Mt
9, 14-17
Lectures
bibliques : Mt 11, 2-19 ; Mt 9, 9-17
Thématique :
accueillir la nouveauté… vivre sous la grâce… dans la confiance, la liberté et
la joie.
Prédication
de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 08/12/13
Qu’est-ce
que ce passage de la Bible peut nous dire encore aujourd’hui ?
La question du jeûne
n’est plus vraiment une question d’actualité au 21e siècle.
On pratique
encore le jeûne dans certaines religions – on peut penser aux Musulmans qui font
le Ramadan, comme autrefois les Chrétiens jeûnaient (en partie) au moment du Carême
ou le vendredi – mais, reconnaissons-le… comme pour la plupart de nos
contemporains… tout ça ne nous concerne plus aujourd’hui.
Ceux qui
s’appliquent encore volontairement des périodes de jeûne – ils sont sans doute
peu nombreux – le font désormais pour d’autres raisons… essentiellement pour
des raisons médicales… car on a redécouvert que cette pratique ascétique avait
des vertus curatives et thérapeutiques, pour le nettoyage des organes du corps,
pour la santé et le bien-être général.
Ainsi, en
apparence, ce texte de l’évangile peut sembler assez éloigné de nos
préoccupations actuelles. Pourtant, je crois que, derrière ce débat, se cachent
quelques questions fondamentales, concernant les motifs de nos actions.
Pourquoi
accomplissons-nous tel ou tel acte dans notre existence ? Qu’est-ce qui se
cache derrière nos actions les plus pieuses … les mieux intentionnées… les plus
altruistes ? Qu’est-ce qui les motive ?
Agissons-nous de
façon totalement désintéressée ou par intérêt, par calcul ?.... Est-ce
pour plaire à Dieu ou pour répondre à un besoin de reconnaissance ou à une
soif de pouvoir ?... Est-ce de la gratuité ou un souci de réciprocité,
pour rendre la pareille à quelqu’un qui nous a donné quelque chose ?
Qu’est-ce qui motive réellement nos actions ou nos œuvres ?... notamment
nos actions dans l’Eglise, dans le cadre associatif ou le bénévolat.
C’est, bien sûr,
une question très générale… trop générale, sans doute. Pourtant, c’est bien ce
genre de question auquel nous renvoie ce passage de l’évangile.
Dans le Judaïsme
du temps de Jésus, il est attendu de tout fidèle qu’il pratique le jeûne, l’aumône et la prière. Nous
retrouvons ça dans le sermon sur la montagne (cf. notamment Mt 6, 1-18). Ces différentes
pratiques appartiennent à un cadre législatif, visant à appliquer la Loi… à
mettre concrètement en usage des préceptes de justice vis-à-vis de Dieu et du
prochain.
Il s’agit là de
pratiques courantes qui sont devenus des piliers de la piété.
Une maxime
rabbinique, attribué à Siméon le Juste (au IIIe siècle av. JC.)
affirme que « le monde tient sur
trois choses : sur la Torah, sur le culte et sur les œuvres de
miséricordes » (PA I,2).
Parmi elles, le jeûne est une pratique religieuse permettant,
d’une part, d’exprimer son affliction et sa contrition devant Dieu, avant de
solliciter son pardon, et, d’autre part, de mieux disposer l’homme – le cœur de
l’homme – à une élévation spirituelle… à la prière, à l’écoute de la Parole et
à la gratitude (cf. Dt 8,3).
Mais, ici, l’attitude
étonnante de Jésus, qui enfreint l’observance juive du jeûne, vient poser question
à tous les habitués, à tous les pratiquants réguliers :
Fondamentalement,
qu’est-ce qui motive nos actes quant il s’agit de jeûne, de prière, d’aumône ou
de bonnes œuvres ?
Est-ce
la logique du devoir ? Parce que c’est la loi !
Est-ce la
logique du sacrifice ? Parce qu’on croit en un dieu tout-puissant –
peut-être aussi un peu pervers et cruel – qui se complairait à nous voir
souffrir ou à nous éprouver !
Est-ce la
logique marchande du mérite ? Car il faut bien mériter son paradis !
Ou est-ce autre
chose… pour une autre raison ?
Cette autre
raison est justement celle mise en avant par Jésus… et c’est pour cette raison-là
que Jésus est véritablement un homme « libre »… qu’il peut ne pas
appliquer la loi à la lettre, tout en l’accomplissant dans l’esprit, comme le
dit si justement l’apôtre Paul (cf. 2 Co 3, 6) : « là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté » (cf.
2 Co 3, 17).
En réalité, la
seule bonne raison de vivre toutes ces pratiques – le jeûne, la prière et
l’aumône – est quelque chose de fondamentalement simple : c’est l’amour !
(cf. 1 Co 13,3)
Ce n’est certainement
pas en raison d’une logique marchande de réciprocité ou de donnant-donnant avec
Dieu… en se disant : « si je fais ça… je pourrais plaire à Dieu, mériter
son pardon et obtenir son salut ». Non !
La seule et unique bonne raison – une raison qui justement n’en est pas une – c’est
de dépasser toutes ces logiques humaines, pour s’inscrire dans le don et la
gratuité.
Pour Jésus, la
confiance et l’amour sont les seules bases justes et vraies sur lesquelles
s’appuyer, pour fonder nos relations à Dieu et aux autres… et c’est seulement
là – là où la confiance et l’amour sont présents – que nos actions prennent
leur véritable sens, leur profondeur, leur dimension de gratuité.
Autrement dit,
c’est cette autre logique, cette nouvelle logique – celle de la grâce – qui
nous permet d’accomplir notre vocation d’enfants de Dieu, dans la joie et la
liberté.
Nous découvrons
ça dans notre passage grâce à la distinction qui est opérée entre deux
attitudes : le deuil des affligés ou la joie de la noce… le vieux ou le
neuf… une distinction qui s’enchaine
parfaitement avec celle que Jésus venait de faire juste auparavant, entre le
sacrifice et la miséricorde… la pénitence et le pardon.
Jésus se situe
résolument du côté du nouveau… de la liberté… de la grâce… de cette nouvelle
mentalité qui appelle à la gratuité du don et à la vie nouvelle.
Alors que les disciples
de Jean, comme les pharisiens, mettaient l’accent sur la pénitence, la
repentance et la conversion de l’homme (cf. Mt 3, 1-10)… car il leur semblait
nécessaire d’adopter une attitude d’humiliation, pour se présenter devant Dieu …
Jésus, lui, annonce la proximité d’un Royaume – d’un monde nouveau – auquel
nous sommes invités à prendre part, dès maintenant.
A travers cette
différence, il faut bien comprendre que c’est, en réalité, l’ensemble de nos représentations
dont il est question. C’est l’image que nous nous faisons de Dieu qui est ici en
jeu :
Dieu est-il à
l’image d’un roi, sévère et intransigeant, dont il faudrait gagner les bonnes
grâces, ou est-il un Dieu bon et miséricordieux, qui offre ses dons sans
compter, indépendamment de tout mérite (cf. Mt 5,45) ?
Indirectement,
le reproche adressé à Jésus quant à l’attitude de ses disciples et la réponse
qui va suivre, permettent de clarifier les choses:
Le
jeûne est une action pénitentielle qui n’est rejetée ni par Jésus (lui, qui
aurait jeûné 40 jours au désert - cf. Mt 4,2), ni par les disciples. Pour
autant, elle reste un moyen et non une fin en soi.
La pratique du
jeûne est subordonnée à un événement bien plus important : la venue du
Messie, la joie du banquet messianique.
Maintenant que
le Messie est là, ce n’est plus le moment de jeûner et de sombrer dans la
pénitence, mais il est temps de l’accueillir, de le recevoir dans notre
existence présente (v.15).
Puisque Jésus
est là… puisque le Christ vient à notre rencontre… voici le temps de la
joie : le temps où, par sa présence, les affligés sont consolés (cf. Mt
5,4), le temps où le pardon de Dieu se fait largement entendre, pour être reçu,
pour libérer et pour guérir (cf. Mt 11, 4-6).[1]
Les évangiles précisent
que les disciples de Jean et les pharisiens jeûnent « de nombreuses
fois »[2].
Pourtant, a proprement parler, la Torah
ne prescrit qu’un seul jour de jeûne dans l’année : le yom kippour (cf. Nb 29,7)… jour du grand
pardon ou de l’expiation.
Le fait que les
pharisiens et les disciples de Jean aient considérablement renchéri cette
ordonnance et étendu cette obligation ascétique à d’autres dates annuelles et
hebdomadaires – Ils jeûnaient sans doute 2 fois par semaine, le lundi et le
jeudi – est comparé par Jésus au rapiéçage d’un vieux tissu.
Ainsi, dans ce
cas précis, à travers cette 1ère parabole du rapiéçage (v.16), ce sont
plutôt les pharisiens qui ont rajouté quelque chose de nouveau. Mais pour
Jésus, cette pièce de tissu ajoutée – cette nouvelle exigence, ce nouvel usage
– risque de déchirer le vêtement. Il aurait mieux fallu ne pas ajouter une
pièce d’étoffe neuve sur le vieux vêtement.
En revanche, la
2nde parabole (v.17) – celle du vin dans les outres – parle du
« vin nouveau », en faisant clairement allusion à la nouveauté de
l’Evangile, à la joie des noces, incompatibles avec des pratiques ascétiques.
Jésus ne s’en
prend donc pas aux outres anciennes, qui sont toujours adaptées à conserver le
vin vieux. Mais, il affirme leur inadéquation à contenir du vin nouveau, parce
que son ferment les ferait éclater.
En d’autres
termes… Jésus oppose deux moments (comme en Mt 11, 17s) qui concernent Jean le
Baptiste et lui-même, mais sans préjuger contre l’un ou l’autre :
Le
« vieux » – la pratique du jeûne – était valable, dans la mesure où
elle ne constituait pas une œuvre, une manière de s’auto-justifier… dans la
mesure où elle portait à l’humilité, à la disponibilité envers Dieu… Mais, maintenant que l’époux est là…
maintenant que le vin nouveau est tiré… il faut passer à autre chose : il est
temps de le recevoir, de s’ouvrir à la grâce des noces, à la joie du Royaume.
Chers amis… cette
image du « vieux » et du « neuf » doit nous inspirer pour
notre vie… pour nos choix personnels aussi bien que pour notre vie d’Eglise :
Ne sommes-nous
pas parfois enlisés dans nos routines, dans des fonctionnements anciens, dont
nous nous apercevons qu’ils ne nous font plus vraiment avancer… avancer dans
notre chemin de vie spirituelle et relationnelle… vers Dieu et vers les autres ?
J’entends, à
travers cette image du « vin nouveau », un appel qui nous est lancé,
à nous, auditeurs de l’Evangile.
Il y a quelque
chose, ou plutôt quelqu’un, à accueillir dans notre existence, pour faire place
à la nouveauté.
Ce quelqu’un –
Jésus Christ, le porteur de l’Esprit de Dieu – est véritablement susceptible de
faire émerger, en nous, une lumière, un esprit nouveau, une nouvelle
conscience, pour nous permettre de changer de mentalité, pour nous faire vivre
dans la confiance et l’amour, dans la logique du don et de la gratuité… loin des
routines répétitives de la repentance, du devoir et du mérite.
En cette période
de l’avent, il n’est plus temps de faire pénitence ou de jeûner… mais c’est déjà
le moment – l’occasion favorable – pour accueillir celui qui vient vers nous
pour nous relever, nous libérer, nous restaurer… pour recevoir sa lumière et la
laisser briller en nous, afin de nous transformer de l’intérieur.
Jésus… le
porteur de l’Esprit de Dieu (cf. Mt 3,16)… fait souffler sur nos routines un
vent de liberté.
Il nous arrache
au cercle de nos défaillances, à tout ce qui nous maintiendrait centré sur
nous-mêmes, concentré et enfermé sur nos petites ou nos grandes misères, dans
la contemplation morbide de nous-mêmes ou de nos fautes.
Jésus vient ouvrir
les portes du Royaume, pour nous offrir un vin nouveau, pour donner une autre
saveur à notre existence, pour nous faire goûter une nouvelle compréhension de
la vie et nous offrir une vie de toute première qualité, vécue en relation avec
Dieu, qui nous aime de façon inconditionnelle, et avec notre prochain, que nous
sommes appelés à aimer de la même manière que Jésus : dans liberté, la gratuité
et la générosité de l’amour.
Bien sûr… tout
ça n’est pas si simple…
Cette nouveauté
que Jésus nous propose : « l’Evangile du règne de Dieu dans nos
vies » vient forcément secouer et bousculer nos habitudes et nos
représentations.
Et cela est vrai
encore aujourd’hui… dans la mesure où l’évangile nous appelle à dépasser les rapports
de force, de domination ou de pouvoir, que la société continue de nous inculquer,
à travers le système marchand, fondé sur l’avoir, l’échange et la concurrence.
« Mettre le
vin nouveau dans des outres neuves » (v.17)… accueillir et s’inscrire dans
la nouveauté : il y a là un pas à franchir.
Cela nécessite
implicitement de renoncer au monde ancien. Car il y a une incompatibilité entre
ces mondes fondés sur deux logiques différentes : le devoir, la
réciprocité et le mérite, d’un côté ; la liberté, le don et la gratuité,
de l’autre.
Autrement dit…
Jésus nous invite à repenser totalement notre vie relationnelle avec Dieu et
avec nos frères et sœurs, pour la placer exclusivement sous le signe de la
grâce.
Voilà… chers
amis… la Bonne Nouvelle qui nous est offerte ce matin… voilà la promesse de
salut que Jésus nous adresse pour aujourd’hui et pour demain :
Le Christ nous
appelle à la « nouveauté »… à une vie complètement renouvelée… synonyme
de confiance, de joie et de liberté.
Osons accueillir
cet Esprit d’amour, ce vent de liberté, que Jésus vient souffler sur nous (cf.
Jn 20, 21-22)… Osons, jour après jour, lui laisser davantage de place en nous
et autour de nous.
C’est ainsi que
nous deviendrons des artisans du Royaume, de ce monde nouveau de Dieu, dans
lequel Jésus nous invite à entrer, ici et maintenant (cf. Mt 6,33).
Amen.
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