dimanche 9 septembre 2012

Lc 18, 1-8


Lc 18, 1-8
Lectures bibliques : Si 35, 16b-26 ; Lc 11, 5-13 ; Lc 18, 1-8
Volonté de Dieu : Rm 12, 12 ; 1 Th 5, 16-17
Thématique : Mettre notre espérance et notre confiance en Dieu ; par la prière, découvrir la paix et la guérison que Dieu nous offre.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 09/09/12.

Le croyant d’aujourd’hui comme celui d’hier est confronté à un double risque dans sa relation à Dieu : - le risque intérieur du doute et de la lassitude : le découragement dans la prière… pourquoi prier, à quoi bon ?... - et le danger extérieur : celui des distractions mondaines, qui nous détournent de Dieu et de la préoccupation de notre prochain… autrement dit, de la recherche du Royaume de Dieu et de sa justice (cf. Mt 6, 33).

Ce double danger était déjà ressenti par les premières communautés chrétiennes.
Celles-ci attendaient la parousie, la venue du Seigneur.
Mais face à longue attente de son retour, au délai décevant pour ceux qui attendaient le retour imminent du Fils de l’homme, le découragement guettait… la lassitude menaçait.

Dans ce contexte, la parabole de Jésus que l’évangéliste Luc transmet à sa communauté prend tout son sens.
Ce sens… Luc nous le donne dès les premiers mots : la prière… la prière incessante… est indispensable, ainsi que la lutte contre le découragement.
Le motif de la parabole est celui de la persévérance dans la prière… et celui de la foi, de la confiance. Dieu nous entend, il nous écoute. Il rendra justice à ceux qui se fient et se confient à lui.

L’histoire commence par la description d’un juge : un juge dont la conscience morale et l’éthique professionnelle sont au degré zéro… un juge qui ne craint pas Dieu et ne respecte personne.
Le second personnage est une veuve… qui incarne ici la dépendance et la fragilité sociale… mais aussi la solitude.

La femme prend l’initiative : elle se rend auprès du juge, pour réclamer son bon droit.
Elle exige du magistrat une décision : la poursuite en justice d’un adversaire et la réparation du tort commis… autrement dit, la punition du coupable et la rétribution qui lui est due… en un mot : la justice. 
Mais le juge s’y refuse.

La concordance des temps – l’utilisation de l’imparfait dans le texte (v.3) – semble indiquer l’insistance répétée de la veuve :  celle-ci réitère à plusieurs reprises sa demande… mais en vain.
La situation est dans l’impasse tant que le juge s’entête à faire la sourde oreille.
En attendant, le temps passe… celui de l’attente pour la veuve et de l’inaction pour le juge.

Ce qui relance enfin l’action, c’est une réflexion du juge :
Celui-ci se décide finalement à agir… bien que ce soit pour de mauvaises raisons… par égoïsme… par lassitude (v.5a) et par peur d’être malmené (v.5b).
En raison du tracas que lui cause cette femme (v.5a), afin de retrouver sa tranquillité, le juge décide finalement d’intervenir : la veuve va être rétablie dans son bon droit… Il lui sera fait justice.

Le texte laisse entendre que ce qui contraint le juge à la réflexion, c’est l’insistance de la veuve.
Parce qu’elle ne cesse de l’assommer, de lui infliger du tracas (v.5a)… parce qu’il craint aussi que cela finisse mal : qu’elle en vienne à le malmener (v.5b) – le verbe grec dit au sens propre : lui « pocher les yeux », le « frapper au visage », mais il faut plutôt penser ici, au sens figuré, à une atteinte morale à son honneur, à sa réputation – le juge finit par capituler en se rangeant à l’intention de la veuve, en se conformant à sa demande, à sa volonté.

La conclusion de la parabole est donnée : Si un tel juge inique rend finalement la justice, combien plus… à plus forte raison… Dieu (le Juge suprême, qui lui est véritablement Juste) va-t-il rétablir les croyants dans leur droit.

La parabole débouche sur un commentaire théologique : la promesse d’une écoute, d’une défense, d’une justification à ceux qui ceux fient et se confient à Dieu, à ceux qui manifestent leur fidélité par une prière incessante.

Notre passage se termine par une question, une interpellation : « le Fils de l’homme, lorsqu’il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (v.8)
La rétribution des élus, des croyants fidèles, est certes chose promise, mais en attendant… il faut rester fidèle… il faut tenir dans la foi.

L’interprétation classique de cette parabole – tenant compte du contexte… de la situation difficile des premières communautés chrétiennes – est la suivante :

On voit dans la veuve une figure collective : celle de la communauté des élus, des croyants et des croyantes.
A l’image de cette veuve, la communauté des croyants est en attente. Dans le temps présent, elle souffre de l’absence de Dieu et vit dans le dénuement social.
Elle attend avec espoir et impatience la rétribution eschatologique : la récompense des justes, le salaire promis pour les fidèles à la fin des temps.
En attendant, l’attitude de la communauté est la supplication : elle crie à Dieu ; elle l’appelle au secours ; elle lui exprime ses questions et ses souffrances, face à l’injustice du monde… d’un monde hostile qui marginalise et persécute les croyants.

Ces cris montent jusqu’à Dieu. Le Père céleste n’est pas sourd à la voix de ses enfants. Il entend leurs prières (cf. Ex 3, 7 ; Ps 34, 7).
Et comme Dieu – à n’en pas douter – est autrement plus juste que le juge immoral de la parabole, la communauté peut compter sur une intervention ultime et imminente de sa part.
Dieu va répondre « bien vite » (v.8) à ceux « qui crient vers lui jour et nuit » (v.7).
Il offrira aux croyants la part qui leur revient. 
Lorsqu’il établira son règne, Dieu rétablira en même temps la justice et condamnera l’oppression (cf. Si 35, 21-25 ; Lc 6, 20-26).
C’est l’espérance eschatologique du salut éternel, de la réhabilitation et de la délivrance pour ceux qui souffrent injustement.
Dans cette attente, il appartient aux croyants de s’enraciner dans la prière, dans une relation de totale confiance en Dieu.

Alors, ce matin, une question se pose à nous :
Faut-il prendre nos distances par rapport à cette interprétation… par rapport à cette attente qui animait les premiers chrétiens ?

Les siècles se sont écoulés et le contexte a changé depuis l’aube des premières communautés chrétiennes.
Aujourd’hui… faut-il toujours attendre un retour imminent du Fils de l’homme, « pour juger les vivants et les morts », comme le Credo nous le laisse entendre ?

Parmi les chrétiens, certains partagent cette attente, d’autres non.

En réalité… nous ne disposons d’aucun savoir en la matière.
Jésus ne disait-il pas lui-même à ses disciples : « Quand au jour et à l’heure, nul ne les connaît, ni les anges dans les cieux, ni le Fils, personne sinon le Père, et lui seul » (Mt 24, 36).

Ce qui a changé par rapport au début du christianisme, ce n’est pas l’espérance chrétienne en elle-même (qui porte sur la justice de Dieu, l’auteur du salut), mais c’est la forme de cette espérance (autrefois formulée en termes de « jugement dernier ») et c’est ce que nous entendons derrière le mot « justice divine ».

Que nous attendions ou non le retour du Fils de l’homme… ce n’est pas un problème. Que nous soyons dans l’ignorance sur la manière dont Dieu se manifestera à la fin des temps… c’est une évidence… et ce n’est pas là que se pose la vraie question.
Peu importe le comment… la manière dont Dieu établira sa justice… ce qui constitue le fondement de notre espérance, c’est Dieu lui-même, c’est la foi en un Dieu bon, juste et fidèle… dont la bonté est miséricordieuse… dont la justice est inséparable de son amour.

Notre espérance repose sur le Dieu de Jésus Christ… sur le Dieu que Jésus nous dévoile à travers les évangiles. Or, ce Dieu n’est pas le dieu de la rétribution – qui rend à chacun selon ses mérites – mais le Dieu de la grâce, qui donne sans compter, qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt 5, 45), qui accueille chacun de ses enfants comme le père de la parabole du fils prodigue (Lc 15, 11-32).

Ce qui a changé avec le temps, c’est sans doute notre manière de comprendre la justice de Dieu : notre attente n’est pas celle d’une justice rétributive ou punitive (dont nous trouvons des traces, par exemple, dans livre du Siracide (cf. Si 35 21-25)), mais c’est davantage l’espérance d’une justice réhabilitative et réparatrice… qui relève, qui guérit, qui réconcilie.

Si nous plaçons notre foi en la justice de Dieu, il faut espérer que cette justice s’enracine dans la miséricorde de Dieu… qu’elle n’est pas comparable à celle des hommes… qu’elle ne rétribue pas selon nos œuvres, ni même selon notre foi… car il y a fort à parier que chacun d’entre nous ait été au cours de sa vie – selon les moments – à la fois juste et injuste, à la fois croyant et incroyant.

Comme les premiers chrétiens, nous pouvons placer notre espérance dans la justice de Dieu… mais dans une justice vivante et non mortifère… dans une justice qui relève au lieu de punir… dans une justice qui fait grâce au lieu de rétribuer selon nos mérites.
En bref, nous pouvons mettre notre confiance en Dieu, parce qu’il est le Créateur, le Vivant… le Dieu de Vie et d’Amour… parce que nous l’envisageons comme « notre Père » : un Père forcément bienveillant pour ses enfants.

Alors… comme les premiers chrétiens… lorsqu’il arrive de nous sentir petits, seuls, désemparés, découragés… nous pouvons vivre dans la même foi, partager la même espérance.
Nous croyons que Dieu ne nous abandonne pas à notre sort… qu’il est à nos côtés… qu’il entend nos prières.
Nous pouvons mettre toute notre confiance en lui… nous en remettre à lui dans la prière incessante et persévérante.

Voilà la Bonne Nouvelle que nous pouvons recevoir ce matin… voilà ce qui nourrit notre espérance.

A travers la parabole… nous voyons que cette espérance est vivante… qu’elle ne se limite pas à une attente passive.
A l’image de la veuve, elle porte plutôt à la ténacité et à l’action.

Cet aspect dynamique de l’espérance chrétienne a une influence sur notre manière de comprendre l’Evangile.
Je crois que l’Evangile ne nous appelle pas d’abord à attendre patiemment le retour du Fils de l’homme… mais qu’il nous invite, ici et maintenant, à prendre part au royaume de Dieu (cf. Mt 6, 33), à être des ouvriers dans sa vigne, des artisans de justice et de paix (cf. Mt 5, 3-12), là où nous sommes… à la suite de Jésus (cf. Mt 5-7 ; Lc 6).

C’est avec ce message… c’est dans cette attente active et participative… qui anime notre espérance et qui nous donne un cap, une direction… que nous pouvons repartir ce matin, fortifiés par l’Evangile.

Mais je crois que cette parabole peut encore nous enseigner autre chose.
Avant de conclure… je voudrais vous faire entendre une autre manière d’interpréter ce passage de l’Evangile… qui regarde davantage en direction de notre intériorité.

A la lumière de la psychanalyse, nous pouvons lire autrement la parabole[1]. Celle-ci nous permet de comprendre en quoi la prière, non seulement nous permet de communiquer avec Dieu, d’être en relation avec Lui dans la foi, mais… en quoi elle peut également être source de transformation, de guérison intérieure.

Dans cette interprétation, le juge inique est comparé à un juge intérieur, au surmoi, c’est-à-dire à cette instance de la personnalité qui est en nous et qui ne cesse de nous juger.
Le surmoi désigne la structure morale (conception du bien et du mal) et judiciaire (capacité de récompense ou de punition) de notre psychisme.
Il s’agit d’une instance souvent sévère, qui répercute les codes de notre culture sous la catégorie de « ce qu’il convient de faire », qui est formée d’injonctions qui contraignent l’individu.

Les psychologues parlent d’un surmoi parfois très rigide qui nous condamne sans cesse, et dans lequel sont cristallisées les opinions et les normes de nos parents.
Des normes souvent utiles, bien sûr. Mais le surmoi est en nous une instance qui peut aussi nous juger et nous rejeter.

Dans la parabole sur « le juge inique et la veuve importune », Jésus nous montre comment nous y prendre avec ce surmoi.
La veuve est harcelée par un ennemi.
Il peut s’agir d’un ennemi intérieur ou extérieur.
En tant que femme, qui n’a plus de mari pour la protéger, elle a du mal à imposer des limites à certaines personnes et devient vulnérable.
Ou alors il s’agit d’un mode de vie – imposé par une norme sociale ou communautaire – qui ne lui permet pas de vivre comme elle le souhaiterait.
La veuve s’adresse alors au juge, mais celui-ci n’a nullement envie de venir à son aide, car il ne s’intéresse pas au bien-être de ses semblables, et Dieu ne l’intéresse pas non plus.
La veuve a donc peu de chance de trouver du secours, mais elle est opiniâtre… tenace… et ne lâche pas prise.
Elle lutte pour son droit à une vie décente, en se présentant chaque jour devant le juge.
Comme nous l’avons vu… à force de persévérance… le juge finit par céder, par faire marche arrière et par accéder à sa requête.

Ainsi, lorsque notre situation est apparemment sans issue, lorsque nous avons tendance à abandonner la partie, sans espoir de secours, Jésus nous montre comment la prière peut nous aider à venir à bout de notre juge intérieur.

Quand nous nous adressons à Dieu par la prière, il ne va pas intervenir de l’extérieur pour écraser nos ennemis.
Ce n’est pas après la prière, mais en elle que nous accédons à notre droit à la vie.
Dans la prière, nous entrons dans l’espace intérieur du silence.
Le juge n’y a pas accès. Il y est sans pouvoir.
Dans la prière, nous faisons l’expérience de la présence salvatrice de Dieu… nous découvrons l’espace de silence où le royaume de Dieu agit en nous.

Peu avant de raconter cette parabole, Jésus avait dit à ceux qui l’interrogeait : « le royaume de Dieu est parmi vous… à votre portée… en vous » (Lc 17, 21).
Dès lors que le royaume de Dieu est en nous… le surmoi – le juge intérieur – n’a aucune chance, car nous sommes libres de l’emprise que les autres ont sur nous : de leurs attentes et de leurs exigences, de leurs jugements et de leurs accusations.
Dans ce royaume de Dieu en nous, nous sommes intacts et entiers, et personne ne peut nous blesser.
L’ennemi – qu’il soit intérieur ou extérieur – ne peut y accéder.

Autrement dit… la prière est un lieu de paix, de refuge… un lieu où nous prenons conscience de nous-mêmes, de notre dignité d’être humains créés par Dieu, de notre valeur aux yeux de Dieu.
Nous sommes enfants de Dieu. Dieu nous fait confiance.
En priant, nous entrons en contact avec l’image sans égale que Dieu a placée en nous… que Dieu s’est faite de nous. Ainsi, toutes les autodépréciations et les autoaccusations se dissolvent en nous.

Si nous prions en nous référant à cette parabole, notre prière acquiert une force nouvelle.
Car, en réalité, Jésus ne se contente pas de nous exhorter à prier…
Il nous invite à nous laisser transformer par sa parole… par sa parabole… par la prière.
C’est la parabole qui opère une transformation en nous… en nous ouvrant à un autre avenir… à la possibilité d’une nouvelle relation à Dieu et à nous-mêmes.

Jésus décrit cette veuve démunie comme une femme qui ne perd pas espoir.
« Prier » signifie donc « ne pas abandonner la partie ».

La nouveauté est advenue dans la vie de cette femme à force de confiance, d’espérance, de persévérance.

Certaines personnes pensent parfois qu’elles ont demandé en vain l’aide de Dieu… et, donc, que la prière est inutile ou inefficace.
Mais c’est avoir une conception trop extrinsèque, trop extérieure de l’intervention divine, comme si, du dehors, Dieu allait tout arranger et résoudre tous les problèmes.

La prière nous mène d’abord à l’espace intérieur… à cet espace où nous avons droit à la vie, à l’aide et à la guérison.
La lutte extérieur n’en continue pas moins, mais elle est absente de cet espace intérieur où nous trouvons la sérénité.

Alors… Frères et Sœurs… recevons ce matin cette parabole comme une invitation à découvrir, par la prière incessante, ce royaume de Dieu qui est en nous : ce royaume de Dieu où nous sommes acceptés et aimés tels que nous sommes… ce royaume de Dieu où sommes en paix… par la grâce de Dieu notre Père.
Amen.



[1] La suite est inspirée de Anselm Grün, Jésus thérapeute, la force libératrice des paraboles, ed. Salvator, 2011, p.22-25.

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