dimanche 17 mars 2013

Mt 8, 1-13


Mt 8, 1-13
Lectures bibliques : Mt 13, 53-58 ; Mt 8, 1-17   
Thématique : pas de miracle visible sans foi    
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 17/03/13.

* Nous entendons ce matin trois récits de guérisons qui nécessitent d’être examinés et interprétés... et qui viennent nous interroger sur la notion de « miracle ».

Qu’est-ce que Matthieu cherche à nous dire et à mettre en avant en nous racontant ces guérisons ? 
1) s’agit-il de l’aspect miraculeux et pour ainsi dire « surnaturel » de ces guérisons ?... 2) s’agit-il de la foi, de la confiance de ceux qui croient à la parole de Jésus, à sa puissance de transformation et de guérison ?... 3) ou s’agit-il de ce que produit la rencontre du Christ pour ces trois catégories de personnes (un lépreux, un païen, une femme) et de ce que cela change véritablement dans leur vie et dans leur relation avec Dieu ?

Je vous propose de nous intéresser plutôt à ces deux derniers aspects : à la foi et aux conséquences existentielles de la rencontre avec Jésus. 

* D’abord, regardons les trois catégories de personnes concernées par ces guérisons, et précisons quel était le rôle du prêtre dans l’Ancien Testament.

Dans le livre du Lévitique, c’est au prêtre qu’appartient de « distinguer ce qui est saint de ce qui est profane, ce qui est impur et ce qui est pur » (Lv 10,10).
C’est sur cette distinction que se fonde son droit d’admettre ou d’exclure les personnes du service liturgique dans le sanctuaire.
Il y a trois degrés d’impureté : celle du païen, celle de la femme qui a ses règles (Lv 15, 19s), et celle de l’homme affligé de certaines maladies.
Ici, Matthieu commence par le cas d’un lépreux. Il continue par la guérison d’un païen (le fils d’un centurion) et par celle d’une femme (la belle-mère de Pierre). 
Ce sont justement les trois catégories de personnes qui étaient exclues d’une entière participation au culte d’Israël :
  • Les lépreux, considérés comme « impurs », étaient excommuniés, « exclus du campement » (Lv 13, 46).
  • Les païens (les goyim), dans le Temple, n’avaient accès qu’à la cour la plus extérieure, « la cours des païens ».
  • Les femmes étaient admises dans la cours des femmes, mais elles étaient exclues de la cours la plus intérieure, dite « d’Israël ». 

En guérissant ces personnes, Jésus ne se limite pas à leur redonner la santé ou une dignité perdue, il leur ouvre, en réalité, l’accès à une autre vie... à la vie véritable dans la perspective juive... c’est-à-dire à une vie en pleine communion avec Dieu. 
Précisément... ce qui leur ouvre cet accès à Dieu (qui leur était impossible ou limité), c’est le chemin que leur fait parcourir Jésus : un chemin de foi et de libération, qui les conduit à franchir et à dépasser des barrières psychologiques, sociales et religieuses... Preuve que la foi peut parfois nous faire déplacer des montagnes (cf. Mt 17, 20).

* Dans le premier passage... dans le cas du lépreux (Mt 8, 1-4)... c’est d’abord l’homme considéré comme « impur » qui prend l’initiative... qui transgresse un interdit en s’approchant de Jésus, alors qu’il aurait dû se tenir à bonne distance et crier « impur, impur ! » pour que les autres évitent sa présence (cf. Lv 13, 45). 
Mais, Jésus le laisse venir à lui... il lui tend même la main et rentre en relation avec lui, signe qu’il ne craint pas le contact avec ce qui est communément désigné comme une impureté.
En le touchant (v.3a), Jésus transgresse, à son tour, les lois de pureté (Lv 13, 45-46) et brise la carapace d’exclusion construite autour du lépreux. 
Il lui montre qu’il lui porte une attention inconditionnelle. 

Le récit pointe, à la fois, la foi du lépreux, sa confiance totale dans la puissance de guérison de Jésus, et la réponse du Christ - « je le veux, sois purifié! » - qui signifie à l’homme qu’il est accepté par Dieu sans condition. 

Dès lors... se sachant accepté... aimé tel qu’il est... il se trouve purifié... en harmonie et en paix avec lui-même. 

Ici, la purification est associée à la foi du lépreux. Et l’immédiateté de la guérison vient souligner la puissance de la parole de Jésus, qui est une parole agissante, performative, transformatrice. 
Par son attitude (v.3a) et sa parole (v.3b), le Christ vient accueillir, ouvrir et guérir les situations et les êtres, pour autant qu’on lui fasse confiance. 

A travers ce récit... l’évangile nous montre la démarche d’un homme qui est actif dans sa foi (v.2)... contrairement à ceux qui demandent des signes, des prodiges et des miracles, sans véritablement y croire (cf. Mt 13, 53-57 ; voir aussi Mc 6, 1-6 ; Mc 8, 11-13).
Il nous montre que l’autorité de guérison de Jésus ne peut véritablement s’exercer que dans la mesure où elle rencontre l’adhésion et la foi de l’homme.

Cette constatation vient nous interroger sur ce que nous mettons habituellement derrière le mot « miracle » :

Il n’y a pas de miracle purement objectif... pas de miracle dont je puisse être le spectateur passif, extérieur et désintéressé... pas de miracle sans foi, sans adhésion croyante du sujet à l’action du souffle de Dieu... à l’action de son Esprit... manifesté en Jésus Christ. 

Ici, il se passe quelque chose d’extraordinaire pour cet homme - quelque chose que Matthieu pointe comme un miracle du fait de la rapidité de la purification - mais cela a lieu, parce que l’homme est impliqué, participatif et acteur... parce qu’il a osé un déplacement ... un dépassement de sa situation, en allant vers Jésus... parce qu’il a placé toute sa confiance en Lui, surmontant du même coup les barrières sociales et religieuses qui l'empêchaient d’aller vers les autres et de vivre en communion avec Dieu. 

Et ce geste de rupture et de transgression, lié à la confiance, a été accueilli favorablement par Jésus qui a accepté, lui aussi, de rompre avec l’exclusion imposé par la loi, pour libérer... pour replacer l’humanité de cet homme dans sa relation avec Dieu. 
(Pour Jésus, c’est là la visée de la Torah.)

La fin de l’épisode montre que l’homme est encore appelé à agir. 
Au-delà de sa démarche de foi, Jésus l’envoie vers les prêtres, vers la loi et la tradition. 
En effet, pour que l’homme soit pleinement rétabli et réintégré dans la sainte assemblée d’Israël, il lui faut encore être examiné par un prêtre et accomplir le rite de purification prescrit par la loi (cf. Lv 14). 
C’est pour cela que Jésus l’envoie présenter son offrande au Temple. 
Ce n’est pas que l’observance des prescriptions mosaïques soit nécessaire à la guérison - ici la guérison est liée à la foi (à la confiance) et non au sacrifice (à une sorte de commerce avec Dieu) - mais c’est pour que l’homme puisse être réintégré socialement et pour qu’Israël reçoive un témoignage : Jésus, le Messie, n’est pas venue pour abroger la Loi (la Torah), mais pour l’accomplir.

* Ensuite, nous avons le passage avec la guérison d’un païen : le fils (le garçon ou le serviteur) d’un centurion (Mt 8, 5-13). 

Ici aussi, ce qui est mis en exergue, c’est l’importance décisive de la foi - de la confiance - dans le processus de transformation d’une situation. 

Lorsque le centurion s’adresse à Jésus, celui-ci essuie d’abord un refus. 
C’est en ce sens qu’on peut comprendre la réponse interrogative de Jésus : « moi, j’irai le guérir ? »... moi je viendrai chez toi, un païen, pour soigner ton garçon ? (v.7). [note 1]

Mais le centurion ne se laisse pas démonter. D’une certaine manière, il donne raison à Jésus.
Il ne conteste pas son indignité de païen, mais, par sa foi, il propose à Jésus de la surmonter : 
D’abord, il reconnaît qu’il n’est pas digne de la visite de Jésus. 
Pour autant, il a une telle confiance en Jésus qu’il pense que le dérangement n’est pas nécessaire. 
Il affirme que Jésus peut très bien guérir son fils à distance, par l’autorité de sa seule parole (v.8). 

Ensuite, il fait preuve d’une véritable humilité. Il prend acte de sa situation, pour mettre en avant celle de Jésus (v.9) : Si lui, qui est placé sous l’autorité impériale, a un certain pouvoir sur ses sujets, combien plus Jésus, qui est placé sous l’autorité du Roi de tous les rois, peut-il avoir la capacité de guérir son garçon par la puissance de sa parole. 

La foi et l’humilité du centurion suscitent finalement l’éloge de Jésus : son admiration et son étonnement devant une telle confiance (v.10). 
L’évangéliste Matthieu en conclut que la foi n’est désormais plus un élément distinctif des Juifs et des païens, puisqu’elle se trouve aussi chez des gentils... comme ce centurion ou comme la femme Cananéenne (en Mt 15, 28). 

La fin du dialogue montre les conséquences de cette foi, de cette pleine confiance, dans la vie du centurion et celle de ses proches. 
Jésus répond finalement à sa demande : « comme tu as cru, qu’ainsi il t’advienne » (v.13), établissant de ce fait une équivalence entre « croire » et « vouloir » (voir aussi Mt 15, 28).
Autrement dit, devant la « grande foi » du centurion, Jésus lui indique que le Seigneur se range à sa volonté. Et Matthieu précise que le garçon fut guéri. 

En écoutant ce récit, on peut à nouveau s'interroger sur la notion de « miracle » : 

Dans ces passages, la foi est présentée (d’une certaine manière) comme une condition nécessaire à la guérison... Mais, en est-elle une condition suffisante ?

Cette question nous renvoie à notre propre situation...
Comment se fait-il que lorsque nous demandons à Dieu, dans la prière, la guérison de telle ou telle personne (parfois un proche), nous pouvons avoir le sentiment de ne pas toujours être entendus ou exaucés ?
Est-ce que nous avons une foi trop « petite », une confiance trop étriquée ? Manquons-nous de persévérance et de confiance dans nos demandes ?

Nous pouvons - bien entendu - nous interroger sur la petitesse de notre foi ? Est-ce que nous avons vraiment, pleinement et totalement confiance en Dieu lorsque nous prions ? 

Mais nous pouvons aussi nous interroger sur le statut de ces récits de guérisons miraculeuses... 
Attendons-nous une guérison comme un acte magique qui tomberait du haut du ciel ?... ou demandons-nous à Dieu que cette guérison s’opère par le moyen de l’humain... par exemple, par le biais de l’esprit de discernement du médecin ou par l’esprit de confiance et de paix du malade ?

Que faut-il entendre derrière le mot « miracle » ?
S’agit-il d’un événement objectif (observable scientifiquement de l’extérieur... indépendamment de la foi).... ou plutôt d’un évènement subjectif... qui fait vérité pour un sujet... un sujet croyant, qui opère un travail de relecture a posteriori d’un événement, d’une rencontre décisive ?

S’agit-il d’un événement surnaturel... dépassant l’ordre de la nature...  contredisant les lois de la création... ou plutôt d’un événement extra-ordinaire, suscitant l’étonnement... et dépassant notre attente et notre espérance... dans la mesure où il n’arrive jamais véritablement comme on l’attendait ?

Dans ces passages de l’évangile, il me semble que la guérison est liée, d’une part, au travail de la foi, de la confiance en l’Esprit de Dieu (qui agit et souffle en Jésus), et, d’autre part, à un travail de mise en ordre de la vie somatique et sociale des individus, lié à l’action des paroles de Jésus, à la force de l’Evangile, à la Bonne Nouvelle de libération et de salut que Jésus annonce et fait résonner. 

A travers les conséquences externes de guérisons - purification d’un lépreux, rétablissement d’un garçon - ces récits nous montrent (bien évidemment) l’efficacité et l’autorité des paroles de Jésus. Mais ce qu’ils pointent, avant tout, c’est la transformation que produit la rencontre avec le Christ (en qui souffle l’Esprit de Dieu). 

Ainsi, l’Evangile nous laisse entendre qu’aucune situation n’est jamais bloquée... que la nouveauté peut survenir... là où souffle le vent de la confiance et l’Esprit du Christ. 

Dans ces histoires, c’est, à chaque fois, la conjonction de la foi et des paroles de Jésus qui viennent ouvrir, transformer, libérer et guérir la vie des hommes et des femmes que le Christ rencontre. 

Mais alors - me direz-vous - dans le cas du garçon du centurion... dans le cas d’un tiers... comment comprendre sa guérison ? 
Est-elle le résultat de l’action de Dieu (suite à la prière de son père) ? ou du changement d’attitude de ce père... qui a fait preuve d’attention, d’amour, de foi et d’humilité ? 
ou est-ce finalement la conjonction des deux ? ... c’est-à-dire de l’action du souffle de Dieu et du travail de confiance et d’amour de ce père ?

Chaque miracle garde évidemment sa part de mystère !
Personnellement, j’aime à penser que l’Esprit de Dieu souffle où il veut (cf. Jn 3, 8) et qu’il agit par le média des hommes, par le biais de notre propre esprit, appelé à accueillir, à recevoir et à faire résonner l’Esprit d’amour que Dieu nous donne.

Aussi, dans le cas du fils du centurion, il me semble que ce n’est pas le garçon que Jésus traite directement, mais le centurion lui-même, dont Jésus vient confirmer et renforcer la foi. 
Ce faisant, l’action de Jésus portera aussi sur les proches du centurion, et donc, en dernière instance, sur la confiance du garçon lui-même.
Grâce à l’amour et la foi de son père, le garçon pourra retrouver force et confiance, et recouvrer la santé. 

A bien y regarder... l’évangile ne nous dit pas explicitement que Jésus entre directement en action auprès du fils - comme par magie - mais il nous laisse entendre qu’en intervenant sur le père - en suscitant la confiance du père - Jésus modifie le cadre et l’environnement de l’enfant, il crée une atmosphère dans laquelle le fils pourra guérir. 

Autrement dit, l’action de Jésus touche en premier lieu nos représentations, nos mentalités et nos comportements... en nous libérant... en ouvrant notre esprit au souffle de Dieu. 
On pourrait dire (d’une certaine manière) que Jésus soigne le système (l’entourage ou les structures) dans lequel vit le malade, et qu’en traitant le système, il traite aussi celui qui y vit. 

* Alors... chers amis, frères et soeurs... que pouvons-nous conclure de cette méditation ?

Les récits de guérisons que nous avons entendus viennent interroger notre façon d’interpréter les miracles et la manière dont Dieu agit.

Je crois, pour ma part, qu’on ne peut plus interpréter les miracles comme autrefois, en termes d’interférence supra-naturelle dans les processus naturels. 
Dieu n’intervient pas du haut du ciel comme un marionnettiste ou un magicien qui viendrait contredire les lois de la nature (la structure rationnelle de la réalité) dont il est lui-même le Créateur et qui s’imposent à nous. 

Je crois qu’il faut plutôt voir dans les miracles, des signes, des événements étonnants et inhabituels, qui nous orientent, par la foi, vers « le mystère de l’être »... vers l’action du souffle de Dieu, vers son Esprit... qui agit dans les créatures et par leur intermédiaire. 

Dieu vient souffler sur nous son Esprit... il vient habiter en nous... pour nous guérir... pour nous offrir un vent de renouveau.... un souffle de vie nouvelle... pour autant que nous acceptions de le recevoir dans la foi. 

Je crois personnellement qu’un miracle est susceptible de se produire à chaque fois que l’esprit de l’homme se laisse conduire et guider par l’Esprit de Dieu. 
C’est la raison pour laquelle, il n’y a pas de miracle indépendamment de la foi, car il faut vivre dans la confiance pour accueillir le souffle de Dieu. 
C’est également la raison pour laquelle Jésus refuse d’accomplir des « miracles objectifs ». Ils sont des contradictions dans les termes.... dans la mesure où le miracle est d’abord une vérité subjective, celle d’un sujet qui discerne, dans un événement, la trace... la présence du souffle de Dieu. 

Alors... pour finir ... je crois qu’on peut tirer un enseignement tout simple de ces récits : Pour voir tous les miracles qui ont lieu autour de nous... et pour recevoir la vie elle-même comme un miracle... il nous faut d’abord accepter de mettre les lunettes de la foi... et de vivre chaque jour que Dieu nous donne dans la confiance. 

C’est alors que nous verrons que le premier miracle que nous annonce l’Evangile, c’est de don de l’amour inconditionnel de Dieu, c’est que « l’Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8, 16). 
Et se savoir aimé de Dieu sans condition... c’est un miracle... c’est le miracle de la foi qui nous rend véritablement libre... et vivant !
Amen.


Note 1 :
C’est dans ce sens interrogatif (donc d’une question, d’un refus) qu'interprètent J.Jérémias et la TOB. Ceci constitue un parallèle avec l’attitude de Jésus en Mt 15, 24.26.

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