image des prophètes envoyés par Dieu – qui non seulement ne sont pas accueillis ni entendus par les métayers, mais qui, de surcroit, sont maltraités et tués.

Après avoir missionné, sans succès, plusieurs vagues de serviteurs (c’est-à-dire de prophètes, de porte-parole de Dieu) le propriétaire continue – contre toute espérance (Rm 4,18) – d’espérer encore, et de faire confiance aux hommes. Il se résout même à envoyer son propre fils – sans doute une image du Christ – pour faire entendre les vignerons et les appeler une dernière fois au partage des fruits de la vigne. Mais, rien n’y fait. Loin de le respecter, ils décident de tuer le fils, pour s’emparer définitivement de l’héritage (v.38).

Deuxième surprise : S’ils agissent ainsi, c’est qu’ils pensent que le propriétaire – Dieu – est loin, peut-être à l’étranger, ou carrément mort… Ils imaginent que leur geste meurtrier aura non seulement des conséquences profitables en terme de transfert de propriété, mais qu’il n’aura aucune conséquence pénale fâcheuse.
C’est, d’une certaine manière, qu’ils se considèrent eux-mêmes comme les héritiers exclusifs de la vigne. Ils s’autoproclament « propriétaires ». Ils se prennent pour Dieu.

En effet, le geste de tuer le fils n’est pas seulement symbolique. Il est historique si on pense à la mort annoncée de Jésus, mais il est aussi juridique. Si les vignerons pensent que le maître est mort, en tuant l’héritier, ils imaginent que la vigne restera en leur possession.

Le droit palestinien de cette époque stipulait que l'héritage dont on n'a pas pris possession dans un certain laps de temps appartient au premier occupant. En tuant le fils, ils prétendent donc prendre la place du père, du propriétaire… donc de Dieu.

* Jésus quitte alors quelques instants l’image développée par la parabole et interroge ses auditeurs sur le comportement à adopter vis-à-vis de ces vignerons.
Les auditeurs se révèlent sans pitié : ils préconisent la mort des métayers infidèles et injustes, et proposent de confier le fermage à d’autres vignerons.

Par cette parabole, Jésus prend ses auditeurs à témoin. Il dévoile la gravité de leur faute. D’une certaine manière, les prêtres et les anciens annoncent – sans le comprendre encore – leur propre jugement et le verdict, le châtiment qu’ils devraient mériter pour s’être comportés comme ces vignerons escrocs et assassins.

Mais la sentence annoncée par Jésus est plus clémente que celle imaginée par ses interlocuteurs. Il ne parle pas de punir les vignerons – Dieu ne punit pas – mais il préconise de confier la vigne – le royaume – à d’autres vignerons plus fidèles… d’autres croyants capables de partager les fruits du royaume avec d’autres.

Les prêtres et les pharisiens comprennent alors que Jésus vient de les comparer aux métayers révoltés de la parabole. Il les a amené à condamner leur propre comportement.

Pour autant, ici, les religieux ne se remettent pas en question. Il n’ont qu’une intention : mettre la main sur le gêneur et faire périr celui qui vient dévoiler la vérité.

2) La deuxième information que cette parabole nous livre est donc capitale : Dieu confie aux croyants sa vigne, son Royaume, mais il en attend « des fruits »… il attend des gérants de son royaume… auxquels il fait confiance… qu’ils sachent partager les fruits, sans les garder pour eux seuls.

Cette information doit nous interpeller. Dans la perspective de l’évangéliste Matthieu, il est clair que la vocation d’Israël était de produire de bons fruits et de les partager avec d’autres, pour inviter les autres nations à se tourner vers l’Eternel. Or, avec le temps, les responsables religieux Juifs se sont accaparés la récolte à leur profit, au lieu de transmettre et de partager l’héritage. Ils ont refusé d’entendre le maître de la vigne, c’est-à-dire Dieu, et ont fini par se révolter contre lui, en maltraitant ses prophètes et son Messie, son fils.
La conclusion de Matthieu, c’est que cet héritage sera confié à d’autres, à la génération nouvelle des croyants.

Dès lors que nous entendons cette parabole, une question se pose à nous, qui sommes au bénéfice de cette vigne. Si nous sommes cette génération nouvelle des croyants, ceux qui souhaitent écouter son fils… sommes-nous plus fidèles que les premiers vignerons ? Je veux dire par là, avons-nous réellement conscience que Dieu nous confie son Royaume ?... et qu’il nous invite à en partager les fruits ?... sans les garder pour nous.

Posons-nous humblement la question : l’Eglise du Christ qui est lieu où l’enseignement de Jésus est normalement reçu, où la possibilité du règne de Dieu – du monde nouveau que Dieu propose à l’homme : d’amour, de paix, de justice – trouve un certain écho… cette église, à laquelle nous participons, produit-elle des fruits ?  Si oui, lesquels ? Et ces fruits les partage-t-elle avec d’autres ?

Il me semble que cette parabole nous invite à une véritable prise de conscience : réaliser à quel point Dieu nous aime et nous offre tous ses dons (son amour, sa grâce, sa paix, sa volonté de justice, sa joie, sa confiance…) pour que son règne devienne effectif en nous et dans notre monde.
Dire que Dieu nous donne son royaume, nous confie ses biens, ce n’est pas rien : c’est une bonne nouvelle. Nous sommes au bénéfice de la grâce, de l’amour de Dieu, de la vie, de la lumière, de sa Parole, de son souffle. Tout cela nous est donné. Dès lors, nous devenons les gérants de son royaume.

Cette bonne nouvelle s’accompagne donc d’une prise de conscience de notre responsabilité. Si toutes ces bonnes choses essentielles nous sont données, nous sommes appelées à nous les approprier, à les cultiver, à en prendre soin et à les utiliser, à les mettre en pratique, pour obtenir des fruits… pour, finalement, partager ses fruits avec d’autres.

Il me semble que ce que Jésus reproche avant tout à ses auditeurs à l’image des vignerons, c’est leur égoïsme et leur convoitise, c’est d’avoir accaparé les fruits de la vigne, les bénédictions de Dieu, pour leur seul usage.

Auditeurs de cette parole, 2000 ans plus tard, cela nous place face à la même question : Laissons-nous réellement Dieu régner dans nos cœurs et dans nos vies ? et que faisons-nous des bénédictions reçues ? Savons-nous et osons-nous les partager ?

Je vous laisse avec ces questions qui concernent chacun d’entre nous.

* Pour conclure cette méditation, je voudrais m’arrêter avec vous un instant sur l’image de la vigne, développée à plusieurs reprises dans la Bible.

On a dit que « la vigne » symbolise ici « le royaume de Dieu »… c’est-à-dire le don que Dieu nous offre… le « lieu », le « territoire » où son amour et sa justice sont présents et agissants.

Toutefois, ce qui est mis en avant dans cette parabole, ce n’est pas la vigne en elle-même, mais ce sont « les fruits » de la vigne (le mot revient 4 fois). Si Dieu nous confie sa vigne, c’est pour produire des fruits et les partager. C’est d’ailleurs bien ce qui donne sens à notre vie : utiliser nos talents, cultiver la vigne, produire du fruit, pour en profiter et pour les donner aux autres, pour les offrir et les transmettre.

Je dirai que c’est là notre vocation d’enfants de Dieu : accepter les dons que nous avons reçus dans la vie, savoir les utiliser et les développer, pour transmettre la vie autour de nous, pour donner aux autres et au monde le meilleur de nous-mêmes, notamment en terme de réalités humaines, relationnelles et spirituelles. Car, là, en ce domaine – quelle que soit notre situation matérielle – nous pouvons toujours apporter de la fraternité, de l’amitié, de la paix, de la joie autour de nous. Quelle que soit notre situation financière ou économique (dont on parle tant… et dont on se préoccupe si souvent), nous pouvons toujours donner de nous-mêmes, de notre cœur, de notre amour aux autres… que ce soit dans notre famille, au travail, dans les associations dans lesquelles nous agissons, dans notre maison de retraite (si tel est le cas) ou même à notre voisin et à tous ceux que nous rencontrons.

Et puisqu’il s’agit ici d’une vigne, il s’agit de cultiver du raisin, pour produire du vin.
Or le vin dans la Bible, c’est le symbole de la joie et de la fête… un peu comme le champagne aujourd’hui !
Voilà donc ce que Dieu attend de nous : que nous apportions dans notre monde de pleines grappes de joie, de bonheur et de bien-être. Cela, pour nous, bien sûr, mais aussi pour l’offrir à d’autres… car le vrai bonheur n’est pas égocentrique ; il se conjugue toujours au pluriel.
C’est là, au fond, une vocation merveilleuse. C’est le sens que nous devons donner à notre vie : être des porteurs de joie.

Cet idéal a l’avantage d’être très concret : Apporter de la joie au monde, faire plaisir, donner du bonheur, c’est un programme tout à fait facile à comprendre, et sans doute essentiel, pour mener une vie heureuse et épanouie.

C’était d’une certaine manière la préoccupation d’une petite femme appelée mère Térésa. Elle avait pour dicton : « que personne ne vienne à vous sans repartir meilleur et plus joyeux ».

Cela pourrait bien être un programme pour chacun d’entre nous… pour notre église, bien sûr… mais aussi pour notre vie personnelle, à travers toutes les relations que nous entretenons avec les autres :

« Sachez partagez les fruits de la vigne que Dieu vous offre »

« Soyez bons et miséricordieux – disait Mère Térésa – Que personne ne vienne à vous sans repartir meilleur et plus joyeux. Soyez la vivante expression de la bonté de Dieu. Bonté sur votre visage, bonté dans vos yeux, bonté dans votre sourire, bonté dans votre accueil plein de chaleur. »

Amen.


[1] Au v.41, la « vigne » est enlevée de ceux qui ne rapportent pas de fruit, puis confiée à ceux qui en produiront. Au v.43, le « royaume de Dieu » est retiré de ceux qui ne produisent pas de fruit pour être donné à ceux qui en rapporteront. Le mot « vigne » au v. 41 qui est remplacé par l'expression « royaume de Dieu » au v. 43. Les mots « vignes » et « royaume de Dieu » semblent synonymes. La vigne que le propriétaire a plantée est donc le royaume de Dieu.
[2] cf. v.23 / Matthieu rajoute les Pharisiens v.45.