mardi 25 décembre 2012

L'incarnation (1/3) : Jn 1, 1-18



Jn 1, 1-18 / L’incarnation (1/3) : La Parole de Dieu incarnée… et nous

Lectures bibliques : Jn 3, 16 ; Jn 1, 1-18
Thématique : l’incarnation pour nous… pour nous permettre de « devenir enfants de Dieu »

Prédication = voir plus bas, après les lectures


- Introduction, avant la lecture :

Je vous propose d’entendre aujourd’hui deux passages de l’évangile selon Jean.

Pour se mettre à l’écoute de ces textes, je vous rappelle juste un présupposé 
qui pourra peut-être nous éclairer. 

La conviction du Judaïsme, c’est que personne n’a jamais vu Dieu (cf. Jn 1, 18 ; 1Jn 4, 12).
Moïse voit un buisson ardent et le dos de Dieu. 
Eli entend le murmure… le bruissement d’un souffle ténu et la voix de Dieu. 
Mais ils n’ont pas vu directement la face de Dieu. 
Le livre de l’Exode dit que l’homme ne peut voir Dieu et rester en vie (cf. Ex 33, 20).
Cette impossibilité de voir Dieu, n’est pas seulement le fait d’un manque 
du côté de l’homme, mais c’est une affirmation au sujet de Dieu.
Dieu n’est pas un objet que l’on peut expérimenter dans le monde, 
sinon il cesserait d’être Dieu.
Dieu se caractérise par sa radicale altérité, sa transcendance, sa différence, 
il ne peut pas être saisi.
Pour être connu de l’homme, Dieu doit se révéler. 
La révélation est le seul chemin ouvrant à la connaissance de Dieu. 
Elle relève de l’initiative de Dieu et… pour être 
révélation…  elle doit être reçue dans la foi par l’homme.
Ce que l’évangile de Jean affirme, c’est que Dieu – le Dieu invisible – s’est fait connaître 
par son Logos divin, sa Parole créatrice.
Par l’incarnation de cette Parole en la personne de Jésus, Dieu s’est révélé à l’humanité.

L’intention fondamentale de l’évangéliste Jean est de susciter la foi… 
de raconter Jésus… de dire qui il est… ce qu’il a dit et fait… 
afin qu’en plaçant notre confiance en lui, nous accédions à la vie en plénitude (cf. Jn 20, 30-31).

- Lectures : Jn 3, 16 - Nous écoutons Jean au chapitre 3, le verset 16 :

« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui 
(ne soit pas perdu) ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ».

- Extrait de Jn 1,1-18 – Ensuite, nous écoutons le prologue de l’évangile selon Jean. 
C’est un hymne qui nous rappelle qu’on peut rencontrer la Parole de Dieu (le Logos divin) 
en allant vers un homme concret : Jésus de Nazareth.

« 1. Au commencement était [le Logos] la Parole,
et la Parole était tournée vers Dieu
et la Parole était Dieu.
2. Elle était au commencement tournée vers Dieu.
3. Tout fut par elle et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.

4. En elle était la vie et la vie était la lumière des hommes.
5. Et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point reçue. […]
9. Elle était la vraie lumière qui, venant dans le monde, brille pour tous les hommes.
10. Elle était dans le monde et le monde a été fait par elle et le monde ne l’a pas connue.
11. Elle est venue dans son propre bien et les siens ne l’ont pas accueillie.
12. Mais à ceux qui l’ont reçue elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux
qui croient en son nom,
13. eux qui ne sont nés, ni du sang ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, 
mais de Dieu.

14. Et la Parole a été chair* et elle a habité parmi nous** et nous avons contemplé sa gloire, 
une gloire comme celle que tient du Père  le Fils unique (l'Engendré), pleine de grâce et de vérité. […]
16. De sa plénitude, tous, nous avons tous reçu, et grâce sur grâce.
17. La Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
18. Dieu, nul ne l’a jamais vu. Fils unique Dieu (l'Engendré divin), celui qui est tourné
vers le sein du Père, celui-là nous l’a fait connaître [il nous l’a présenté] ! »

notes : 
* litt. "a été chair", "est arrivé chair", a pris chair.
** litt. "parmi nous" ou "en nous" : il y a ici une ambiguïté signifiante. Cela peut aussi
signifier que la Parole Créatrice s'est incarnée "en nous" ("dans notre humanité" en Jésus 
Christ et "dans notre coeur").



Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 25/12/12

* Le calendrier des lectures bibliques pour le jour de Noël nous offre habituellement le choix entre trois textes : le récit de la nativité dans l’évangile de Mt (avec des mages et une étoile – cf. Mt 2) ou celui de Luc (avec des bergers et des anges – cf. Lc 2) ou l’hymne, le poème du prologue de l’évangile de Jean (cf. Jn 1, 1-18).

C’est ce dernier que nous venons d’entendre.
Pour le jour de Noël, cela peut nous paraître un peu frustrant, car il n’y a pas d’histoire de crèche, ni d’enfant.
En réalité, l’évangile de Jean se situe avant cela, avant la naissance de Jésus. Il part d’un autre point de vue… de la préexistence du Logos, du Verbe de Dieu et de sa manifestation : son incarnation.

* Le mot « incarnation » est un gros mot de la théologie…. un mot qui n’est pas dans la Bible.
C’est sans doute un des mots qui a suscité le plus de débats, de conflits et d’exclusions dans l’histoire du christianisme.
Alors, ce matin, je ne vais pas ajouter ma pierre à cet édifice, ni me livrer à une grande étude sur la signification de ce terme… mais j’aimerais que nous essayons de cerner ce qu’il peut bien vouloir dire, pour nous, dans notre existence aujourd’hui.

Avant cela… il faut quand même accepter de commencer par faire cinq minutes de théologie.

* Vous savez comme moi que la dogmatique de l’Eglise utilise le mot « trinité » pour parler de Dieu : un seul Dieu en 3 personnes. Ce n’est pas un concept biblique, et c’est un concept qui - dans ses développements - est postérieur à la rédaction des évangiles[1], mais il peut néanmoins nous aider à comprendre ce que l’évangéliste Jean veut dire lorsqu’il nous dit que « la Parole a été chair… qu’elle a dressé sa tente parmi nous » (cf. Jn 1, 14).

Pour dire Dieu, l’Eglise parle de Dieu en tant que Père, Fils, et saint Esprit.
Que veut dire ce langage obscur pour beaucoup de nos contemporains ?
- Dieu le Père, c’est Dieu en soi, Dieu qui est en tant que fondement et puissance d’être. C’est l’Eternel, Dieu dans le mystère de sa profondeur : le Dieu inaccessible que nous ne pouvons pas connaître. C’est Dieu dans son fondement, dans sa potentialité d’être.
- Dieu le Fils, c’est Dieu tel qu’il se communique. C’est le Logos divin, le Verbe de Dieu, sa Parole créatrice. C’est Dieu en tant que Parole et Acte ; Dieu qui se révèle, qui se manifeste, qui se rend présent. C’est Dieu qui se dévoile ; Dieu dans son actualité.[2]
- Enfin, Dieu l’Esprit, c’est à la fois ce qui caractérise Dieu – Dieu est Esprit – et le moyen par lequel Dieu se donne et s’incarne. C’est le souffle vivifiant de Dieu, c’est Dieu qui se donne, qui éclaire, qui transforme, en insufflant son souffle dans sa création et ses créatures.[3]

Ce que nous dit l’évangile de Jean – ce que nous fêtons à Noël, à travers la naissance de Jésus – c’est l’incarnation, c’est la manifestation de Dieu le Fils, de la Parole de Dieu, dans notre humanité, dans un homme en particulier : Jésus.[4]

* Pour exprimer cette incarnation – cette révélation de Dieu le Fils en Jésus – l’Eglise a utilisé, pendant longtemps, la fameuse phrase d’un théologien du 4ème siècle, Athanase d’Alexandrie, qui dit la chose suivante : « Dieu s’est fait homme, pour que l’homme devienne Dieu ».[5]

A mon avis, cette affirmation est tout à fait contestable et source de profonds malentendus :

- D’abord, l’homme n’est pas appelé à être Dieu : ça c’est le discours trompeur du serpent au jardin d’Eden qui veut inciter l’homme à occuper la place de Dieu (cf. Gn 3, 5).
L’homme est plutôt appelé à être véritablement « humain ». Car quand on voit ce qui se passe dans notre monde, l’indifférence, la violence et la cruauté des hommes… on peut dire que l’humanité relève d’une éducation, d’un apprentissage. L’homme est appelé à ne pas se comporter en animal, mais à être pleinement humain, un humain en relation avec Dieu.[6]
Et pour voir ce qu’est un homme… un homme qui a réalisé et concrétisé ce qu’est véritablement l’humanité de l’homme… il faut justement regarder en direction de Jésus, le « nouveau Adam » (comme l’appelle Paul), l’homme en communion avec Dieu.[7] 

- Ensuite, l’incarnation ne veut pas dire que « Dieu s’est fait homme », mais que le Logos divin, Dieu le Fils – la deuxième personne de la trinité – s’est révélé dans une vie personnelle, dans notre histoire humaine, dans notre espace-temps… qu’il s’est rendu présent et agissant dans la personne de Jésus (v.14). Et donc que Jésus le présente, le représente, qu’il nous le fait connaître (v.18).

C’est précisément ce que dit Jean, tout au long de son évangile, à savoir que Jésus est l’envoyé de Dieu, son représentant, son mandataire, son révélateur, son lieu-tenant.[8]

Alors… dire que Dieu « se fait » homme… ou « devient » homme – comme on l’entend souvent – suscite une méprise et révèle un problème de langage qui rend la notion d’incarnation totalement incompréhensible.

En français, le mot « devenir » signifie : quitter un état pour un autre état.

Ainsi – excusez moi pour la comparaison un peu triviale – lorsque vous faites bouillir de l’eau très longtemps dans une casserole : l’eau devient de la vapeur d’eau, ou lorsque vous la placez dans votre congélateur, elle devient de la glace.
Avec le mot « devenir » c’est soit l’un soit l’autre. Quand l’eau est devenue un glaçon à l’état solide, elle n’est pas en même temps à l’état liquide ou gazeux.

C’est la raison pour laquelle le mot « devenir » – « passer d’un état à un autre » tel qu’on le comprend habituellement – ne peut pas convenir pour parler du Logos comme on le fait souvent dans nos traductions du prologue de Jean. Car pendant que Dieu le Fils se manifeste concrètement en Jésus, il reste Dieu le Fils, il continue (par ailleurs) à être créateur et à soutenir l’univers.

L’incarnation ne signifie donc pas une transformation de Dieu en homme.
Dieu reste Dieu pendant qu’il se dévoile en Jésus, pendant qu’il se fait connaître à travers la personne de Jésus.
« L’incarnation du Logos n’est pas une métamorphose, mais sa totale manifestation dans une personne vivante » (cf. Tillich).

En d’autres termes, Dieu reste Dieu, et Jésus est un homme, mais ce que nous propose le prologue de Jean, c’est d’identifier Dieu le Fils, le Logos, la Parole de Dieu… à la personne de Jésus.
Il nous dit – et c’est un fait proprement inouï – que c’est dans cet homme, en Jésus, que Dieu se donne à voir, que Dieu se manifeste et révèle sa présence au cœur de notre humanité.[9]

Il faut donc bien entendre le sens du mot « incarnation ». Et l’étymologie nous le rappelle très bien : in-carnation (in-carnatus) veut dire : « dans - la chair », dans l’humanité.
Il ne s’agit donc pas d’une transformation de Dieu, mais de sa manifestation – de son épiphanie – à travers un homme, qui nous révèle son amour pour le monde. Et c’est cela qui constitue un scandale pour notre raison.

* Car le vrai scandale du christianisme… ce n’est pas seulement la crucifixion de Jésus, ni même sa résurrection – en effet, si Dieu est créateur, pourquoi ne pourrait-il pas faire œuvre de création par-delà la mort, en suscitant et en accueillant  notre vie (notre corps spirituel ou notre âme) dans son éternité – … mais ce qui est proprement scandaleux pour beaucoup, c’est son incarnation, c’est cette automanifestation de Dieu dans un homme : Jésus.

Pour nous en rendre compte… quittons un instant notre sphère quotidienne et terrestre… et projetons nous dans un voyage imaginaire... en regardant vers les étoiles et l’univers :
Imaginez-vous la terre....
Les humains peuplent la terre, une petite planète de notre système solaire.
La voie lactée – la galaxie dans laquelle se trouve notre système solaire – compte quelques centaines de milliards d’étoiles.
On estime que l’univers dans lequel se trouve la voie lactée (notre galaxie) compte quelques centaines de milliards de galaxies.
Mais, nous les hommes, on ne connaît que 5 % de la matière de l’univers. Le reste – les 95 % – se compose de 25 % de matière noire[10] et de 70 % d’énergie noire dont nous ne savons rien.
Certains scientifiques pensent même qu’il n’y a pas un seul univers, mais un nombre infini. Il y aurait potentiellement des milliards d’univers : des multivers.
Alors qu’est-ce que l’homme… qu’est-ce qu’un homme… dans cette immensité infinie créée par Dieu et inconnue de nous à ce jour ?

Si Dieu est créateur – car c’est cela notre foi : mettre notre confiance dans l’Eternel, le Dieu de la Vie, le Dieu créateur – si Dieu est à l’origine du big-bang, de l’univers ou des multivers, comment penser que Dieu le Fils, le Logos créateur « devient » un homme ?

L’incarnation… ne veut tout simplement pas dire que Dieu « devient » une créature… qu’il « se transforme » en homme… mais qu’il se révèle, qu’il se manifeste dans sa création, dans une galaxie, sur une petite planète habitée du système solaire, dans un homme : Jésus,… et cela… tout en restant Dieu le créateur, tout en continuant (par ailleurs) à soutenir l’univers.

Autrement dit, l’incarnation soutient l’idée que l’infini peut se révéler dans le fini… même si le fini ne peut pas l’enclore… même si cet infini transcende infiniment le fini.[11]

Avec l’incarnation… c’est justement l’infini qui se dévoile… c’est l’éternité qui fait irruption dans l’« ici et le maintenant », dans notre temps.
C’est Dieu qui se rend présent au cœur de notre humanité… qui vient habiter en Jésus, en plaçant en lui son Esprit et sa Parole… afin de nous révéler son projet d’amour pour l’humanité… afin de nous appeler à l’accueillir.[12]

Alors, à la place de la fameuse phrase d’Athanase (source de tant de malentendus), je vous propose l’affirmation suivante :
« Dieu le Fils s’est révélé en l’homme Jésus, pour que les hommes deviennent enfants de Dieu ».

L’incarnation : ce n’est pas Dieu qui se transforme, mais c’est nous qui avons à nous transformer… pour l’accueillir… pour le laisser agir en nous… pour nous laisser transformer par lui.

* Avant de voir, maintenant, ce que signifie l’incarnation pour nous, je vous invite à chanter : Pause - Cantique

* Alors… face à cette affirmation de l’incarnation… les questions qui peuvent se poser à notre raison sont nombreuses. J’en retiendrai une seule : qu’est-ce que l’homme pour que Dieu pense à lui (cf. Ps 8, 5) ?… qu’est-ce que l’homme pour que Dieu choisisse de se révéler… de se rendre présent au cœur de l’humanité ?

La Bible nous donne une réponse précise à cette question. C’est parce que Dieu est amour (cf. 1Jn 4, 8)… parce qu’il nous aime… parce que cela appartient à son projet pour l’humanité… à sa promesse d’alliance.
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (cf. Jn 3, 16 ; voir aussi 1Jn 4,9).

Parce que Dieu a créé l’homme à son image… parce qu’il a déjà placé cette image en l’homme… il a voulu se révéler pleinement dans cette humanité. Et il a pu le faire parce qu’un jour un homme dans sa liberté lui a dit « oui », lui a laissé suffisamment de place dans sa vie – toute la place – pour que l’Esprit de Dieu puisse y habiter, pour que Logos de Dieu s’y manifeste.
Alors, en cet homme, l’impossible est advenu : la liberté de Dieu a rencontré la liberté de l’homme, et le Logos de Dieu, sa Parole créatrice a pu se dévoiler et retentir pleinement dans l’humanité pour la 1ère fois.

* Je crois que c’est cela que nous redit, en ce jour de Noël, le mot « incarnation » :

- D’abord, il nous rappelle l’amour de Dieu pour l’humanité :

Dieu a un projet pour nous, un projet d’amour. Il veut être « Dieu avec nous », Emmanuel (cf. Mt 1, 23 ; voir Es 7, 14).
Il nous offre son amour et sa confiance. Il veut faire alliance avec chacun d’entre nous. Il nous offre de vivre en relation avec lui.

A bien y regarder, tout cela le mot « parole » nous le dit très bien. Car, « la parole », c’est justement ce qui permet reconnaître l’autre… d’établir une relation… de sceller un pacte, une alliance… de dire une confiance.
La parole est fondatrice d’un lien qui nous introduit dans une promesse et une fidélité.
« Donner sa parole a quelqu’un » ce n’est pas rien, c’est s’engager en faveur de l’autre.
C’est appeler sa confiance et lui signifier la sienne. C’est ce que Dieu fait pour nous.

La parole, c’est aussi l’attestation d’une présence.
En nous donnant sa Parole, Dieu se rend présent au milieu de nous.
C’est un peu comme quand on reçoit une lettre d’amitié de la part de quelqu’un qu’on aime. Cet ami n’est pas physiquement présent à nos côtés, mais pourtant, par sa parole, par le message qu’il envoie, par les mots qu’il nous écrit, il vient signifier l’offre d’une présence.
Sa parole nous réconforte et nous accompagne.

C’est le sens que peut prendre l’incarnation pour chacun de nous :
Par Jésus, Dieu nous envoie une lettre d’amour, il s’approche de nous, il nous permet de le rencontrer personnellement et humainement… en Jésus, notre frère.

- Ensuite, l’incarnation nous donne une direction sur notre chemin. Elle nous inscrit dans un mouvement… une dynamique de vie et de changement :

Grâce à Jésus – Parole de Dieu incarnée – nous savons maintenant où regarder lorsque nous nous sentons perdus… nous savons où regarder pour découvrir le visage de Dieu, pour suivre sa volonté, pour choisir la vie : il suffit de regarder Jésus, d’écouter sa parole et de la mettre en pratique.

Grâce à Jésus, nous savons où se trouve la vraie lumière qui vient illuminer tout homme : il suffit de suivre Jésus… puisqu’il est celui qui incarne cette lumière divine (cf. Jn 1, 4-9 ; Jn 8, 12)

Grâce à l’incarnation, la Parole de Dieu n’est plus simplement une Loi comme dans l’ancienne alliance (avec Moïse)… mais elle se rencontre dans une personne concrète, Jésus, en tant que Christ.[13]
Et cela change tout. Là où la Loi qui nous disait ce qu’il faut faire…la Parole manifestée en Jésus Christ fait mieux : elle nous dit ce à quoi nous sommes appelés, et ce n’est jamais réductible à la Loi.[14]

- En ce sens, l’incarnation résonne aussi pour nous comme un appel : un appel à laisser naître le Christ en nous… à vivre en enfants de Dieu.

Puisque Jésus n’est pas un demi-dieu, un être surhumain, mais simplement un homme… un homme libre en qui (et par qui) Dieu le Fils s’est révélé… cela veut dire que Dieu sollicite aussi notre liberté d’être humain… et notre responsabilité personnelle et collective.
Dieu nous appelle à faire de la place en nous-mêmes, à nous laisser transformer par son Esprit, pour que sa Parole d’amour puisse raisonner dans notre monde : Par Jésus d’abord, en le faisant connaître, en témoignant de son Evangile… mais aussi en nous et par nous…. Car sans la foi, sans notre réponse et notre participation à l’œuvre du Christ, la Parole de Dieu resterait lettre morte pour notre monde.

L’incarnation de la Parole de Dieu en Jésus nous appelle à être des relais, des témoins… à être des « petits christs » pour nos frères, comme le disait Luther.
Deux mille ans après la venue de cette Parole dans notre monde, c’est à nous aujourd’hui de la recevoir et d’en vivre, pour la concrétiser et la mettre en pratique.
C’est désormais à nous de rendre présente et agissante cette parole d’amour de Dieu pour l’humanité… c’est à nous de l’incarner pour changer notre monde.

Pour le dire autrement… la Parole de Dieu que Jésus a incarnée… en faisant briller la lumière dans notre monde… en nous donnant à voir Dieu le Fils… nous appelle aujourd’hui, à notre tour, à devenir « enfants de Dieu », à vivre en « enfants de lumière » (cf. Ep 5, 8 ; 1Th 5, 5 ; Jn 12, 36 ; Mt 5, 14).
Cela veut dire que Dieu nous fait confiance : qu’il nous appelle à répondre… et à répandre sa Parole d’amour pour l’humanité.
Il nous fait confiance pour user de notre liberté et de notre créativité, pour trouver les bons leviers, les bonnes manières de mettre sa Parole en pratique dans notre monde.
Il nous redit à Noël que nous sommes « enfants de Dieu ».

Je crois que c’est ce point qui est véritablement au centre du prologue de Jean :
« A ceux qui ont reçu [cette Parole], à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.
Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu » (cf. Jn 1, 12-13).

Noël – célébration de la naissance de Jésus – annonce fondamentalement cette ouverture et cette nouveauté : l’advenue de la Parole de Dieu, dans le monde, en Jésus Christ.
Cette nouveauté nous concerne dans la mesure où nous la laissons aussi advenir dans notre vie.

C’est là le message que nous pouvons entendre en ce jour de Noël :
A travers la naissance de Jésus, Dieu nous fait un cadeau extraordinaire, un don inouï : il se fait proche de nous, il vient nous redire sa Parole d’amour et nous offrir sa lumière, pour les placer au creux de notre humanité. Il nous donne de naître d’en haut, pour devenir enfants de Dieu.

Comme dans le dialogue entre Jésus et Nicodème (un peu plus loin dans l’évangile de Jean), c’est à une nouvelle naissance que Dieu nous appelle – une naissance dans l’Esprit saint – pour qu’à la suite de Jésus, nous devenions « enfants de Dieu ».

Ainsi, Noël, ce n’est pas seulement la naissance de Jésus (le Christ de Dieu)… ce peut être aussi la nôtre. C’est l’offre d’une nouvelle naissance pour chacun de nous : une naissance d’en haut, offerte gratuitement par Dieu.

Pour cela, il suffit de vivre en relation avec Dieu, de s’ouvrir à son Esprit et de placer tout notre confiance en sa Parole (révélée en Jésus Christ)… en cette Parole qui a le pouvoir de transformer notre vie et notre monde… pour peu que nous l’écoutions et que nous la mettions en pratique (cf. Jn 13, 17).

Toute la visée de l’évangile de Jean est là : il annonce la nécessité de mettre sa foi en Jésus Christ… de croire en lui… afin de vivre en plénitude… de recevoir la vie éternelle (cf. Jn 3, 16)… afin « de devenir enfants de Dieu » (cf. Jn 1, 12).[15]
Amen.


[1] Selon qu’on fasse référence à la trinité « économique » (les acteurs du salut : Père, fils et St Esprit) ou à la trinité « immanente » (comme dans le symbole de Nicée Constantinople). Le mot «  trinité » n’appartient pas au vocabulaire du Nouveau Testament. On trouve le mot grec « trias », qui signifie « trois » (pour parler de foi « triadique » ou « ternaire »), pour la première fois (vers 180) dans les écrits de deux apologistes du IIe siècle : Théophile d’Antioche et Justin. Ceux-ci mettent en avant des formulations de foi qui sous-entendent une « trinité économique », vraisemblablement déjà présente dans la vie des communautés, par exemple, à travers la liturgie du baptême (cf. aussi Mt 28, 19). La foi « trinitaire » (relevant de la « trinité immanente ») ne recevra une formulation dogmatique qu’avec les Conciles du IVe siècle (Cf. Nicée- Constantinople).
[2] Le mot Logos désignait chez les grecs à la fois la Parole et la Raison. Depuis Héraclite, le Logos était compris comme l’intelligence qui organise le monde et le rend compréhensible aux hommes qui s’en donnent les moyens. Le philosophe juif hellénistique Philon d’Alexandrie (qui a marqué le judaïsme contemporain et le christianisme primitif) a posé une équivalence entre la Sagesse juive (cf. Pr 8, 22ss ; Sg 7, 22ss) et le Logos des grecs. Celui-ci se trouve ainsi pourvu du double rôle de créateur et sauveur. Le judaïsme rabbinique (qui ne semble pas ignorer ces idées) a préféré parler de la Loi (la Torah), à la place de la Sagesse / Logos.
[3] Autrement dit, l’Esprit, c’est ce qui permet le passage de la potentialité à l’actualité.
Pour ceux que la notion de « trinité » rend perplexe, on peut tenter de l’exprimer très schématiquement à l’aide d’une seule phrase : « Dieu le Père se révèle par le Fils (le Verbe) dans l’Esprit » ou plus simplement encore, dans un exercice de grammaire chrétienne : « Dieu nous donne son Esprit d’amour ». Dans cette phrase, le sujet, c’est « Dieu » (Dieu le Père) / le complément d’objet indirect qui indique le destinataire, c’est « nous » / le Verbe par lequel Dieu agit, c’est « donner », c’est ce que fait Dieu en créant, ce qu’il fait aussi en Jésus Christ, son Fils / le complément d’objet direct (l’objet du don), c’est l’Esprit, « l’Esprit d’amour » : c’est le cadeau que Dieu nous fait ; il nous donne son souffle vivifiant. On peut aussi tenter de présenter la « trinité » en termes d’images : on peut dire que Dieu le Père est « au-dessus » de moi, que Jésus, en tant que Fils et frère, est « à côté » de moi, et que l’Esprit de Dieu (et de Jésus Christ) est « en » moi.
[4] Cela ne veut pas dire que Jésus soit Dieu (Père, Fils et St Esprit = au sens de la totalité de Dieu) – Ce serait un raccourci théologique – mais plutôt qu’il est son porteur, son révélateur : En Jésus, par cet homme, Dieu le Fils se révèle et se fait connaître à nous.
Autrement dit, ce que nous connaissons – par Jésus – ce n’est pas le tout de Dieu, mais sa Parole, son Logos.
En effet, si Jésus est le révélateur de Dieu, Dieu ne s’épuise pas dans le visage de Jésus. Il demeure le transcendant dont personne ne peut disposer.
Pour le réformateur Calvin, par exemple, Dieu s’incarne pleinement en Jésus. Mais il n’en conclut pas que Dieu n’agit, ne se manifeste et ne parle que dans la personne humaine de Jésus. Si Jésus (en tant que Christ) est totalement Dieu (totus Deus), il n’est pas la totalité de Dieu (totum Dei). C’est ce que les spécialistes appellent l’extra calvinisticum. Il y a une présence et une révélation de Dieu en dehors de (extra) Jésus, même si Jésus est présence et révélation parfaites de Dieu.
Par ailleurs, le sens de l’incarnation dépasse largement le cadre de Noël, de la naissance de Jésus. Elle qualifie la totalité de l’histoire du Christ de sa naissance à sa mort.
[5] Cette citation est d’Athanase d’Alexandrie et non d’Irénée de Lyon. Il semble qu’Athanase ait largement amplifié – et du coup modifié –  le sens de la pensée d’Irénée (on passe de « fils de Dieu » à « Dieu ») : « Car telle est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l’homme : c’est pour que l’homme, en entrant en communion avec le Verbe et en recevant ainsi la filiation divine, devienne fils de Dieu » (Irénée, hær. 3, 19, 1). « Car le Fils de Dieu s’est fait homme pour nous faire Dieu » (Athanase, inc. 54, 3 : PG 25, 192B). « Le Fils unique de Dieu, voulant que nous participions à sa divinité, assuma notre nature, afin que Lui, fait homme, fit les hommes dieux » (Thomas d’A., opusc. 57 in festo Corp. Chr. 1).
[6] Notre problème aujourd’hui, c’est l’humanisation de l’homme, plutôt que sa divinisation. Il ne faut pas confondre la « vocation » de l’homme qui est appelé à la foi, à la « participation » au Christ (ou « régénération ») et à la « sanctification », avec les notions postérieures de « divinisation », « déification » ou « théosis ».
[7] Cf. par ex. Jn 3, 2 ; 10, 30 ; 14, 10-11 ; 17, 10-11 ; Ac 10, 38.
[8] (« Lieu-tenant » de Dieu = « qui tient lieu de » Dieu.)  Jean développe une christologie de l’envoi (cf. par. ex. Jn 3, 13.34 ; 5, 24 ; 6, 38 ; 13, 20 ; 14, 24 ; 16, 27-28 ; 17, 3 ; 17, 25). Il faut comprendre ce rôle dans le cadre de la fonction de « l’envoyé » dans le Proche Orient Ancien. Dans le Proche Orient Ancien, un roi (que l’on peut comparer à Dieu) envoie une ambassadeur (que l’on peut comparer au Christ). L’ambassadeur est le représentant du roi. On ne voit pas le roi, mais son envoyé. Les paroles que dit l’envoyé sont les paroles du roi lui-même. Les actes de l’envoyé sont ceux du roi. Il y a, entre le roi et l’ambassadeur, une dialectique de l’identité et de la différence (ou de la distinction): L’ambassadeur est, à la fois, identique au roi (il dit les paroles du roi) et distinct de lui (c’est l’ambassadeur, ce n’est pas le roi). [C’est ce que le prologue dit du « Logos » lorsqu’il précise que la Parole « était » Dieu (= identité) et qu’elle était « auprès de » (à côté de, avec) Dieu (= distinction). C’est également en ce sens que la 1ère épître de Jean dit que Jésus, en tant que Christ, est « de Dieu » (cf. 1 Jn 4, 2) : c’est-à-dire qu’il vient de Dieu.] Jean a eu recourt à ce modèle de l’envoyé. L’envoyé est un représentant, un ambassadeur, un mandataire. C’est ainsi que Jean (en Jn 1, 18) dit que le Christ « a présenté » le Dieu invisible, littéralement : qu’il en « a fait l’exégèse » (v.18)… autrement dit, que, par ses paroles et ses actes, Jésus est la vraie interprétation de Dieu dans le monde… son Révélateur.
[9] Le texte dit : « il a habité parmi nous », littéralement : « il a planté sa tente parmi nous » (v.14). La tente dans le désert est le lieu de la présence divine. Il s’agit ici d’une anticipation du thème du temple. Ce qui est habituellement rattaché au temple (lieu de la présence de Dieu ou du nom de Dieu) est transféré à une personne : Jésus. Cela veut dire, pour Jean, que Dieu est présent dans l’accomplissement de l’existence historique de Jésus… que Jésus est le lieu de la manifestation du Logos divin.
[10] La matière noire ou matière fantôme est une mystérieuse matière invisible.
[11] C’est l’idée à la fois de l’intra luthéranum et de l’extra calvinisticum. On trouve cette idée de participation mutuelle (ou pénétration réciproque) du fini et de l’infini dans les écrits johanniques : par.ex. Jn 14, 10-11 ; Jn 15, 4 ; 1 Jn 4, 13-16.
[12] La difficulté de la  notion d’« incarnation » vient du fait qu’elle nécessite d’opérer à la fois une distinction et une identification entre le Logos divin et Jésus :
Dieu est Dieu, et il ne devient pas un homme.
Jésus est un homme, et il ne prétend pas être Dieu.
Mais ce que nous propose le prologue de Jean, c’est d’identifier Dieu le Fils, le Logos divin, la Parole créatrice de Dieu… à la personne de Jésus.
Il nous dit que Jésus est le porteur de Dieu, son révélateur. Autrement dit, que « l’homme véritable Jésus de Nazareth est la révélation réelle de l’unique vrai Dieu » (cf. Küng).
Et c’est cela qui nous paraît impossible et proprement paradoxal (dans le sens de ce qui s’oppose à la doxa, à l’opinion ordinaire) : que Dieu choisisse un homme – Jésus – pour se manifester, pour placer en lui son Esprit (cf. Mc 1, 9-11 ; Mt 3, 13-17 ; Lc 3, 21-22 ; Jn 1, 32-34) et sa Parole (cf. Jn 1, 14 ; 6, 68), pour se rendre présent au cœur de notre humanité. Et pourtant, c’est cela même qui constitue une Bonne Nouvelle : la proximité de Dieu, son offre de salut… de vie… pour l’humanité.
[13] venu manifester « la grâce et la vérité » (cf. Jn 1, 17).
[14] v.17 : Jean pense en termes de successivité et non d’opposition : Il y a un temps pour la préparation de la vérité, qui est celui de la Loi (conduit par Moïse), et un temps de manifestation de la vérité (le temps de la Grâce) qui est celui de Jésus Christ.
Le prologue opère ainsi un contraste entre la personnification rabbinique de la Loi et la personne de Jésus (Jn 1,17) en qui le Logos se manifeste (Jn 1,14), afin de révéler le Père (Jn 1,18). Le Logos (manifesté en Jésus) révèle donc ce que dès son origine la Loi voulait être : une relation vivante et personnelle de Dieu avec les hommes… qui advient désormais par Jésus-Christ.
[15] Pour Jean, le péché c’est l’incrédulité, le refus de la relation avec Dieu (le Dieu de Jésus Christ). L’incrédulité ferme le monde à la révélation divine, elle ferme le monde à la lumière et le plonge dans les ténèbres. 

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