dimanche 3 février 2013

Mt 7, 1-12


Mt 7, 1-12
Lectures bibliques : Mt 5, 17-20 ; Mt 7, 1-12 ; Rm 12, 12-21
Série de prédications sur Mt 5 à 7 (le sermon sur la montagne) : n°11 – Mt 7, 1-12
Thématique : la règle d’or… pour prendre l’initiative du don et du pardon… pour agir en faveur d’autrui… pour prendre part à l’esprit de gratuité qui appartient à Dieu.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 03/02/13.

* « Cherchez d’abord le Royaume et la justice de Dieu » (Mt 6, 33).
De façon répétée dans le sermon sur la montagne, Jésus nous rappelle que la volonté de Dieu est que nous recherchions la justice… mais pas n’importe quelle justice : « la justice de Dieu »… une justice qui nous invite à nous calquer sur l’action de Dieu, sur sa bonté gratuite et inconditionnelle… une justice qui nous appelle à prendre modèle sur l’amour de Dieu qui donne sans compter (cf. Mt 5, 43-48), sur sa miséricorde qui pardonne nos fautes, sur l’esprit de gratuité qui est le sien.[1]

Le programme du sermon sur la montagne est annoncé dès le début par Jésus qui vient nous expliquer comment accomplir la volonté de Dieu :
« N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi et les Prophètes. Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5, 17).
Et ce programme trouve sa conclusion dans la règle d’or que nous venons d’entendre :
« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faîtes-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les Prophètes » (Mt 7, 12).

Il s’agit là, pour Jésus, du sommaire de la volonté de Dieu.
Alors, il faut nous interroger sur la manière de comprendre cette règle d’or.

D’abord, il faut dire que cette règle d’or était déjà courante dans le judaïsme, mais elle était connue dans sa formulation négative :
« Ce que tu n’aimes pas (ce qui ne te plaît pas), ne le fais à personne » (Tb 4, 15).
« Ce que tu ne voudrais pas que l’on te fît, ne l’inflige pas à autrui » (Hillel).[2]

On peut considérer cette règle comme une exégèse du commandement d’aimer son prochain comme soi-même.
Que signifie « comme soi-même » ? Ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas aux autres.

Il s’agit là d’une éthique de la réciprocité qui est, en réalité, commune à la sagesse des grandes religions.[3]
- Ainsi, dans le bouddhisme : « Ne blesse pas les autres de manière que tu trouverais toi-même blessante ».[4]
- Dans l’hindouisme : « Ceci est la somme du devoir ; ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'ils te fassent ».[5]

Mais, il y a une différence notable dans l’enseignement de Jésus : C’est le passage d’une formulation négative à une formulation positive, qui n’est attestée nulle part ailleurs que dans l’Evangile (voir Lc 6, 31).

Il s’agit désormais de prendre l’initiative du bien… de dépasser la logique de la réciprocité, qui consisterait simplement à attendre ou à répondre à l’autre en miroir, en symétrie, dans le système de l’échange, du calcul, du « donnant-donnant ».

Pour Jésus, il s’agit bien plutôt de prendre les devants, de s’inscrire dans l’initiative du don, de vivre dans la gratuité, sans attendre de retour, sans calculer le profit de nos faits et gestes, sans simplement répondre proportionnellement aux actes d’autrui.

En bref… nous devons faire aux autres comme nous voudrions que l’on nous fasse… mais en agissant d’abord… et sans calculer le profit que nous pourrions en tirer. 

* Alors… questions légitimes que nous pouvons nous poser : pourquoi prendre un tel risque (celui d’aller vers les autres et parfois de se casser les dents) ?… pourquoi prendre l’initiative d’une relation positive à autrui ?… pourquoi agir en faveur de l’autre, de façon inconditionnelle et unilatérale ?

L’évangile nous donne plusieurs éléments de réponse :

- D’une part, parce que c’est la volonté de Dieu, comme nous le rappelle Jésus.

Précisément, pour Jésus, la réciprocité n’est pas le seul critère de l’altruisme. Ce qui motive l’initiative positive en faveur de l’autre, c’est le bien… la volonté de Dieu… Dieu lui-même.
Il s’agit d’agir à la manière de Dieu… c’est-à-dire avec bonté [6]… gratuitement, sans condition, de façon unilatérale… sans se préoccuper du retour ou du profit que peut générer un tel comportement.[7]

- D’autre part, parce que cette attitude est source de changement et de transformation.
Ce n’est pas en reproduisant le comportement traditionnel et ancestral de l’individualisme, de l’égoïsme, du « chacun pour soi » ou du « moi d’abord » que nous pourrons contribuer et participer à la construction du monde nouveau de Dieu, de ce Royaume de Dieu… de justice et de paix que Dieu veut pour nous.

Bien au contraire… c’est seulement en prenant l’initiative de l’amour du prochain, en commençant à agir gratuitement, sans condition et même de façon unilatérale, que nous pourrons faire changer les mentalités et les comportements autour de nous.

Le monde a besoin de prophètes, de sages, de Chrétiens, d’hommes et de femmes qui osent prendre l’initiative du bien, du don et de la gratuité… il a besoin, tout simplement, d’« enfants de Dieu » qui osent vivre à l’image et à la ressemblance de leur Père céleste… pour montrer qu’il est possible d’agir autrement, en dépassant la logique de la symétrie et de la réciprocité… la logique qui considère uniquement la relation à l’autre dans le sens commercial du « donnant-donnant ».

- Enfin… troisième raison pour agir de la sorte : simplement la fraternité… parce que l’autre est un frère… ton frère / mon frère… même s’il ne se comporte pas toujours comme tel.

En ce sens, le taoïsme a une très belle formule pour nous appeler à agir en faveur de l’autre… du prochain :
« Regarde le gain de ton voisin comme ton propre gain, et la perte de ton voisin comme ta propre perte ».

L’idée sous-jacente à cette affirmation est que je partage un lien de solidarité, de fraternité inaltérable avec mon prochain.
On pourrait dire, en quelque sorte, que je partage un destin commun avec mon frère en humanité, car nous sommes tous « enfants de Dieu ».
C’est en ayant conscience de cette communion de destin – et de salut – que je peux changer de regard et ne plus voir l’autre comme un concurrent, un adversaire, un ennemi, mais comme un proche, un frère, qu’il m’est donné d’aimer… un frère envers lequel j’ai une responsabilité.
C’est en ayant ce regard, cette conscience altruiste, que je peux envisager comme un gain ce qui est gain pour lui, et inversement.

Loin de la logique économique, boursière ou utilitariste – où il y a toujours un gagnant et un perdant – ce nouveau regard de bienveillance et d’amour que Jésus nous invite à porter sur l’humanité et sur notre prochain promeut la coopération, l’empathie et la compassion.
Et c’est ainsi – comme le dit Paul – que je peux me réjouir avec celui qui est dans la joie, pleurer avec celui qui pleure (cf. Rm 12, 15).
C’est ainsi que je peux même être « vainqueur du mal par le bien » (cf. Rm 12, 21)

En ce sens – et pour poursuivre notre panorama des religions – le taoïsme ajoute : « Le sage n'a pas d'intérêt propre mais prend les intérêts de son peuple comme les siens. Il est bon avec le bon ; il est également bon avec le méchant, car la vertu est bonne. Il est croyant avec le croyant ; il est aussi croyant avec l'incroyant, car la vertu est croyante. »[8]

Nous ne sommes pas loin de l’appel de Jésus, qui nous invite à aimer jusqu’à aimer nos ennemis… qui nous exhorte à imiter Dieu, pour devenir véritablement ses fils et ses filles :
« Vous avez entendu qu'il a été dit : “Tu dois aimer ton prochain et haïr ton ennemi.” Eh bien, moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. Ainsi vous deviendrez les fils de votre Père qui est dans les cieux. Car il fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui lui sont fidèles comme sur ceux qui ne le sont pas. […] Soyez donc parfaits, tout comme votre Père céleste est parfait. » (cf. Mt 5, 43-48).

* Nous connaissons bien cette exhortation de Jésus qui nous invite à dépasser la réciprocité et à prendre les devants de l’amour fraternel, de façon inconditionnelle et gratuite.
Et je crois que c’est bien en ce sens qu’il faut entendre la règle d’or… une règle que finalement nous connaissons tous… mais que nous avons bien du mal à vivre dans notre quotidien, à commencer peut-être avec nos proches… notre famille.

Nous savons qu’il n’est pas toujours facile de prendre l’initiative du bien en faveur de nos proches, de dépasser les vieux réflexes, les mécanismes d’auto-défenses… alors que de nombreux freins surgissent ou reviennent à la surface dans certaines situations : non-dits, manques de communication, impatiences, habitudes, comportements familiaux répétitifs ou conflictuels, etc.

Je crois que cette difficulté que nous pouvons ressentir… pour arriver à dépasser des comportements bien enracinés en nous (qu’ils soient ou non de notre fait)… vient de notre présomption à y parvenir par nos propres forces… comme si nous pouvions par nous-mêmes surmonter les freins intérieurs à l’amour que sont l’amour-propre, l’orgueil… ou notre volonté d’avoir toujours raison.

Nous savons qu’il a parfois en nous des sensibilités, des fragilités, des blessures qui nous font réagir différemment de ce que nous voudrions… et qui nous empêchent de répondre positivement à la loi d’amour que Jésus nous invite à vivre.

Alors, pour parvenir à surmonter ces freins, ces blessures, ces réactions… pour suivre le chemin que Jésus nous indique… il faut parfois accepter d’abandonner quelque chose… de lâcher prise… il faut accepter de demander l’aide de Dieu, de lui faire pleinement confiance.
En ce sens, Jésus nous invite à nous confier à notre Père céleste, à prier, à demander, à chercher, à l’appeler (cf. Mt 6,6 ; 7,7-11).

* A vrai dire, ce n’est pas seulement au niveau de nos relations interpersonnelles que nous avons du mal à vivre ce que Dieu attend de nous. A bien y regarder, c’est à une échelle beaucoup plus vaste.

En effet… la règle d’or est bien connue dans le monde entier.
Elle a été proclamée et utilisée tout au long de l’histoire, par exemple, comme un slogan anti-esclavagiste par les Quakers, lorsqu'ils découvrent le sort des noirs en Amérique.

Aux Etats-Unis, cette règle a donné lieu à une abondante littérature, y compris dans le domaine du management[9] et même de la politique, dans les discours présidentiels de John Kennedy ou de Barack Obama.[10]

Et pourtant, on peut s’interroger sur sa mise en pratique :
Bien des pays occidentaux – comme la France et les Etats-Unis (pour ne citer qu’eux) – du fait de leur modèle de vie consumériste, fondé sur l’exploitation des ressources et des richesses, en vue de promouvoir la consommation et le profit – imposent indirectement aux autres, aux populations locales d’autres pays (encore aujourd’hui au 21e siècle) des conditions de vie et une emprise sur l’environnement qui ne sont pas dignes de l’éthique de fraternité et d’altruisme qu’exprime la règle d’or. 

Et puisqu’il s’agit, à travers cette règle, d’envisager un retournement… de se mettre à la place de l’autre… je ne suis pas sûr – par exemple – que, nous français, nous aimerions vivre ce que nous imposons aux autres en Asie (en Chine, en Inde ou au Bangladesh), du fait de nos besoins économiques ou énergétiques, en matière de mode vie, de rythme et de conditions de travail… sans parler de l’exode rural et de la pollution environnementale créée sur place par notre modèle de vie occidental.

Cela nous rappelle, bien sûr, que nous pouvons toujours agir, à titre individuel, en tant qu’acteurs économiques ou en tant que Chrétiens, en faisant des choix, dans notre manière de vivre et de consommer (localement et avec sobriété)… en modifiant nos mentalités et nos comportements… qui ont un impact sur les autres, à l’autre bout de la planète… et qui ne sont pas générateurs de « justice » – de cette justice voulue par Dieu – … mais cela nous montre aussi combien nous pouvons facilement juger les autres, alors que nous-mêmes avons tant de mal à prendre l’initiative du bien, à appliquer la règle d’or, dont Jésus nous dit pourtant qu’elle résume la Loi et les Prophètes.

* Ce constat nous conduit à examiner cet autre passage que nous avons entendu ce matin… et qui nous appelle à ne pas porter de jugement, de condamnation envers autrui :
« Ne vous posez pas en juges, afin de n'être pas jugés ; car c'est de la façon dont vous jugez qu'on vous jugera, et c'est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous » (Mt 7, 1-2).

Le principe évangélique annoncé correspond au principe rabbinique de la « mesure pour mesure » : « C’est avec le mètre avec lequel un homme mesure, qu’il sera lui-même mesuré ».[11]
En évoquant ce principe, Jésus veut nous appeler à la générosité et à la cohérence.
En effet… comment un homme pourrait-il faire appel à la bonté et à la générosité de Dieu, ou à celles de son frère, s’il n’est pas lui-même généreux quand il donne aux autres ?
Comment un homme pourrait-il invoquer l’amour de Dieu, son esprit de don et de gratuité, si lui-même refuse de vivre et de partager cet esprit avec autrui ?

Cette leçon correspond à la 2ème demande de la prière dominicale (dans le Notre Père) : « Remets-nous nos dettes » : « pardonne-nous nos torts envers toi, comme nous-mêmes nous avons pardonnés à ceux qui avaient des torts envers nous » (Mt 6, 12 ; voir aussi son commentaire en Mt 6, 14-15).[12]

C’est lorsque que nous acceptons de vivre sous la grâce… lorsque nous faisons preuve de libéralité, de générosité et de pardon à l’égard des autres… que nous pouvons demander à Dieu de nous pardonner, de remettre notre dette, notre péché… que nous pouvons solliciter sa grâce à notre égard.
De même, c’est parce que nous pardonnons les offenses de notre prochain que nous pouvons espérer obtenir le pardon d’autrui lorsque nous l’offensons.

Pour Jésus – et c’est un raisonnement logique – le jugement et la condamnation du frère sont incompatibles avec l’esprit de don et de gratuité qui appartient à Dieu.
Se couper de cet esprit pour son frère… lui refuser la grâce… c’est implicitement la refuser pour soi-même.
Il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures, mais une seule mesure : Celle que nous choisissons de vivre avec l’autre est celle que nous choisissons pour nous-mêmes.

C’est pourquoi, Jésus nous appelle à agir avec largesse, avec clémence et grâce vis-à-vis de notre prochain. « Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde » (Mt 5, 7) nous rappellent les béatitudes.[13]

Alors… au lieu de vouloir juger et condamner autrui[14]… Jésus nous appelle à la miséricorde… et il nous invite, en premier lieu, à nous examiner nous-mêmes, à faire notre « auto-critique ».
Ainsi, nous éviterons de voir la paille dans l’œil du voisin, alors qu’une poutre se trouve dans le nôtre (cf. Mt 7, 5).

Cette image de la « poutre qui est dans l’œil »[15] renvoie à la nécessité d’avoir un œil simple et bienveillant – un œil bon[16] – capable de regarder un frère sans envie (sans cupidité, sans jalousie) et de supporter ses imperfections, qui sont « un fétu de paille » au regard des nôtres.

Et finalement… cela nous renvoie aussi à la règle d’or, qui implique de prendre l’initiative du pardon… de pardonner autrui, comme nous aimerions nous-mêmes être pardonnés… et comme nous le sommes – et nous le serons – par Dieu.

Conclusion : Alors… chers amis, frères et sœurs… pour conclure… que pouvons-nous retenir de ce passage du sermon sur la montagne ?

- D’abord que les impératifs rappelés par Jésus sont fondés sur une promesse… la promesse d’une réponse prévisible de Dieu notre Père : Qui ne juge pas ne sera pas jugé, qui demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvre la porte (Mt 7,1b // Mt7, 7b).

- Ensuite, nous pensons parfois que les impératifs que Jésus nous donne, sont difficiles, voire impossibles à mettre en pratique.
En réalité, tout cela est possible… tout ces impératifs sont applicables dans la vie quotidienne, à condition – nous dit Jésus – que nous ne pensions pas y parvenir seuls, par nos propres forces, mais que nous placions toute notre confiance dans la bonté de Dieu (cf. Mt 7, 11).

La bonté du Père céleste est précisément la raison de notre confiance. Elle nous donne l’assurance que nous pouvons à chaque instant demander, chercher, frapper… solliciter son aide et son soutien… car nous sommes aimés, attendus et entendus par Dieu.

- Enfin, Jésus nous invite à prendre modèle sur l’amour de Dieu.
En nous rappelant la règle d’or de façon positive, il nous appelle à prendre l’initiative de l’amour… à donner aux autres des « choses bonnes », nous qui sommes parfois « mauvais »[17]… à offrir « le meilleur de nous-mêmes »… dans l’assurance que Dieu nous donne – et nous donnera encore – ce qu’il y a de bon, de meilleur : l’amour d’un Père pour ses enfants[18].
Amen.


[1] Il faut se souvenir que les antithèses du sermon sur la montagne avaient défini la justice comme perfection de la miséricorde et de l’universalité de l’amour (Mt 5,21-48) : le sens de la loi comme expression de la volonté de Dieu était l’invitation à passer du système de l’échange à l’esprit de la gratuité et du don.
[2] Talmud de Babylone, traité Shabbat 31a.
[3] Outre le bouddhisme ou l’hindouisme, on la retrouve aussi dans le confucianisme : « Ce que tu ne souhaites pas pour toi, ne l'étends pas aux autres ».
[4] Udana-Varga  (5 : 18)
[5] Mahabharata  (5 : 15 : 17)
[6] Dans le sermon sur la montagne, Jésus ne cesse de rappeler la bonté de Dieu : cf. Mt 5,45 ; 6,8 ; 6,32 ; 7,11.
[7] D’une certaine manière, la règle d’or a été reformulée par Emmanuel Kant sous forme d’impératif catégorique : « Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle » (cf. Fondation de la métaphysique des mœurs, in Métaphysique des mœurs, I, Fondation, Introduction, trad. Alain Renaut, p. 97). Au delà de son caractère universel, cet impératif implique de ne jamais considérer l’autre comme un « moyen » – donc de rejeter toute approche objectivante, utilitariste ou mercantile de la personne de l’autre – mais comme un « sujet » à part entière, comme une « fin » en soi. En ce sens, Kant écrit : « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen » (cf. Fondation de la métaphysique des mœurs, in Métaphysique des mœurs, I, Fondation, Introduction, trad. Alain Renaut, p. 108).
Mais ce qui a été reproché à Kant (parmi les critiques contre l’impératif catégorique), c’est de réduire cet impératif à une action morale faite par devoir et uniquement par devoir. En effet, l’intention morale kantienne trouve son ressort dans la dignité morale. Mais pourquoi rechercher une telle dignité, si ce n'est que la dignité recherchée est celle qui convient à l’être humain, en tant qu’il est meilleur pour lui de s’accomplir en agissant selon la vertu. Pour servir de fondement à une pratique réelle, pour que la morale kantienne puisse être une morale praticable, il faut qu’il y ait une motivation. Chez Platon, c’est la poursuite du bien qui motive l’agir. Il en est de même pour les Chrétiens, mais pas seulement. Pour eux (pour nous Chrétiens), c’est une altérité (Dieu) qui constitue le fondement de cet agir. Pour exprimer l’altérité de ce fondement, les croyants affirment que c’est la volonté de Dieu (révélée dans les Ecritures et en Jésus Christ) qui constitue le fondement de la règle d’or. Cette règle correspond à une vocation (à un appel, à ce que Dieu attend de nous). Elle s’enracine dans une promesse : celle d’un bonheur lié à l’accomplissement de la justice (la justice de Dieu), comme le révèlent les Béatitudes (cf. Mt 5, 1-12). Elle s’enracine dans une espérance : le Royaume de Dieu, le monde nouveau de Dieu (un monde de Justice et de Paix), dont nous sommes appelés à être les ouvriers.
Le message essentiel du sermon sur la montagne est la révélation du sens et de l’intentionnalité de la loi que le Père céleste a donnée comme promesse.
[8] Dao De Jing, Chapitre 49.
[9] Cf. Arthur Nash, J.C.Penney.
[10] Cf. Discours présidentiels de John Kennedy contre la ségrégation raciale (1963) et de Barack Obama au Caire (juin 2009) et à Oslo (décembre 2009).
[11] Cf. Sotà I, 7
[12] Mt 6, 14-15 : « En effet, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes ».
[13] Voir aussi Jc 2, 13 ; Mt 18, 23-35.
[14] En réalité, il faudrait faire une distinction entre « juger » (juger-apprécier) et « condamner ». A travers cet impératif (Mt 7, 1), il semble que Jésus nous appelle surtout à ne pas condamner. (Dans l’évangile de Jean (cf. Jn 8, 11), par exemple, lorsque Jésus rencontre la femme adultère, d’une certaine manière, il met à jour une vérité : son péché ; il opère un jugement sur la situation. Mais il ne condamne jamais ; il n’enferme jamais la personne dans sa faute.) « Ne pas juger » n’implique pas de renoncer à l’esprit critique et à l’exercice du discernement, mais signifie « ne pas condamner », ne pas emprunter une attitude objectivante qui réifie le frère pour le juger, le chosifier, l’enfermer, le classer définitivement dans la catégorie des « méchants » ou des « ennemis ».
[15] Cf. Mt 7, 1-5.
[16] Cf. Mt 6, 22-23.
[17] Cf. Mt 7, 11.
[18] Cf. Mt 7, 7-11.

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