dimanche 31 mai 2015

Mt 20, 1-16

Lectures bibliques : Jn 15, 1-5a ; Mt 20, 1-16 
Thématique : travailler et se laisser travailler, plutôt que de se comparer
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 31/05/15 & Nérac, le 28/06/15
(Partiellement inspirée d’une méditation de Anslem Grün)

Prédication = voir plus bas

Lectures bibliques

Jn 15, 1-5a

1« Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. 2Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il en porte davantage encore. 3Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite. 4Demeurez en moi comme je demeure en vous ! De même que le sarment, s’il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. 5Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance

Mt 20, 1-16

1« Le Royaume des cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sortit de grand matin, afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. 2Il convint avec les ouvriers d’une pièce d’argent pour la journée et les envoya à sa vigne. 3Sorti vers la troisième heure, il en vit d’autres qui se tenaient sur la place, sans travail, 4et il leur dit : “Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.” 5Ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième, il fit de même. 6Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour, sans travail ?” – 7“C’est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez, vous aussi, à ma vigne.” 8Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers, et remets à chacun son salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.” 9Ceux de la onzième heure vinrent donc et reçurent chacun une pièce d’argent. 10Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu’ils allaient recevoir davantage ; mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’argent. 11En la recevant, ils murmuraient contre le maître de maison : 12“Ces derniers venus, disaient-ils, n’ont travaillé qu’une heure, et tu les traites comme nous, qui avons supporté le poids du jour et la grosse chaleur.” 13Mais il répliqua à l’un d’eux : “Mon ami, je ne te fais pas de tort ; n’es-tu pas convenu avec moi d’une pièce d’argent ? 14Emporte ce qui est à toi et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. 15Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien ? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ?” 16Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »

Prédication

* Cette parabole bien connue que Jésus nous propose peut être interprétée à plusieurs niveaux. L’histoire avec ses différents personnages nous livre deux surprises :

- La première, c’est que le maître de maison embauche des ouvriers à toute heure de la journée… y compris en fin de journée… même s’il ne reste plus qu’une heure à travailler. En effet, on apprend que le maître sort à 5 reprises pour embaucher, depuis le petit matin et jusqu’à 17h, alors même que la journée de travail s’achevait à 18h.

Ce propriétaire étonnant est évidemment une image de Dieu : un maître bon, généreux et bienveillant qui appelle tous ceux qu’il rencontre à devenir artisans de son royaume et qui prend soin de chacun d’eux, quelle que soit l’heure à laquelle on le rencontre et on répond à son appel.

- La seconde surprise que nous offre la parabole, c’est que les derniers ou les premiers sont tous payés de même, alors qu’ils n’ont pas travaillé la même durée.

L’histoire nous déplace ainsi au-delà de la logique habituelle du mérite, du donnant-donnant. Par son attitude de bonté inattendu, le geste généreux du patron à l’égard des derniers ouvriers vient briser la proportionnalité entre récompense et œuvre accomplie.

Ainsi, la parabole nous livre deux enseignements :

- Elle nous révèle, d’une part, que la véritable grâce n’est pas d’abord liée au montant de la récompense, mais à l’embauche. La véritable grâce c’est de pouvoir œuvrer et travailler pour la vigne de ce maître bon et généreux. C’est quelque chose qui réjouit, plutôt que de rester sans rien faire, sans projet.

- D’autre part, elle nous appelle à sortir de nos logiques et nos mentalités habituelles pour rejoindre et imiter l’attitude du maître… autrement dit : 1) ne pas penser en termes de mérite, de calcul, de rétribution, mais s’inscrire dans la gratuité...  2) ne pas nous comparer aux autres, mais travailler dans la reconnaissance… 3) enfin, reconnaître chacun pour ce qu’il est – comme un frère ou une sœur, un enfant aimé de Dieu – et non pour ce qu’il fait. Ce qui n’est pas toujours facile, tant nous avons l’habitude de nous comparer aux autres.

* Et c’est bien là tout le problème. La plupart des gens se comparent aux autres. C’est ce qui les rend malheureux. Et cela commence dès l’enfance : « Lui, il a ceci… et moi, j’ai ça !... ce n’est pas normal ! C’est injuste !... »
Si les autres ont plus, ça nous rend jaloux et envieux. Si les autres ont autant sans l’avoir apparemment mérité, ça nous rend irritables et mécontents. Si les autres ont moins, ça peut nous rendre suffisants et prétentieux.

Beaucoup de personnes éprouvent de la jalousie parce que d’autres ont ce qui leur manque. Ils se sentent injustement traités par Dieu ou par le destin.
Ce sentiment d’injustice vient de notre propension à nous juger par rapport aux autres – et à les juger par rapport à nous – en nous comparant réciproquement.
Or, nous voyons à travers cette parabole que cette tendance naturelle à nous confronter à autrui nous rend mécontents et non heureux. Elle nous mène dans une impasse, car une telle attitude sous-entend, implicitement, que le bonheur serait conditionné à nos possessions (à nos avoirs ou nos mérites)… à la quantité de notre avoir… à ce que nous devrions posséder nous-mêmes, plutôt qu’autrui.

Ainsi, plutôt que de se satisfaire de ce qu’ils ont – une pièce d’argent – pour faire vivre leur famille pour la journée, les premiers ouvriers n’admettent pas que les autres – ceux qui ont travaillé moins longtemps – puissent être traités de la même manière qu’eux et devenir leurs égaux.

Face à cela, la remarque finale de l’intendant (N’ai-je pas le droit de disposer comme je le veux de mon bien ? Verrais-tu d’un mauvais œil que je sois bon ?) rappelle que chacun est libre de faire autrement : de changer de mentalité et d’agir avec bonté. Elle nous appelle à nous défaire de cette mauvaise habitude de nous comparer à autrui.
Un tel comportement nous rend insatisfaits et nous divise. Il révèle que nous ne nous acceptons pas nous-mêmes.

* Aujourd’hui encore, la mentalité des premiers ouvriers est courante dans notre monde. C’est, d’une certaine manière, le résultat de la publicité qui nous appelle sans cesse à consommer. Elle est comme une petite voix – celle de la convoitise – qui nous dit : « tu peux avoir plus, avoir mieux que ce que tu as. Ta situation actuelle n’est pas satisfaisante, tu mérites mieux, tu peux rêver et obtenir mieux ou davantage ! » … un peu comme le serpent qui invitait Eve à succomber à la tentation en croquant le seul fruit défendu, alors que tous les autres étaient à sa portée.

Nous avons vite fait de comparer notre situation à celle du produit en vente ou à celle de notre voisin qui vient d’acquérir telle ou telle nouvelle chose à la mode. Nous pensons que notre vie serait vraiment meilleure et réussie si nous étions aussi beau, aussi intelligent et aussi riche que d’autres.

Mais, à bien y regarder, tout cela n’est que vanité et joue sur notre orgueil et notre égo. C’est une course sans fin – perdue d’avance –, car on pourra toujours trouver ou rêver mieux.
Par ce genre d’attitude, nous ne pouvons que nous sentir lésés. Nous nous empêchons de vivre pleinement et librement.

* Bien souvent, lorsque nous entendons cette parabole pour la première fois, elle nous choque : nous nous identifions facilement aux premiers ouvriers et nous trouvons injuste que les derniers ouvriers soient traités comme les premiers.
Si cela se produisait dans la vie réelle, dans une entreprise, le patron devrait faire face à un certain nombre de récriminations.

[Imaginez ce qui se passerait si un patron tenait compte de la situation personnelle de ses ouvriers et ne les rémunérait pas en fonction de leur temps de travail, mais juste par charité fraternelle. Un tel patron aurait rapidement les syndicats sur le dos et devrait, tôt ou tard, s’expliquer devant les « prud’hommes » !
De même, imaginez qu’un homme politique – un maire, par exemple – commence à agir comme ça gratuitement, en tenant compte des besoins de chacun, sans s’arrêter à leur bon droit. Ce serait rapidement la révolte de tous les « biens méritants » qui revendiqueraient leur dû !
Comme quoi la vraie justice n’est pas d’abord une question de droit ou de mérite, mais relève de la bonté, de la miséricorde du donateur, qui tient compte, ici, de la situation de chacun, et qui, en donnant autant aux derniers, leur permet, à eux aussi, de nourrir leur famille.]

D’un point de vue chrétien, l’attitude de ce maître, c’est-à-dire de Dieu – dont Jésus nous dit qu’il agit avec grâce à l’égard de tous et qu’il donne autant aux derniers qu’aux premiers – peut aussi nous choquer.
Les chrétiens qui s’efforcent d’obéir aux commandements de Dieu, de s’engager pour l’Eglise, d’accomplir tous leurs « devoirs », pourraient être mécontents de constater que ceux qui n’observent aucun commandement n’en vont pas moins au ciel.
Penser que la fameuse chanson, qui affirme qu’« on ira tous au paradis », dit peut-être vrai peut contrarier ceux qui ont répondu à l’appel de Dieu dès leur jeunesse, en s’attachant à respecter scrupuleusement un certains nombres de règles et de normes. 

Mais Jésus vient remettre en question un tel raisonnement. Il ne faut pas imaginer la vie chrétienne comme une vie de sacrifices, de devoirs ou de renoncements.
Dans la parabole, la véritable grâce c’est d’être embauché, c’est de travailler dans la vigne du Seigneur.

Or, l’évangile nous apprend – dans l’autre passage que nous avons entendu (dans l’évangile selon Jean : Cf. Jn 15) – que nous sommes nous-mêmes les sarments de la vigne.
Le travail qui nous incombe est donc avant tout un travail sur soi : Suivre le Christ, c’est, bien sûr, travailler pour l’avènement du règne de Dieu, pour un royaume d’amour, de justice et de paix, qui s’inscrit dans la fraternité (et cela nous pouvons essayer de le vivre dans notre vie quotidienne, dans nos rapport aux autres, notre vie familiale, notre vie professionnelle ou nos engagements associatifs). Mais un tel royaume ne peut advenir que s’il commence déjà dans nos cœurs, que si nous changeons nous-mêmes de mentalité.

Suivre Jésus est un chemin d’humanisation qui commence par soi. Notre premier travail, en tant que chrétien c’est de nous évangéliser nous-mêmes. Et ce travail qu’on fait sur soi porte déjà en lui-même sa propre récompense.
Le salaire n’est pas quelque chose d’extérieur qu’on reçoit en fin de journée, à la fin de sa vie (comme une récompense). Il réside dans le sens donné à la vie.
Ce sens nous le trouvons dans la grâce de l’appel, en répondant dans notre cœur et notre vie à l’amour de Dieu, en vivant selon l’Evangile… une vie qui a du sens et qui rend heureux… parce qu’elle est fondée sur la confiance et la bonté, à l’image de Dieu.

C’est pourquoi, par leurs récriminations, les premiers ouvriers ne semblent pas avoir vraiment compris le projet de leur maître :
- D’une part, ils sont dans la logique du mérite, de la revendication et non dans celle de la grâce.
- D’autre part, ils se comparent aux autres, ce qui les rend envieux et malheureux.
- Enfin, ils imaginent – à tort – que le sort de ceux qui n’ont travaillé qu’une heure dans la vigne était plus enviable et meilleur que le leur.

Il est vrai que les gens qui ont un travail – qui ont une vie qui a une orientation, une direction – ne s’imaginent pas toujours à quel point c’est angoissant d’être au chômage, de ne pas savoir si on pourra subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Ils n’imaginent pas ce que ces hommes ressentent, eux, qui sont dans l’attente, qui restent toute la journée sans rien faire, parce que personne ne les a embauché. Ils ignorent à quel point leur vie peut apparaître vide de sens, à quel point ils peuvent se percevoir comme inutiles et superflus.
[Et je peux dire que dans les associations caritatives – comme l’Entraide – on rencontre le mal-être de ces personnes.]

Certes, à l’époque, c’était pire ! Il n’y avait pas d’allocation chômage, ni de minima sociaux. Mais, même avec l’apparition des prestations sociales, peut-on vraiment envier le sort de ceux qui n’ont pas ou plus de projet professionnel, faute de perspectives ?

Dans la parabole, quand le maître les embauche, même en fin de journée, c’est l’espoir qui renaît pour ces hommes. Et quand ils reçoivent leur paye, c’est la joie qui domine.

* Quelques pères de l’Eglise ont attribué un symbolisme à la pièce d’argent, au denier reçu par les travailleurs. Ils considèrent le denier comme une image de l’accès de l’être humain à son unité et à son intégrité intérieure. Pour eux, cette pièce ne représente pas une récompense extérieure, mais quelque chose qui symbolise l’unité intérieure et l’union réalisée avec Dieu.

Le véritable travail que nous avons à faire est un chemin de maturation humaine et spirituelle.
Devenir un être humain à part entière, en harmonie avec soi-même, c’est là le seul salaire. Cela est suffisant. C’est ce que représente la seule et unique pièce d’argent offerte à chacun.
Et c’est là notre seul but sur cette terre : travailler dans la vigne, c’est travailler sur soi-même, c’est mûrir, évoluer, progresser et grandir intérieurement, à travers les joies et les épreuves de l’existence.
Ce travail nous rend plus vivants que de ne rien faire. Il nous fait accéder à notre vrai soi, au meilleur de nous-mêmes. Il nous permet de trouver l’unité et l’harmonie intérieure.

* Autrement dit – et je conclurai par là – la parabole nous fait réfléchir à ce que signifie le travail dans la vigne du Seigneur :

Si nous nous comparons aux autres, nous pouvons nous fâcher de ce que certains ne font rien de leur vie. Mais ce faisant, nous avouons implicitement que nous aimerions faire de même.

En réalité, nous devrions plutôt éprouver de la compassion vis-à-vis de ceux qui semblent perdus et ne trouvent pas de chemin. Nous devrions les soutenir et les aider.[1]
En nous comparant aux autres, nous sommes comme des jeunes enfants immatures qui se jalousent et se disputent, au lieu de se réjouir pour ce qu’ils ont.

Au contraire, si nous prenons plaisir à travailler dans la vigne du Seigneur, nous sortons de la logique de la comparaison, de la rivalité ou de la concurrence. Nous pouvons rendre grâce pour la vie qu’il nous est donné de vivre et nous nous réjouissons pour les autres s’ils trouvent un moment donné le chemin vers la vie.

Cette parabole nous invite donc à sortir des comparaisons qui nous rendent toujours insatisfaits. Elle nous invite à aller notre chemin avec reconnaissance, en nous contentant de ce que nous avons, sans nous satisfaire de ce que nous sommes… car Dieu nous invite toujours à progresser… à trouver et à offrir le meilleur de nous-mêmes… à apprendre le chemin de l’amour.

Amen.




[1] Selon cette parabole, la fraternité ce n’est pas regarder ce qu’ont les autres et qu’ils doivent mériter, mais c’est les accueillir et leur permettre d’avoir de quoi subvenir à leurs besoins, même s’ils ne sont pas en état de mériter ce dont ils ont besoin. Autrement dit, la fraternité ne passe pas par le calcul et le mérite, mais par la gratuité et la générosité.

lundi 25 mai 2015

Ac 2, 1-13 - L'Esprit saint

Lectures bibliques : Ps 51,12-14 ; Rm 5,5 & 8,2.14-16 ; Ac 2,1-13  (voir ci-dessous)

Thématique : l’Esprit saint, le souffle qui nous transforme et nous dynamise intérieurement.
Prédication de Pascal LEFEBVRE  / Tonneins, le 24/05/15, fête de Pentecôte.
(Inspirée d’une médiation d’Anselm Grün)

Prédication = voir plus bas

Introduction, avant les lectures bibliques

Aujourd’hui, beaucoup de nos contemporains qui se revendiquent comme Chrétiens (catholiques ou protestants) ne côtoient plus les Eglises ni les temples. Sans doute ont-ils d’autres préoccupations, sans doute n’y trouvent-ils pas ou plus d’intérêt. En effet, a quoi sert l’Eglise ? A quoi sert la religion ?... Dans notre société, la question spirituelle est vraiment en marge des autres préoccupations, notamment matérielles.

Certes, ce n’est pas notre cas… nous qui sommes là ce matin. Mais, qu’aurions-nous à répondre aux objections de ceux qui ne fréquentent plus les lieux de culte ? Quelles motivations mettrions-nous en avant si nous devions leur expliquer pourquoi nous venons au culte régulièrement ou occasionnellement ?

Pour ma part, si je devais répondre à ceux-là, je dirais d’abord que la religion – comme l’indique son étymologie « religare » – a pour but de « relier » l’homme à l’homme et l’homme à Dieu. La religion a pour fonction de nous mettre en relation avec Dieu. Le rôle de l’Eglise est de nous permettre de vivre notre foi, notre confiance en Dieu.

Mais, plutôt que parler de « religion » peut-être faudrait-il mieux parler de « spiritualité », de ce qui relève de l’esprit.

En effet, une des convictions partagées par les grandes religions, c’est que l’homme a une dimension spirituelle. Ceux qui s’appuient sur la Bible et le livre de la Genèse, disent que l’homme a été créé à l’image de Dieu.
Mais tout en affirmant cette conviction, ils ajoutent que tout n’est pas achevé pour autant. L’être humain (créé à l’image du Créateur) doit encore s’éveiller, advenir à la ressemblance de Dieu, pour être pleinement accompli.

Autrement dit, nous sommes appelés à progresser sur le chemin de notre humanisation, sur la voie d’une conscience plus aiguisée.
L’Evangile affirme que si nous sommes sur terre c’est pour aimer, pour apprendre à aimer, pour progresser sur ce chemin là : celui de l’amour et de la compassion.

Or, ce n’est pas par nos seules forces, par nous-mêmes, que nous pouvons y parvenir. Nous avons besoin des autres, des témoins qui nous ont précédé et de leur expérience. Nous avons aussi besoin de Dieu.

Pour nous accompagner et nous soutenir dans cet apprentissage, le Nouveau Testament affirme que Dieu nous fait un don : il nous offre son Esprit, son souffle, pour nous aider à avancer, pour vivre en accord avec notre être profond, créé à l’image de Dieu.
L’accueillir signifie nous mettre au diapason de l’Evangile et ouvrir notre cœur à Dieu, pour qu’il agisse dans notre intériorité, pour qu’il nous transforme et nous permette d’accéder à notre vrai soi (à l’étincelle de l’âme) en communion avec Dieu.

Ainsi, en devenant plus pleinement humain, nous pouvons aussi rendre le monde plus humain, participer et agir pour donner plus de place au règne de Dieu dans notre monde… autrement dit, le transformer dans le sens voulu par Dieu et y imprimer son Esprit.

La lecture des Ecritures – éclairées par l’Esprit saint – nous permet de réfléchir au sens de la vie. Elle nous permet d’examiner ce qui, dans notre vie, n’a pas été ou n’est pas conforme à notre être profond et à la volonté de Dieu. Elle permet de nous réconcilier avec nous-mêmes, de nous donner une direction de vie, tout en nous libérant de nos enfermements et de nos angoisses… pour nous permettre de vivre des relations plus authentiques avec les autres.

Alors, ce matin – comme tous les dimanches – mettons-nous à l’écoute de la Bible et notamment de quelques passages qui nous parlent de l’Esprit saint.

Prière d’illumination


Lectures bibliques 

- Ps 51, 12-14 :

Crée pour moi un cœur pur, Dieu ; enracine en moi un esprit tout neuf.
Ne me rejette pas loin de toi, ne me reprends pas ton Esprit saint ;
rends-moi la joie d’être sauvé, et que l’esprit généreux me soutienne !

- Rm 5, 5 :

L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné.

- Rm 8, 2.14-16 :

La loi de l'Esprit de la vie en Jésus-Christ t'a libéré de la loi du péché et de la mort.. […] Tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu. En effet, vous n'avez pas reçu un esprit d'esclavage, qui ramène à la crainte, mais vous avez reçu un Esprit d'adoption filiale, par lequel nous crions : Abba ! — Père !  L'Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.

- Ac 2, 1-13 :

1Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. 2Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent : la maison où ils se tenaient en fut toute remplie ; 3alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. 4Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer.

5Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. 6A la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue. 7Déconcertés, émerveillés, ils disaient : « Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens ? 8Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? 9Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l’Asie, 10de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Egypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici, 11tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu. » 12Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » 13D’autres s’esclaffaient : « Ils sont pleins de vin doux. »


Prédication :

A la lecture de ces passages, que peut-on dire de l’Esprit saint ? Quel rapport peut-il avoir avec nous ? Quelle relation peut-on entretenir avec lui ?

* L’Esprit saint, c’est le souffle de Dieu, c’est un vent qui nous dynamise, qui permet que tout ce qui est figé en nous revienne à la vie. C’est un don qui nous renouvelle et nous transforme.

Dans les chants et les prières du temps de Pentecôte, nous demandons à Dieu sa présence, la présence de son Esprit régénérateur dans nos vies.

C’est ce que nous avons chanté dans ce cantique : « Viens Esprit de sainteté… viens nous embraser ! »
Nous appelons sur nous l’Esprit saint, comme une source d’eau vive, capable d’affermir nos cœurs et de guérir nos corps (cf. ARC 503 « Viens, esprit de sainteté. De A. Gouzes)

C’est ce que l’Eglise ancienne chantait déjà par l’hymne du Veni Creator Spiritus (composé par le moine bénédictin Raban Maur) :
« Viens, Esprit créateur,
Visite les âmes des tiens,
Remplis de la grâce céleste
Les cœurs que toi-même a créés ».

Beaucoup de nos contemporains se sentent parfois épuisés, vidés, parce qu’ils doivent donner sans cesse le maximum dans leur vie professionnelle, familiale, dans leurs différents engagements. Ils ne trouvent plus le temps ou l’occasion de se ressourcer, de recharger leurs batteries.
Beaucoup d’entre nous aspirent à plus de vitalité, à une vraie vie équilibrée, épanouie et vivante.

L’Esprit de Dieu – comme un souffle vivifiant, comme un courant d’air frais – peut faire renaître en nous la vie qui s’épuise peu à peu dans l’activité quotidienne.
Par le souffle de son Esprit, par son souffle nouveau, Dieu renouvelle en permanence notre vitalité. Nous avons besoin de ce vent frais, de cette source d’eau vive, pour ne pas nous enliser ou nous assécher dans les tâches quotidiennes.

Lorsque nous parlons de la dimension spirituelle de la personne humaine, nous faisons allusion à cette part de nous-mêmes que bien souvent nous ignorons ou négligeons… tant nous sommes préoccupés par les soucis matériels et les occupations incessantes.

Parler de spiritualité, c’est dire que l’être humain a besoin d’être attentif à cette part cachée et mystérieuse de lui-même… que son esprit doit être en contact avec l’Esprit de Dieu, pour renouveler son être intérieur, pour ne pas s’épuiser et s’assécher en donnant tout le temps.
L’être humain a aussi besoin de recevoir des forces – autres que les aliments terrestres – pour se ressourcer intérieurement : il a besoin d’attention, d’amour, de reconnaissance… il a aussi besoin de se renouveler et de grandir sur un plan relationnel et spirituel, pour sortir de la routine, des habitudes et des répétitions. Il a besoin de grandir dans l’amour et la compassion, la liberté et la fraternité.

Or, le Nouveau Testament parle d’une source inépuisable à laquelle nous pouvons puiser nos forces : c’est l’Esprit saint, l’Esprit d’amour de Dieu.
Nous trouvons, par exemple, cette idée dans le dialogue entre Jésus et une femme samaritaine :
« Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif – dit Jésus ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle » (cf. Jn 4,14).

Dans le Nouveau testament, cet Esprit qui nous est offert comme un cadeau est décrit par différentes images, en terme de source vive, de feu, de lumière, d’amour ou d’onction céleste. Ces images nous présentent ainsi l’Esprit saint comme une eau capable de nous rafraichir et de nous ressourcer, comme un feu capable de nous réchauffer, comme une lumière capable de nous éclairer, de nous guider, ou comme un baume capable de guérir nos blessures.

Dans l’hymne du Veni Creator Spiritus auquel je faisais référence, nous trouvons cette idée. Je vous cite la quatrième strophe :
« Fais briller en nous la lumière,
Verse l’amour en nos cœurs,
Soutiens de nos corps la faiblesse
Par ton éternelle vigueur ».

« L’Esprit saint est l’amour qui est déversé dans nos cœurs et dans notre corps. Chacun aspire à aimer et à être aimé. L’Esprit nous rend capables d’amour, mais il est aussi l’amour dont le Père nous inonde. Dans l’Esprit saint, nous pouvons nous sentir totalement aimés de Dieu.
La demande formulée dans cette quatrième strophe concerne notre corps et ses faiblesses. L’Esprit pénètre notre corps pour lui donner de nouvelles forces. Il cherche à s’incarner, à se fixer dans notre chair, pour l’emplir d’énergie divine ».[1]

Ce cantique exprime ainsi l’idée que Dieu par son souffle peut venir transformer nos vies : il peut nous ressourcer, nous renouveler, nous influencer, nous guider.

* C’est d’ailleurs l’image que nous donne le récit de Pentecôte des Actes des apôtres (Ac 2, 1-13). Il figure la présence de l’Esprit comme celui d’un grand vent, d’un souffle comme une tempête, un violent coup de vent, qui emplit soudain la maison où se tiennent les disciples.

Cette image du souffle – de quelque chose d’insaisissable, mais de réel – est une belle image pour parler de l’Esprit saint.
Le vent est une force qui peut être douce ou violente, c’est une force qui peut nous pousser en avant, nous mettre en mouvement. C’est une manière d’affirmer que Dieu peut nous influencer, nous guider, si nous nous mettons à son écoute, si nous lui laissons la place et la liberté de le faire dans notre vie.

Bien souvent, nous ne ressentons pas ou plus cette influence positive de Dieu – elle est bénéfique, en effet, car Dieu est bon. Il veut notre bien. Il veut nous influencer positivement, nous ouvrir les yeux et nous appeler à une conscience plus aigue, plus fine, plus présente à la réalité qui nous entoure.
Si ne ressentons pas ce souffle, il nous faut réapprendre à faire silence et à rouvrir les fenêtres de notre cœur, pour percevoir sa présence et son souffle.

* L’évangéliste Luc nous donne une autre image de l’Esprit à travers le feu… comme des langues de feu qui se partagent et se posent sur les disciples.
Par cette image des langues de feu, il veut signifier que l’Esprit enflamme chacun des disciples individuellement.

Dans de nombreuses cultures, le feu est sacré. Il vient du ciel, il est divin ; il purifie et renouvelle.

Ces deux aspects sont parlants :

- D’une part, comme l’or est purifié par le feu, l’Esprit saint veut bruler en nous tout ce qui nous encombre et nous alourdit.
De nombreuses scories sont à éliminer : l’amertume, l’insatisfaction, les vexations et tout ce qui nous empêche de vivre.
Bien souvent, notre esprit est embrouillé par des mauvais sentiments ou de mauvais penchants hérités du passé, qui peuvent nous empêcher de faire les bons choix pour notre vie : colère, envie, jalousie, sentiment d’injustice, de culpabilité, complexes d’infériorité ou de supériorité.

Le feu de l’Esprit permet de bruler tout ce qui est trouble et ancien, de nous purifier des lourdeurs, des schémas et des comportements du passé, pour que nous puissions à nouveau prendre des décisions claires, pour que nous puissions renaître à une vie nouvelle.

- D’autre part, le feu est aussi l’image de la vitalité. L’Esprit saint est cette force et cette présence qui permet d’entretenir notre feu intérieur, de ranimer nos braises, pour enflammer à nouveau notre corps et notre âme.

Parfois, nous donnons beaucoup aux autres à travers notre profession ou nos engagements associatifs, parfois nous pouvons nous sentir fatigués, vidés et éteints. On parle de plus en plus du syndrome du Burn out, surtout chez ceux qui s’épuisent dans leur travail.

La fatigue, le manque d’énergie et la lassitude que nous pouvons parfois ressentir, sont peut-être le signe et le rappel que nous devons prendre du temps pour nous-mêmes, pour nous ressourcer intérieurement et spirituellement par la méditation et la prière, par la marche et le contact avec la nature.

Nous sommes appelés à nous mettre à nouveau en contact avec la flamme de l’Esprit de Dieu, pour qu’elle nous renouvelle et nous revitalise intérieurement, pour qu’elle nous permette aussi d’évoluer, d’avancer. Cela nous permettra aussi d’être plus disponibles aux autres, d’avoir une vie relationnelle plus épanouie.

L’écoute de la Parole, le lieu de la communauté – l’Eglise – est aussi un lieu de ressourcement, où nous pouvons entrer en contact avec Dieu, où nous nous mettons ensemble – un peu comme les scouts, les éclaireurs, autour du feu – autour du feu de l’Esprit saint, pour déposer nos préoccupations, pour élever nos cœurs vers Dieu, pour qu’il les change, les renouvelle et les fortifie, et aussi pour chanter et accueillir la joie qu’il nous donne de partager cela ensemble, avec nos frères et nos sœurs…. Comme nous le faisons aussi à travers le partage du pain de la parole et du pain et du vin de la table de communion.

* Enfin, l’évangéliste Luc nous livre une troisième image, celle de la langue : « Les disciples furent tous remplis d’Esprit saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » (Ac 2,4).

Ce que Luc signifie ici, par cet événement extraordinaire de communication, c’est que l’Esprit saint nous rend capables de parler une langue nouvelle que chacun comprend, parce qu’il s’agit d’une langue qui atteint et touche le cœur des hommes.

Les disciples animés par l’Esprit s’adressaient directement aux cœurs des hommes qui les entendaient. Cela veut dire que quand nous sommes en contact avec le souffle de Dieu, notre cœur s’élargit. Et quand nous avons le cœur ouvert, nous parlons vrai. Nous parlons de cœur à cœur, sans faux semblant, avec confiance et courage. Nous laissons tomber les masques pour dire la vérité qui nous anime.

Ce récit biblique (que nous lisons traditionnellement à Pentecôte) montre ce que produit l’Esprit saint en nous : il nous inspire, en nous aidant à parler avec notre cœur, en nous aidant à formuler ce qui est en nous (ce que nous avons vécu, ce que nous ressentons, ou dont nous avons l’intuition), à le communiquer de façon juste et vrai.
Et la chose que les disciples ont à cœur de formuler à cet instant, ce sont « les merveilles de Dieu » : ils rendent grâce à Dieu pour tout ce qui a été accompli à travers Jésus, sa personne, ses guérisons, ses enseignements, sa résurrection, comme le montre le discours de Pierre qui suit notre épisode (cf. Ac 2, 32-33.36).

Autrement dit, la langue commune que Dieu donne aux hommes, c’est celle du cœur. Celle que nous recevons et découvrons lorsque nous nous ouvrons à son Esprit d’amour… et cette langue nous amène à sortir de notre coquille et à nous questionner comme le font aussi bien les disciples que leurs auditeurs.

* Conclusion : Alors, que peut-on conclure de tout ça ?

Cette réflexion donne des éléments de réponses à ceux qui pensent parfois que l’Eglise ne sert plus à rien. Ce n’est pas par nous-mêmes que nous pouvons progresser dans la voie d’un accomplissement humain et spirituel. Nous avons besoin des autres et nous besoin de Dieu. Nous avons besoin d’un guide pour nous éclairer. Le Nouveau Testament nous révèle que l’Esprit saint est notre guide spirituel (cf. textes lus et aussi Jn 14, 15-27).

La foi nous donne une confiance, une espérance, une direction. Les Ecritures, éclairées par l’Esprit, également.

Pour ma part, je suis convaincu que le chemin spirituel est le véritable chemin de vie, celui qui nous fait accéder à notre être véritable, créé à l’image de Dieu.

Sur ce chemin de la découverte de « la fine pointe l’âme »… de ce qui, en nous, est en quête de Dieu… l’Esprit saint nous assiste. Il nous donne la confiance et le courage nécessaire pour continuer à avancer dans la bonne direction.

Parfois, nous pouvons nous sentir un peu découragés, parce qu’en tant que pratiquants, nous sommes minoritaires, et, en tant que croyants, nous semblons parfois un peu « étrangers » à notre monde.
Nous avons certes les mêmes soucis que les autres gens, mais nous avons aussi d’autres préoccupations, nous sommes en quête d’une dimension spirituelle que nous estimons essentielle à la vie.

Face à une société matérialiste qui ne donne aucune réponse sur ce plan là… qui laisse, au mieux, chacun se débrouiller… ou, au pire, nie carrément la dimension spirituelle de l’homme… la petite voix de l’Esprit saint – qui souffle en nous – vient nous libérer des conformismes et des conditionnements que nous impose imperceptiblement le modèle de société consumériste.
Il nous autorise à penser autrement que beaucoup et nous invite à persévérer dans notre quête de Dieu et de notre soif de salut, de lumière et de libération.

L’apôtre Paul (cf. Rm 8) parle de la liberté des enfants de Dieu, de l’Esprit qui nous libère. C’est ce que fait le souffle de Dieu dans notre vie : il nous transforme, il nous rend plus conscient de la réalité et nous libère de nos enfermements, de nos égoïsmes et de nos conditionnements. Le chemin spirituel ouvert par Jésus et son Evangile est un chemin qui libère l’être humain.

C’est également un chemin de paix et de joie.
La joie est source de vie, elle guérit nos blessures et ranime notre désir de vivre. Grâce à elle, notre vie acquiert relief et profondeur.

Alors, frère et sœur, ouvrons-nous pleinement chaque jour à l’Esprit que Dieu nous donne. Soyons assurés que cet Esprit – que nous ne voyons pas, mais qui nous guide – nous aide à nous trouver nous-mêmes, en rencontrant Dieu et à nous ouvrant aux autres.

Amen.



[1] A. Grün, Petit manuel de la guérison intérieure, p.146-147.