vendredi 25 décembre 2015

Qu'est-ce qu'on fête à Noël ?

Qu’est-ce qu’on fête à Noël ?
Lectures bibliques : Lc 1, 26-38 ; Lc 2, 1-7 ; Mc 1, 4-15
(Volonté de Dieu : Ep 4, 17-18. 22-24 + 5. 8-9)
Thématique : Noël, fête de l’incarnation ou fête de l’Esprit saint… pour nous
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 25/12/15, culte de Noël.

- Tous les ans, pour préparer la fête de l’arbre de Noël[1], je demande aux enfants de l’école biblique : « qu’est-ce qu’on fête à Noël ? »

Evidemment, ce n’est pas la fête du père Noël qui apporte des cadeaux au pied du sapin – bien que cela fasse briller les yeux des plus jeunes – mais, c’est avant tout l’heureux anniversaire de la naissance de Jésus, le Christ, le sauveur, envoyé par Dieu, pour éclairer l’humanité… à l’image de l’étoile posée au sommet du sapin… comme l’étoile qui a peut-être guidé les mages dans la nuit, jusqu’au lieu où se trouvait le nouveau-né… celui qui est venu manifester et incarner la Parole vivante de Dieu…. la lumière de Dieu pour l’humanité.

- Mais, plus fondamentalement, posons-nous la question, nous aussi les adultes : « qu’est-ce qu’on fête réellement à Noël ? »

Noël, c’est la fête de l’incarnation. L’incarnation, c’est ce qu’on appelle traditionnellement un mystère chrétien.
Le terme « in-carnatus » veut dire « (entrer) dans la chair ». Il signifie la venue de Dieu – du Dieu Esprit, du Dieu lumière, du Dieu Amour – dans notre humanité, en l’homme Jésus.

C’est là le miracle – le scandale même – du christianisme par rapport aux autres religions : affirmer que Dieu – l’Eternel, le Très Haut – s’est pleinement révélé dans la figure d’un homme, du Jésus terrestre. C’est là la pierre d’achoppement pour les autres religions monothéistes qui n’admettent pas cette idée d’incarnation de Dieu.

Mais, en fait de scandale, tout dépend de la manière dont on comprend cette notion d’incarnation.

Evidemment, si l’on dit – comme l’affirmait autrefois les pères de l’Eglise – que « Dieu s’est fait homme », que « Dieu devient un homme », on ne risque pas de pouvoir dialoguer avec les autres religions, qui n’admettent pas l’idée que Dieu, qui est Saint, qui est transcendant et tout-puissant, puisse s’abaisser jusqu’à venir communiquer et communier – disons même, s’unir – avec notre humble et impure humanité.

Il faut donc mieux expliquer autrement à nos contemporains ce que signifie l’incarnation, pour éviter les malentendus.

- Le premier point à préciser, c’est que l’incarnation signifie la manifestation centrale de Dieu dans un homme. C’est le credo, une des convictions majeures du christianisme : En l’homme Jésus, Dieu se fait connaître. Il se donne à voir. C’est-à-dire que, par cet homme, il manifeste son amour, sa volonté et son salut.

Mais, en même temps, il faut chasser de notre compréhension, et même de notre langage, l’idée sous-jacente de transformation : Dieu ne devient pas un homme, il ne se transmute pas en homme, à la manière des dieux de la mythologie gréco-romaine qui se métamorphose en humain, pour séduire une belle et charmante humaine.
Il ne se transforme pas non plus en homme à la manière des séries de science-fiction d’aujourd’hui, où les héros dotés de superpouvoirs peuvent aussi revêtir une apparence humaine.
Ce genre de croyance serait purement mythologique… pour ne pas dire « païenne ».

Je me permets d’insister sur ce point : l’incarnation ne veut pas dire que Dieu devient un homme, au sens d’une transformation, mais au sens d’une révélation, d’une manifestation.[2]
Pendant que Dieu se révèle en Jésus, il continue à être Dieu, à soutenir l’univers, à agir dans sa création et ses créatures.

En réalité, il me semble que la seule manière d’exprimer clairement ce concept d’incarnation, c’est de se référer à l’action de l’Esprit saint.
L’Esprit saint, c’est Dieu lui-même, c’est le souffle de Dieu. L’évangile l’affirme : « Dieu est Esprit » (cf. Jn 4, 24).

Pour essayer de concevoir « l’incarnation » de Dieu, il faut simplement penser – si j’ose dire – à l’incarnation spirituelle de Dieu, à l’incarnation de son souffle qui est venu se réaliser, se révéler, habiter dans notre humanité en un humain (cf. Jn 1,14), qui fut totalement transparent au souffle lumineux de Dieu.
Et puisque cet homme était pleinement animé par l’Esprit de Dieu – puisqu’il s’est trouvé en totale ouverture et communion avec le Père – ses disciples ont reconnu en lui l’expression de la Parole de Dieu. On a dit de lui qu’il était le Verbe, la Parole vivante de Dieu (Jn 1, 14.18).

- On peut donc dialoguer avec les autre religions – et c’est mon second point – pour leur dire que notre conviction, en tant que Chrétiens, disciples du Christ, ce n’est pas que Dieu devient un homme, mais notre différence porte sans doute sur notre manière de penser Dieu.

Pour nous, Dieu n’est pas un Être supérieur, totalement inaccessible et transcendant… un Dieu-Juge qui règne du haut du ciel, sur son trône de gloire… mais une réalité spirituelle et relationnelle, au fondement de l’être… une réalité dynamique, énergétique, qui est comme un souffle, c’est-à-dire qui agit dans sa création et ses créatures… et qui s’est manifestée de façon centrale en un être humain : Jésus de Nazareth.

Autrement dit, en pensant Dieu comme Esprit, comme souffle vivifiant, on peut exprimer, de manière plus compréhensible pour nous, l’incarnation de Dieu en Jésus Christ, comme la pleine manifestation du souffle de Dieu dans un être vivant, pleinement ouvert à la présence du Père en lui.

Il faut donc dire que Noël n’est pas simplement la fête de la naissance de Jésus, c’est-à-dire un anniversaire. C’est en réalité – et plus fondamentalement – la fête de la manifestation centrale de l’Esprit saint – une sorte de Pentecôte personnifiée avant l’heure.
C’est la révélation de l’Esprit de Dieu dans un être humain, qui – de ce fait – nous dévoile le visage et l’intention de Dieu.

D’ailleurs, c’est en ce sens que les récits évangéliques expriment l’identité de Jésus : comme celui qui est marqué du sceau du saint Esprit, de l’Esprit de Dieu.

- Dans l’évangile selon Marc, il n’y a pas de récit de naissance miraculeuse de Jésus (On ne sait rien de sa conception, de sa naissance, de sa jeunesse) : tout commence avec le baptême de Jésus.
Au moment de ce baptême par Jean baptiste dans le Jourdain, Jésus vit une expérience spirituelle inouïe : Il reçoit l’Esprit de Dieu. Il est bouleversé, irradié, illuminé par l’Esprit de Dieu. Ce que Marc symbolise par l’ouverture des cieux, la descente d’une colombe – signe de paix – et la voix qui retentit des cieux exprimant l’élection et l’adoption de Jésus comme « Fils de Dieu », c’est-à-dire comme celui qui exprimera la volonté du Père.  

Car c’est bien là un des sens du terme « fils de Dieu » : le Fils est celui qui vit une relation de proximité et de confiance avec le Père ; il est l’héritier du Père, celui qui poursuit et accomplit son œuvre ; il est aussi son mandataire, son représentant : celui qui incarne la présence du Père, là où il se trouve.

Aussitôt – selon Marc – l’Esprit pousse Jésus au désert, c’est-à-dire dans un moment de solitude et d’intense communion avec Dieu. Et, plus tard, il conduit Jésus à proclamer l’Evangile de Dieu, manifestant la proximité du règne de Dieu, qui précisément se manifeste en Jésus lui-même, le porteur de l’Esprit.

- Dans l’évangile selon Luc, la manifestation de l’Esprit est exprimée plus tôt – bien avant le baptême de Jésus – dès la conception de l’enfant (Nous l’avons entendu).
C’est l’annonciation : l’annonce faite à Marie qu’elle enfantera un enfant qui sera appelé « fils du Très-Haut », autrement Fils de Dieu, envoyé de Dieu.

Le messager, qui vient annoncer cette bonne nouvelle à Marie, parle ici aussi de la présence de l’Esprit saint. C’est évidemment une manière de dire la présence et l’action de Dieu, non seulement au moment du baptême de Jésus en tant qu’adulte, mais dès sa conception : « l’Esprit saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ; C’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu ».

Bien entendu, il y a plusieurs manières d’interpréter ce message de l’ange.
L’annonce qui est clairement faite : c’est la venue d’un enfant qui sera le Messie, le Christ.
Pour le reste, on est libre d’interpréter ou pas les détails de façon symbolique. Le fait que Marie fut ou non vierge n’ajoute rien à l’histoire.

Aujourd’hui, beaucoup de nos contemporains ne croient pas ou plus à la virginité de Marie, ce qui ne les empêche pas de considérer Jésus comme le Fils de Dieu, le révélateur de Dieu : celui qui apporte la Bonne Nouvelle de l’amour du Père pour les humains … et de le recevoir comme leur sauveur, c’est-à-dire comme celui qui apporte libération, guérison et réconciliation à l’humanité.[3]

- Mais, du coup, ce temps de Noël qu’on fête tous les ans, doit nous interroger – et je reviens à ma question initiale : « qu’est-ce qu’on fête à Noël ? »

Si on ne fête pas seulement l’anniversaire de la naissance de Jésus, mais celle de l’incarnation de l’Esprit de Dieu de façon centrale dans un être humain, en Jésus… alors, on peut comprendre que cette fête nous concerne directement.

Elle n’est pas un beau conte populaire de Noël – « il était une fois, est venu l’enfant Jésus dans la crèche… » – c’est-à-dire, le pieux souvenir de la venue il y a 2000 ans d’un enfant Christ-Jésus… mais la manifestation, pour toute l’humanité, de la possibilité d’incarner l’Esprit de Dieu en l’homme.

Noël révèle – à travers l’exemple et le prototype qu’est Jésus – la possibilité même pour l’être humain d’incarner, d’accueillir dans la chair, de manifester concrètement et existentiellement l’Esprit de Dieu.

Autrement dit… se recevoir comme disciples du Christ, frères et sœurs de Jésus Christ, c’est affirmer qu’à la suite de Jésus, nous sommes appelés à incarner, à notre tour… à laisser habiter… l’Esprit de Dieu dans notre vie, dans notre personne, dans notre chair.

Les homme et les femmes – que nous sommes – ces êtres finis sont capables d’infini : ils sont capables d’accueillir, de recevoir, de se laisser inspirer… et donc de manifester… l’Esprit de Dieu.
Voilà, ce que nous fêtons à Noël : la possibilité de suivre le Christ, de devenir, à notre tour, porteur de Bonne Nouvelle, d’espérance, de lumière, pour notre monde… car, si nous nous rendons disponibles au souffle de Dieu… il peut nous guider, nous inspirer… il peut se manifester en nous, nous apporter la paix et la joie… pour nous-mêmes et pour ceux qui nous entourent. C’est ça la merveilleuse bonne nouvelle de Noël !

Dieu peut agir en nous, comme il a fait en Jésus Christ… à condition que nous lui fassions pleinement confiance, que nous nous ouvrions à Lui.

N’est-ce pas exactement ce que Jésus affirmait lui-même ? Je cite :
« Croyez-moi – dit Jésus – je suis dans le Père, et le Père est en moi […] En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes […] Le Père vous donnera quelqu'un d'autre pour vous venir en aide, afin qu'il soit toujours avec vous : c'est l'Esprit de vérité. [..] vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure avec vous et qu'il sera toujours en vous » (Jn 14, 11-17).

Jésus disait encore à ses disciples : « Vous êtes lumière du monde » (Mt 5, 14 ; voir aussi Ep 5, 8-9)… en vous aussi la lumière de Dieu peut briller ! Faites lui confiance !

N’est-ce pas l’annonce que le Père est présent et agissant en chacun de nous, pour autant que nous lui laissions de la place… pour autant que nous le laissions régner en nous ?

Noël, la fête de l’incarnation, nous invite à nous souvenir, année après année, de cette possibilité de laisser Dieu habiter et agir en nous… comme Jésus l’a laissé agir en lui, en se mettant à son écoute, en lâchant son égo, en s’abandonnant corps et âme à Dieu, en se laissant habiter par le souffle divin.

L’apôtre Paul l’affirme également dans ses lettres : « vous êtes le temple du saint Esprit » (1 Co 3,16 ; 6, 19). Et il annonce à ses disciples qu’ils sont « le corps du Christ » (cf. Rm 12, 4-5 ; 1 Co 12, 12-13. 27).

Quand nous écoutons l’Evangile, quand nous participons à la Ste Cène, nous entrons dans une communion spirituelle avec Jésus et nous souvenons que nous sommes membres du corps du Christ :
Nous sommes appelés à prendre part, à participer à l’œuvre du Christ… en laissant l’Esprit de Dieu agir en nous… en laissant le Christ naître en nous (cf. Ep 4,23-24 ; Col 3,10-11 ; Ga 3,26-27 ; Rm 13,14).
« Être le corps du Christ », cela veut dire être ses bras, ses jambes, sa bouche… être celles et ceux qui marchent et parlent pour lui, dans notre monde d’aujourd’hui.

C’est cela le message de Noël : pas seulement la naissance historique de Jésus il y a 2000 ans – comme un fait révolu – mais la naissance existentielle du Christ dans notre vie d’aujourd’hui.

Le miracle de Noël, il y a 20 siècles, c’est que l’Esprit de Dieu s’est pleinement manifesté dans la vie et la personne de Jésus… le miracle de Noël, aujourd’hui, c’est que cette histoire continue et ouvre notre propre histoire.

Aujourd’hui encore le Père est présent et agissant : il peut souffler en nous, dans notre intériorité, pour nous influencer, nous guider, nous guérir… pour nous offrir tout ce dont nous avons besoin et nous tourner vers les autres.

- Au fond, nous n’avons qu’une seule chose à faire pour accueillir le Christ en nous : faire comme Marie : lâcher notre raison, notre égo, nos préoccupations, pour nous mettre à l’écoute de l’Esprit… pour nous rendre disponibles à Dieu.

Dieu ne demande pas notre soumission, mais notre consentement… notre ouverture et notre participation.

Qu’a-t-elle répondu Marie au messager qui lui annonçait l’action du souffle de Dieu dans sa vie ?
« Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit ! » (Lc 1, 38)

Voilà ce qu’est la foi, la confiance !
Oser dire à Dieu :
Je sais que tu m’aimes et que tu veux mon bien et mon bonheur : qu’il soit fait, Seigneur, selon ta volonté. Je veux lâcher prise, lâcher toutes résistances et m’ouvrir à toi. Que tout se passe selon ton Esprit !

Alors, certainement, nous serons sauvés !
C’est ce qu’annonce la venue de Jésus, dont le prénom signifie « Dieu sauve ».

Oui… Dieu vient nous sauver, nous libérer, nous guérir, nous réconcilier.
En ce jour de Noël et tous les jours suivants, ouvrons-nous à son Esprit pour accueillir son salut.

Amen.



[1] Fête annuelle de l’église protestante de Tonneins qui a lieu le 1er samedi soir des vacances scolaires de décembre.
[2] « L’incarnation du Logos n’est pas une métamorphose, mais sa totale manifestation dans une personne vivante » (cf. Tillich).
[3] Cette question de virginité de Marie est tout à fait secondaire. Ce qui importe pour l’évangéliste Luc, c’est de rappeler l’oracle d’Esaïe qui voulait que le Messie naquît dans d’une femme récemment marié : « voici la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils » (Es 7,14), et d’annoncer qui sera Jésus : Déjà, dire qu’il s’appellera « Jésus », ce qui signifie « Dieu sauve » est en soi un programme. Ensuite, il recevra un titre messianique, « Fils du Très-Haut ». Luc emploie ici un titre du judaïsme hellénistique, « Très-Haut », qui est appliqué à Dieu : il révèle que Jésus sera le Messie dont l'un des titres est bien « Fils de Dieu ».

jeudi 24 décembre 2015

Le petit âne - veillée de Noël

 Le petit âne
Lecture biblique : Lc 2, 1-18 ; Nb 22, 21-35
Thématique : à l’image de l’âne, s’inscrire dans la patience, l’amour et l’humilité
Prédication de P. Lefebvre / reprise et adaptée d’une méditation de Roland Revet
Veillée de Noël 2015 à Marmande (le 24/12/15)
& veillée de Noël 2021 à Bordeaux (temple du Hâ)

* Pour notre veillée de Noël… je vous propose de méditer – de façon un peu inhabituelle – à travers un thème peu commun… plus exactement à travers un personnage souvent oublié de nos récits bibliques : l’âne.

Il paraît – selon des écrits apocryphes[1] et certains pères de l’Eglise – qu’un bœuf et un âne étaient dans l’étable, avec Marie et Joseph, au moment de la naissance de Jésus.

On voit aussi souvent – dans les peintures et les tableaux de la nativité – la présence d’un âne portant Marie sur son dos … alors qu’elle est enceinte, sans doute éprouvée par le long voyage qui devait la conduire avec Joseph, de Nazareth à Bethléem, à près de 150 kilomètres de là, sur des mauvaises routes, en vue du recensement. … et cela alors qu’elle arrive au terme de sa grossesse.

Ou encore – nous avons d’autres représentations picturales – qui font état du second périple de Marie sur son âne… cette fois avec Jésus, après la naissance…   jusqu’en Egypte. Puisque Hérode a décidé de faire périr tous les jeunes enfants, au cas où un rival, un futur roi, se trouverait parmi eux.

L’âne est un animal très présent dans les représentations picturales évoquant la nativité ou la fuite en Egypte. Il est cet animal serviable, doux et humble… sur qui on peut compter pour porter des charges ou des personnes, même sur des chemins rocailleux et difficiles… même si on sait aussi qu’il a parfois une tête de mule ou un caractère de cochon.

On dit aussi de lui – à cause de son entêtement – qu’il est rebelle. « L’âne sauvage » est réputé pour être indomptable. Il symbolise, par exemple, dans certains récits bibliques, la personne ou le peuple obstiné qu’on ne peut pas maîtriser (cf. Gn 16, 11-12). Celui qui n’est pas à l’écoute et qui n’en fait qu’à sa tête... qu'on représente aussi parfois par le bouc ou la chèvre rebelle.  

En réalité, l’âne n’est pas explicitement nommé dans l’histoire de Noël racontée par les évangiles canoniques. Il est tout de même bien présent dans la Bible. Puisqu’il en est fait mention près de 90 fois.

Il sert, par exemple, à Abraham et Isaac pour se rendre sur le lieu du sacrifice. Le patriarche conduit son âne chargé de bois sur la montagne indiquée par le Seigneur.

Nous avons aussi l’ânesse de Balaam qui est la seule à être suffisamment sensible et éveillée, pour reconnaître l’ange de Dieu qui lui barre la route, alors que Balaam, lui, n’a rien vu et rien compris. A travers le comportement inhabituel de l’animal, le prophète finit par percevoir la volonté du Seigneur. Là où l’homme est souvent aveuglé, l’ânesse, elle, discerne l’invisible ; elle est sensible à la présence de l’ange de l’Eternel.

On retrouve encore l’animal au moment de la rencontre entre Samuel et Saül. Alors que Saül est à la recherche de ses ânesses, Samuel reçoit l’ordre de l’Eternel de oindre le jeune homme, pour faire de lui le chef du peuple d’Israël.

Dans le Nouveau Testament, c’est encore sur un âne – cette modeste monture – que Jésus a voulu entrer à Jérusalem, comme nous en faisons mémoire le jour des Rameaux.
Autrement dit, on retrouve l’âne un peu partout dans la Bible, parce qu’il était très présent au Moyen Orient.

Toute une symbolique est attachée à cet animal. Contrairement au cheval qui symbolise la force orgueilleuse, la puissance et la richesse –  Il paraît d’ailleurs que Salomon avait un nombre important de chevaux. Mais les prophètes Esaïe, Osée et Michée, par exemple, contesteront les choix de vie marqués par l’égocentrisme et le luxe. Critiquer les privilèges des puissants ne date pas d'aujourd'hui. Ils diront que mettre sa confiance dans les chevaux, c’est un peu comme se détourner de l’Eternel  – l’âne, pour sa part, animal humble mais solide, serait plutôt un signe d’attachement fidèle et sûr.

Evidemment, notre culture contemporaine et urbaine est éloignée des images bibliques d’antan. L’âne représente davantage pour nous, aujourd’hui, un symbole de bêtise et d’entêtement, à l’origine du bonnet d’âne infligé autrefois aux cancres. Ou encore, dans le meilleur des cas, l’âne est un animal-jouet, un peu comme une grosse peluche vivante, destinée à promener les enfants dans les jardins publics ou sur les routes de montagne.

Mais, ce qui nous intéresse ce soir, c’est de nous souvenir que cet animal peu glorieux, patient, persévérant, dur au mal… et doté d’un cri assez désagréable… Dieu l’a souvent choisi – d’après la Bible – pour accompagner le déroulement de certains épisodes de l’histoire qu’il entreprend et tisse avec les être humains.

Bien sûr, il est parfois nécessaire d’interpréter ces récits bibliques de façon symbolique…  L’histoire d’une ânesse dotée de la parole, et qui entre en dialogue avec le prophète Balaam a de quoi nous étonner…  de même que l’histoire des anges célestes qui se rassemblent en masse sur le lieu de la naissance de Jésus pour chanter les louanges de Dieu : tout cela à de quoi nous questionner.
Mais la Bible n’est-elle pas aussi là pour pousser notre raison dans ses derniers retranchements ?… pour nous inviter à lâcher notre mental… et nous appeler à voir les choses autrement ?

En faisant appel à tout un imaginaire et à des éléments symboliques, la Bible nous permet d’aller au-delà des plans matériels et visibles, pour nous rappeler que tout être vivant est mû par la vie, par une force qui le dépasse et l’anime : le souffle de Dieu.

Par des images merveilleuses, elle nous ouvre sur la présence de l’invisible. Elle nous permet de comprendre que la présence de Dieu se manifeste parfois là où l’on ne l’attend pas : dans sa création, dans ses créatures et même – de façon centrale – dans cet enfant nouveau-né placé dans une mangeoire.

* Alors, ce soir – une fois n’est pas coutume – nous pouvons lâcher notre raison… et laisser libre cours à notre imagination…
Osons imaginer de façon un peu décalée et extravagante cette scène de Noël :

« [Ce jour-là] les anges ont chanté dans les cieux à la gloire de Dieu. On peut supposer que les bergers ont chanté quelque chose sur la route en se rendant à Bethléem. Il est évident que Marie a chanté une berceuse à son bébé. Alors, imaginons que l'âne ait voulu chanter lui aussi. Quel concert ! Quelle cacophonie !

On aura essayé de le faire taire – [ce pauvre animal] – mais je voudrais croire alors que Dieu lui aura dit :
« Tant pis ! mon vieux, vas-y quand même, brais de tout ton cœur, c'est le moment ou jamais de se réjouir ! ».
Et c'est tant mieux pour nous [aussi] qui, bien souvent, [à notre manière, agissons comme] des ânes.
Peu importe que nous chantions juste ou faux, nous sommes des ânes parce que nous n'arrivons pas à être les anges que nous aimerions être.

Nous sommes venus ce ­­[soir] avec nos préoccupations terre à terre, nos soucis de santé, d'argent, de cadeaux […], nos querelles avec des voisins ou des proches, nos regrets pour des choses que nous avons faites et qu'il aurait mieux valu éviter, nos inquiétudes pour le climat [pour telle ou telle épidémie ou pour les attentats], notre crainte des terroristes ou des extrémistes, et nous pensons à tout ça, même au milieu de [cette veillée], et peut-être à tant d'autres choses qui détonnent, qui tranchent par rapport à l'état d'esprit qu'il convient d'avoir quand on est au culte.

Et si Dieu voulait nous dire, par exemple :
« Ne vous en faites pas, car c'est justement à cause de tout cela qu'il y a ce temps de l’Avent [et de Noël], ce temps où je prépare la venue parmi vous de celui qui prendra tout cela en charge à vos côtés.
Le cadre que je prépare, c'est une étable, et là, il y aura un âne, l'animal servile, l'animal du travail qui symbolise toute la servitude, toute la misère du monde, que je veux partager avec vous en cet enfant, en cet homme qu'il deviendra.
Tant mieux qu'il soit là, cet âne, et vous avec lui, c'est pour cela que tout est en train de se mettre en place, à Bethléem.
Alors, mes chers ânes, n'étouffez pas vos soucis lorsque vous venez me rencontrer, c'est justement à cause d'eux que toute cette histoire va se dérouler ! »

Oui, l'âne reste un symbole fort.
On le retrouve par exemple le jour des Rameaux (je l'ai dit), lorsque Jésus arrive sur un âne alors que certains l’auraient plutôt attendu à cheval, pour libérer Jérusalem et inaugurer le règne de Dieu. Quelle déception !
Seulement, nous voyons bien que cet âne n'est pas là par hasard, parce que Jésus n'aurait rien trouvé d'autre. Il l'a voulu, il l'a envoyé chercher.

Jésus n’est pas venu en s’imposant, en cherchant à se faire respecter à tout prix, comme n'importe quel fils de dieu. Il est là pour les pauvres, les pécheurs, les ânes que nous sommes parfois.
Il n'est pas venu proposer la richesse, le succès, le triomphe, un bon truc pour réussir en affaires. Il est venu nous parler du secret de Dieu, qui est l'amour et l'humilité.

Donc, l'âne, c'est bien.
Est-ce que c'est nous ?
Disons que ça devrait être nous.
Rappelez-vous : en allant chercher l'âne des Rameaux, les disciples ont dit « le Seigneur en a besoin ». S'il a eu besoin d'un âne, il peut bien avoir besoin de nous.

Le problème, c'est que si l'âne est ­symbole de patience et de persévérance, ces qualités sont parfois celles qui nous manquent le plus.
Spontanément, nous aurions plutôt envie d'être riches, forts, reconnus. N­ous aimons mieux qu'on nous écoute. Et nous ne nous laissons pas [forcément] marcher sur les pieds. […]
Et c'est sans doute parce qu'il y a, dans le monde, beaucoup d'ânes qui se prennent à tort pour des chevaux que la lumière de l'évangile a bien du mal à percer.

[Bien sûr] nous pouvons toujours déplorer la méchanceté du monde et nous inquiéter parce que tout va si mal, [Mais] soyons d'abord des ânes qui acceptent d'être ce qu'ils sont. L’âne qui fait son petit travail indispensable, mais si modeste… que même l'évangéliste Luc n'en parle pas, en dépit de sa présence évidente dans l'étable.

Donc, au lieu de chercher à tout prix à nous faire remarquer, à laisser des traces de notre passage, faisons, comme l'âne, notre petit boulot !

L'âne, à petits pas, sous sa charge, il avance patiemment, avec obstination, avec persévérance.
Qui sait ? C'est peut-être ça qui nous manque le plus : la persévérance !
C’est plus facile quand la vie chrétienne se concentre sur quelques feux de paille saisonniers, Noël, Pâques, [Pentecôte] etc.
Il est plus difficile de persister dans l'accomplissement des humbles tâches qui manifestent la présence de l’évangile dans nos existences quotidiennes.

C'est moins gratifiant, mais c'est ainsi que Jésus est présent dans le monde, puisque nous, pauvres ânes que nous sommes, il nous invite à être son corps – le corps du Christ – c'est-à-dire ses bras, ses jambes, sa bouche, ceux et celles qui marchent et parlent pour lui !

Si ce temps de Noël, et cette nouvelle année qui s'annonce pouvaient nous inciter encore plus à changer quelque chose dans nos vies, à nous rapprocher les uns des autres pour mettre en commun des idées et que notre Église fasse encore mieux qu­’elle ne fait aujourd’hui et que nous y puisions toujours plus de forces pour vivre l'Évangile au quotidien !
Que nous ayons pour cela la persévérance nécessaire...

En repensant à [cette veillée], j’ai découvert un texte, un poème ou une chanson, (comme on voudra), qui date des années 60. […] C’est un texte du pasteur Alain Burnand, de l’Eglise du Canton de Vaud […].

Puisque de toute façon, la [médiation] d'aujourd'hui a pris une allure un peu inhabituelle, je vais la terminer de façon inhabituelle, non pas en vous chantant cette chanson, mais en vous en lisant les paroles et puis, si ça vous a plu, vous pourrez emporter le texte. Ce sera un petit souvenir [de cette veillée de Noël]. »[2]

« Le petit âne » d’Alain Burnand

* Sur le pont de l'arche, Noé le patriarche
Voit avec angoisse l'orage qui menace
Cherchant un refuge contre le déluge
Tous ses pensionnaires ont franchi la barrière
Mais soudain, quelle surprise, on devine tout là-bas
Une étrange forme grise qui trottine à petits pas

C'est moi, le p'tit âne, pardon si je flâne
Personne ne m'avait invité
Je ne sais que braire, j'ai sale caractère,
Je suis sûr de vous irriter!

Mais non, petit âne, Noé te réclame,
Il veut que tu viennes avec nous,
Ton humble patience, ta persévérance
Seront nécessaires entre nous !

* Dans la nuit si fraîche, priant devant la crèche
Joseph s'émerveille et l'enfant sommeille,
Bergers et rois-mages, mêlant leurs hommages
Ont rempli l'étable de leurs voix admirables.
Mais soudain, dans la chorale, un chanteur a déraillé,
Et sa clameur animale a failli les effrayer !

C'est moi, leur dit l'âne, pardon! j'ai fait l'âne,
J'ai cru que je pourrais chanter,
Mais je ne sais que braire, c'est mon caractère,
C'est bon, je m'en vais m'arrêter.

Mais non, petit âne, Joseph le réclame,
Il veut que tu chantes avec nous,
Car Dieu notre Père connaît nos misères
Ce soir, il a pitié de nous.

* Ils sont près de mille, sortis de la ville,
Accourus en masse pour le roi qui passe.
Mais lui reste calme, au milieu des palmes
Qu'en signe de joie la foule déploie.
Mais quelle étrange monture pour ce prince original ?
Il aurait plus grande allure s'il était sur un cheval !

Allons, petit âne, mon bon petit âne,
Tous ceux qui voudraient critiquer
Il est bien probable qu'ils sont incapables
De vivre dans la charité.

En toi, petit âne, Jésus le proclame,
Parmi toutes les qualités,
Celles qui dépassent de loin toute grâce
Sont l'amour et l'humilité !



[1] Comme le Pseudo-Matthieu qui compile sans doute d’autres sources.
[2] Extrait d’une prédication du pasteur Roland Revet, prononcée à Bordeaux Rive droite le 20/12/15.