dimanche 29 mars 2015

Mt 21, 12-17 - Résister !

Mt 21, 12-17

Lectures bibliques : Mt 21, 1-17  (Es 56, 1-8 ; Jr 7, 1-11.21-23)
Thématique : A quoi Jésus résiste-t-il ? (Pourquoi a-t-il chassé les marchands du temple ?) et à quoi devons-nous résister aujourd’hui ?
Prédication de Pascal LEFEBVRE[1] / Culte « autrement » (fête des Rameaux) Tonneins, le 29/03/15.

1ère partie : Lecture du texte biblique et temps de partage autour d’une question 

On peut comprendre le geste prophétique de Jésus comme un geste de résistance et de contestation à l’égard du pouvoir sacerdotal, qui a perverti le rôle du Temple. Aujourd’hui, quels seraient les lieux de résistance et de contestation dans notre société ? A quoi devons-nous résister ? Quelles sont les grandes idées proclamées par notre monde auxquelles il faut résister de toutes nos forces ?
(Exemples : résister à l’injustice ; résister à l’indifférence et à l’individualisme (au chacun pour soi) ; résister au matérialisme et au consumérisme (travail le dimanche) ; résister à la peur de l’autre et à la tentation sécuritaire (peur de l’étranger) ; résister au découragement et au pessimisme ; résister à la déresponsabilisation ; résister à une mauvaise compréhension de la laïcité ; résister à nous-mêmes (à nos mauvais penchants) ; etc.)

2ème partie : Prédication (ci-dessous)

L’Evangile nous montre aujourd’hui un Jésus inhabituel, presque violent à l’égard de l’ordre établi. Cela a de quoi nous intriguer. Certaines versions de nos Bibles appellent cet épisode « la purification du Temple », on se peut demander pourquoi ? C’est sans doute un des titres les plus mal choisis. Un peu plus loin dans l’évangile – au chapitre 24 – Jésus annonce la destruction du Temple. Pour lui, le « Temple » est déjà une cause perdue ! Alors, pourquoi Jésus se fâche-t-il ?
Ce n’est pas pour le Temple que Jésus s’indigne, qu’il s’exprime avec des paroles sévères et des gestes violents, mais c’est pour Dieu son Père, « qui se retrouve, pour ainsi dire, défiguré par l’usage indigne qui est fait de sa maison »[2]. Il ne s’agit donc pas de purifier un lieu – comme s’il y avait des choses pures ou impures, sacrées ou profanes. Ce que Jésus conteste par ailleurs, en guérissant des malades, des lépreux, des impurs, des étrangers, en partageant sa table avec des exclus, des publicains et des pécheurs – mais, il s’agit de faire entendre la nouveauté de l’Evangile.

Pour Jésus, il faut jouer jusqu’au bout la partie de Dieu, quoi qu’il en coûte, en gardant peut-être le secret espoir d’une prise de conscience, d’un sursaut, d’un retournement de dernière minute.
Mais, c’est sans compter sur la résistance des Religieux, dont le pouvoir est explicitement remis en cause par le geste prophétique de Jésus. Après cet épisode, ceux-ci vont tout faire, pour voir disparaître le gêneur, qui vient ébranler leur autorité et leur assise financière, fondée sur le commerce des sacrifices.
Cet événement constitue vraisemblablement une des causes de la mort de Jésus, en tout cas, un des éléments clés qui a déclenché son élimination. Essayons, ce matin, de mieux comprendre les paroles et les gestes de résistance et de contestation de Jésus : Pourquoi chasse-t-il les marchands du temple ? Contre quoi s’indigne-t-il ?

Resituons d’abord l’épisode dans son contexte : L’évangéliste Matthieu le place après l’entrée messianique de Jésus dans la ville « sainte ». Entrant à Jérusalem, Jésus se fait acclamer « fils de David » (Mt 21,9). Ce qui suggère, de la part de la foule, l’attente d’un roi, capable de délivrer Jérusalem – et même Israël – de ses ennemis, comme David l’avait fait pendant son règne. Rappelons qu’à l’époque de Jésus, la Judée vivait sous le joug de l’occupant romain.
D’une certaine manière, cette attente va être déçue, car Jésus situe son Royaume – qu’il appelle « le règne de Dieu » (le monde nouveau de Dieu) – sur un autre plan. Il ne veut pas être un roi qui gouverne, à la manière des puissants, sur un royaume terrestre, mais un roi-serviteur, au service d’un Père qui aime et qui accueille tout homme, et dont le royaume est à accueillir avec la disponibilité et la confiance d’un cœur d’enfant.

Ensuite, notre épisode se poursuit par un dialogue de sourd avec les grands prêtres. Deux paraboles mettent en évidence l’échec de la tradition religieuse juive et le refus de ses chefs de reconnaître l’identité et l’autorité de Jésus (Mt 21, 23-46). La conclusion que le maître en tire est sans appel à l’égard des Religieux : « le Royaume de Dieu vous sera enlevé, et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits » (v.43).

Alors, qu’est-ce que Jésus reproche exactement aux autorités religieuses de son temps ? Il accuse les principaux sacrificateurs de mépriser la véritable vocation du temple, à savoir, être un lieu d’accueil et d’adoration pour tous, y compris les étrangers, qui s’attacheraient à l’Eternel (cf. Es 56,6-7). Or, c’est tout le contraire qui se produit : D’une part, les grands prêtres ont réduit la relation à Dieu à une relation marchande « donnant-donnant » par le biais des sacrifices. En effet, Dieu attend-il de la part des croyants des sacrifices pour agréer son pardon ? N’attend-il pas davantage que les hommes vivent entre eux dans l’amour, la justice et la miséricorde ? D’autre part, en installant les vendeurs et les changeurs dans la grande cour du Temple – dans l’espace normalement réservé à ceux qui ne pouvaient pas entrer à l’intérieur du Temple, à savoir : les prosélytes, les étrangers, les estropiés, les aveugles et les boiteux – les chefs de prêtres empêchent tous ceux qui n’étaient pas classés parmi les Juifs pieux et purs de pouvoir accéder à un lieu paisible, puisque cette place est désormais investie par les marchands de bétail.

Aujourd’hui, nous sommes assez étrangers à cette notion de « sacrifices ». Il faut se placer dans le contexte de cette époque pour bien comprendre le geste de Jésus :
La religion d’Israël réclamait des sacrifices de la part des fidèles. Au départ, il s’agissait sans doute de sacrifices d’actions de grâce, pour remercier l’Eternel. Mais, cette pratique s’est vraisemblablement généralisée et amplifiée. Elle est devenue un moyen de satisfaire Dieu, d’expier les péchés pour obtenir le pardon divin. Peu à peu, la relation avec la divinité est devenue une relation de type « commercial » : Il fallait offrir un sacrifice pour obtenir, en contrepartie, la réparation, le contentement ou la satisfaction de Dieu. Pour ce faire, il fallait pouvoir trouver sur place des animaux à offrir, moutons et pigeons. D’autre part, il fallait également payer l’impôt pour le Temple. Celui-ci devait être acquitté peu avant la fête de la Pâque, à l’aide de pièces d’un demi-sicle, ainsi que le prescrivait la Loi (cf. Ex 30,13). La monnaie phénicienne étant la seule qui avait conservé ce type de pièces, il fallait donc pouvoir échanger sur place l’argent grec ou romain couramment utilisé.

Ainsi donc, la présence de marchands (en vue des sacrifices) et de changeurs (en vue du paiement de l’impôt) était compréhensible. Toutefois, ceux-ci exerçaient initialement leur activité au mont des oliviers sous le contrôle du Sanhédrin. C’est le grand prêtre Caïphe, dans les années 30, qui a initié un changement : De sa propre autorité, il leur a ouvert la possibilité de s’installer dans l’enceinte même du temple, dans la grande cour. Les enjeux de cette décision étaient vraisemblablement financiers. Vendeurs et changeurs n’étaient pas seulement là pour rendre un service indispensable aux fidèles et aux pèlerins, mais pour en tirer un profit substantiel. Ce commerce devait aussi largement profiter à l’autorité religieuse qui le contrôlait.

On peut comprendre la colère de Jésus devant la colonisation de la maison de Dieu, pour des intérêts bassement financiers, et son indignation devant l’hypocrisie de ce commerce déguisé en service des fidèles, voire en service de Dieu. C’est bien d’abord eux-mêmes – leurs propres intérêts – que tout ce petit monde servait.

* On peut s’arrêter un instant sur les références aux prophètes Esaïe et Jérémie qui accompagnent le geste de Jésus, renversant les tables des changeurs et les chaises des marchands. Jésus s’insurge contre un usage illégitime de la cour extérieure du temple. Normalement, ce lieu – occupé par les marchands – était initialement réservé à ceux qui n’avaient pas le droit de pénétrer dans la cour intérieure, notamment les prosélytes étrangers.
En citant Esaïe, qui avait annoncé l’édification d’une autre Maison de Dieu, d’un lieu d’intégration ouvert à « toutes les nations » (Es 56,7)[3], Jésus affirme sans ambages que les chefs religieux sont à contre-courant de la parole du prophète, tout cela à cause d’intérêts mercantiles.[4]
Par ailleurs, Jésus cite également Jérémie (Jr 7,11). Celui-ci avait prononcé une prophétie à l’intention de tous ceux qui entrent dans le Temple pour faire des sacrifices, sans véritablement réformer leur conduite, sans se détourner des injustices et de l’idolâtrie. Le Temple ne constitue pas une assurance tout-risque ; il ne possède pas de pouvoir magique, susceptible de protéger ceux qui le fréquentent, surtout quand ils se comportent comme des infidèles ou des voleurs. Plutôt qu’aux rites du Temple, il faut s’attacher à la volonté de justice de Dieu.
Par ces références, Jésus montre à quel point son geste est un réquisitoire contre les chefs religieux d’Israël, qui ont perdu de vue leur mission en faveur de tous les peuples. La maison de Dieu doit être un lieu de rassemblement où les adorateurs – d’où qu’ils viennent – peuvent prier le Père et prêter attention à sa Parole.

* On peut s’arrêter ensuite sur un deuxième élément : sur ce que Jésus fait une fois qu’il a vidé le parvis du temple de tous les marchands. Il guérit des aveugles et des boiteux qui s’approchent de lui. Un tel geste suscite l’indignation des sacrificateurs. Ce qui les gêne visiblement ce n’est pas que Jésus opèrent ces guérisons, mais c’est que ces personnes handicapées aient la hardiesse de s’approcher du Temple. En effet, un règlement, qui datait de l’époque du roi David, limitait l’accès du Temple pour les infirmes – les boiteux et les aveugles – qui ne pouvaient pas y entrer (cf. 2 Sam 5,8). Or, Jésus transgresse cet interdit en les accueillant et les guérissant dans l’enceinte « sacrée ».

Ainsi, celui qui vient d’être acclamé « Fils de David », montre qu’il fait mieux que son illustre ancêtre. Bravant la tradition pratiquée par les prêtres, il montre qu’il est plus grand que le roi David.
Ce faisant, il manifeste ce que la Maison de Dieu doit être : non pas une place réservée à ceux qui auraient le droit d’y entrer en vertu de leur condition de vie, de leur attributs ou de leurs privilèges, mais un lieu d’accueil ouvert à tous, un lieu permettant de vivre dans une relation de gratuité avec Dieu, et un lieu de rétablissement offert aux nécessiteux.

* Troisième et dernier élément : A côté des aveugles et des boiteux, ce sont aussi des enfants qui pénètrent sur le parvis. Devant le spectacle de ces guérisons, ils se mettent à crier dans le Temple. Ce joyeux brouhaha suscite l’irritation des prêtres et des scribes. Le motif de leur indignation vient de la manière dont Jésus est acclamé : « Hosanna au Fils de David ! ». C’est un peu comme s’ils criaient : « Vive le successeur du roi David ! ».
Cette acclamation les choque et donne l’occasion à Jésus de s’expliquer. Il leur répond en citant le psaume 8 : « Tu as tiré des louanges de la bouche des enfants… » (cf. Ps 8,3 LXX). Dans ce psaume, David loue la splendeur admirable de l’Eternel. Ici, Jésus suggère qu’il est tout à fait normal qu’il reçoive cette louange que le roi David avait adressée à Dieu lui-même. Il ne s’agit évidemment pas pour Jésus de se mettre en avant ou de prendre la place de Dieu. Mais, il est effectivement légitime de louer l’Eternel pour les actes de guérison qui viennent d’être accomplis et d’acclamer Jésus, fils de David, par qui ces choses étonnantes sont arrivées.

Par cette référence au psaume 8, l’évangéliste Matthieu confirme l’identité messianique de Jésus. Il confirme également que la gloire du Royaume de Dieu ne sera pas établie par des « grands » mais par des « petits », à l’image des estropiés et des enfants. Elle ne sera pas établie par ceux qui ont « tous les avantages », mais par ceux qui se caractérisent par la faiblesse et la dépendance. Comme le dira Paul, « Dieu a choisi ce qui est faible dans le monde pour faire honte à ce qui est fort […]  de sorte que personne ne puisse faire le fier devant Dieu » (1 Co 1,27-29).

Ainsi donc – pour conclure – la réponse à notre question – pourquoi Jésus a-t-il chassé les marchands du Temple ? – est relativement simple : Pour rendre le Temple à sa véritable destination.
En interdisant à quiconque de porter du commerce dans le sanctuaire, Jésus interrompt l’activité sacrificielle.[5] Là où la religion avait transformé le lieu du Temple – de la relation à Dieu – en une institution marchande fondée sur la pratique des sacrifices, Jésus le redéfini comme Maison de Dieu, comme Maison de prière pour toutes les nations (cf. Es 56,7 ; Jr 7,11).

Derrière ce geste prophétique de Jésus, deux théologies s’affrontent :
D’une part, celle des grands-prêtres et des scribes, qui lient le monde du sacré à une pratique sacrificielle – une sorte d’échange, de commerce avec Dieu – dont ils sont les intermédiaires, qui leur fournit un certain pouvoir et une assise financière.
D’autre part, celle de Jésus, qui voit le Temple comme un lieu de prière parmi d’autres, qui implique un rapport d’immédiateté à la présence de Dieu. Cette relation directe possible avec Dieu vient court-circuiter la médiation des prêtres. Elle remet également en cause toutes les distinctions habituelles entre sacré et profane, pur et impur, hommes et femmes, aristocrates et pauvres.[6] La guérison de ceux qui n’avaient pas habituellement accès à l’intérieur du Temple montre que l’accueil de Dieu est gratuit et inconditionnel.

En agissant ainsi, Jésus montre qu’il assume un triple office de prophète, de prêtre et de roi. En tant que prophète, porte-parole de Dieu, Jésus révèle le sens profond de l’Ecriture (d’où les citations des prophètes et des psaumes). En tant que prêtre-médiateur, il accueille tous les hommes et révèle aux croyants qu’ils peuvent avoir directement accès à Dieu, sans intermédiaire… à un Dieu qui offre son salut, sa libération et sa guérison, sans avoir besoin de sacrifices. En tant que roi, il reçoit les acclamations et les louanges des enfants pour les merveilles de Dieu.

En d’autres termes, Jésus libère les croyants de l’emprise du religieux, dans ce qu’il peut avoir d’aliénant. Il appelle simplement les humains à la prière… à lever leur regard vers le ciel de gratuité, pour recevoir la certitude de l’amour de Dieu.

Ce récit nous montre que Jésus n’a pas hésité à contester et à agir à l’encontre de ce qu’il considérait comme des perversions et des injustices de son temps. Ici, c’est une sévère critique de la religion. Son geste nous appelle également à protester et à résister face à ce qui nous paraît contestable ou inacceptable à notre époque : refuser l’idolâtrie de l’argent et de la consommation, résister à l’individualisme, à l’égocentrisme et à la déresponsabilisation. Lutter pour la justice, contre les fléaux sociaux, contre le pessimisme et le découragement, pour un monde plus humain, plus paisible et plus juste. Nous avons, nous aussi, des combats à mener, armés de notre foi et de nos convictions chrétiennes, nourries par l’Evangile de la grâce.

Par ailleurs, la vocation de Jésus – comme prophète, prêtre et roi – nous éclaire aussi sur la manière dont nous pouvons nous-mêmes occuper la Maison de Dieu qu’est l’Eglise du Christ : Nous recevons, à notre tour, la vocation d’interpréter les Ecritures pour transmettre la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu autour de nous. Nous sommes toujours appelés à faire bon accueil à tous, comme Jésus a su accueillir les plus petits : les exclus, les pauvres, les étrangers, les estropiés, les enfants. Ceux qui étaient peu ou mal considérés. Enfin, nous sommes appelés à célébrer joyeusement l’accueil et le salut dont nous bénéficions, en louant et en bénissant le Père céleste, comme notre Roi, en le remerciant pour les tous les dons qu’il nous accorde dans cette vie.

Pour ce faire, pour vivre au mieux ce « sacerdoce universel », Jésus nous laisse deux conseils de vie : l’humilité et la confiance. « Si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur » (Mt 20,26). « Tout ce que vous demanderez dans la prière avec foi, vous le recevrez » (Mt 21,22).
Il nous invite ainsi à poursuivre son geste de résistance en nous appuyant sur Dieu et en pratiquant le don de soi, en offrant le meilleur de nous-mêmes. Il nous appelle à nous méfier du pouvoir des puissants qui se servent eux-mêmes, avant de servir Dieu ou autrui. Et il nous invite à croire de tout notre cœur à la bonté gracieuse de Dieu.
Pour Jésus, comme pour Paul, le Temple du saint Esprit, c’est nous ! Ainsi, « Il n’y a qu’un seul lieu où Dieu soit véritablement saint : le cœur des hommes qui croient sans réserve à sa bonté »[7].  
Amen.



[1] Inspirée par un commentaire biblique de Harold Kallemeyn
[2] J-M Babut, Actualité de Marc, Cerf, p.240.
[3] Es 56,7 est repris en Mc 11,17, mais omis en Mt 21,13.
[4] Dans le livre des Chroniques (Chr 6, 32-33), la prière de Salomon, lors de la dédicace du premier temple, soulignait déjà la vocation internationale de la Maison de Dieu : « Si un étranger, quelqu'un qui ne fait pas partie d'Israël, ton peuple, vient d'un pays éloigné pour te prier dans ce temple, après avoir entendu parler de ton nom glorieux et de la puissance avec laquelle tu agis, toi, Seigneur, dans le ciel où tu habites, sois attentif et accorde-lui ce qu'il te demande. De cette manière, tous les peuples de la terre te connaîtront… »
[5] En Jn 2,15, Jésus chasse du Temple, à la fois les marchands, les changeurs, les brebis et les bœufs destinés aux sacrifices, comme s’il s’agissait de mettre un terme à l’économie sacrificielle.
[6] Cf. F. Vouga, La religion crucifiée, p. 11-12.
[7] Cf. E. Drewermann, La parole et l’angoisse, p.293.

dimanche 22 mars 2015

Lc 14, 12-14

Lc 14, 12-14
Lecture biblique : Lc 14, 12-14
Culte avant l'Assemblée Générale – Marmande, le 15/03/15 & Tonneins, le 22/03/15
Thématique : Prendre part à l'Evangile de la gratuité
Prédication de Pascal LEFEBVRE

En ce jour d’Assemblée Générale, il est bon de réentendre ce bref passage de l’évangile de Luc, qui met en avant deux valeurs essentielles et chères à notre église : la gratuité et la fraternité.
Nous vivons dans un monde où tout s’achète et tout se vend… un monde orienté par Mammon, le dieu argent… un monde qui ne croit au salut que par plus d’avoir et de pouvoir… qui pense que le bonheur est lié à nos possessions, à notre pouvoir d’acheter et de consommer. 
Face à cela, l’Eglise est un des derniers lieux où l’on peut entendre une autre parole, qui fait, au contraire, l’éloge de la gratuité, qui nous invite à entrer dans une autre dimension – la grâce – en sortant de nos logiques de calcul, de donnant-donnant. 

Dans ce passage, Jésus appelle ses disciples à inviter ceux qui ne peuvent pas rendre, ceux qui ne sont pas susceptibles de répondre par la réciprocité. Qui a-t-il de plus gratuit que de donner et d’agir à l’égard des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ?… Cela signifie sortir de toute relation commerciale, fondée sur l’intérêt personnel, pour rencontrer l’autre tel qu’il est, celui qui est mon frère, mon semblable, tout en n’étant pas identique, le même que moi. Cela veut dire aller vers celui qui est différent, qui peut avoir besoin de mon soutien, mais qui ne pourra pas me rendre la pareille… ou, par ailleurs, aller vers celui dont je peux solliciter l’aide, car, après tout, rien ne dit que je ne suis pas cet aveugle ou ce boiteux dont parle Jésus. 

Dans tout l’évangile, Jésus ne cesse de nous appeler à dépasser les relations de miroir « donnant-donnant » : que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite ; à qui veut prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau ; si quelqu’un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui ; ne rend pas œil pour œil, dent pour dent, mais tend l’autre joue, prend l’initiative de la rencontre et de la réconciliation (Mt 5,38-6,4) !

L’Evangile met en avant la gratuité de nos gestes envers autrui. C’est ainsi qu’il invite les ouvriers de la première heure à sortir de la logique du calcul et de la jalousie envers les ouvriers de la dernière heure, en ouvrant la possibilité d’agir avec bonté et générosité, comme le maître de la vigne, qui dépasse une justice strictement méritoire, en agissant par grâce (cf. Mt 20, 1-16).

Ce qui motive cette nouvelle mentalité à laquelle Jésus nous appelle, c’est l’attitude de Dieu lui-même qui est bon avec tous, qui agit avec chacun indépendamment de ses mérites, qui fait lever son soleil sur les méchants et les bons et pleuvoir sur les justes et les injustes (cf. Mt 5,45). Ainsi, parce que Dieu agit dans la surabondance de son amour, il invite ses enfants à faire de même, à s’inscrire dans la gratuité. 

Je voudrais vous faire percevoir que c’est ce que nous vivons à notre échelle dans l’église. En effet, si vous êtes là ce matin, c’est que vous êtes membres de cette communauté, que vous participez régulièrement à sa vie cultuelle, mais aussi à sa vie matérielle, par votre soutien financier. Or, qu’est-ce que devient notre offrande ? A quoi et à qui sert l’argent que nous donnons à l’église ? Il sert, bien sûr, à maintenir l’existence matérielle de notre communauté et à participer à la rémunération d’un poste pastoral. Mais, plus fondamentalement, il ne sert pas qu’à nous, qui sommes rassemblés ici le dimanche au culte. Il permet de payer un pasteur et ses déplacements, pour accompagner des actes pastoraux : baptêmes, bénédiction de mariage, annonce de l’évangile lors d’obsèques… il sert, d’une façon ou d’une autre, à animer l’école biblique, la catéchèse, la formation, les petits déjeuners bibliques, l’Entraide, etc. 

Par votre soutien et votre contribution, vous donnez la possibilité à des personnes qui ne sont pas membres de cette communauté, mais qui la croisent, à certains moments, de rencontrer l’Evangile et un témoin, un interprète de la Parole, un pasteur, sur leur chemin. En d’autres termes, votre don ne vous revient que partiellement, mais il permet à d’autres de pouvoir entendre la Parole de Dieu. Votre don participe ainsi à quelque chose de nouveau, à un geste qui sort de la traditionnelle démarche du « donnant-donnant », de relation marchande de réciprocité : il permet de financer la proclamation de l’Evangile… d’un Evangile qui appelle justement à la gratuité des relations entre les humains. 

En soutenant la vie de l’église, en lui permettant d’avoir un pasteur, dont vous profitez partiellement des services, vous ouvrez la possibilité à d’autres de pouvoir entendre l’Evangile, alors même que vous ne les connaissez pas, alors même qu’ils ne côtoient pas forcément notre église locale : C’est ce qui se passent quand je fais – grâce à vous – une préparation au mariage pour un couple en marge de la communauté qui va se marier ailleurs. (Je prépare, par exemple, en ce moment un couple de Talence (où il n’y a pas de pasteur) qui va se marier en septembre à Nérac (où il n’y a pas non plus de pasteur)… C’est grâce à votre soutien que ce couple a pu rencontrer un pasteur à Marmande). C’est le cas aussi quand une famille éloignée demande la présence d’un accompagnement pour un service à l’occasion d’obsèques. Grâce à votre contribution, cette famille pourra entendre l’Evangile de la résurrection. Il y a encore bien d’autres situations où un pasteur peut écouter, accompagner, prier, agir, … grâce aux soutiens réguliers des membres de l’église. 

Autrement dit, au moment où nous allons entendre le bilan d’activité annuel de notre église locale, le rapport statistique, avec tels ou tels chiffres, je crois qu’il est important de se souvenir que tout ce qui se vit est possible grâce à votre générosité… que vos dons entrent dans la proclamation en paroles et en actes de l’Evangile de la gratuité… mais aussi que tout ces chiffres ne sont finalement pas très importants… et ne veulent pas dire grand-chose, dans la mesure où l’on ne peut pas quantifier ce qui est de l’ordre du qualitatif, de l’existentiel, du vécu, du relationnel, dans notre église ou à ses marges. 
Qui peut dire si une parole semée ici ou là, à telle ou telle occasion, ne va pas finir par germer à un autre moment ?… si une Parole d’Evangile ne va venir marquer un événement et changer l’orientation d’une personne un peu plus tard ?

En participant à la vie de l’Eglise, vous n’invitez peut-être pas directement des pauvres, des aveugles et des boiteux à votre table, comme l’évangile nous y invite (cf. Lc 14, 12-14) … mais vous êtes dans cet élan non-marchand de gratuité, en permettant à d’autres, qui ne sont pas ici ce matin, d’avoir pu entendre l’Evangile durant l’année écoulée à telle ou telle occasion… et de pouvoir continuer à entendre la Bonne Nouvelle l’année qui vient. 

Ce faisant, vous êtes ainsi dans l’élan de la règle d’or, qui nous invite à prendre les devants, à prendre l’initiative en faveur de l’autre, à vivre la fraternité avec engagement : « Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faîtes-le vous-mêmes [d’abord] pour eux : c’est la Loi et les Prophètes » (Mt 7,12). 

Pour conclure cette brève méditation, je voudrais terminer par cette parole qui est juste avant la règle d’or dans l’évangile de Matthieu et qui nous appelle à prier le Père : « demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira » (Mt 7,7).

Ce qu’on peut demander au Seigneur pour notre communauté et pour l’année qui vient : c’est de pouvoir être le mieux possible à son service. C’est d’accueillir son Esprit, pour être de plus en plus et de mieux en mieux, grâce à Lui et à sa Parole, une communauté fraternelle et rayonnante… une église de témoins. 
Nous pouvons aussi lui demander son soutien pour qu’il mette sur notre route… sur le chemin de notre église locale… de nouvelles personnes, de futurs nouveaux membres pour notre communauté, des hommes et des femmes en quête de Dieu… afin que notre église s’étoffe et qu’elle puisse encore mieux annoncer l’Evangile de la gratuité et de la fraternité… et ainsi prendre part à la nouvelle mentalité instillée par Jésus. 


Amen.