dimanche 9 décembre 2012

Jn 13, 1-20


Jn 13, 1-20
Lectures bibliques : Mc 10, 43b-45 ; Jn 13, 1-20
Thématique : En ce temps de l’Avent… qu’attendons-nous ?... acceptons-nous de prendre le tablier de serviteur pour nous mettre au service du Royaume… pour en être des artisans ?
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 09/12/12 & Marmande, le 21/02/16 (reprise adaptée au temps du Carême)

En ce temps de l’avent, comment accueillir l’Evangile dans la nouveauté ?
Essayons de voir quelle Bonne Nouvelle se cache encore pour nous ce matin dans ce passage bien connu de l’évangile de Jean.

Le contexte de ce récit – le lavement des pieds – est celui de la Passion… de la mort imminente de Jésus.

Pour l’évangéliste Jean, le Christ est venu pour aimer, pour donner, pour se donner, afin de révéler l’amour du Père au monde (cf. Jn 3, 16). Cet amour du Christ pour les siens s’est manifesté durant sa vie et son ministère. Et il atteint son point ultime, son terme, dans la Passion, et en particulier à la croix.
La croix est interprétée comme l’heure décisive du plein accomplissement de la mission de Jésus, l’envoyé de Dieu… comme l’instant du retour du fils vers le Père, de son élévation vers le monde divin.

C’est dans cette perspective, cet horizon – la Passion – qu’on peut entendre cette scène du lavement des pieds :
Après s’être levé de table, s’être défait de ses habits et ceint d’un linge, Jésus verse de l’eau dans un bassin, puis il se met à laver et à essuyer les pieds de ses disciples (v.4-5).

Pourquoi Jésus fait-il ce geste ?
Pour comprendre la portée de l’acte, il faut resituer la pratique du lavement des pieds dans son contexte : la tenue d’un repas entre amis.
Dans les sociétés juives et gréco-romaines du 1er siècle, le lavement des pieds est une coutume qui appartient à la vie quotidienne.
Ici, il ne s’agit pas d’un geste personnel d’hygiène ou de purification rituelle, mais d’un geste de préparation : un geste d’accueil et d’hospitalité qui consiste à assurer le confort des hôtes avant de partager un repas ou un banquet.
Cet acte est normalement pris en charge par une personne de condition inférieure. La plupart du temps, ce sont des esclaves qui assurent ce service pour leur maître, ou des femmes pour leur mari, ou des enfants pour leur père. Mais dans certaines conditions exceptionnelles, il arrive que des personnes accomplissent cet acte sans y être tenu socialement. Elles peuvent ainsi manifester leur amour ou leur affection vis-à-vis d’un hôte en particulier.

Ici, le geste effectué par Jésus suscite un double étonnement :
- D’abord, le moment choisi par Jésus pour effectuer cet acte symbolique semble incongru.
En effet, le texte laisse entendre que le lavement des pieds n’a pas lieu avant le repas mais au cours de ce repas. Il ne s’agit donc pas d’un geste traditionnel d’accueil ou d’hospitalité, effectué lors de l’arrivée d’hôtes ou du retour de parents à la maison. Le geste a une autre portée.
- Deuxièmement, la surprise vient du retournement opéré par Jésus. Contrairement à l’usage qui prévoit de confier ce geste à des personnes sans statut social, ici, il est accompli par Jésus, par celui qui est reconnu comme le « maître » du groupe rassemblé.
Ce renversement… cette inversion des rôles… donne immédiatement à penser. Et on voit à travers la réaction de Pierre (v.6) ou à travers la question posée par Jésus (v.12) qu’il s’agit d’un geste symbolique dont la signification doit être déchiffrée.

Alors… quel est le sens de cet acte étonnant accompli par Jésus ?
En réalité, l’évangéliste Jean ne nous livre pas une mais deux explications… deux interprétations de ce geste :

- La 1ère interprétation du lavement des pieds (v.6-11) apparaît dans le dialogue entre Jésus et Pierre.
Face au geste de celui qu’il considère comme son « Seigneur » et « Maître », le disciple exprime d’abord sa désapprobation, son opposition stupéfaite. Il n’accepte pas l’inversion des rôles à laquelle Jésus semble se prêter.
Ce qui est en jeu, c’est l’image que Pierre se fait du Messie, du Christ.
Parce que Pierre en reste à une notion mondaine de l’autorité, il ne supporte pas que Jésus choisisse volontairement l’abaissement, le dépouillement et le service. Pour lui, un tel geste n’est pas digne de l’autorité qui doit appartenir au Messie.
Autrement dit, pour Pierre, un Messie, c’est forcément quelqu’un de grand, qui en impose… cela ne peut pas coller avec la figure d’un serviteur, d’un type qui s’abaisse à laver les pieds de ses amis.

De façon surprenante, Jésus ne répond pas sur le fond au refus de Pierre. Il ne se justifie pas. Il laisse simplement entendre que ce geste ne pourra être compris que plus tard… en réalité, après Pâques… à la lumière de l’événement de la croix et de la résurrection.
Le lecteur de l’évangile qui connaît la suite du récit est ainsi conduit à relier le geste du lavement des pieds avec ce qui se joue à la croix.

Il s’agit d’un signe qui préfigure la croix. A la lumière de la passion, on peut comprendre l’abaissement de Jésus – symbolisé ici par le dépouillement de ses vêtements et par le geste du lavement des pieds : un geste d’amour… de don au service de l’autre – comme une sorte d’annonce, d’anticipation du don total de soi, qui trouvera son accomplissement, son expression ultime à la croix.

Pour l’évangéliste Jean, la croix – lieu de l’abaissement suprême du serviteur – est paradoxalement le lieu de l’élévation de Jésus vers le Père, le lieu de la glorification de Jésus comme étant le Christ, l’envoyé, le fils de Dieu.

Pourquoi lier « abaissement » et « élévation » ?
Cela s’explique : De maître, Jésus se fait serviteur. Le Messie n’est autre que le serviteur de Dieu… un serviteur, qui ne peut pas être au service de son ego, de son ambition personnelle, de sa propre gloire de maître, d’enseignant, de prédicateur… mais au service de l’amour de Dieu pour le monde.
Si Jésus est bien le Christ de Dieu, le porteur de l’Esprit de Dieu – et pas seulement un maître de sagesse ou un prophète charismatique – c’est précisément parce qu’il a accepté de se faire serviteur… c’est parce qu’il a choisi – quel qu’en soit le prix – de répondre à l’appel de Dieu, de se mettre au service de la gloire de Dieu, de son règne… d’un royaume qui se manifeste dans l’amour, qui se révèle dans le service de l’amour… dans la fidélité à cet amour… même si cette fidélité là peut rencontrer l’incompréhension des hommes (leur refus et leur volonté de pouvoir) et conduire à la mort.

Alors, une fois de plus – à travers l’attitude de Pierre qui caractérise le comportement type du disciple – l’évangile vient nous bousculer et nous interroger sur nos propres représentations, sur notre manière de comprendre la messianité de Jésus.
Jésus n’est pas le christ tout-puissant d’un dieu tout-puissant, mais le Christ serviteur d’un Dieu qui s’offre, qui se donne par amour, au service de la vie, au service de sa création et notamment des hommes à qui il offre de vivre en enfants de lumière… en enfants de Dieu.

D’autre part, le fait que Jésus se fasse serviteur… et que Pierre refuse d’abord son offre de service… doit aussi nous questionner sur notre capacité à accepter le salut comme une extériorité :
Sommes-nous prêts à recevoir le salut comme un don venant de la part d’un Autre ?
Acceptons-nous de nous laisser servir par le Christ… de recevoir son salut, son secours ?

Habituellement, nous sommes plutôt enclins à construire notre salut par nous-mêmes, par nos propres forces. C’est en tout cas le discours de la société post-moderne qui nous appelle à l’autonomie et à l’autosuffisance… à ne dépendre de personne… à réussir tout seul.

Or, l’Evangile nous dit le contraire :
Dans la réponse que Jésus adresse à Pierre, le Messie laisse entendre qu’« avoir part avec lui », qu’« être en communion avec lui », c’est accepter de dépendre d’un autre, c’est accepter de recevoir un don qui nous vient d’ailleurs, c’est accepter d’être au bénéfice d’un amour qui nous précède.
Il n’est donc pas question de construire son salut par ses propres forces… mais simplement d’accepter de le recevoir gratuitement dans la foi.

A cette dimension de « réception », Jésus vient en ajouter une autre : celle « d’action », de « réponse ». C’est ce que nous indique la suite du passage.

- La deuxième interprétation du lavement des pieds apparaît ensuite (v.12-17) dans la parole que Jésus adresse aux disciples.
Après avoir lavé les pieds de ses amis, Jésus délivre un enseignement éthique, pour indiquer à ceux qui ont été au bénéfice de son service, de son amour gratuit, ce qu’ils ont maintenant à vivre et à accomplir avec d’autres… afin prendre part au service du règne de Dieu.
Il s’agit, en quelque sorte, de tirer la leçon du geste inattendu de Jésus et d’en préciser les conséquences. 

Loin d’avoir entaché l’autorité de Jésus – comme le craignait Pierre – le lavement des pieds est (au contraire) l’expression adéquate de l’autorité du Messie, le serviteur de Dieu.
A la différence de la plupart des monarques et des princes de ce monde, la souveraineté du Christ s’exerce dans le service.
L’autorité du Christ n’est pas une autorité qui asservit, mais une autorité qui se met au service d’autrui, qui s’exerce en faveur du prochain. C’est une autorité qui élève la personne de l’autre. C’est d’ailleurs, le sens étymologique du mot « autorité » qui vient de « augere », augmenter.

Par son geste, Jésus, en tant que Christ, nous montre que « l’autorité » n’a rien à voir avec « le pouvoir ». Là où beaucoup d’hommes, dans leur quête de pouvoir, sont prêts à s’imposer en écrasant les autres, Jésus nous montre que l’autorité véritable se trouve dans l’humilité, dans le service qui fait croître, qui fait grandir autrui.

Pour nous appeler à agir de cette façon, Jésus emploie une argumentation simple : Si celui qu’on appelle « Maître » et « Seigneur » exprime son autorité en se faisant serviteur, à combien plus forte raison, ceux qui se réclament de lui… ses disciples… nous-mêmes… devons-nous, nous aussi, nous soumettre à cette pratique, à ce service mutuel, les uns envers les autres.

En accomplissant ce geste exemplaire, en endossant le rôle de serviteur, Jésus nous appelle à le suivre, à l’imiter, à prendre – à notre tour – la tenue de serviteur.

Il s’agit là d’une responsabilité nouvelle confiée aux disciples… et il s’agit d’un renversement de valeurs par rapport à la mentalité traditionnelle qui a cours dans notre monde depuis toujours.

Le rapport à l’autre qu’instaure Jésus – et qu’il nous appelle à vivre – n’est pas un rapport de force, de pouvoir, de domination ou de subordination (un rapport de compétition avec un gagnant et un perdant), mais un rapport de service qui entoure l’autre de sollicitude, sans tenter de le soumettre ou de l’aliéner.

Autrement dit, l’acte du lavement des pieds symbolise fondamentalement un geste d’amour… un geste gratuit d’ouverture, d’humilité et de service opéré par le Christ… qui a valeur de fondement et d’exemple pour vivre des relations simples et justes avec notre prochain.

La seule chose que Jésus demande est finalement, à la fois, simple et exigeante : c’est de mettre l’amour au-dessus de toute autre valeur, de toute autre législation.

Conclusion : Alors, pour conclure… pourquoi avoir choisi ce texte aujourd’hui… ce texte que nous n’avons pas l’habitude d’entendre dans cette période de l’Avent ?
Pour envisager la réponse, il faut peut-être décaler la question :

Le temps de l’avent, c’est le temps de l’attente… le temps de l’espérance.
Mais nous, aujourd’hui, qu’est-ce que nous attendons ? quelle est notre espérance fondamentale ?

Est-ce que nous attendons Jésus ?
Nous savons qu’il est déjà venu dans notre humanité pour y manifester l’amour, pour y révéler la grâce de Dieu.
Le Nouveau Testament nous dit… depuis sa résurrection, depuis qu’il a rejoint l’éternité divine… qu’il ne cesse d’intercéder pour nous et de faire route à nos côtés.
A travers les évangiles, nous avons sa parole pour nous éclairer… nous permettre d’avancer (sous le regard de Dieu)… et nous aider à faire les bons choix.

Est-ce que nous attendons l’Esprit saint, le souffle de Dieu ?
Nous savons que Dieu ne cesse de nous donner son Esprit, pour nous permettre de témoigner, de transmettre et d’insuffler les valeurs de l’Evangile, le don et la gratuité, dans notre monde.
Nous savons qu’il suffit de faire de la place à Dieu dans notre vie, pour que sont Esprit vienne peu à peu nous déplacer… nous transformer de l’intérieur. 

Je crois que ce que nous pouvons attendre : c’est du changement dans nos vies… c’est de la nouveauté dans notre monde… c’est enfin l’advenue du règne de Dieu.
Nous attendons le Royaume de Dieu… et pas seulement pour le futur… pour après… nous l’attendons pour aujourd’hui, pour demain, pour notre monde actuel qui se meurt d’égoïsme, d’indifférence, du pouvoir de l’argent, de l’accaparement du pouvoir et des richesses par une minorité d’individus.
Nous attendons le règne de Dieu dans un monde soumis au pouvoir du péché, de l’orgueil, de la convoitise, qui éteint partout les étincelles de l’amour, de la solidarité, de la fraternité.

Alors… face à cette attente, à cette espérance… le passage de l’évangile que nous avons entendu ce matin… vient nous redire l’essentiel : le règne que nous attendons, ce n’est pas un autre royaume qui s’imposera par la force… ce n’est pas une autre idéologie qui viendra concurrencer le monde actuel, soumis à un néolibéralisme sans foi ni loi,… non… le royaume que nous attendons, c’est le règne du service, le règne de l’amour. C’est un royaume qui peut commencer par éclore en chacun de nous et par nous.

Ce royaume : il advient dans la conversion, dans un changement de mentalité, de comportement, de système de valeurs.
Et pour laisser émerger ce royaume en nous, il faut d’abord le recevoir, il faut d’abord accepter d’être au bénéfice d’une grâce, d’un service, d’un don.
Le Christ, le serviteur de Dieu, s’est fait serviteur pour nous, pour nous révéler l’amour du Père. C’est seulement en acceptant de recevoir ce don inouï, ce cadeau de Dieu, que nous pouvons nous laisser transformer par l’Evangile, que nous pouvons changer d’orientation et mettre au centre de notre existence les valeurs de l’Evangile : l’amour fraternel, le don et la gratuité.
Acceptant de tout recevoir de Dieu, nous entrons alors dans la dynamique de l’Evangile et nous pouvons, à notre tour, devenir semeur de don, de gratuité.
Nous pouvons prendre le tablier de serviteur, pour nous mettre au service de nos frères, dans l’amour mutuel, pour faire advenir le royaume de Dieu autour de nous.

Frère et sœurs… en ce temps de l’avent… soyons en convaincus… le Royaume de Dieu est à notre portée (cf. Lc 17, 21)…
Alors… humblement posons-nous la question :
- Pour le recevoir, acceptons-nous de dépendre de Dieu, acceptons-nous de recevoir la vie comme un don… un don gratuit… une graine que Dieu nous offre et nous confie pour la faire croître… acceptons l’amour et la confiance que Dieu nous porte ?
- Et pour y prendre part, acceptons-nous de nous mettre au service de Dieu, de l’Evangile ?
Acceptons-nous de laisser Dieu labourer notre champ, pour que la graine y trouve la bonne terre enfouie en nous – le meilleur terreau – pour qu’elle puisse prendre racine ?
Acceptons-nous de déposer toute forme d’orgueil et d’égoïsme, pour prendre le tablier de serviteur et nous mettre au service du Royaume… pour en être des artisans ?
Amen.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire