dimanche 19 mai 2013

De la peur à la confiance, de l'aveuglement à la vue


Passer de la peur à la confiance, de l’aveuglement à la vue

Lectures bibliques (choisies par les Confirmants) : Ps 23 ; Mc 10, 46-52 ; Jn 9, 1-7 .35-38 ; Lc 24, 13-35 + Volonté de Dieu : Mt 6, 24-34
Thématique : Être Chrétien… regarder le monde avec les yeux de la foi et un cœur brulant.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 19/05/13 – Avec 4 Confirmations

Chers jeunes, chers Confirmants,
Vous ne vous êtes pas concertés dans vos choix de textes bibliques pour ce matin… et pourtant parmi les différents passages vous avez choisis, on peut déceler un « fil rouge », un thème commun… ou plutôt deux :
Il est question, d’une part, de foi, de confiance, et, d’autre part, de transformation, de passage de l’aveuglement à la vue.

* La foi… la confiance… c’est d’abord ce qui permet avec l’auteur du psaume 23 – le texte que Luc a choisi – d’affirmer que nous nous ne sommes pas seuls, livrés à nous-mêmes, à la solitude et au désespoir… que nous avons un guide, un Dieu-berger… qui vient nous conduire, nous accompagner tout au long de la route… et notamment dans les passages difficiles.

C’est cet appui, cette confiance en Dieu… en un Dieu-berger qui marche à nos côtés, qui nous libère de la peur : peur du lendemain, peur de manquer, peur de l’avenir, peur de l’inconnu.

Cette solide confiance, c’est véritablement l’antidote de la peur, de la crainte, de l’angoisse.
Et le psalmiste vient nous rappeler ce matin qu’elle ne repose pas d’abord sur nous-mêmes (sur la confiance en soi), mais sur un Autre : sur Dieu, sur son amour… sur l’amour qu’il nous donne.

« Oui, tous les jours de ma vie, ton amour m'accompagne, et je suis heureux. » (Ps 23, 6) :
Voilà ce qui réjouit le psalmiste… voilà qui lui donne confiance en l’avenir quel qu’il soit (rose ou gris) : la présence réconfortante, consolante, encourageante et vivifiante du Seigneur à ses côtés… à nos côtés.

* Dans notre société d’aujourd’hui… nous avons bien besoin d’une telle confiance.
Car, ce qui prédomine dans notre monde, ce n’est pas vraiment la confiance, mais bien plutôt la défiance, la peur de l’avenir, la crainte que demain soit plus sombre, plus dur, moins beau qu’aujourd’hui.

Nous retrouvons l’expression de ce pessimisme ambiant dans tous les sondages. Les indices de confiance sont au plus bas. Le moral des Français est en berne.
Semaines après semaines, on ne cesse d’entendre s’accumuler les mauvaises nouvelles : augmentation du chômage des jeunes, délocalisation, licenciements (y compris des sociétés qui réalisent des bénéfices), etc.
La récession, les effets de la crise économique qui frappe l’Europe, rendent l’avenir incertain, et les premières victimes de cette incertitude sont les jeunes… les étudiants qui (faute d’argent) n’arrivent même plus à se soigner quand ils sont malades… (On estime que 10 % de la population étudiante vit dans la très grande précarité)…et les jeunes qui n’arrivent pas à trouver un premier emploi… parce que personne ne veut prendre le risque d’embaucher des juniors… parce que personne n’ose faire confiance à des débutants.

Pendant des siècles, beaucoup de parents ont accepté de travailler…de faire des sacrifices… dans l’espoir d’offrir une vie meilleure à leurs enfants.
Mais, cette certitude s’est effondrée. Et la logique s’est inversée :
Ce sont maintenant les jeunes qui sont sacrifiés pour payer les dettes des générations précédentes !
Beaucoup de parents ont peur que leurs enfants grandissent dans une société plus dure que la leur. Beaucoup de parents sont angoissés quand ils pensent au monde dans lequel leurs enfants vont devoir apprendre à devenir adultes.
C’est d’ailleurs une phrase qui revient souvent dans la bouche des parents et des grands-parents : « Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? »

Sans doute, la question se pose. Mais il y a, à mon avis, une autre question qui se pose… une question beaucoup plus essentielle : « quels enfants allons-nous laisser à ce monde ? »… si nous restons cloitrés dans la peur… si nous ne nous mobilisons pas !
Des enfants résignés, découragés, déprimés, effrayés, paralysés par la peur... ?
Des enfants indifférents au sort des autres, égoïstes, repliés sur eux-mêmes, intérieurement vides, éteints comme des Smartphones en panne de batterie ?
Des enfants agressifs, prédateurs, drogués à l’idéologie de la performance, prêts à écraser tout le monde pour réussir ?
Des enfants sans culture, sans esprit critique, sans repères, sans spiritualité, sans fondations solides, qui se laisseront entraîner comme des moutons de Panurge ?
Quels jeunes allons-nous laisser à ce monde ?… si nous ne vivons pas dans la confiance… si cette confiance ne nous incite pas à changer : à changer de mentalité… à modifier notre manière de voir les choses et de vivre ![1]

* Dans les textes que les jeunes ont choisis, il est justement question de « confiance ».
Le psaume 23 nous parle d’une confiance qui ne nie pas les difficultés ou les épreuves, mais qui les intègre, pour les surmonter avec l’aide de Dieu… d’une confiance qui nous permet de changer de regard sur la vie… qui nous permet de faire passage : de passer de l’aveuglement à la vue.

Cela les deux récits de guérisons d’aveugles par Jésus – les textes que vous avez choisis Lucille et Amandine – l’expriment très bien.
Dans le récit de l’évangile selon Marc (pour ne prendre que celui-là) il est question de foi et de guérison.

Bartimée est un homme qui ne se soucie pas des apparences, du « quand dira t-on »… qui ne se préoccupe pas de savoir ce que dit la foule des « bien-pensants » qui l’entoure.
Lorsqu’il crie vers Jésus pour implorer son aide, on lui dit de se taire… qu’il fait trop de bruit… qu’il dérange, qu’il crie trop fort… Mais il suffit que Jésus s’arrête un instant, qu’il lui adresse une parole, pour que la foule change d’opinion et d’attitude… pour qu’elle écoute enfin le maître.

Alors, peu importe, ce que pense le monde…. Bartimée, lui, a placé sa confiance en Jésus, et cette confiance le pousse au changement, elle le conduit à se déplacer, à s’avancer vers Jésus… quitte à trébucher… même s’il n’y voit rien.

Ce qui est étonnant dans cette histoire de guérison, c’est à quel point la foi peut nous mettre en mouvement : Bartimée a cru… il a placé toute sa confiance… son espérance… en un autre que lui-même, en Jésus… Et voilà que le Christ lui adresse cette phrase étonnante : « va ! t’a foi t’a sauvé », comme si la foi de cet homme était elle-même le déclic de sa guérison, comme si la confiance, à elle-seule, avait le pouvoir d’opérer des changements, des transformations, des miracles.

Et à bien y regarder, c’est là un des messages importants – une Bonne Nouvelle – que nous livre l’Evangile :
La foi – la confiance – a le pouvoir d’opérer des changements dans notre vie… pour peu qu’elle nous engage… pour peu qu’il s’agisse d’une foi active, participante…. une foi qui nous fasse bouger… qui nous déloge de notre torpeur, de nos certitudes, de nos peurs… comme celle de Bartimée.

* Je recevais… il y a quelques semaines… un jeune couple qui demandait le baptême pour leur nouveau-né : au cours de notre entretien, je les questionne pour en savoir plus sur eux et sur le sens de leur démarche.
Vous êtes Chrétiens… vous demandez le baptême pour votre enfant… parce que c’est la tradition dans votre famille… très bien ! … mais, essayons d’aller un peu plus loin… qu’est-ce que ça veut dire pour vous « être Chrétien » ? qu’est-ce que ça change fondamentalement dans votre vie ? En quoi votre existence est-elle modifiée, autre, différente de celle de votre voisin qui se dit « incroyant » ou « agnostique », de celle de votre collègue qui se prétend « athée »… En bref, qu’est-ce que ça signifie et qu’est-ce que ça change pour vous d’« être Chrétien » ?

Cette question… un peu provocante… nous pourrions tous nous la poser :
Qu’est-ce que la foi ? Qu’est-ce que ça signifie concrètement, pour moi, de me dire croyant ?... en quoi cela change-t-il quelque chose dans ma vie ?

Nous connaissons tous l’expression populaire qui parle d’« avoir la foi »… « j’ai la foi »… Mais est-ce que nous « avons » la foi ?

En réalité, la foi, ce n’est pas quelque chose que l’on a… qu’on peut saisir ou posséder… c’est bien davantage quelque chose, ou plutôt quelqu’Un qui vient nous saisir, nous interpeller… nous mettre en route : C’est ce qui s’impose à nous comme une question, comme un appel, comme une « préoccupation ultime » (cf. Tillich).
La foi naît subitement ou peu à peu, progressivement, de l’expérience d’une rencontre bouleversante avec le Christ… à travers un témoin, une personne, la Bible, une Parole, une rencontre…
Et cet événement, cette rencontre inattendue, soulève en nous de la nouveauté, des questions… cela nous conduit… si nous nous mettons à l’écoute de cet appel que Dieu nous adresse… cela nous conduit… à répondre à l’interpellation que nous avons secrètement reçue, à telle ou telle occasion.

Autrement dit… à certains moments de notre vie, il arrive que nous réalisions… que nous prenions conscience… que quelque chose nous est donné, comme un don, un cadeau, une grâce de Dieu.
La foi, c’est l’acceptation de cet amour que Dieu nous offre, c’est la réponse, la confiance que nous adressons à la confiance première de Dieu….
Et cette confiance, nous invite à changer… à vivre autrement.

La foi, ce n’est pas adhérer ou réciter une confession de foi… ce n’est pas une histoire de dogmatique ou de religion… c’est bien plutôt oser dire « oui »… répondre « oui » au « oui » de Dieu.
Et dire « oui » à quelqu’un, c’est bien plus engageant que de recevoir la confession de foi d’une Eglise, cela implique notre parole, notre personne, notre existence, notre manière de vivre.

C’est d’ailleurs ce qui est proprement étonnant dans la foi : bien qu’elle soit une réponse à l’amour premier de Dieu… elle est une réponse qui suscite en nous des questions… qui nous met en question… en mouvement.

La foi nous relève… elle nous entraine dans une dynamique… dans une relation avec Dieu… qui nous appelle, nous engage, nous tire vers l’avant… pour autant que nous acceptions de nous laisser interpeller par le Christ.

* C’est précisément ce qui se joue dans notre récit avec Bartimée :
Ce qui caractérise la foi de cet homme, c’est sa détermination, son engagement… c’est qu’il s’agit d’une foi pleinement participative… c’est son audace :
Bartimée a osé placer toute sa confiance en Jésus et cette confiance a provoqué un mouvement, un déplacement, qui d’ailleurs a perduré après sa guérison, puisque l’évangile nous laisse entendre qu’il s’est mis à suivre Jésus sur le chemin…. en d’autres termes, qu’il est devenu son disciple.

Autrement dit… cette histoire nous révèle un chose essentielle sur la foi… sur son aspect actif, agissant :
« Avoir la foi » (comme on dit), ce n’est pas « rester à distance », ce n’est pas de l’ordre d’une adhésion intellectuelle, mais c’est existentiel… c’est « prendre part », c’est « participer » à la vie du Christ… à la dynamique du Royaume (cf. Mt 6, 33).

La confiance à laquelle Dieu nous appelle n’est véritablement « confiance » que dans la mesure où nous la mettons en pratique… où nous acceptons de faire confiance à la confiance… de vivre concrètement cette confiance.

* Et c’est justement de cela dont notre monde a besoin : de gens de confiance qui fassent confiance à Dieu.
Pour sortir du pessimisme ambiant, d’un monde occidental qui a peur de l’avenir, et qui ne cesse de regarder en arrière, de se replier dans la crainte de perdre : de perdre ses acquis, ses avantages, sa richesse, son pouvoir, son influence… l’Evangile nous appelle à quitter nos sécurités provisoires et éphémères, pour risquer une nouvelle fidélité : pour vivre la confiance avec Dieu.
L’Evangile nous appelle à oser le changement… à la suite de Jésus.

« Va ! t’a foi t’a sauvé » dit Jésus.
La foi… la confiance… c’est ce qui nous permet d’oser, d’aller de l’avant, de partir à l’aventure, pour sortir des schémas trop usés du monde ancien.
Car si l’Evangile nous parle de « salut », de « guérison », de « libération »… c’est bien que notre monde tel qu’il est, est « perdu »… qu’il est devenu « malade »… « aveugle »…. conduit par la peur, l’égoïsme et la loi du plus fort.

Pour nous en rendre compte… il suffit d’ouvrir les yeux autour de nous… de lire ou d’écouter les actualités dans les journaux ou à la télévision : 
Nous voyons bien que le monde tel qu’il est… est usé, à bout de souffle… nous voyons bien que le modèle de vie, proposé par néo-libéralisme occidental … gouverné par le monde de la finance… nous mène dans une impasse.
L’Evangile nous appelle à quitter notre aveuglement.
Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans l’égoïsme et l’insouciance, sans nous préoccuper des plus petits… de ceux qui sont tout en bas, qui crèvent dans l’indifférence, ici, chez nous, en France, en Espagne, en Grèce, au coin de la rue… ou, là-bas, à l’autre bout du monde, écrasés par les plus puissants (ou par leurs bâtiments… comme au Bangladesh), par les multinationales… les sociétés qui ne pensent qu’au profit de leurs actionnaires.

Nous voyons bien que ce monde-là : ce monde marchand du « donnant-donnant », de la réciprocité… ce monde calculateur où il faut vaincre, dominer, se battre pour réussir, quitte à écraser l’autre… ce monde-là est anti-évangélique.

Le monde dont parle Jésus… le monde nouveau de Dieu… le Royaume… dont Jésus est le témoin, le porteur… n’a rien à voir avec ce monde-là.
Et c’est la raison pour laquelle il appelle ses disciples à opérer un renversement… en vivant en relation avec Dieu …. en regardant la vie … telle que Dieu la veut… avec les yeux de la foi.

La foi… à laquelle Jésus nous appelle… est une foi active, participative… une foi qui nous appelle à changer de mentalité et de comportement : à dépasser le « chacun pour soi »… à sortir de la logique commerciale du « donnant-donnant », de la réciprocité… qui nous enferme dans la répétition du même schéma depuis toujours… pour vivre dans une autre logique : celle du don et de la gratuité… celle de la générosité, qui dépasse toute notion de « calcul ».

C’est une foi qui nous appelle à chercher d’abord et avant tout, « le Royaume et la justice de Dieu » (cf. Mt 6, 33)… à aimer notre prochain comme nous-mêmes… à vivre dans la fraternité, la solidarité et le partage… autrement dit, à expérimenter concrètement la confiance… à sortir de la peur qui nous pousse à nous retrancher dans l’égoïsme, à la recherche de biens, de sécurités, à accumuler, à thésauriser, dans la crainte de l’avenir.

* En bref … (et pour conclure)… l’Evangile nous appelle à faire passage, à vivre une Pâque… à passer de la mort à la vie… de la peur à la foi… du désespoir à l’espérance… comme Bartimée ou l’aveugle-né, ou comme les disciples d’Emmaüs… le texte que David a choisi.

Dans ce passage de l’évangile, il est encore question d’un retournement… de disciples qui ouvrent les yeux… (qui découvrent l’action de Dieu en Jésus Christ)… et qui ont le cœur brulant.

C’est peut-être là la définition de la « foi » que l’Evangile nous appelle à vivre dans le quotidien de l’existence :
Être Chrétien, c’est… garder les yeux ouverts… pour regarder le monde avec les yeux de la foi et un cœur brulant.

Alors… avec l’aide de Dieu… qui nous offre son alliance… avec l’aide de Dieu qui nous donne son souffle, son Esprit saint… - comme nous le fêtons en ce jour de Pentecôte - ….avec l’aide de Dieu … et pour peu que nous vivions dans la foi… la confiance… nous pourrons déplacer des montagnes… nous pourrons être des disciples du Royaume, du monde nouveau que Dieu attend et espère pour nous : Un Royaume dont nous sommes appelés à être les artisans, les disciples … et notamment vous, Lucille, Amandine, David et Luc… dès maintenant…  et tout au long de votre vie.  

Amen.



[1] Nous rejoignons ici le questionnement de Guilhen Antier dans une de ses prédications. 

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