dimanche 25 janvier 2015

La liberté chrétienne


Thématique : la liberté chrétienne / Libre mais serviteur / Rm 14, 13-19
Culte autrement – dimanche 25 janvier 2015 à Tonneins

Prédication de Pascal LEFEBVRE = voir plus bas (après les textes et les questions)


A. Distribution des textes et lectures bibliques (Ga 5 ; 1 Co 10 ; Rm 14 : extraits)

- Ga 5, 13-16. 22-25 (NBS)

Mes frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement, que cette liberté ne devienne pas un prétexte pour la chair ; par amour, faites-vous plutôt esclaves (serviteurs) les uns des autres. 14Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 15Mais si vous vous mordez, si vous vous dévorez les uns les autres, prenez garde de ne pas être détruits les uns par les autres.
16Je dis plutôt : marchez par l'Esprit, et vous n'accomplirez jamais ce que la chair désire. […] 22Quant au fruit de l'Esprit, c'est : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, 23douceur, maîtrise de soi ; aucune loi n'est contre de telles choses. 24Mais ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs.
25Si nous vivons par l'Esprit, marchons aussi par l'Esprit. 26Ne devenons pas vaniteux ; cessons de nous provoquer les uns les autres, de nous porter envie les uns aux autres.

- 1 Co 10, 23-24. 31b-33 (TOB)

« Tout est permis », mais tout ne convient pas. « Tout est permis », mais tout n’édifie pas. 24Que nul ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui. […]  Quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu. 32Ne soyez pour personne une occasion de chute, ni pour les Juifs, ni pour les Grecs, ni pour l’Eglise de Dieu. 33C’est ainsi que moi-même je m’efforce de plaire à tous en toutes choses, en ne cherchant pas mon avantage personnel, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés.

- Rm 14, 7-19 (TOB)

En effet, aucun de nous ne vit pour soi-même et personne ne meurt pour soi-même. 8Car, si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur : soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur. 9Car c’est pour être Seigneur des morts et des vivants que Christ est mort et qu’il a repris vie. 10Mais toi, pourquoi juges-tu ton frère ? Et toi, pourquoi méprises-tu ton frère ? Tous, en effet, nous comparaîtrons devant le tribunal de Dieu. 11Car il est écrit : Aussi vrai que je vis, dit le Seigneur, tout genou fléchira devant moi et toute langue rendra gloire à Dieu. 12Ainsi, chacun de nous rendra compte à Dieu pour soi-même.
13Cessons donc de nous juger les uns les autres. Jugez plutôt qu’il ne faut pas être pour un frère cause de chute ou de scandale. 14Je le sais, j’en suis convaincu par le Seigneur Jésus : rien n’est impur en soi. Mais une chose est impure pour celui qui la considère comme telle. 15Si, en prenant telle nourriture, tu attristes ton frère, tu ne marches plus selon l’amour. Garde-toi, pour une question de nourriture, de faire périr celui pour lequel Christ est mort. 16Que votre privilège ne puisse être discrédité. 17Car le Règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint. 18C’est en servant le Christ de cette manière qu’on est agréable à Dieu et estimé des hommes. 19Recherchons donc ce qui convient à la paix et à l’édification mutuelle.


B. Questions pour partager et débattre (en groupe de 4 personnes / environ 3 minutes par questions) :

1) Dans chacun des 3 textes lus (et notamment en Rm 14) :
Quel comportement l’apôtre Paul associe-t-il à la liberté chrétienne ? Négativement et positivement, que convient-il de ne pas faire / et de faire ? (voir passages en gras)

2) Sur un post-it par groupe :
Notez quelques mots ou valeurs que Paul associe à la liberté en Christ ?
(par exemple, « la justice », …  etc.)

3) Quelle distinction ou différence faites-vous entre la « liberté chrétienne » et la « liberté républicaine » ? Quelles en sont les limites ?

4) En quoi la définition de la liberté selon Paul peut-elle nous éclairer sur notre actualité et les événements récents : Fallait-il manifester avec « Charlie » les 10 et 11 janvier derniers (marches républicaines) ? « Charlie Hebdo » a-t-il bien fait d’exercer son droit de publier des caricatures ? Quelle aurait été la position de Paul sur ce point ? Qu’en pensez-vous ?

5) Sur un post-it par groupe :
Notez quelques mots : comment vivre au quotidien cette liberté chrétienne, cet état d’esprit proposé par Paul ?
Que faut-il changer ? De quoi ou de qui avons-nous besoin ?


C. Prédication – après reprise rapide des « post-it »

* Nous méditons aujourd’hui sur le thème de la liberté chrétienne. C’est un sujet d’actualité. Partout, on parle de liberté… on revendique sa liberté : liberté de choisir et d’agir à sa guise… liberté de s’exprimer comme on l’entend… liberté de vivre et même de mourir quand et comme on le décide.
Mais, est-ce vraiment cela la liberté ?
La vraie liberté ne doit-elle pas être associée à d’autres notions : par exemple, la responsabilité (notre capacité de répondre de nos choix) ou la fraternité (qui consiste à tenir compte de l’autre, de celui qui également libre et qui est mon frère).

Le réformateur Martin Luther écrivait : « Le chrétien est l’homme le plus libre ; maître de toutes choses, il n’est assujetti à personne ». « L’homme chrétien est en toutes choses le plus serviable des serviteurs ; il est assujetti à tous ». Qu'est-ce que cela veut dire ? Comment cette dialectique résonne-t-elle dans notre actualité ? 

* Pour comprendre cette formule qui lie « liberté » et « service » (donc responsabilité), il faut ouvrir les épîtres de Paul.
Pour l'apôtre, nous sommes libres. Le Christ nous a sauvés de nos enfermements (la loi, le péché, l'orgueil, l'égocentrisme, l’autojustification, etc.).
Mais, cette liberté ne doit pas être un prétexte pour faire n'importe quoi. Elle ne doit pas être confondue avec une auto-nomie radicale (« auto-nomos » signifiant « être soi-même sa propre loi »), par laquelle l'homme prétendrait vivre pour lui-même, sans Dieu et sans se préoccuper d'autrui. Elle ne peut se réduire à un « tout est permis » qui conduirait l’existence à la violence, à l’anarchie ou à la débauche. (Paul dirait à l'esclavage sous la chair).

Au contraire, parce que notre liberté est un don de Dieu, nous sommes appelés à en faire bon usage, à en tirer des fruits, en la mettant au service les uns des autres, en devenant serviteur dans l'amour (Ga 5,13-14 ; Rm 13,8-10 ; 1 Co 13).
La liberté qui nous est offerte, doit contribuer à la recherche de la justice (Rm 6,15-23) et à l'édification mutuelle (Rm 14,19 ; 15,2).
Autrement dit, l'exercice de cette liberté (selon l’Esprit) trouve une limite dans la reconnaissance et le respect de la personne et de la conscience de l’autre (1 Co 8,9.13 ; 10,24.32 ; Rm 14,13.15) :
« Tout est permis, mais tout n’est pas profitable » ou « Tout est permis, mais tout n’édifie pas » (1 Co 6,12 ; 10,23).

* Cette conviction peut nous éclairer sur les évènements récents :
Lorsque les français sont descendus dans la rue – suite aux attentats des 7 et 8 janvier – ils ont eu raison. Ils ont exercé leur liberté avec discernement en criant contre l’injustice et la violence, en manifestant leur solidarité avec « Charlie » et la communauté juive, ainsi que leur attachement aux valeurs de la République, notamment la liberté d’expression.
Mais, lorsque le journal Charlie Hebdo publie les semaines suivantes des caricatures de Mahomet, fait-il bon usage de sa liberté ? Rien n’est moins sûr.
Certes, du point de vue de la République, le journal est libre de provoquer. Il fait usage de son bon droit. Mais, en quoi cette expression contribue-t-elle à l’édification mutuelle, à la fraternité et à la paix ?

Personnellement, nous ne trouvons rien de choquant dans ces dessins. Mais s’ils font « trébucher » l’autre, s’ils blessent certains et portent atteinte au respect de la foi d’autrui, en quoi sont-ils constructifs ?
On tente de les justifier par l’humour. C’est discutable. La définition même du mot « caricature » (Dessin à charge, mettant en exergue les défauts physiques d'une personne, certains traits de caractère souvent ridicules ou déplaisants dans la représentation d’un sujet) et son usage au XIXe et XXe siècles (surtout en période de guerre, pour dénigrer l’ennemi) montrent qu’elle relève souvent de la satire.
Or, ce n’est pas en tournant les religions en dérision, en ridiculisant ou en parodiant la foi de l’autre, qu’on fait avancer le débat et évoluer les mentalités. En réalité, on ne fait que cristalliser des pastiches, des préjugés et des idées-reçues, au nom d’une prétendue laïcité, servant de masque et de tribune à l’athéisme.

Plutôt que des caricatures, faisons usage de pédagogie. Et nous lutterons plus efficacement contre l’ignorance des intégristes et des fous de dieu, selon l’adage de Nelson Mandela : « L’Education est l’arme la plus puissante pour changer le monde ».

* Ainsi donc, pour vivre la liberté chrétienne – et pas seulement la liberté républicaine – mettons-nous à l’écoute de Paul :
« Cessons donc de nous juger les uns les autres. Jugez plutôt qu’il ne faut pas être pour un frère cause de chute ou de scandale. […] Si [en faisant une chose] tu attristes ton frère, tu ne marches plus selon l’amour. […]. Recherchons ce qui convient à la paix et à l’édification mutuelle » (Rm 14, 13-19).
La vraie liberté se construit dans la fraternité, pas sur le dos de l’autre ou à son insu, mais avec lui.

Pour Paul, comme pour Luther, il n’y a pas de liberté sans service du frère. Si nous sommes libres… si, par la foi, le Christ nous a libéré de nos fausses routes, de nos enfermements et de nos peurs… c’est pour aimer et servir librement le prochain. En quelque sorte, c’est pour une « nouvelle obéissance »… une obéissance libre, choisie et assumée sous la seigneurie de Jésus Christ.

* Cela veut dire que nous n’avons pas à nous conformer à la mode du temps où il fait bon, aujourd’hui, revendiquer son athéisme, critiquer et discréditer les religions, en les considérant comme des lieux de développement de l’obscurantisme et du fanatisme.
Certes, il y a des intégristes ici ou là qui ont été endoctrinés et manipulés, qui utilisent le nom de Dieu en vain, et qui confondent « religion » et « aliénation ». Mais cela n’a rien à voir avec les religions du livre, qui appellent à un processus d’interprétation des Ecritures sur lesquelles elles se fondent, et à une intelligence de la foi, en vue d’édifier, de valoriser la relation à Dieu et au prochain.
Si les fanatiques ne connaissent souvent rien ou pas grand-chose à la religion dont ils se revendiquent pourtant, ils ne sont pas les seuls. La culture religieuse de bien des personnes prétendument athées est parfois proche de zéro et s’avère souvent caricaturale (justement).

Le législateur, qui a mis en œuvre la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, a voulu affirmer la neutralité de l’Etat en matière religieuse, tant que les religions ne troublent pas l’ordre public. L’Etat (via le ministère de l’Intérieur) a pour mission de veiller au libre exercice des cultes. Depuis la Révolution, la France n’est pas un Etat athée, mais un Etat non-religieux, ce qui est très différent. Et ce qui assure pour chacun le droit, la liberté et le respect qui lui sont dus dans l’exercice de sa religion (et, bien sûr, la liberté de changer de religion ou de ne pas en avoir).

Quand « Charlie hebdo » tire à boulets rouges sur les religions, il fait usage de sa liberté, mais, en réalité, il n’est pas dans la ligne de la loi 1905. Athéisme et laïcité ne doivent pas être confondus.
Entre parenthèses, il faut remarquer que les pays anglo-saxons, tout aussi attachés à la liberté d’expression que nous, ont été beaucoup plus modérés que certains médias français sur ce point, en choisissant de ne pas diffuser les satires religieuses de « Charlie Hebdo ».

* Tous ces événements doivent aussi nous interroger sur le type de laïcité que nous voulons (?) : une laïcité qui cantonne strictement les religions dans la sphère privée et qui exclut le religieux du débat public. Ou une laïcité qui, tout en étant neutre, favorise le dialogue entre les religions, afin qu’elles ne fassent pas que cohabiter, mais que s’installe entre elles - et entre elles et la société - un vrai dialogue respectueux de chacun.

La laïcité défendue par une minorité agissante et médiatique, qui voudrait refouler le religieux de la vie publique, ne correspond pas à la réalité sociale :
En France, ce sont des millions de personnes qui, chaque semaine, se réunissent, prient, méditent, agissent et contribuent à la paix sociale, en créant du lien et de la solidarité entre tous.
On ne compte pas le nombre d’institutions caritatives, éducatives et sociales religieuses (paroisses, associations, diaconies, entraides, …) au service de tous, et surtout des plus démunis, et ayant établi de nombreux liens et partenariat avec l’État. Sans elles, le pays se porterait moins bien.
Que certains s’engagent et agissent pour le bien commun au nom de leur foi, pourquoi devrait-on le taire ?

* Pour en revenir au thème de notre méditation… exercer sa « liberté », c’est aussi faire preuve de responsabilité et de discernement, c’est penser à l’impact et aux conséquences de ses actes sur autrui. (Max Weber a développé l’idée d’une « éthique de responsabilité ».)
Sous couvert de ses convictions, de l’art ou de la liberté d’expression, on ne peut pas revendiquer des droits, prendre des libertés, sans répondre de ses actes, sans prendre les responsabilités qui vont avec.
Il faut bien se rendre compte que la montée des incivilités et le manque de respect pour les convictions personnelles des uns ou des autres, porte atteinte au savoir-vivre et au vivre ensemble, nécessaires à la construction et à la solidité du tissu social.
L’humaniste, l’artiste, le critique et le journaliste… chacun est appelé à faire preuve de mesure – non pas d’autocensure par peur, crainte ou menace de représailles… il ne s’agit pas de cela – mais d’user de son art, de sa plume ou de sa langue avec mesure par respect de l’autre… et par « charité » - dirait l’apôtre Paul.

Les épîtres de Paul nous montrent que ce n’est pas en choquant son interlocuteur qu’on impulse du changement, mais en accompagnant, en expliquant.
Si vous faites violence à votre auditoire, il se braquera et ne vous écoutera pas. Vous aurez peut-être était un brillant orateur ou dessinateur, mais, sur le fond, votre œuvre restera stérile, vous n’aurez instillé aucun changement.
Pour transformer les mentalités et les comportements de ses auditeurs, Jésus utilise une arme : des paraboles… des histoires, des comparaisons, dans lesquels on peut se projeter. Autrement dit, il conduit ses interlocuteurs sur un autre chemin, en les accompagnant, en les invitants à changer de point de vue et de regard, à occuper une autre place… mais pas en les blessant.

* Dans le service du frère, Jésus et Paul insistent sur le fait de ne pas juger son prochain, pour ne pas le réduire et l’enfermer dans un rôle, pour ne pas le figer dans une place, dans ses actes ou ses erreurs.
« Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés ; remettez, et il vous sera remis » (Luc 6, 37).

Nous devons percevoir que « renoncer à juger » - comme « renoncer à faire tomber, à scandaliser » - ne conduit ni l’indifférence, ni à la passivité.

Dans l’extrait de la lettre aux Romains que nous avons entendu… en une même phrase, Paul utilise le mot juger dans deux sens différents : « Cessons de nous juger les uns les autres : jugez plutôt qu’il ne faut rien mettre devant votre frère qui le fasse buter ou tomber » (Rm 14, 13). L’arrêt des jugements mutuels ne conduit pas à la passivité, mais elle est une condition pour une activité et des comportements justes… une condition de la réception de l’autre comme étant mon frère… une condition pour l’écoute et le changement.

Si l’apôtre recommande la plus grande retenue dans le jugement, il demande en même temps avec insistance de se soucier des autres, et si besoin de les reprendre fraternellement … de reprendre en vue d’instruire, dans une visée pédagogique et solidaire… non en vue de juger, d’exclure ou de ridiculiser.
Je cite Paul : « Reprenez les désordonnés, encouragez les craintifs, soutenez les faibles, ayez de la patience envers tous » (1 Th 5,14).

Seule la charité et l’amour du prochain – qui caractérise la vraie liberté – sont capables d’un tel service.

* Alors, frères et sœurs, chers amis… enracinons-nous dans cet Esprit de liberté et de fraternité que le Christ nous donne. Et soyons des témoins lumineux de cette liberté-là pour tous ceux que nous croisons… soyons des témoins de l’amour de Dieu qui ne cesse d’accueillir et de relever.

Amen. 

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