dimanche 12 janvier 2014

Mc 5, 25-34

Mc 5, 24-34
Lectures bibliques : Lv 15, 25-31 ; Mc 5, 21-43
Thématique : sauvé(e) par la foi / Quand la loi exclut… la foi transgresse, sauve et libère
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 12/01/14
Inspirée en partie de J.M Babut, Actualité de Marc.

* Ce matin, je vous propose de laisser de côté l’épisode de la fille de Jaïros, pour porter notre attention sur la rencontre inopinée entre Jésus et une femme souffrant d’hémorragies – ou plutôt de métrorragie – depuis 12 ans.

L’évangéliste Marc aurait certainement pu classer l’histoire de cette femme dans la catégorie des récits de croyances magiques et superstitieuses, et pourtant, il a décidé de l’inclure dans son évangile pour nous parler de la foi… d’une foi qui a permis à cette femme de rencontrer Jésus et d’obtenir la guérison.

Alors, comment comprendre le comportement de cette femme et la réaction de Jésus ? Quelle Bonne Nouvelle… quel message de salut… ressort de cette rencontre ?

Tout d’abord, Marc brosse le portrait de cette femme… un portrait peu flatteur : La femme est malade et souffre depuis 12 ans. Elle est pauvre et anonyme. (On ne connaît pas son nom.) Sa souffrance et sa pauvreté, elle les doit à sa maladie, mais aussi aux médecins qu’elle a côtoyées en nombre, sans résultat positif. Au contraire, son état s’est plutôt dégradé et elle n’a maintenant plus aucune ressource pour recourir à de nouveaux soins. La précarité est venue s’ajouter à la maladie.

Par ailleurs, cette femme vit dans l’exclusion et la marginalité : Dans la société juive de son temps, le sang qu’elle perd la rend impure en permanence. Le livre du lévitique est tout à fait clair sur ce point[1]. Tout ce que cette femme touche devient « impur » et rend « impurs » ceux ou celles qui y toucheraient à leur tour.
Or, pour un Israélite, être « impur », c’est être exclu de la synagogue et de la vie communautaire, c’est en quelque sorte être temporairement excommunié.
Tout le drame de cette femme est que la cause de son impureté ne cède à aucun traitement. Elle se trouve ainsi dans l’impasse… condamnée à rester en marge de sa communauté de vie, de façon permanente.

Mais voilà qu’un événement se produit. La femme a entendu parler de Jésus, sans doute comme d’un homme capable de guérir les malades. Elle saisit alors l’occasion de son passage comme une chance à ne pas manquer.
Elle, la femme « impure », qui ne doit toucher personne, entend profiter de la situation. Malgré l’interdit qui pèse sur elle, elle se glisse, anonyme, au milieu de la foule, avec le fol espoir d’arracher une guérison, en touchant Jésus ou plutôt son vêtement.[2]

Subrepticement, furtivement, elle vient par derrière, un peu comme une voleuse, et touche le manteau de Jésus (v.27).
« Aussitôt – nous dit Marc – sa perte de sang fut séchée et elle su dans son corps qu’elle était guérie de son mal » (v.29)
Que s’est-il passé ?
L’évangéliste Marc ne le précise pas. D’ailleurs comment pourrait-il le savoir ? Comment peut-il savoir que la guérison a réellement lieu à cet instant précis ? Seule la femme pourrait le dire.
Il tente bien sûr de nous donner une explication (une explication cohérente avec le niveau de connaissances de son époque) : « une force serait sortie de Jésus »…  un magnétisme, une sorte de puissance, aurait guéri la femme au moment où elle touchait le manteau de Jésus (v.30).
Il faut bien avouer que ce genre d’explication satisfait difficilement nos esprits modernes et rationnels du 21e siècle.
Quoi qu’il en soit… avouons que même la science d’aujourd’hui est loin de tout savoir et de tout maîtriser. Il y a là une part de mystère qui indique que ce n’est pas sur la guérison en elle-même que le lecteur de l’évangile doit se focaliser… mais sur la rencontre entre la femme et Jésus. Car c’est seulement à la fin de leur entretien que Jésus prend acte de la guérison et renvoie la femme en paix.

La suite du récit nous montre que Jésus s’est aperçu de ce qui vient de se produire.
C’est là un fait étonnant : Alors que la foule le presse de tous côtés et le bouscule, Jésus, lui, ressent que quelqu’un l’a touché autrement, de façon intentionnelle.

Un père de l’Eglise – Ephrem de Nisibe (du 4e siècle) – dans un commentaire sur ce passage de l’évangile relève justement la chose. Voilà ce qu’il écrit :
« "Qui m'a touché?" demande Jésus. Les disciples répondent : "La foule te presse de tous côtés et tu demandes qui t'a touché !"
Les disciples indiquaient à Notre Seigneur que toute la foule le touchait, et Notre Seigneur indiqua aux disciples qu'une seule parmi tous l'avait touché.
Tous le touchaient à cause de la bousculade des gens : une seule, cependant, dans sa douleur, l'avait réellement touché.
Les disciples avaient voulu indiquer à Notre Seigneur combien les gens le touchaient physiquement, mais Notre Seigneur montra aux disciples que c'est la foi qui l'avait touché.
Beaucoup le touchaient à ce moment, mais en tant qu'homme, alors qu'une seule l'avait touché en tant que [Fils de] Dieu. »[3]

Ainsi, démasquée par Jésus, la femme vient révéler sa fraude. Elle a enfreint la loi. Son espérance et sa confiance l’ont poussé à toucher le vêtement de Jésus, en surmontant l’interdit posé par la loi… l’interdit qui l’excluait, qui faisait d’elle une paria de la société, une mort-vivante, depuis 12 ans.

Dès lors, elle se jette aux pieds de Jésus, pour révéler la vérité, sa vérité… la démarche qui l’a conduit à ce geste fou : croire au salut… croire que les choses peuvent changer grâce à Jésus… croire que Jésus peut la guérir… et par là-même, la faire sortir de son état de souffrance et d’exclusion.

Face à cet aveu… à cette vérité dévoilée… qui vient mettre en lumière son désir et sa démarche de foi… l’audace et le courage, qui lui ont permis de briser le tabou de la loi, pour s’en sortir… pour être enfin restaurée dans sa véritable identité de fille de Dieu … Jésus n’a plus qu’à se plier à sa volonté. C’est ce qu’il laisse entendre dans ses paroles finales : « Fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal [sois délivrée de ta souffrance]» (v.34).

* Ce récit peut nous étonner sur bien des points. Quelle est donc cette foi qui sauve ?

La foi de cette femme, ce n’est évidemment pas sa croyance superstitieuse. C’est tout simplement ce qui l’a portée vers Jésus, c’est cette confiance qui l’a conduite à lui… qui l’a amenée à bouger, à se déplacer, en surmontant les barrières de la loi qui la retenait captive, condamnée à l’impureté.

Bien entendu… ce n’est là qu’un commencement.
D’autres passages de l’évangile nous font découvrir que la foi doit devenir un engagement pour Jésus et son message de salut… un engagement à ses côtés.
Mais ce que nous montre ici notre passage, ce sont les premiers pas de la foi… c’est cette attente confiante et active, qui nous met en mouvement vers Jésus, dans l’assurance qu’il peut changer les choses dans notre vie… qu’il apporte la clé du salut pour nous et notre monde… un monde où bien souvent des lois ou des intérêts humains nous assignent et nous enferment dans des places figées, dans des comportements réducteurs ou sclérosants.

(Malheureusement… l’actualité internationale nous le montre encore :
- Il suffit, par exemple, de penser à la situation dramatique des femmes afghanes ou pakistanaises, qui se trouvent sans aucun droit, privées de toute liberté… qui peuvent être violentées ou défigurées impunément par leur mari – certaines ont eu les lèvres fendues ou le nez coupé – simplement pour avoir refusé (par la dénonciation ou la fuite) la tyrannie et la loi du silence dictées par des hommes… qui utilisent, en vain, la religion ou le nom de Dieu, pour imposer leur pouvoir et leur domination sur des femmes.
- On peut également penser aux employés du secteur « textile » précarisés du Cambodge… où quatre travailleurs viennent d’être tués par la police, parce qu’ils manifestaient pour réclamer une revalorisation de leur salaire, pour pouvoir vivre dignement… eux qui travaillent pour des sous-traitant de grandes marques occidentales, telle que Gap, Adidas, Nike ou Puma.
Oui… à coup sûr – aujourd’hui encore – notre monde a besoin de conversion et de salut. A coup sûr, il y a encore des pouvoirs et des lois iniques à transgresser et à réformer… pour trouver le chemin de la liberté… à l’image de cette femme !) 

C’est en ce sens qu’on peut entendre les paroles conclusives de Jésus, lorsqu’il annonce à la femme : « Ta foi t’a sauvée ».

Ce qui a sauvé ou guéri la femme, ce n’est pas la force de sa conviction, dont on se rend vite compte qu’elle est ambiguë.
En effet, souvenons-nous des paroles qu’elle prononce intérieurement : « si seulement je touche ses vêtements, [alors] je serai sauvée » (v.28).
On voit, ici, combien cette foi est discutable, tant elle est mêlée de croyance, de fétichisme et de superstition… comme si le manteau de Jésus était imbibé d’un pouvoir, d’une sorte de fluide vital, capable de la guérir.
Or, la foi ne relève pas de la magie ! Ce n’est pas parce qu’elle a touché le manteau de Jésus que cette femme s’est trouvée guérie. En réalité, ce qui l’a sauvée, c’est d’avoir pu rencontrer Jésus !
C’est cette rencontre qui a suscité en elle suffisamment de courage, d’espérance et de confiance pour la mettre en mouvement. C’est cette rencontre qui lui a permis de sortir de l’enfermement dans lequel la loi la maintenait esclave, faisant d’elle une malade « impure » et contagieuse, condamnée à un isolement définitif.

La foi qu’elle a placée en Jésus a été, pour elle, le chemin qui lui a permis de trouver la guérison. C’est ce que Jésus salue dans sa démarche (quand il lui dit « ta foi t’a sauvée ») :
Par son courage et sa foi, la femme sans nom a pu quitter la place qu’on lui imposait, pour s’approcher de Lui, en toute confiance. Elle s’en est trouvée libérée et justifiée, grâce aux paroles accueillantes et apaisantes de Jésus, qui lui a donné raison.

Je crois que c’est bien en ce sens qu’on peut entendre son approbation finale :
« Ce que tu as fait – semble-il vouloir lui dire – ce n’est pas un péché. Si, sans rien demander et sans solliciter aucune permission, tu as fait de toi-même ce geste dont tu avais besoin pour vivre, c’est un signe de ta confiance. C’est précisément ce que Dieu veut. C’est ainsi qu’il comprend la "foi" : vaincre la honte et l’angoisse qui peuvent fausser et détruire la vie jusqu’à la maladie. Oui, sa volonté est que nous vivions, même si la lettre de la loi paraît souvent la contredire. Va donc, ta foi t’a sauvée. »[4]

* En d’autres termes… ce que nous montre ce récit de guérison, c’est le travail de libération que permet la foi.
Portée par la confiance, suscitée par la rencontre de Jésus, la femme a découvert cette liberté en transgressant l’interdit de loi qui la considérait – à tort – comme une dangereuse « impure », susceptible de propager l’impureté autour d’elle.

Or, en rendant public son geste, Jésus prend un risque et s’expose au jugement des gens autour de lui. (En réalité, c’est pour lui une occasion de changer les mentalités.)
Il montre qu’il n’a pas peur de se laisser toucher par une intouchable. Il montre combien il est libre vis-à-vis de la loi, quand son application stricte et sans mesure, risque d’enfermer les humains, au lieu de les aider à vivre leur liberté.

Ainsi, il permet à la femme de s’exprimer publiquement et il rend son geste exemplaire : là, où la loi peut exclure (quand elle est appliquée aveuglément), la foi, elle, peut sauver.

Autrement dit, Jésus montre qu’avec la foi, ce n’est plus l’impureté qui est contagieuse, mais la Vie. Avec la foi, la vie et la liberté peuvent prendre le dessus et vaincre nos souffrances et nos enfermements, aussi bien que nos angoisses et nos hontes.

Avant sa rencontre avec Jésus, la femme était socialement, affectivement et religieusement morte, du fait de sa maladie.
Par sa guérison, elle est restaurée dans son identité. Elle retrouve toute sa place dans la société. En un mot, elle est relevée, ressuscitée, libérée… rendue à elle-même.

Ce que veut nous montrer Marc, à travers ce récit, c’est que la grâce de Dieu, dont Jésus est le porteur et le révélateur, a la capacité de briser les fatalités… de libérer des déterminismes.

* Pour conclure notre méditation… je vous propose de nous arrêter sur une petite annotation apparemment anodine, qui explique l’étonnante hardiesse de cette femme :
Tout ce qui va se passer pour elle, a pu avoir lieu, parce que – nous dit l’évangéliste – « Elle avait appris ce qu’on disait de Jésus » (v.27). C’est ainsi que l’espoir impossible était né tout d’un coup pour elle.
On ne sait pas trop ce qu’elle pouvait avoir entendu au sujet de Jésus… sans doute qu’il était un thaumaturge, un guérisseur. Cela peut évidemment nous paraître un peu court… mais c’est justement ce dont elle avait besoin.

Or, cette petite annotation peut nous interroger pour aujourd’hui :
Nos contemporains… qu’ont-ils entendu dire de Jésus ? Que savent-ils de lui ?
Sans doute peu de chose ! Pour la plupart d’entre eux, Jésus n’est que l’emblème d’une religion. Ce qu’il a dit, ce qu’il a fait, la majorité de nos contemporains l’ignorent.
Même les quelques bribes d’information sur Jésus dont certains disposent, il faut se demander de qui ils les tiennent : de quelques clichés véhiculés par des médias, qui ne connaissent pas grand chose à l’Evangile ? ou d’ailleurs ?

Alors, dans cette histoire de transmission… quelle est notre part de responsabilité, à nous, Chrétiens ?
Osons-nous témoigner de Celui qui nous révèle le visage du Père ?… qui nous manifeste un Dieu d’amour… qui a un projet pour l’être humain… qui nous appelle à prendre part à son règne, à chercher sa justice ?

C’est sans doute dans la vie de tous les jours, par le bouche-à-oreille, que cette femme a entendu parler de Jésus. Même si les renseignements qu’elle a reçu sont partiels et plus ou moins tronqués, c’est quand même l’information de personne à personne – le témoignage personnel – qui a le plus fort accent de vérité.

Entre parenthèses, c’est bien ce que dit Paul dans sa lettre aux Romains. Je cite :
« "Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé". Or, comment l’invoqueraient-ils, sans avoir cru en lui ? Et comment croiraient-ils en lui, sans l’avoir entendu ? Et comment l’entendraient-ils, si personne ne le proclame ? » (cf. Rm 10, 13-14).

Ainsi… qu’allons-nous faire pour que nos contemporains entendent, eux aussi, parler de Jésus ? Et si possible qu’ils en entendent parler correctement.
Quel est l’essentiel à leur communiquer pour qu’ils puissent, eux aussi, trouver la guérison et la paix dans leur vie ?
Aucun de nous – me semble-t-il – ne devrait passer sur ces questions, sans réaliser qu’elles nécessitent notre engagement et notre témoignage.

Pour autant – avouons-le – « témoigner » n’est pas toujours simple ! Cela implique, au préalable, de nous poser quelques questions personnelles : pour moi, quel est le message que j’entends résonner dans l’Evangile et qui me touche ? Qu’est-ce qui me paraît le plus important ? Quelle est la Bonne Nouvelle qui me rend vraiment vivant ?
Nous avons besoin d’être au clair sur ce qui est central pour nous-mêmes… pour pouvoir en parler à d’autres.

* Ce matin, notre passage peut nous aider à répondre à ces questions. Nous pouvons au moins en retenir trois choses :
- La 1ère, c’est son message de salut : Pour le monde et pour chacun d’entre nous, il y a une guérison, un salut, auprès de Jésus.

- La 2ème, c’est que Jésus se laisse chercher et trouver, sans s’arrêter à la qualité de notre foi… comme il ne s’est pas arrêté aux croyances plus ou moins magiques contenues dans la foi de cette femme. Ce qu’il a souligné, au contraire, chez elle, c’est son engagement : Elle n’est pas restée à distance. Elle a montré audace et courage, car elle a cru en Jésus (plutôt qu’en une loi), elle a placé toute sa confiance en lui.
Ainsi, sa foi est devenue mouvement… elle lui a permis d’aller de l’avant, de bouger, de changer, de faire place à quelque chose de nouveau.
Je crois que c’est aussi ce que Jésus attend de nous : que nous placions notre confiance en Lui, pour que sa Parole nous libère et nous permette d’avancer dans la vie… pour nous ouvrir à la nouveauté.

- Enfin, la 3ème chose à retenir, c’est que – si nous sommes persuadés que Jésus possède le pouvoir de guérir et de libérer notre monde et ceux qui l’habitent – il faut le dire aux autres. Cette conviction n’a de sens que si nous la partageons, comme une Bonne Nouvelle à annoncer.  

Amen.




[1] Cf. Lv 12,7 ; 15,25-33 ; 20,18.
[2] Ou « la frange de son vêtement », comme en Mt 9,20.
[3] In: Commentaire du Diatessaron, SC 121, Le Cerf 1966, p. 139-145.
[4] Cf. Eugen Drewermann, « la parole et l’angoisse », Desclée de Brouwer, p.115.

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