dimanche 6 juillet 2014

Mt 10, 39

Mt 10, 39
Lectures bibliques : Mt 10, 24-42
Thématique : trouver sa vie ou la perdre ?
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 06/07/14.

« Celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre n'est pas digne de moi. Celui qui aura trouvé sa vie (son âme) la perdra, et celui qui aura perdu sa vie (son âme) à cause de moi la trouvera » (Mt 10, 38-39).

Ailleurs, nous entendons encore :
« Si quelqu'un veut me suivre, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. Car quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera. » (Mc 8, 34-35).

Voilà une des paroles de Jésus les plus citées dans les 4 évangiles.[1]
… une parole qui a donné lieu a des interprétations les plus diverses et les plus controversées au cours de l’histoire : de la dévaluation de la personne… en passant par la justification de la souffrance… jusqu’à une idéologie masochiste de soumission.
Trop souvent, ici ou là, ces versets ont été associés à l’idée que le bon chrétien serait celui qui doit tout accepter… savoir se sacrifier, se résigner à tout – à n’importe quoi ou n’importe qui – pour ne pas perdre sa vie, mais pour la trouver.
C’est ce type d’interprétation caricaturale qui a fait dire au philosophe Nietzsche que ces paroles relèvent d’une « morale d’esclaves ».

Evidemment, ce n’est pas du tout ce que dit Jésus, ni ce qu’annonce l’Evangile.

Bien au contraire, pour Jésus le vie est un don inestimable, un don sans prix (cf. Mt 16, 26).
Le devoir le plus important pour celui qui reçoit un tel cadeau – pour l’être humain – c’est de l’employer à bon escient, d’en faire bon usage… c’est de vivre soi-même… de mettre à profit le talent de la vie que Dieu nous a donné.

La question est donc de savoir ce que signifie « vivre », « trouver sa vie » ou la « perdre » (?)
Et lorsqu’on parle au niveau de l’individu de « vivre soi-même » (vivre de façon véritable, pleine et intense), nous devons distinguer les termes « vivre soi-même », « vivre par soi-même » et « vivre pour soi-même ». Ce qui n’est pas du tout la même chose.

Pour bien comprendre ces versets, il faut d’abord les resituer dans le contexte de notre passage (cf. Mt 10, 24-42, et plus largement Mt 10) :
Jésus envoie ses disciples en mission (Mt 10, 5-16), en les invitant à annoncer la proximité du règne de Dieu, en les envoyant prêcher, guérir les malades, chasser les démons. Puis, il les informe du risque de persécution (Mt 10, 17-23). Il leur rappelle que le disciple n’est pas au-dessus de son maître, qu’il partage le même destin.
Aussi, les disciples risquent-ils d’être rejetés et poursuivis, soumis à des épreuves et des souffrances, car l’Evangile vient bousculer les mentalités et remettre en cause nos manières ancestrales et traditionnelles de penser et d’agir.
De ce fait, à l’instar de leur maître, ils ne manqueront pas de rencontrer des opposants et de recevoir des menaces.

Pour autant, Jésus appelle ses disciples à ne pas se résigner… à ne pas craindre, à garder confiance et à persévérer dans leur mission.
Et il rappelle les effets de son Evangile :
Puisque sa Parole est source de changement, de transformation – coupante comme un glaive (cf. Mt 10,34) et brulante comme un feu (cf. Lc 12,49)  – elle ne produit pas d’abord la paix, la tranquillité, la sécurité… mais bien davantage la division, car elle conduit les auditeurs de l’Evangile à se positionner, à faire des choix pour leur vie.
Untel décidera de suivre Jésus, de mettre l’Evangile en pratique dans son existence. Un autre décidera de ne pas y prêter attention. Un autre encore, de le combattre… et cela au sein même des familles.

Autrement dit, l’Evangile ne laisse pas indifférent.
Il conduit les auditeurs de la Bonne Nouvelle à s’interroger et à cheminer. Et en premier lieu, il conduit les disciples à opérer des choix de vie.

En effet, face aux défis qui les attendent – suivre le maître, risquer les quolibets et même des persécutions – chaque disciple est appelé à s’interroger pour lui-même… et en tant que disciples du Christ cette interrogation doit aussi nous traverser, même si aujourd’hui nous sommes à l’abri des persécutions dans notre pays :
Faut-il prendre le risque de suivre Jésus, de vivre et de proclamer son Evangile dans un monde parfois hostile... un monde soumis à d’autres priorités, à d’autres dieux, à d’autres pouvoirs ?
Face au risque, ne faut-il pas davantage renoncer… tenter de nous y soustraire… par crainte pour sa propre vie ?

Et c’est là que Jésus met les points sur les « i ». Il appelle ses disciples à la foi, au courage et à l’engagement… un engagement qui ne fait pas l’économie de certaines questions :

Jusqu’où est-on prêt à suivre Jésus ?
Notre attachement pour l’Evangile – notre amour du Seigneur – est-il plus fort que tout autre attachement dans la vie… y compris les liens familiaux ? … y compris notre égo ?
Quelle est cette Parole – cette Bonne Nouvelle – pour laquelle je pourrais, ou je devrais, courir le risque de m’exposer ?
Qu’est-ce qui est le plus important pour moi dans la vie ? Et dès lors, qu’est-ce qui est susceptible de me faire perdre la vie ou de me permettre de la trouver ?

Faut-il vivre dans la peur et renoncer à annoncer l’Evangile, parce que je pourrais être rejeté ou discrédité à cause de lui ?
Ou, au contraire, y-a-t-il là une Parole de Vie, qui non seulement vaut le coup de prendre des risques, mais qui, en plus, me permettrait de me trouver moi-même, de me découvrir moi-même en vérité ?

C’est là… dans ce contexte que cette parole de Jésus retentit :
« Celui qui aura trouvé sa vie la perdra, et celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera » (Mt 10, 39).

Pour Jésus, la vie ne peut pas seulement être conservée ou économisée.
Elle n’est pas un trésor à kidnapper ou à garder jalousement…
Elle ne peut pas être vécue dans l’angoisse ou la peur du lendemain… ni dans l’égoïsme ou l’égocentrisme.

Puisqu’elle est un don, on ne peut que l’offrir en retour… on ne peut la découvrir qu’en la partageant, en la donnant.

Autrement dit, la vie ne se trouve qu’en se risquant. Elle ne prend son vrai sens qu’en étant donnée.
Trouver sa vie – sauver sa vie – ce n’est pas « sauver sa peau » ou la garder pour soi, c’est, bien davantage, oser la risquer.

Bien entendu… faire un tel choix… n’est pas sans conséquence :
Risquer sa vie, en suivant le Christ… c’est, bien sûr, faire le choix de la foi, de la cohérence, de l’engagement avec Jésus … c’est « ne pas renoncer » à la vérité de l’Evangile, susceptible de transformer notre vie… Mais c’est aussi accepter le chemin qui peut en résulter, à savoir la Croix.
Car, encore une fois, l’Evangile vient s’opposer aux valeurs de notre monde. Il vient bousculer et déranger nos habitudes, nos conformismes, nos compromissions.

Si Jésus n’avait pas déstabilisé et gêné ses contemporains… s’il n’avait pas remis en cause les autorités, les traditions et les pratiques religieuses de son temps… soyons sûrs qu’il n’aurait jamais été menacé, ni crucifié.

Il y a donc « un feu » dans l’Evangile (cf. Lc 12,49)… une Parole subversive, tranchante… capable de mettre à mal nos fonctionnements mortifères… capable de venir nous secouer, et réveiller en nous la flamme de l’amour de Dieu et du prochain. Et tout cela ne reste pas sans effet.

Si Jésus a fait le choix de vivre et de proclamer jusqu’au bout cet Evangile… malgré les critiques… les oppositions… malgré la Croix… S’il a accepté et assumé ce risque… c’est qu’il savait que l’Esprit de Dieu qui l’habitait et qui habitait sa Parole est vraiment capable d’apporter « la nouveauté » dans notre humanité… de ranimer la flamme de l’amour entre les humains et avec Dieu… c’est parce qu’il savait que cet Evangile dont il était le porteur, est véritablement capable de sauver le monde… de lui apporter sens et guérison.

Je crois qu’il nous faut bien entendre cela dans ces versets. Et d’ailleurs l’évangéliste Marc le précise… en faisant dire à Jésus : « … à cause de moi et de l’Evangile » (cf. Mc 8,35)

Si Jésus affirme que nos cheveux sont comptés (cf. Mt 10, 30)… que notre vie est infiniment précieuse aux yeux de Dieu… que notre Père céleste, dans sa Providence, veille sur ses enfants… voilà qu’il vient nous dire, en même temps, que quelque chose, venant d’ailleurs, venant de Dieu, et encore plus précieux, nous est offert : à savoir, l’Evangile, qui donne sens à notre vie.

Oui… à cause du Christ… ou plutôt grâce à Lui… notre vie a un sens. (Et nous savons combien d’hommes et de femmes perdus, désorientés, auraient besoin de retrouver une direction, de reprendre pied, de trouver un sens à leur existence.)
Eclairée par l’Evangile, la vie ne va plus n’importe où et n’importe comment… elle ne va plus nulle part.
Non seulement, nous n’avons plus besoin de trouver le chemin tout seuls, par nous-mêmes (au risque de nous perdre)… ni seulement, égoïstement, pour nous-mêmes… mais désormais la vie a une direction, un but.

La vie va vers un but que Jésus nous propose de découvrir avec Dieu et grâce à Lui… et ce but n’est rien de moins que le salut, la guérison de l’humanité, enfin libérée et réconciliée avec Dieu et avec elle-même.
Autrement dit, grâce à Lui, nous cheminons vers notre accomplissement, vers notre propre guérison, notre salut.
C’est là – nous dit Jésus – que la vie se trouve… qu’elle se découvre… lorsqu’elle est donnée, offerte… c’est là qu’elle acquiert un sens, une direction… qu’elle est sauvée… lorsqu’elle est vécue en communion avec celui qui vient nous transmettre le souffle, l’Esprit de Dieu.

En d’autres termes… Jésus vient nous redire, ce matin, que l’Evangile nous ouvre un chemin libéré de la crainte (cf. Mt 10, 26-31)… un chemin de confiance et de promesses (cf. Mt 10, 40-42).
Il nous offre une direction de vie…  qui mérite que nous nous engagions corps et âme dans la vie, dans l’amour, dans la rencontre des autres…
Car il nous permet de « trouver la vie », lorsque nous la recevons comme un cadeau, un don, à offrir, à partager… lorsque nous cessons de vouloir la conserver ou l’économiser pour nous-mêmes… lorsque nous acceptons de nous décentrer de nous-mêmes… pour nous placer avec confiance sous le regard de Dieu… pour nous laisser orienter par Lui… pour le laisser régner en nous.  

* Je voudrais conclure cette méditation par une question qui doit nous préoccuper :

Je me demande parfois si nous n’avons pas une fâcheuse tendance à limer et à adoucir le tranchant de l’épée qu’est la Parole de Jésus… si nous faisons toujours résonner autour de nous – et pas seulement dans l’enceinte du temple – avec suffisamment de force et d’audace, cette Parole susceptible de changement et de transformation pour les hommes et les femmes notre monde (?)

Avec le temps, on pourrait avoir l’impression que cette Parole a perdu le tranchant qu’elle avait… qu’elle laisse désormais les gens dans l’indifférence… Mais pourtant, lorsqu’on écoute avec attention l’Evangile, on se rend compte qu’il n’a rien perdu de son dynamisme, de son pouvoir d’interpellation… qu’il est toujours comme un aiguillon[2] qui nous met en mouvement.

En réalité, cette impression de tiédeur que nous pouvons parfois ressentir n’est pas due à l’Evangile, en lui-même, mais, sans doute, aux disciples que nous sommes… vraisemblablement trop timides et trop réservés. 

Alors, chers amis, ce constat doit nous inciter à vraiment faire nôtre la Parole du Christ, à la laisser féconder notre vie … mais aussi à oser la faire résonner – haut et fort – dans notre monde.
Car il n’y a pas à en douter : nous avons tous besoin – nous, comme notre société – du salut et de la lumière de Dieu, pour nous éclairer, nous guider, nous libérer… pour trouver la vie, sans nous perdre.

Amen. 



[1] On la trouve 6 fois dans les 4 évangiles.
[2] Dans le sens d’un stimulant, qui nous conduit à l’action.

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