dimanche 18 octobre 2015

Mt 13, 24-30

Mt 13, 24-30 / Lc 13, 6-9

Lectures bibliques : Mt 7, 15-20 ; Mt 13, 24-30 ; Lc 13, 6-9
Thématique : produire ce qui est bon, sans arracher ce qui est mauvais / sortir de la dualité
Prédication de Pascal LEFEBVRE [1] / Marmande, 18/10/15

* On trouve, dans le chapitre 13 de l’évangile selon Matthieu, toute une série de paraboles dites « paraboles du Royaume ». A travers des récits imagés tirés du monde agricole, par des comparaisons, Jésus montre que les hommes n’ont pas à chercher le Royaume dans l’avenir ou dans un au-delà ; il est déjà là, accessible, à leur portée… à notre portée, pour autant que nous nous ouvrions à la dimension spirituelle de la vie, présente en nous et dans le monde… pour autant que nous prenions conscience et accueillons la présence du souffle de Dieu, l’Un, le Vivant, la source de l’Etre, à la fois dans notre intériorité et dans les êtres que nous rencontrons.

Puisque Dieu est amour, Jésus nous appelle à discerner cette force de vie, de bonté et d’amour en nous et autour de nous, et à la laisser croître.

Ces paraboles sont très riches en métaphores, car évidemment on ne peut parler du Royaume des cieux, du règne de Dieu, qu’avec des images propres à toucher les cœurs et à les faire bouger.
Je vous propose d’en examiner une, ce matin… dont nous approfondirons l’interprétation grâce à une autre parabole de l’évangile de Luc.

* La parabole de l’ivraie peut recevoir différentes interprétations :

- La première concerne la communauté ou même plus largement le monde. C’est le champ de Dieu. Le monde est une réalité plurielle, comme on le sait tous. On y trouve du bon grain comme du mauvais. Face à cette réalité, le maître nous invite à la patience et à l’humilité.

D’une part, on ne peut pas arracher le mauvais, sous peine d’arracher également le bon. Il faut attendre que la semence vienne à maturité pour en distinguer les fruits et les récolter.
D’autre part, nous n’avons pas à occuper le rôle de juge de l’autre. Le tri se fera de lui-même au moment de la moisson.
Si effectivement « l’homme récolte ce qu’il sème » comme l’affirme, par exemple, Paul dans son épître aux Galates (cf. Ga 6, 7-9), on finira par reconnaître l’arbre à ses fruits, comme le souligne également Jésus, dans son sermon sur la montagne (Mt 7, 16-20).

Il est donc tout à fait possible que Jésus adresse, avec cette parabole, un message aux rigoristes ou aux Pharisiens de son temps. Il y avait, parmi les Juifs pieux, des croyants très attachés aux règles de pureté. Tous les pécheurs devaient être écartés ou expulsés de la communauté. Or, Jésus – on le sait – s’oppose à cette rigueur. Toute communauté sera toujours composée de bons grains et de mauvaises herbes mêlées. Il faut laisser à chacun la possibilité de se convertir et de croitre selon l’orientation de son cœur.

Jésus mentionne l’ivraie qui ressemble beaucoup au blé, sauf que ses grains sont noirs. Le terme grec – zizania – (qui a donner zizanie / semer la zizanie) dérive de l’hébreu rabbinique zun-zunim qui est vient de la racine du verbe (znh) : se prostituer. Cela reflète peut-être l’idée que l’ivraie est comme du blé dégénéré, abâtardi.

Quoi qu’il en soit, la réponse du maitre fait comprendre aux serviteurs que celui qui sarcle ou extirpe trop tôt l’ivraie arrache souvent, en même temps, le bon grain, parce que leurs racines sont entremêlées.
Quand on attend le temps de la récolte, on peut mieux les distinguer. « C’est pourquoi, en Palestine [à l’époque de Jésus], on laissait une partie l’ivraie pousser jusqu’à la moisson ; c’est le moissonneur qui, en coupant les épis, laissait tomber l’ivraie pour qu’elle ne soit pas mise dans la gerbe » (cf. Meinrad Limbeck).

Ainsi, tout comme le moissonneur, la communauté doit laisser grandir ensemble les bons et les méchants, qu’il n’est pas de sont ressort d’extirper.
En réalité, le tri se fera tout seul, à la fin, au moment de la récolte. Ce n’est pas aux hommes qu’il revient de juger.

- La deuxième interprétation possible de cette parabole revient à considérer le champ comme une image de ce qui se joue en nous-mêmes, dans notre intériorité.
Nous sommes le champ dans lequel le Christ sème du bon grain, sa Parole et son Esprit, mais aussi où d’autres peuvent semer, à notre insu, de mauvaises herbes.

Dans cette lecture possible, le champ c’est l’esprit humain. La nuit, pendant que nous sommes plongés dans l’inconscience du sommeil, c’est-à-dire indépendamment de notre volonté, un homme ennemi sème la mauvaise herbe. Cet ennemi n’est pas identifié : Dans la réalité, nous savons bien que nous subissons beaucoup d’influences différentes et parfois contradictoires : notre entourage, notre famille, nos collègues, nos voisins, les médias, la télévision, les informations, Internet, etc…. il y a peut-être là quelques pensées – pas toujours bonnes – qui s’instillent inconsciemment en nous.
Revenu à la conscience, dans un moment de lucidité, de discernement, nous constatons que, dans notre champ, l’ivraie pousse mêlée au blé.

Si nous voulions arracher l’ivraie, nous arracherions aussi le bon grain, et plus rien ne pousserait. Ce qui signifie que nous ne devons pas nous fixer sur une impossible perfection, car le prix du perfectionnisme, c’est la stérilité : il n’y a plus rien à récolter.

Il est vrai que nous ne devons pas non plus laisser libre cours à nos mauvais penchants et laisser foisonner la mauvaise herbe ; il faut l’observer, éventuellement la couper, mais nous ne pouvons pas l’arracher totalement.

Nous voudrions être intégralement bons, et éliminer de notre esprit tout ce qui est imparfait ou ce que nous avons du mal à accepter en nous-mêmes (nos failles, nos limites, nos faiblesses, nos défauts, etc.). Mais en agissant ainsi, nous risquerions de devenir stériles.

La fécondité de notre vie ne se mesure pas à l’aune de notre perfection. Elle n’est jamais l’expression d’une existence absolument parfaite : Ceux que nous estimons avoir été des personnages importants ou charismatiques (Gandhi, Martin Luther King, L’abbé Pierre ou d’autres) avaient sans doute bien des défauts. Même Jésus (que la dogmatique traditionnelle présente comme un homme sans péché) a pu faire preuve de colère en chassant avec violence les marchands du temple ou en maudissant un figuier qui ne donnait pas de fruits.
La fécondité de la vie découle de la confiance que ce qui est bon – le froment – est plus résistant que l’ivraie et que celle-ci sera écartée lors de la moisson.

En fait, il faut beaucoup de sérénité pour laisser pousser en nous ce qu’il y a de bon et de mauvais. Et il faut être libérés de l’obsession de devoir porter sans cesse des jugements de valeur (sur soi ou sur les autres).
Laissons donc pousser le tout, en essayant de favoriser au maximum la croissance de la bonne semence en nous, et remettons le jugement aux mains de l’Eternel, le maître de la moisson, qui saura conserver ce qui est bon, notre meilleure part.

En d’autres termes, dans tout ce que nous faisons, soyons toujours conscients de la présence du souffle de Dieu et soyons disponibles à son Esprit. Mais, en toute humilité, sachons aussi que des arrière-pensées, des mauvaises semences, se glissent aussi parfois dans notre esprit.
Tant que nous vivons, l’ivraie croît avec le bon grain sur le champ de notre esprit. C’est un fait ! Que cette réalité qui brise notre orgueil nous ouvre à l’humilité et qu’elle nous préserve de toute intransigeance avec nous-mêmes et avec les autres.

C’est donc – en quelque sorte une parabole de la patience et de la miséricorde que Jésus nous offre ici : c’est l’image du Royaume dans lequel il nous invite à entrer.
Possibilité de conversion, magnanimité, patience et pardon vis-à-vis de nous-mêmes et des autres. Non pas juger, mais patienter dans l’espérance et la confiance.

* Avant de porter notre attention sur l’autre parabole que nous avons entendue, je voulais encore vous faire partager la lecture de cette parabole dans l’évangile apocryphe de Thomas : LOGION 57

« Jésus disait :
Le Royaume du Père est comparable à un homme qui avait une bonne semence.
Son ennemi vint de nuit, sema de l’ivraie parmi la bonne semence,
l'homme ne les laissa pas arracher l'ivraie, de peur, dit-il, que vous n'arrachiez le blé avec elle.
En effet, au jour de la moisson, l'ivraie apparaîtra. On l’arrachera. Elle sera consumée. »

Voici le bref commentaire du théologien Jean-Yves Leloup :

« Jésus propose ici à l'égard du mal, de ce qui sème la « zizanie » en nous (l’ivraie : zizanion en grec), une attitude non duelle. Ne pas l'arracher, de peur d'arracher en même temps le bon grain.
Qui juge ? Le bien et le mal sont souvent étroitement mêlés.
Vous êtes agressif, violent, c'est un mal et, pourtant, il ne faut pas arracher la force... Avec la même énergie, on peut assommer quelqu'un ou lui porter ses valises.
Vous êtes hypocrite, c'est un mal, et pourtant il ne faut pas arracher l'habileté, l'intelligence... Avec la même finesse, on peut tromper quelqu'un ou au contraire l'éclairer.
Il faut accepter en nous cette ambiguïté originelle. Ce qui importe, c'est l'orientation du cœur qui fera mûrir nos actes du côté de l'ivraie ou du côté du bon grain.
L'important, c'est de mêler à toutes choses de l'intelligence et de la bonté. Le reste disparaîtra. Nos grimaces seront « brûlées » par la beauté de notre visage. »

* Pour poursuivre notre méditation, je vous propose de nous pencher maintenant sur la parabole du figuier stérile, qui est aussi une parabole de la patience et de la miséricorde.

Dans cette courte histoire, ce qui motive l’homme qui vient voir son figuier planté dans sa vigne, ce sont les fruits. Il vient contempler sa récolte. Or, il ne trouve aucun fruit sur l’arbre.

On peut penser ici que l’homme de la parabole figure Dieu. Dieu attend quelque chose de nous, que notre vie donne de bons fruits : d’amour, de bonté, de pardon, de grâce, de confiance, de douceur, (comme Paul parle des « fruits de l’esprit » en Gal. 5, 22).
Ces fruits, ils ne sont pas seulement pour nous, mais aussi pour les autres, comme le rappelle la parabole des vignerons (Mt 21, 33ss).

Cette idée que Dieu a un projet pour l’humanité… qu’il attend quelque chose de nous – que le figuier symbolise l’ensemble des croyants, l’Eglise, ou simplement chacun d’entre nous, individuellement – n’est pas à négliger. Car, il y a quelque chose de juste dans cette image. Jésus l’affirme dans son sermon sur la montagne, c’est aux fruits qu’on reconnaît un arbre. Tout bon arbre produit de bons fruits (cf. Mt 7, 15-20).

Ce qui donne de la valeur à notre existence, ce n’est pas ce que nous gardons pour nous… ce n’est pas nos satisfactions personnelles et égocentriques… mais ce que nous donnons aux autres, ce que notre vie produit de positif, en terme de don, d’amour, de bien, pour nos frères et nos sœurs, pour notre prochain, pour le monde.

Si un arbre ne porte jamais de fruit, il perd sa raison d’être.
Si nous sommes incapables de donner aux autres, nous finirons par nous dessécher pour mourir tout seuls… comme le figuier stérile ou l’ivraie qui sera consumée.
Si toute notre vie est tournée vers notre seule satisfaction personnelle, vers l’expression des pulsions de notre égo ou, différemment, si elle est réduite à une obéissance servile à des principes rigoureux et sclérosants, finalement, nous ne laisserons rien derrière nous… aucun fruit pour les autres.

Les images employées par Jésus nous rappellent encore une fois que la valeur de notre vie est liée à ce que nous donnons dans cette vie… et que l’entrée dans le Royaume – dans le règne de Dieu – nous conduira inévitablement – à produire de bons fruits.

A bien y réfléchir… il est tout à fait légitime que le propriétaire, qui offre la vie, le soleil, la terre et l’eau à son figuier, en attende du fruit. N’importe quel agriculteur souhaite obtenir des fruits de son verger. Même si, dans les faits, on sait qu’un figuier doit devenir adulte – et donc qu’il faut un certain nombre d’années – pour qu’il puisse porter du fruit de façon conséquente.

De la même manière, nous avons besoin de temps pour grandir et murir… pour que notre foi devienne productive. C’est un travail en profondeur qui se fait dans notre intériorité, quand nous éveillons et élevons peu à peu notre conscience, quand nous méditons, quand nous nourrissons notre foi et l’entretenons… un travail qui finit par donner - sans qu’on s’en rende forcément compte - quelque chose d’extraordinaire dans notre vie… qui finira bien fructifier au moment propice.

Mais, en attendant… dans la parabole, c’est là qu’intervient un autre personnage, le vigneron, qui intercède… qui invite le maître a davantage de patience.
Ce personnage – est-ce une figure du Christ ? – ne perd pas espoir. Il propose au propriétaire de la vigne d’attendre encore une année, le temps que l’arbre fructifie enfin.

Pour ce faire, il veut donner au figuier toutes les chances de devenir productif : il propose de bécher autour de l’arbre et de mettre du fumier.
L’image indique que le vigneron est particulièrement attentionné vis-à-vis de son figuier… qu’il veut faire le maximum pour favoriser sa croissance et sa fructification. Il projette de bêcher, de creuser autour (c’est bien de creuser, d’apprendre à voir les choses plus en profondeur, de prendre soin de nos racines). Il veut aussi mettre du « fumier » au pied.

Ce fumier : on peut le comprendre comme un bon engrais, comme la grâce, l’amour et le pardon que Dieu nous donne sans cesse, qui peuvent remplir nos cœurs de reconnaissance et de grâce, nous amenant à nous tourner vers les autres pour leur donner aussi.

Mais le fumier, en fait, ce n’est que de l’excrément, et le mot est plutôt négatif en général dans la Bible. Cela pourrait vouloir dire que Dieu met à nos pieds les misères du monde. Il nous fait voir les difficultés et les épreuves des personnes qui nous entourent. C’est en voyant d’autres qui souffrent, peut être plus que nous, d’autres qui ont besoin d’aide, de soin, d’attention que nous pouvons prendre conscience et comprendre qu’il importe que nous les aidions, que nous donnions ainsi du fruit, et que nous ne nous préoccupions pas seulement de nous-mêmes.

Ce que nous considérons comme du fumier, ce peut être aussi nos échecs, ce qui en nous est apparu comme vain ou dérisoire, ce qui est peu glorieux. Tout cela est certes à dépasser et à éliminer. Mais cela peut aussi préparer le sol pour permettre à notre arbre de vie de grandir autrement et de fleurir dans la nouveauté.

* Qu’il s’agisse de la bonne semence qui doit donner du blé, malgré la présence de l’ivraie, ou du figuier qui est appelé à produire des fruits, dans les deux cas, il s’agit de patienter, de croitre et de fructifier en vue de la récolte.

En d’autres termes, le royaume nous parle d’une dynamique de croissance et de fructification – et non de perfection.
Pour produire de bons fruits, Jésus nous appelle à devenir de bons arbres… en dépassant les préoccupations et les impulsions de notre égo… en ouvrant notre esprit, notre âme à la présence de Dieu qui fait croitre la bonté en nous.

Si ces paraboles nous montrent que Dieu a une attente à notre égard, elles nous montrent également qu’il nous fait une infinie confiance, et qu’il ne nous laisse pas seuls, sans ressources.
D’une certaine manière, ces paraboles sonnent comme un appel. Dieu fait de nous des co-créateurs de notre réalité, pour construire un monde le meilleur possible dans la réalité matérielle qu’il nous a confiée.

Si nous sommes le champ de Dieu ou son figuier, cela veut dire que nous sommes aussi son terrain d’action spirituel, le lieu où il plante sa Parole, son amour et sa grâce, le lieu où il souffle son Esprit, pour que nous donnions de bons fruits, pour le monde, pour les autres et pour nous.

Au delà de notre réalité matérielle et visible, il faut donc garder en mémoire la réalité spirituelle à laquelle nous appartenons… qui est à la fois en nous et au-delà de nous… ce règne de Dieu dans le quel Jésus nous appelle à entrer… en ouvrant notre cœur, en accédant à notre âme – notre vrai Soi – créée à l’image de Dieu… C’est cette réalité qu’il nous invite à laisser croître, pour produire des fruits bons et abondants.

Amen.




[1] Bibliographie : Cette prédication s’inspire de différentes sources :
-       Anselm Grün, Jésus, Le maître du salut, Evangile de Matthieu, éd. Bayard
-       Alberto Mello, Evangile selon Matthieu, Cerf, Lectio Divina
-       Jean-Yves Leloup, L’évangile de Thomas, Albin Michel, Spiritualités vivantes
-       Une prédication de Louis Pernot : http://www.eretoile.org/Predications/paraboles-agricoles-de-jesus.html

dimanche 11 octobre 2015

Mt 10

Mt 10
Lecture commentée de l’évangile selon Matthieu - Chapitre 10
(Largement inspirée d’un commentaire de Anselm Grün)
Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 11/10/15

Mt 10, 1-8 : 1Ayant fait venir ses douze disciples, Jésus leur donna autorité sur les esprits impurs, pour qu’ils les chassent et qu’ils guérissent toute maladie et toute infirmité.

2Voici les noms des douze apôtres. Le premier, Simon, que l’on appelle Pierre, et André, son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; 3Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le collecteur d’impôts ; Jacques, fils d’Alphée et Thaddée ; 4Simon le zélote et Judas Iscariote, celui-là même qui le livra.

5Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Ne prenez pas le chemin des païens et n’entrez pas dans une ville de Samaritains ; 6allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. 7En chemin, proclamez que le Règne des cieux s’est approché. 8Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ».

* Après le sermon sur la montagne et des récits de guérisons, le deuxième grand discours de Jésus est adressé à ses disciples. Bien évidemment, en tant que Chrétiens, disciples du Christ, 2000 ans plus tard, cet envoi en mission nous concerne également.

- Première remarque au sujet des disciples : Il n’y a pas d’aptitudes personnelles à avoir, pas de compétences particulières, pour devenir « disciple ». Jésus a choisi des hommes extrêmement différents qu’il a réussi à rassembler et à faire vivre ensemble en paix au service d’une même mission : Juifs et Grecs (trois d’entre eux portent des nom grecs), publicains (c’est-à-dire, collecteurs d’impôts, ralliés à Rome), zélotes (partisans anti-romains), pêcheurs pauvres et riches (Simon et André sont de simples pêcheurs, Jacques et Jean travaillent dans une entreprise (cf. Mt 4, 18-22)).
Cette aptitude qu’avait Jésus de rassembler des êtres aussi différents, en vue d’une action commune, nous en avons aussi besoin dans notre Eglise. L’Eglise n’est pas un club qui rassemble des gens qui se ressemblent et qui pensent tous pareils, mais elle unit des personnes diverses qui souhaitent coopérer les uns avec les autres en vue d’un même but : marcher ensemble à la suite du Christ, se mettre en quête de la même Source, du même Dieu d’amour.

- Deuxième remarque : Envoyés par Jésus, les disciples sont appelés à faire exactement la même chose que leur maître, ils doivent incarner le même amour qu’il a lui-même incarné. Ils sont invités à proclamer le même message que lui : « le règne des cieux… le règne de Dieu… est proche » (v.7) et à faire, au nom du Père, les mêmes actes que lui : guérir les malades, ressusciter les morts, purifier les lépreux et expulser les démons (v.8). Autrement dit, la cure d’âme dont Jésus nous charge doit avoir un caractère thérapeutique. De quoi s’agit-il ?

« Guérir les malades » ne signifie pas forcément leur rendre la santé physique ; notre présence auprès d’eux doit leur apporter aide et réconfort, afin qu’ils puissent accepter leurs maladies et, à travers elles, s’ouvrir à Dieu… trouver en eux-mêmes le courage et la force nécessaires pour se relever de la maladie, en puisant leur énergie dans le contact avec les autres, avec Dieu et avec leur vrai Soi, avec eux-mêmes.

Ensuite, il est question de « Ressusciter les morts ». Il y a plusieurs manières de comprendre cette mission. Beaucoup de gens, aujourd’hui, sont, d’une certaine manière, déjà « morts », quels que soient les dehors qu’ils présentent : que certains s’enlisent dans la solitude, la lassitude ou la déprime, ou que d’autres fonctionnent et se jettent dans une activité fiévreuse. La « vie » ou la « mort », au sens figuré, ne dépend pas de l’activité extérieure d’une personne, mais de ce qu’elle vit intérieurement.
Les disciples du Christ reçoivent pour mission de les ressusciter, c’est-à-dire de faire que la vie afflue de nouveau en eux, qu’ils reprennent conscience d’eux-mêmes, de leur âme… que leur vie reprennent une direction, un sens… qu’elle soit orientée par un projet de vie… portée par la petite flamme divine qu’il y a à l’intérieur de chacun de nous.

Il est aussi question de « purifier les lépreux ». Cela revient à dire à tous ceux que nous croisons : Tu es le bienvenu, sans conditions, tel que tu es ; tu existes et c’est bien ! Tu es aimé et accueilli. Ne te considère jamais comme un moins que rien ou une personne indigne !

Enfin « expulser les démons » c’est libérer les êtres des schémas existentiels pathogènes, de leur négativité, de leur défaitisme ou de leurs peurs… mais aussi des images nocives de Dieu… des projections d’autrui… de tout ce qui vient troubler ou polluer notre vrai Soi, pour accéder à ce qui en chacun est beau et intact… à ce qui a été créé à l’image de Dieu.
Il s’agit d’aider chacun à se libérer de ses préjugés, de ses conditionnements ou de ses mauvais penchants, pour accéder à soi-même, à l’image magnifique que Dieu s’est faite de chacun d’entre nous et qui demeure inscrite en nous.

Mt 10,  9-15 : 9« Ne vous procurez ni or, ni argent, ni monnaie à mettre dans vos ceintures, 10ni sac pour la route, ni deux tuniques, ni sandales ni bâton, car l’ouvrier a droit à sa nourriture. 11Dans quelque ville ou village que vous entriez, informez-vous pour savoir qui est digne de vous recevoir et demeurez là jusqu’à votre départ. 12En entrant dans la maison, saluez-la ; 13si cette maison en est digne, que votre paix vienne sur elle ; mais si elle n’en est pas digne, que votre paix revienne à vous. 14Si l’on ne vous accueille pas et si l’on n’écoute pas vos paroles, en quittant cette maison ou cette ville, secouez la poussière de vos pieds. 15En vérité, je vous le déclare : au jour du jugement, le pays de Sodome et de Gomorrhe sera traité avec moins de rigueur que cette ville. »

* L’injonction de Jésus qui enjoint ses disciples à agir les mains vides, en ne se procurant ni argent, ni réserve de tuniques ou de sandales, nous appelle à faire pleinement confiance à Dieu.
Elle nous rappelle également que la Parole de Dieu n’est pas une possession dont nous serions « détenteurs » et que nous pourrions transmettre. Nous sommes seulement des pèlerins en route, en quête de Dieu. Et c’est seulement ainsi que nous pouvons communiquer aux autres ce que nous avons reçu de Lui.
Ce qui compte, ce n’est pas notre bagage d’aptitudes, ni l’apparence que nous présentons par notre savoir, nos biens ou nos capacités, mais c’est la transparence que nous offrons à l’Esprit de Dieu.
Être disciple, c’est d’abord et avant tout vivre en disciple… vivre l’âme et le cœur ouvert à Dieu et aux autres.

Dans cette mission, Jésus ne nous met aucune pression. Il est possible que le message de l’Evangile soit reçu – ou pas.
S’il nous revient – en tant que disciples – de porter la paix et la réconciliation parmi les hommes… de montrer un chemin de paix à ceux qui sont divisés ou déchirés, en conflit avec eux-mêmes ou avec leur entourage, nous ne devons rien imposer.

A la suite de Jésus, nous sommes appelés, nous-mêmes, à nous ouvrir à l’Esprit du Père et à semer son amour autour de nous, mais sans garantie de résultats.
Si certains refusent la paix que Dieu leur offre, ne nous cassons pas la tête, laissons-les avec leur liberté et la responsabilité de leurs choix personnels. Restons simplement à notre place de disciples, de porteurs de Bonne Nouvelle.
« Si la maison en est digne, donnez-lui votre paix. Mais si elle n’en est pas digne, que votre paix revienne à vous » (v.13)

Mt 10, 16 à  25 : 16« Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; soyez donc rusés comme les serpents et candides comme les colombes.

17Prenez garde aux hommes : ils vous livreront aux tribunaux et vous flagelleront dans leurs synagogues. 18Vous serez traduits devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi : ils auront là un témoignage, eux et les païens. 19Lorsqu’ils vous livreront, ne vous inquiétez pas de savoir comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là, 20car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. 21Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant ; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront condamner à mort. 22Vous serez haïs de tous à cause de mon nom. Mais celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. 23Quand on vous pourchassera dans telle ville, fuyez dans telle autre ; en vérité, je vous le déclare, vous n’achèverez pas le tour des villes d’Israël avant que ne vienne le Fils de l’homme. 24Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur. 25Au disciple il suffit d’être comme son maître, et au serviteur d’être comme son seigneur. Puisqu’ils ont traité de Béelzéboul le maître de maison, à combien plus forte raison le diront-ils de ceux de sa maison ! »

* Pour décrire la mission des Chrétiens dans le monde, Jésus se sert d’une énigme : malgré la présence des loups, la violence des êtres agressifs, il nous invite à être aussi avisés et prudents que les serpents, et, en même temps, sans malice, aussi candides que les colombes. Cela peut paraître contradictoire !

Si on assimile la candeur de la colombe à la pureté du cœur, au fait de vivre sans se laisser troubler par les agressions, on comprend bien ce que Jésus veut dire. Mais l’image du serpent semble opposée… car le serpent est plutôt un animal négatif dans l’Ancien Testament, le symbole du péché.

Or, Jésus emploie ici ce symbole dans un sens positif.
Pour d’autres peuples, dans d’autres civilisations, le serpent symbolise le renouveau (c’est un animal qui effectue une mue, qui renouvelle sa peau) et l’énergie vitale (dans l’hindouisme, par exemple, l’énergie de la sexualité qui doit monter du sacrum jusqu’au sommet du crâne, est représentée par un serpent enroulé, qui s’étend le long de la colonne vertébrale. La Kundalini est la déesse-serpent enroulée, qui symbolise la « puissance du désir pur »).

Employé dans un sens positif, cela veut dire que Jésus appelle les Chrétiens à être sages et avisés comme les serpents, c’est-à-dire à garder le contact avec la sagesse naturelle, avec leur vitalité et leur énergie.
Ils ne doivent pas seulement se laisser guider par des idéaux élevés ou se laisser manipuler par les autres, mais vivre selon cette sagesse de l’intuition, avec la ruse naturelle du serpent.

Celui qui vit en accord avec lui-même n’est pas contraint de se défendre contre toutes les agressions ; il s’y soustrait simplement comme le serpent.

Il peut aussi nous arriver de nous sentir attaqués quand il est question de notre intimité, de nos convictions, mais aussi lorsqu’il est question de ce que nous n’acceptons pas en nous-mêmes.
Pour celui qui peut tout regarder en lui-même avec les yeux de la colombe, tout est pur. Etant au clair avec lui-même, il peut vivre parmi les loups sans être dévoré ; leur agressivité est sans pouvoir contre lui.

Mt 10, 26-33 : 26« Ne les craignez donc pas ! Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu. 27Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les terrasses. 28Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne. 29Est-ce que l’on ne vend pas deux moineaux pour un sou ? Pourtant, pas un d’entre eux ne tombe à terre sans votre Père. 30Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés. 31Soyez donc sans crainte : vous valez mieux, vous, que tous les moineaux. 32Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux ; 33mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux. »

* Les chrétiens ne doivent pas craindre les hommes, car Dieu connaît leur cœur. « Rien de ce qui est couvert ne restera secret et rien de ce qui est caché ne demeurera inconnu » (v.26). Telle est la raison de ne pas craindre : la connaissance par Dieu de ce qui en chacun de nous est caché.

En effet, si je n’ai pas peur des pensées et des affects cachés de mon cœur, les autres ne peuvent pas m’effrayer quand ils cherchent à espionner mes secrets.
Si je présente à Dieu ces secrets, en confiance, sachant que sa lumière les dévoilera et en illuminera l’obscurité, je suis en mesure de vivre sans peur.
Dieu, qui me connaît avec tous les abîmes de mon âme, est le vrai remède contre la crainte.

Matthieu indique encore un autre moyen de se délivrer de la profonde angoisse que nous portons au fond de nous-mêmes : « N'ayez pas peur des assassins du corps : ils ne peuvent assassiner la vie » c’est-à-dire « l’âme » (v.28).
On peut toujours nous blesser extérieurement, dans notre corps ou nos émotions, mais on ne peut rien contre notre âme.
L’âme désigne ici le cœur de mon cœur, ce qui en moi est soustrait au pouvoir des hommes parce que la lumière de Dieu y réside.
La foi en ce Dieu qui protège mon âme me délivre de la crainte des blessures, des humiliations, du déshonneur et de la mort qui peut m’être infligée, mais qui n’a pas le pouvoir de détruire ce noyau de ma personnalité, qui est dans la main de Dieu.

Pause : cantique

Mt 10, 34-36 : 34« N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive. 35Oui, je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère : 36on aura pour ennemis les gens de sa maison. »

* Qui s’engage sur le chemin de Jésus, et se sait envoyé par lui dans ce monde, apprend qu’il n'apporte pas la paix en tout lieu. L’Evangile vient bousculer les hommes pour les faire sortir de leur égo et de leurs conformismes. Inévitablement, ça dérange !

Le glaive ou l’épée n’est pas ici le symbole de la violence, mais celui de la division.
La Parole de Dieu est à double tranchant : elle sépare en nous les pensées qui relèvent de l’égo, de la chair, et de l’Esprit, du vrai Soi. Elle vient séparer ce qui nous enfonce, nous enferme ou nous réduit, de ce qui nous sauve, nous guérit et nous fait grandir.

La Parole de Dieu nous pousse à l’engagement ; elle nous invite à la décision.
Elle veut, par notre intermédiaire, pénétrer dans le cœur des hommes et y provoquer la distinction entre les pensées salutaires et les pensées nocives.

La proclamation de la Parole doit appeler ceux qui l’écoutent à se décider pour Dieu, pour son Esprit et sa lumière, et à prendre de la distance vis-à-vis de tout ce qui nous enlise dans l’égocentrisme et le repli sur soi.

Mt 10, 37 – 42 : 37« Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. 38Quiconque ne prend pas sa croix et vient à ma suite n’est pas digne de moi. 39Qui aura assuré sa vie la perdra et qui perdra sa vie à cause de moi l’assurera.

40Qui vous accueille m’accueille moi-même, et qui m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé. 41Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste. 42Quiconque donnera à boire, ne serait-ce qu’un verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense. »

* Dans son discours sur la mission, Matthieu introduit aussi une parole sur l’acceptation de la croix.
On a bien du mal avec cette pensée, tant elle a souvent été mal interprétée… tant elle a pu être utilisée pour justifier tout et n’importe quoi… y compris l’inacceptable, la souffrance ou une vie de sacrifices.

Prendre sa croix, s’orienter dans le don de soi… quelles qu’en soient les conséquences… signifiait peut-être, au temps des premiers disciples, aller jusqu’au bout de la mission en se préparant même au martyre.
Mais, aujourd’hui, en occident – sauf exception avec les attentas dus à quelques fondamentalistes – on ne risque heureusement plus sa vie en raison de sa foi. (Ce qui n’est pas le cas partout !) Alors qu’est-ce que cette parole peut bien signifier pour nous ?

A mon sens, elle veut dire que si je m’engage sur le chemin de Jésus, j’y rencontrerai peut-être ma croix, c’est-à-dire ce que je n’ai pas choisi, ce qui se met parfois en travers de mes projets. Car suivre Jésus, ce n’est pas suivre ses propres lois, ses propres directives, mais s’enraciner dans le chemin de l’amour, qui nous conduit au-delà de ce que nous pensions ou nous voulions… si nous n’avions écouté que notre égo.

Laisser Dieu régner en soi, c’est accepter de suivre un autre chemin que celui de notre seule volonté ou de notre intérêt personnel, c’est se laisser guider autrement dans ses choix de vie.

Accepter la croix, c’est accepter tout ce qui fait barrage comme un moyen de progresser dans la découverte de soi et de Dieu. Or, souvent, ce qui fait obstacle est à l’intérieur de nous. Chacun de nous à affaire à son égo, à sa susceptibilité, à ses bons et ses mauvais désirs, à son rapport avec les autres ou avec le matériel, son lien avec l’argent ou avec le sexe, etc.

Si j’accepte mes fragilités et me réconcilie avec elles, en les confiant à Dieu, en lui demandant son aide pour les accueillir et les transformer en quelque chose de paisible, ces fragilités en réalité me conduisent à Dieu et à une plus grande conscience de la réalité.

En ce sens, toutes les croix que j’ai à accepter viennent briser l’image idéale que j’avais fabriquée de moi-même et m’ouvrent à la relation à Dieu, à son Esprit qui agit dans nos cœurs.

Accepter sa croix veut dire ne pas choisir seul son chemin, mais faire confiance à Dieu.
Prendre sa croix veut dire accepter les obstacles (qu’ils soient en moi ou à l’extérieur de moi) que Dieu me donne la force de porter, comme des moyens de me remettre en question et de progresser… comme des moyens qui me donnent accès à l’amour inconditionnel de Dieu, qui – à coup sûr – me relèvera et m’appellera à une vie renouvelée au moment où je suis à terre.

* Ainsi donc, à travers ce chapitre, Matthieu récapitule la mission des disciples : ils sont appelés à reprendre et à répandre le message de Jésus, à vivre du même Esprit que lui, en empruntant son mode de vie.

L’Eglise qui rassemble les Chrétiens ne doit donc pas se comprendre comme une institution qui détiendrait la vérité, une vérité doctrinale, mais comme une communauté qui rassemble des frères et des sœurs, simples témoins de l’Evangile, tous disciples d’un même Christ, qui nous appelle à vivre de l’Esprit du Père… C’est peut-être cela, avant tout, être « disciple » : se mettre à l’écoute du Père, l’accueillir en soi, et ainsi vivre dans la confiance : « En ces temps là – dit Jésus – ne vous inquiétez pas de savoir comment parler ou que dire… car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous ».

Alors, frères et sœurs, ouvrons-nous pleinement à l’Esprit du Père qui agit en nous.

Amen.