dimanche 7 juillet 2013

Liberté et destinée... la liberté de choisir de vivre en enfant de Dieu

Liberté et destinée… la liberté de choisir de vivre en enfant de Dieu

Lectures bibliques : Dt 30, 15-20 ; Mt 7, 13-14 ; Mc 10, 13-16. 35-45
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 07/07/13
(Deuxième partie inspirée d’une méditation de Jean-Marc Babut)

* Ce matin, l’Evangile nous rappelle que le croyant se situe à la croisée des chemins, confronté sans cesse à choisir entre deux alternatives : la vie ou la mort, le bonheur ou le malheur… entre deux portes, deux chemins (l’un large, l’autre étroit), deux dieux (l’Eternel ou Mamon), deux mondes (le monde ancien, le monde tel qu’il est, ou le monde nouveau de Dieu, le Royaume).

Jésus nous appelle à le suivre… à choisir le chemin étroit et difficile… source de promesse et de vie.

En parlant de choix… de chercher et de choisir la bonne porte… l’Evangile fait implicitement référence à notre capacité de discernement et notre volonté de décision… autrement dit, à notre liberté.

Mais, face à cet appel à nos positionner entre la voie large du monde et la voie étroite du Royaume (cf. Mt 7, 14 ; Mc 10, 24)…  une question se pose : En réalité, sommes-nous véritablement libres ? Avons-nous vraiment cette capacité de choisir librement ?

Certains théologiens se sont posés cette question et ont débattu au sujet de la notion de « libre arbitre »[1]
Pour Luther, par exemple, l’homme n’a pas vraiment son libre arbitre. Sa volonté est serve (esclave) du péché.
Il s’oppose sur ce point à l’humaniste Erasme.
Dans le Nouveau Testament, nous trouvons déjà les traces de cette pensée avec l’apôtre Paul. Dans l’épître aux Romains (cf. Rm 7), il affirme que nous sommes et demeurons pécheurs, bien malgré nous… que l’homme ne peut par nature choisir le bien et obéir à la Loi de Dieu. (Je ne parviens pas à faire le bien que je voudrais, mais que le mal que je ne veux pas faire, je le fais malgré moi).[2]

Précisément… qu’est-ce qui nous empêcherait de disposer de notre libre arbitre ?
Des théologiens ont tenté de répondre à cette question, à travers la notion de « péché originel ».
De leur côté, des philosophes, ont parlé de destin :
Ma vie serait gouvernée par un destin, par quelque chose ou quelqu’un (une instance, une puissance supérieure, une main invisible) qui s’imposerait à moi, de l’extérieur. C’est le destin ! – dit-on – ou le « fatum » des stoïciens : Ce qui est écrit d’avance.

Alors, chers amis…  y a-t-il un destin ? ou sommes-nous libres… libres de nos choix ?

Pour ma part, je ne pense pas qu’il y ait de destin inéluctable, de route toute tracée d’avance, qui rendrait nos choix vains, inutiles et indifférents.

D’ailleurs, la fatalité est une notion grecque, qui devrait être étrangère au christianisme.
En effet, l’événement fondateur du christianisme – la résurrection du Christ – symbolise à merveille la mort de toute fatalité.
Elle nous révèle qu’avec l’amour de Dieu, rien n’est jamais définitif.
Même ce qu’on peut raisonnablement penser aussi impossible que la victoire sur la mort peut s’avérer possible.
En Jésus Christ, Dieu est Celui qui est venu ouvrir une brèche dans les murs dressés de la fatalité.
Il est venu ouvrir la brèche de l’espérance… afin que nous ne restions pas des contempteurs impassibles de notre monde… mais qu’avec courage et confiance, nous y prenions une place active… afin que nous prenions part au règne de Dieu, à ce monde nouveau… ce Royaume de justice et de paix qu’il veut pour nous.

Très bien – me direz-vous – mais s’il n’y a pas de destin, pas de fatalité, quelle notion devons-nous mettre en face du mot « liberté » ? Avec quoi cette notion de liberté entre-t-elle en dialogue ? Sur quelle base s’exerce-t-elle ?

Pour bien comprendre ce dont il est question dans cette histoire de choix, le théologien Paul Tillich met en dialectique (en dialogue) deux concepts : la liberté et la destinée. Je crois que cela peut nous éclairer dans notre lecture de l’Evangile de ce jour :

Pour Tillich, la liberté s’expérimente à travers trois actes : peser, couper, répondre. Le théologien renvoie à trois mots dont l’étymologie est rattachée à ces verbes en allemand : délibération, décision, responsabilité.[3] (je cite)

« Délibération renvoie à l’acte de peser [librement] (librare) des arguments et des motivations. […] La personne qui a un soi centré pèse et réagit au conflit des motifs comme un tout, grâce à son centre personnel. On appelle cette réaction « décision ». Le mot « décision », comme « incision », véhicule l’image de trancher [parmi des possibilités]. […] Le mot « responsabilité » indique que la personne qui a la liberté se trouve dans l’obligation de répondre si on l’interroge sur ses décisions. […] Chacun d’entre nous est responsable de ce que produit le centre de son soi, le siège et l’organe de sa liberté ».[4]

- A côté de la liberté, il y a la destinée : la base élargie de notre liberté.

En réalité, quand on parle de liberté, on ne parle pas de la liberté d’une chose, de notre volonté, par exemple, mais de la liberté de notre personne, de notre être tout entier, dans toutes ses composantes.[5]

Quand je fais usage de ma liberté, c’est tout mon être qui participe à la prise de décision… et tout ce qui le constitue – tout ce qui a contribué à façonner l’être que je suis – intervient.

Cette structure plus vaste à laquelle l’homme appartient… cette base indéfiniment élargie de notre soi centré, constituant l’être décisionnel, Tillich l’appelle « la destinée ».

Elle inclut, à la fois, la structure corporelle de l’homme, ses tendances psychologiques, sa personnalité spirituelle, mais également les communautés auxquelles il appartient, son passé conscient et inconscient, ses souvenirs, l’environnement qui l’a façonné, et toutes ses décisions antérieures.

C’est de la destinée – de cette base plus ou moins élargie de notre soi centré (propre à chaque personne) – que surgissent nos décisions.

Ainsi… la destinée n’est pas la nécessité, ni le fatum (ce qui est écrit d’avance) : Elle « ne représente pas un pouvoir inconnu qui détermine ce qui m’arrivera. Elle est moi-même en tant que donné et formé par la nature, par l’histoire [donc par les autres] et par moi-même.
Ma destinée donne une base à ma liberté ; ma liberté participe à la formation de ma destinée »[6].

Pour Tillich, la « destinée » entretient donc un lien permanent – une corrélation – avec la « liberté » : Elle ne désigne pas le contraire de la liberté, mais plutôt ses conditions et ses limites.

A chaque fois que nous avons des décisions à prendre, un certain nombre de choses peuvent peser : notre corps, notre caractère et notre état santé (parfois fatigué ou au contraire tonique), notre éducation (avec le système de valeurs par rapport auxquelles nous avons dû nous positionner), notre environnement et nos proches, nos centres d’intérêts et nos motivations, nos décisions antérieures.
Mais aussi, nos représentations (notre manière de penser et de voir le monde), notre foi, notre relation au Christ, à ce que nous considérons comme pouvant nous guider dans de justes décisions et relations avec les autres.

L’Evangile peut ainsi faire partie de nos facteurs de décisions.
Les Paroles de Jésus peuvent avoir du poids. Elles peuvent influer… influencer nos mentalités, nos comportements, nos prises de décisions… elles peuvent intervenir dans cette base que constitue notre destinée, à partir de laquelle s’exerce notre liberté.

Alors, pourquoi cette parenthèse philosophique ? 

Cette dialectique de la liberté et de la destinée, peut nous permettre de voir de quoi il s’agit dans l’alternative que nous propose Jésus :

A chaque fois que nous faisons de bons choix – que nous choisissons ce qui fait vivre – notre chemin est peut-être étroit (comme le dit l’évangile), car il est difficile d’oser choisir le chemin que Jésus nous propose, de renoncer à un certain nombre de choses, notamment à Mamon. Mais, en réalité, notre destinée s’élargie…. notre capacité d’accueillir la vie également. Du nouveau peut surgir dans notre vie.

Au contraire, si nous choisissons les valeurs de ce monde – je parle, bien sûr, de l’avoir et du pouvoir, de ce qui préoccupe principalement les humains[7] – notre chemin est, certes, large et spacieux, car finalement nous choisissons ce que le monde désire (le bien-être, le confort, le profit personnel, la richesse, le pouvoir), mais, en réalité, notre destinée se resserre, et fait de nous des esclaves du matérialisme et de la recherche incessante de biens de consommation pour assouvir notre désir et notre soif de possession.
C’est la raison pour laquelle, Jésus nous parle d’un chemin large, qui mène finalement à la perdition, à une vie sans cesse orientée par la répétition du même (la quête de biens à consommer), par ce qui est mortifère, par ce qui nous enferme, dans le soucis et la préoccupation de soi.

Si Jésus nous invite à le suivre… ce n’est certainement pas pour nous embrigader sous un nouveau joug, pour nous enfermer dans un nouveau légalisme… dans une nouvelle loi concurrente à la loi du marché… c’est, au contraire, pour nous permettre de découvrir la vraie liberté… pour que notre destinée se trouve élargie… pour que notre vie soit véritablement lumineuse, vivante, porteuse de sens et d’espérance.

Avec son évangile du Royaume, Jésus nous propose autre chose qu’une existence toute prête à consommer sur un plateau repas sans saveur.
Il nous invite à nous engager sur un autre chemin, à chercher la porte étroite… à choisir une vie qui laisse place à l’autre, à la rencontre, à la surprise, à la nouveauté – et aux valeurs qui vont avec cette préoccupation de l’autre : le don, la gratuité, le service…
Il nous appelle à accepter le règne de Dieu sur nos cœurs et nos vies.

* Précisément, dans le passage que nous avons entendu de l’évangile de Marc, Jésus nous invite à accueillir le règne de Dieu, avec écoute et confiance…. avec obéissance et émerveillement… comme « un enfant » qui accepte l’amour de son Père… qui veut se placer sous sa protection et son autorité :
« Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le règne de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent / … pour les êtres de cette nature » (cf. Mc 10, 14).

On peut se demander pourquoi Jésus prend exemple sur les enfants ? Pourquoi il déclare que les enfants sont d’emblée chez eux dans le Règne de Dieu ?

A mon avis, les textes qui suivent ce passage dans l’évangile peuvent nous éclairer pour répondre à cette question :
Il s’agit de l’appel du riche, qui n’a pas osé faire le pas nécessaire (lâcher ses possessions considérables) pour entrer dans le Règne de Dieu.
Puis, nous avons la demande de Jacques et Jean qui réclament à Jésus le privilège de siéger l’un à sa droite et l’autre à sa gauche quand il viendra dans sa gloire.
Dans sa réponse, Jésus prend l’exemple des chefs d’Etat, qui tiennent les nations sous leur pouvoir. Et il ajoute : « Il n’en est pas ainsi parmi vous […] Si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur » (cf. Mc 10, 43).

Ainsi donc, ce qui semble incompatible avec le Règne de Dieu, ce sont l’avoir et le pouvoir que l’on aurait sur d’autres.

« Avoir » et « pouvoir » sont précisément les deux choses que les enfants n’ont pas (qu’ils n’ont pas encore… tant que nous ne leur avons pas transmis l’envie diabolique d’en disposer).
Ils apparaissent comme les deux obstacles majeurs à notre entrée dans le Règne de Dieu.

« Avoir » et « pouvoir » – disposer des choses et disposer des gens – sont les deux « valeurs » les plus désirées… les plus recherchées dans notre monde.
Les actualités économiques ne cessent de nous montrer des exemples d’usines qui sont restructurées ou délocalisées, dans le but de réaliser davantage de profit… de se préoccuper de l’argent et des dividendes des actionnaires, par souci de rentabilité, plutôt que du sort des humains qui y travaillent.

Si partout, on pratique, d’une manière ou d’une autre, la course à l’avoir ou au pouvoir (dans le monde politique, comme dans celui de l’entreprise), c’est parce que chacun est persuadé au fond de lui-même qu’il ne peut pas s’en tirer – c’est-à-dire qu’il n’y a pas de salut pour lui, ni de bonheur possible – s’il ne dispose pas d’un minimum d’avoir et d’un certain pouvoir.

Seulement Jésus est d’un avis foncièrement différent.
A ses yeux, il n’y a de salut pour nous, ni dans plus d’avoir, ni dans plus de pouvoir. Au contraire même ! Car les ressources ne sont pas illimitées et sont loin d’être équitablement partagées entre tous.
Dans un monde régi par la concurrence économique, ce que nous avons, c’est ce que d’autres (ailleurs, au loin) n’ont pas.
Et quand nous avons quelque pouvoir, c’est le plus souvent pour le faire jouer en notre faveur, c’est-à-dire aux dépens des autres.
Voilà pourquoi il n’y a pas la moindre place pour de telles « valeurs » dans le règne de Dieu.
On ne peut y entrer que dépouillés de tous nos avoirs et de tous nos pouvoirs. On ne peut y entrer que redevenus comme des enfants.

Je crois que peu de personnes prennent conscience de cet état des choses. La confusion est grande dans notre monde entre le plus être, le mieux-être, et le plus d’avoir ou de pouvoir.

Malheureusement, c’est souvent dans les moments difficiles (au moment d’une épreuve, de la maladie ou d’un deuil), lorsqu’on se retrouve au pied du mûr et qu’on s’interroge sur ce qui est véritablement important dans la vie, sur ce qui est essentiel et ultime… qu’on réalise que c’est bel et bien Jésus qui a raison (malgré tout)... et qu’on a passé notre vie… ou du moins, une bonne partie de notre vie… à courir après des chimères, des choses finalement sans importance, qui, non seulement, nous font perdre notre temps et notre énergie, mais qui risquent de nous éloigner des autres, de la quête du Royaume de Dieu, de la vie véritable que Jésus nous propose.

Conclusion : Alors…frères et sœurs… chers amis… que peut-on conclure de cette méditation ?

Avant tout… qu’il n’est pas utile d’attendre un évènement tragique autour de nous pour nous poser les bonnes questions… l’Evangile nous y invite dès maintenant.
Et peut-être pourrions-nous formuler cette question de la manière suivante :
Qu’allons-nous faire du reste de notre vie, pour mettre à profit le temps qui nous est donné, dans la quête du règne de Dieu ?

Lorsque Jésus parle du royaume de Dieu, il nous parle de la vie véritable sous le regard de Dieu. Il nous parle d’une réalité accessible ici et maintenant, d’un espace dans lequel nous pouvons entrer, auquel nous pouvons prendre part.

Pour ce faire, il nous invite à changer de mentalité, à renoncer à l’avoir et au pouvoir qui nous retranche dans l’individualisme, dans le cycle de la concurrence et de la violence, pour adopter un esprit de fraternité, de solidarité, de gratuité, de souci de l’autre et de la justice que Dieu attend de nous.

Il ne s’agit pas de faire cela pour notre propre salut, mais de le faire pour donner une autre saveur au monde, pour le saler du sel de l’Evangile, et pour y engager les autres humains après nous.
En nous appelant à choisir la voie étroite, à entrer dans le règne de Dieu, ce que Jésus vise, c’est le salut de notre monde. Le nôtre viendra avec.

Alors… frères et sœurs… remettons à Dieu notre vie, nos cœurs et nos biens… plaçons-nous avec confiance sous son règne. Car c’est bien ce que nous désirons et ce que nous lui demandons lorsque nous prions le « Notre Père » : « que ton règne vienne, que ta volonté soit faite ! »

C’est un règne que nous sommes appelés à accepter en premier lieu pour nous-mêmes, dans notre vie…  comme des enfants... afin de laisser Dieu guider et élargir notre destinée… afin de pouvoir en témoigner autour de nous.
Son règne est source de liberté et de vie.
Amen.



[1] cf. par ex. Augustin et les pélagiens.
[2] Voir Rm 7, 18b-19.
[3] Tillich utilise ici l’étymologie des mots allemands : die Erwägung (délibération) vient de wägen (peser), Entscheidung (décision) de scheiden (couper), die Veranwortung (responsabilité) de antworten (répondre).
[4] ST I, p.184 (TS 2, p.38-39).
[5] Chaque partie ou fonction qui fait de l’homme un soi personnel (un soi centré) participe à cette liberté, aussi bien son intellect, ses sentiments, que les cellules de son corps, dans la mesure où elles participent à la constitution de son centre personnel.
[6] ST I, p.185 (TS 2, p.39-40).
[7] Que le monde occidental nous vend comme l’unique modèle… le seul chemin possible… pour nous conduire au bonheur (à un bonheur matérialiste, évidemment)

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