dimanche 7 avril 2013

2 R 5


2 R 5
Lectures bibliques : Mt 16, 25 ; 2 R 5
Thématique : fonder son existence sur une parole digne de confiance… une parole qui guérit et qui donne la vie.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 07/04/13
(Partiellement inspiré d’une méditation de Guilhen Antier)

* Bien souvent, les récits de guérison dans la Bible nous racontent plus que le rétablissement physique d’un homme, que la guérison d’un symptôme ou d’une simple maladie, fut-elle une maladie de peau ou la lèpre. Ils constituent davantage une réflexion sur le cheminement – le chemin de confiance, de foi – qui mène un homme (dans toutes ses dimensions : corporelle et spirituelle) à rencontrer Dieu.

Dans la conception juive de la personne humaine - contrairement à la pensée grecque - il n’y a pas le corps, d’un côté, et l’esprit, de l’autre. Mais le corps, c’est la personne toute entière, dans son être relationnel.
Alors, quand le corps est malade, il faut s’interroger et voir si la maladie n’est pas le signe d’un disfonctionnement plus profond… si elle n’est pas le signal qu’adresse le corps pour dire quelque chose.

Il faut prendre acte de cette manière de penser, pour voir le double renversement qui s’opère dans ce récit : celui qui concerne Naaman et celui qui concerne Guéhazi.

* Naaman est un personnage important, le chef de l’armée, le bras droit du roi de Syrie.
Selon les critères du monde, il a « tout pour être heureux » : il est considéré par son roi, il fait partie du cercle des puissants, il est victorieux à la guerre, il est l’illustration de la réussite.
Grâce à lui - ou plutôt grâce au Dieu d’Israël (selon l’auteur du livre des rois) - la grande Syrie vient de remporter une victoire sur son voisin, le petit royaume d’Israël.

Alors, Naaman a de quoi être fier : ses aptitudes militaires ont fait de lui un homme respecté et apprécié de son roi, un homme brillant qui a un certain rayonnement. Son nom semble d’ailleurs prédestiné, puisqu’il signifie « gracieux », « plaisant ».

Mais voilà que derrière cette façade, derrière les signes extérieurs de réussite, de richesse, de reconnaissance sociale, le vernis commence à craquer… et ne parvient plus à dissimuler la misère intérieure qu’il porte en lui et qui commence à transparaître à l’extérieur.

Naaman est rongé par la lèpre : un mot qui, en hébreu, désigne une maladie de peau, mais qui a aussi le sens de « détérioration »…  pouvant désigner une vie détériorée, abîmée, une blessure, une souffrance, une honte.
Précisément, la maladie qui ronge secrètement Naaman ce n’est pas simplement une forme de lèpre, au sens physiologique du terme, mais c’est aussi une maladie spirituelle qui s’appelle l’orgueil.

C’est aux termes d’un cheminement, d’un déplacement d’étapes en étapes, que Naaman va traiter sa maladie intérieure, pour qu’enfin les symptômes visibles disparaissent.

Le récit nous montre ce cheminement, cette transformation intérieure en trois étapes :

- La première étape est sans doute la plus étonnante : Acculé par sa maladie, ne sachant que faire – lui qui est tout en haut de la société - pour ne pas devenir bientôt un paria, un exclu, mis à l’écart à cause de sa lèpre, Naaman va écouter la voix [/voie] d’une petite fille anonyme, une étrangère, une esclave israélite, et va accepter de se déplacer, de faire un long voyage, de repartir dans le pays qu’il vient de conquérir, en plaçant sa confiance dans la parole d’une petite esclave étrangère :
Selon sa parole, il y aurait en Israël un prophète, un homme de Dieu, capable de le débarrasser de sa lèpre.

Premier étonnement, premier déplacement : comment la parole d’une personne dont l’âge, les origines et la fonction sociale suffiraient d’emblée à la discréditer, a-t-elle pu rejoindre et toucher cet homme, ce général en chef victorieux, au point de lui faire prendre la route, de lui faire quitter son pays, pour aller chercher la guérison en territoire ennemi, auprès d’un prophète inconnu ?

Peut-être que… ramené à la réalité de la fragilité et de la finitude humaine, par l’épreuve de la maladie… Naaman a-t-il confusément perçu qu’il n’y avait finalement pas tant de différence que ça entre lui et la petite esclave métèque enlevée à ses parents.

Quoi qu’il en soit… Naaman quitte son pays sur la foi de la parole d’une petite esclave étrangère ; il se met en chemin.
Mais il ne faut pas aller trop vite ! S’il se met en route, c’est encore dans sa logique de puissance : il part bardé du faste et de la richesse propre à un homme d’état, avec ses chevaux, son char, ses talents d’argent, ses sacs d’or et ses vêtements de fête.
Et ce n’est pas un simple prophète qu’il va rencontrer, mais l’homologue de son maître : le roi d’Israël, avec une lettre officielle de la part de son roi.

Bien que la fillette l’ait envoyé auprès du prophète, il ne peut envisager – compte tenu de sa stature, de son rang – de rencontrer un autre personnage que le roi.
A son arrivée – comme nous le fait sentir le narrateur avec humour - c’est évidemment l’incompréhension et le malentendu qui dominent : imaginez la terreur du roi, en voyant arriver celui qui l’a vaincu avec une demande de guérison miraculeuse. Il ne voit là qu’un prétexte à querelle. Il n’y comprend rien.
Et pourtant…c’est dans cette situation, en reconnaissant son ignorance qu’il va réagir et prononcer une véritable confession de foi : « Suis-je donc Dieu, moi, pour faire mourir ou pour faire vivre ». Le roi d’Israël reconnaît humblement sa simple « humanité » et la puissance de Dieu.

Le malentendu est heureusement rapidement levé par Elisée. La rumeur publique lui parvenant, il adresse un message au roi d’Israël invitant Naaman à venir à lui. Car c’est lui l’homme de Dieu, le prophète, capable de remettre de l’ordre dans la vie de cet étranger, de ce païen illustre.

- C’est là le deuxième étonnement, le deuxième déplacement : Naaman obtempère. Il écoute le serviteur anonyme, le messager d’Elysée. Il quitte ce roi, incapable de faire quoi que ce soit pour lui, pour se rendre devant la porte d’Elisée.
Là encore, il se déplace avec tout son équipement d’apparat ministériel, ses chevaux et son char.

Mais arrivé devant la porte du prophète, c’est un choc qui l’attend et c’est la déception.
Alors qu’il pensait avoir affaire à un guérisseur  – c’est ce qu’il attendait : un acte de guérison magique, un rite extraordinaire ou spectaculaire… c’est bien pour cela qu’il a fait ce long voyage jusque ici, c’est pour être guéri – le prophète ne daigne même pas se déplacer ; il envoie simplement un messager.
Il intervient de manière indirecte, à distance. Et il préconise un remède si simple qu’il en paraît absurde : aller se laver dans le Jourdain… aller se tremper dans un fleuve minable, alors qu’il y en a de bien plus somptueux chez lui !
Là encore, Naaman reste enfermé dans son image de grandeur, dans son idéologie conquérante et guerrière.

Dans cette situation, il ressent une humiliation qui se transforme en colère : lui, le chef victorieux, venu de loin avec ses richesses… il n’est même pas reçu par le prophète en personne, mais par un subordonné… et en plus, il devrait accomplir un simple geste de purification, un remède ridicule ! Il n’en est pas question ; on se moque de lui.
L’orgueil le rend furieux : il a déjà avalé beaucoup de couleuvres [venir quémander l’intervention du roi d’Israël vaincu, sur la parole d’une petite esclave], mais là c’est trop… c’en est trop pour l’image qu’il a de lui-même.

Elisée a vu juste. L’orgueil… c’est bien ce qui empoisonne cet homme… et c’est sans doute la raison pour laquelle le prophète n’est pas venu en personne. En prenant Naaman à contre-pied, il ouvre pour lui la possibilité d’un déplacement.
C’est une manière subtile de lui faire passer un message :
« Toi, Naaman… tu es autre chose que cette image construite de toi … qu’un chef, un notable, un puissant, un homme d’appareil et de paillettes. Moi je te vois autrement, et, à travers moi, Dieu te voit autrement. Tu es un humain avec tes fragilités, tes failles, tes blessures. Il te faut apprendre à le reconnaître et à l’accepter. Tombe un moment le masque de l’orgueil et découvre qui tu es vraiment et de quoi tu as vraiment besoin ».

Evidemment, Naaman ne l’entend pas de cette oreille… en tout cas pas tout de suite !
Obéir, aller se laver dans le Jourdain, cela impliquerait de se mettre à nu…
Cela impliquerait de se dévêtir, de se dévoiler, de laisser paraître les premiers stigmates de sa maladie.

- Pourtant… Naaman va parvenir à surmonter sa colère :
Grâce à l’intervention d’un tiers, de deux médiateurs, il accepte finalement de se déplacer.
Troisième étonnement, troisième déplacement : après les paroles de la petite captive, après les paroles du messager d’Elisée, cette fois-ci ce sont les paroles de deux autres « petits »… de ses esclaves personnels… qui vont l’affranchir… et lui permettre de franchir le seuil de ses résistances.
Au lieu de sanctionner l’outrecuidance de ses esclaves qui se permettent de lui donner un conseil, l’homme d’état change d’attitude. Il accepte d’écouter… il ose faire confiance à la parole de l’homme de Dieu.

A partir de là… Naaman va même plus loin… il va au-delà de la demande du prophète.
Non seulement, il va se laver (comme cela lui était prescrit), mais il va plonger – c’est le terme même du « baptême » - et ainsi sa chair devient comme celle d’un enfant, il se trouve purifié.

Cette plongée, c’est le signe d’une nouvelle naissance pour Naaman, qui est passé par un lâcher prise, une mort à soi-même, une confiance en la parole de l’autre.
Le mot « revenir », qui indique un retournement, une conversion, est ici employé à deux reprises (v. 14 & 15) : au moment où sa chair redevient comme celle d’un nouveau-né ; et, au moment où  il revient vers Elisée, pour confesser sa foi : « maintenant, je sais qu’il n’y a aucun Dieu sur toute la terre, si ce n’est en Israël ».

Le miracle a eu lieu, comme promis. Et vous vous demandez peut-être comment s’est opéré cette purification ? où situer ce miracle ? quels en sont les acteurs ?
Vient-il d’Elysée (mais il n’a même pas touché le malade)… vient-il de la qualité de l’eau … ou vient-il de l’action de Dieu… vient-il du cheminement de foi de Naaman ?

Naman donne la réponse en confessant Dieu : celui qui sauve, celui qui donne la vie, comme l’avait déjà reconnu, avant lui, le roi d’Israël.
Mais c’est seulement à l’issue d’un long parcours que Naaman a pu reconnaître que le Seigneur était à ses côtés… et c’est seulement dans la foi que le miracle est advenu.
Depuis le début, toute cette histoire était une question de confiance possible en une parole.
Le miracle… c’est ce que Naaman a fini par découvrir, ce qu’il avait oublié ou ce qu’il n’avait peut-être jamais su auparavant, tout en le présentant confusément… à savoir que tout être humain est un enfant – un enfant de Dieu – dont la vie repose sur une parole digne de confiance.

Cela… il lui fallu un long cheminement, fait de déplacements et d’apprentissage de la confiance en un autre que lui-même, pour le découvrir.
Ce qui manquait à Naaman, ce dont il avait vraiment besoin, pour surmonter la cause réelle de sa détérioration intérieure, c’était tout simplement une parole digne de confiance sur laquelle s’appuyer, sur laquelle fonder son existence.
Le manque d’une telle parole peut rendre malade. Cela vous pousse à vous blinder, pour cacher aux autres ou à vos propres yeux, la peur qui vous ronge au plus secret de vous-mêmes.

C’est cette confiance en une extériorité, cette foi en une parole fiable,… c’est la possibilité même de croire une parole… que cet homme était venu chercher en Israël. Et c’est en trouvant cela qu’il a pu se trouver lui-même, tel Abraham quittant son pays, sur une parole de promesse (cf. Gn 12)
Dès lors, Naaman a pu se mettre a nu, se dépouiller de son orgueil et de ses titres, noyer sa peur dans le cours d’eau de la promesse et se laisser porter par la parole de la confiance et de la vie.

* Le dialogue entre Naaman et Elisée finit par deux points importants :
- Premièrement, le rappel de l’apprentissage de la grâce, de l’amour gratuit de Dieu :
Elisée doit refuser deux fois le cadeau que Naaman veut lui faire.
Ce dernier doit encore apprendre que la foi implique un changement de mentalité… de sortir de la logique de la réciprocité, du « donnant-donnant »… pour accueillir la gratuité. (Dieu sauve par grâce !)
- Deuxièmement, la tolérance et le caractère second des institutions humaines :
Lorsque Naaman demande la permission à Elisée de s’agenouiller devant une idole, parce qu’il n’a pas le choix, parce qu’il devra bien accompagner son roi dans le temple du dieu Rimmon, le prophète lui dit « va en paix » !
Ce qui compte, ce n’est pas la lettre, c’est l’esprit. Naaman va garder son environnement « d’avant », mais cela ne l’empêche pas d’avoir une foi nouvelle et de regarder la vie autrement dans la confiance au Dieu vivant.

* Enfin, ce chapitre du second livre des rois s’achève avec l’histoire d’un autre personnage : Guéhazi.
Cet homme, ce serviteur d’Elisée, fait le chemin strictement inverse de Naaman.
Au lieu de se fier à la parole de son maître Elisée, il n'écoute que son désir de convoitise. Il se dit que l’occasion est trop belle de s’enrichir et de faire fortune.
Sa concupiscence va lui permettre d'obtenir de l’argent au prix du mensonge. 
[L'homme mentira deux fois : envers Naaman et envers Elisée.]
Et finalement, sa cupidité - signe de sa misère intérieure - retombera sur sa tête et sa santé, puisque c’est lui qui va finir lépreux... comme si la lèpre était ici attachée au désir mal orienté… au désir mortifère de "faire le plein", de s'accaparer richesse ou pouvoir. 

L’histoire de Guéhazi a malheureusement trouvé cette semaine une résonnance particulière dans notre actualité… à travers le cas d’un homme politique brillant qui, comme Guéhazi, s’est autrefois laissé contaminer par le virus de l’avidité.
Cette affaire en est une parfaite illustration, puisque l’homme politique en question a lui aussi dû recourir au mensonge pour tenter de dissimuler sa fortune.
De la même façon, la tromperie a finalement été mise en lumière et la lèpre de la honte est retombée sur lui.
« Rien de nouveau sous le soleil » (Qo 1,9) me direz-vous.
L’homme est de tout temps confronté à des choix : sauver sa vie ou la perdre (cf. Mt 16, 25), vivre à la manière de Dieu ou à la manière du monde.
Même si Dieu l’appelle à choisir la vie et la confiance, l’homme garde la liberté d’agir autrement, de choisir le trésor où placer son cœur (cf. Mt 6,21).

* Conclusion : Alors, chers amis, frères et sœurs, que pouvons-nous retenir de ce beau chapitre de la Bible ?

L’histoire de Naaman est intéressante sur bien des points. Peut-être, ce matin, pouvons-nous nous arrêter sur un point essentiel de ce récit :
Il nous rappelle que ce n’est pas par ses propres forces, par sa réussite matérielle ou sociale que l’homme parvient à avancer sur le chemin de la foi. Dans le cas de Naaman, c’est bien plutôt dans la rencontre, dans une chaine de rencontres, avec des personnages anonymes et humbles qu’il va découvrir que la vie et le salut reposent sur la confiance.

Cela nous montre encore aujourd’hui que Dieu se sert souvent des intermédiaires les plus humbles, des circonstances les plus simples, les plus anodines ou les plus inattendues, pour rencontrer celui qui accepte de se laisser rencontrer et interpeller.
Ici, c’est la simple réflexion d’une petite fille qui va permettre la rencontre décisive de Naaman avec le Dieu d’Israël.
L’apôtre Paul nous le dit aussi : Dieu choisit ce qui est faible en ce monde pour confondre ce qui est fort (cf. 1 Co 1, 27).

Le cas de cette fillette, de cet enfant, qui n’a pas eu peur de parler et de communiquer sa foi en Dieu, nous montre que personne n’est trop petit pour agir, pour faire bouger le monde et les personnes qui nous entourent.

Alors restons humbles, mais sachons, chacun et chacune à notre mesure, être des témoins lumineux de Dieu.

A l’image de cette petite fille, et de ce que découvre Naaman, osons placé notre foi en la parole de vie et de confiance que Dieu nous adresse. C’est cette parole qui est susceptible de transformer notre vie, d’y faire surgir la nouveauté, pourvu que nous osions « la confiance » !
Amen.

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