dimanche 23 septembre 2012

Lc 17, 11-19

Lc 17, 11-19
Lecture biblique : Lc 17, 11-21
Thématique : la foi : un chemin de confiance, de conversion et de reconnaissance qui conduit au salut.
Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 22/09/12 & Tonneins, le 23/09/12.

Le texte de la guérison des dix lépreux nous offre aujourd’hui de méditer sur deux gros mots de la théologie : le « salut » et la « foi ».

« Va… ta foi t’a sauvé ! » (v.19) dit Jésus au Samaritain.
Qu’est-ce qui distingue la foi du Samaritain de celle des neuf autres lépreux également guéris ?

Pour s’en rendre compte, il faut reprendre le fil de l’histoire.
Celle-ci se déroule en deux temps :

- La 1ère partie place Jésus face à dix lépreux (v.12-14).
En Israël, la lèpre était considérée comme une impureté.
Le prêtre qui la diagnostiquait ordonnait la mise à l’écart du malade. Un rituel marquait le départ du lépreux hors de la communauté « saine » (cf. Lv 13).
En cas de guérison, le lépreux guéri devait être examiné par un prêtre et se conformer à un autre rituel préconisé par la Loi de Moïse. Une fois déclaré pur, il pouvait être réintégré dans sa famille (cf. Lv 14).
Comme cela leur était imposé du fait de leur état, les lépreux devaient se tenir à une certaine distance des « biens portants ». Ils vivaient ainsi exclus, coupés des autres, amputés dans leur vie relationnelle et sociale.

Les dix hommes se tiennent donc « à distance » de Jésus (v.12) et l’interpelle (v.13).
Ils en appellent à sa compassion : « Jésus, Maître, aie pitié de nous »[1].
Cette demande montre que les hommes croient au pouvoir de guérison de Jésus.
Elle révèle la confiance initiale des dix lépreux.

En les voyant – en les regardant avec compassion – Jésus répond à leur appel et à leur confiance, par un appel plus fort encore à garder confiance.
Il ne leur promet pas la guérison, mais leur indique le chemin à emprunter pour y accéder.
Il les invite à croire à leur guérison dès maintenant et les envoie se présenter aux prêtres, qui pourront les examiner.
D’une certaine manière, Jésus les renvoie à leur quotidien : à faire ce qu’ils devraient faire s’ils étaient déjà purifiés.
On peut lire dans cette réponse à la fois un encouragement et une épreuve. En les envoyant se montrer aux prêtres avant leur guérison, Jésus leur donne une direction (alors qu’ils n’en avaient aucune), il leur donne une espérance (alors qu’ils n’en avaient plus). En même temps, Jésus teste leur foi, leur confiance en sa parole.

La suite du récit montre qu’ils ont eu raison de se fier à la parole de Jésus, puisqu’en s’en allant sur le chemin qui les conduit aux prêtres, ils se trouvent purifiés (v.14). Ils se rendent comptent qu’ils sont « en règle », que tout est rentré dans l’ordre, qu’ils sont guéris.

- La 2nde partie du récit décrit le retour du Samaritain guéri auprès de Jésus (v.15-19).
Dans cette seconde partie, nous apprenons qu’un des hommes fait demi-tour, que cet homme est un étranger (v.18), un Samaritain (v.16).
A cette époque, les Samaritains étaient des voisins et des cousins des Juifs : des cousins suspects et méprisés des Juifs.
A la suite de l’exil et des déportations, des peuplades étrangères étaient venues s’installer en Samarie, amenant avec elles leurs dieux. Les populations avaient été mélangées et les pratiques religieuses étaient devenues différentes.
Les Samaritains n’appartenaient pas au judaïsme proprement dit, mais leur foi était vraisemblablement assez proche. Ils affirmaient descendre de deux tribus d’Israël (Ephraïm et Manassé) et prétendaient être les seuls continuateurs de la foi israélite.
Ils adoraient le même Dieu. Leur foi reposait sur la Torah (le Pentateuque, c’est-à-dire les 5 premiers livres de notre Ancien Testament) et sur Moïse, reconnu comme seul prophète.
(Leur centre religieux n’était pas Jérusalem, mais le mont Garizim.)

Alors… pourquoi préciser que le seul homme qui revient vers Jésus est un Samaritain ?
En nous livrant ce détail, l’évangéliste Luc souligne deux choses : D’une part, il signale que la grâce de Dieu n’a pas de frontières… que l’amour de Dieu, manifesté en Jésus Christ, brise les barrières religieuses et a une dimension universelle.
L’Evangile (la Bonne Nouvelle du salut) n’est pas seulement destiné aux Juifs, mais à toutes les nations.
D’autres part, il veut souligner que les Samaritains et les païens répondent souvent avec plus de foi et de reconnaissance à l’appel de l’Evangile que les Israélites eux-mêmes, appelés les premiers.

En mettant en avant l’attitude du Samaritain, seul, à côté des neuf autres, Luc établit un contraste. Il nous montre que si neuf des dix lépreux considèrent que leur guérison va de soi, un seul s’arrête et prend véritablement conscience qu’il est guéri.
Ici, le texte grec utilise le même mot que celui employé pour Jésus : Comme Jésus avait regardé les lépreux, à présent le Samaritain se regarde : il se regarde avec les yeux de Jésus, avec des yeux accueillants, emprunts d’amour, d’acceptation et de reconnaissance.
Il constate non seulement qu’il a été purifié, mais qu’il a recouvré la santé, qu’il est délivré de sa maladie, de la raison profonde de son refus de lui-même, libéré des blessures de sa honte.

Ce qui a changé, c’est son propre regard sur lui-même.
Le Samaritain reçoit sa « purification » comme un signe de libération, comme le signe de la grâce qui brise les déterminismes dans lesquels il était enfermé.
L’homme n’est plus réduit à n’être qu’« un  lépreux ». Il se voit maintenant comme il ne s’était jamais vu. Il peut désormais s’accepter et cela change tout.
Rentrant en lui-même, l’homme fait demi-tour. Il retourne sur ses pas… mais différemment… il est transformé.
Alors… il laisse tomber toutes les autres réalités : le groupe, la Loi, la religion, les rites et lui-même : il se laisse tomber à genoux face contre terre, pour rendre grâce, pour donner gloire à Dieu seul.
Voilà le miracle, la transformation opérée dans la foi !
Dans la foi, l’homme est renouvelé en profondeur, son regard a changé.
Il a pris conscience que sur son chemin tout ordinaire, Dieu est présent à ses côtés, qu’il est capable de créer en chacun de nous l’extraordinaire, de nous guérir, de nous délivrer, de nous transformer, pour nous rendre à notre véritable humanité, pour nous unifier et nous réconcilier.

Ce qui distingue l’attitude du Samaritain de celle des autres lépreux guéris, c’est – je crois – deux choses : la conversion (1) et la reconnaissance (2)  :

(1) Prenant conscience de sa guérison, le premier mouvement de cet homme est celui d’un retour sur soi et d’un demi-tour, signe de conversion.
Le texte nous dit que le lépreux guéri revient sur ses pas, mais le verbe grec (v.15), associé à la joie et à la louange, suggère ici une réalité spirituelle : le Samaritain intériorise sa guérison, approfondit sa foi et achève sa conversion.

(2) Cette prise de conscience le conduit à un changement de compréhension de lui-même et de son rapport à Dieu.
Il conduit l’homme à une double reconnaissance : reconnaissance et identification de Dieu comme auteur et source de sa guérison ; reconnaissance et remerciement envers Jésus comme porte-parole et médiateur de cette guérison.
Le texte nous dit que l’homme rend gloire à Dieu à pleine voix (v.15) et qu’il tombe à terre « aux pieds » de Jésus pour lui rendre grâce (v.16).
Ce mouvement traduit une proximité nouvelle avec Jésus. Au départ les dix lépreux avait interpellé Jésus « à distance ». A l’issue d’un cheminement de foi, le Samaritain a désormais rencontré le Christ de façon personnelle et intime.

« Relève-toi, va… ta foi t’a sauvé ! » (v.19)

Tous ont montré une confiance initiale, tous ont été « purifiés »… et pourtant seul le Samaritain entend résonner cette affirmation de la part de Jésus… seul le Samaritain semble avoir été « sauvé », changé, transformé en profondeur, au-delà du rétablissement physique.

La conclusion de ce récit nous fait comprendre une chose importante :
Si la foi, la confiance initiale, ne s’accompagne pas d’une véritable conversion, d’un retournement, d’un changement de vie, par lequel l’homme modifie ses représentations, pour vivre dans la reconnaissance à l’égard de Dieu… elle est insuffisante… elle reste « à distance ».
Si la foi reçue comme un don n’est pas aussi apprise, appropriée, intégrée… si elle ne concerne pas notre existence toute entière, dans toutes ses dimensions… elle n’est pas pleinement opérante.
Elle demeure accrochée au miracle et ne s’élève pas jusqu’au salut, jusqu’à la transformation de la personne dans toutes ses composantes, dans son cœur et dans son âme.

Alors… pour aller un peu loin… à l’appui de ce récit… quelle définition pourrions-nous donner du salut et de la foi ?

On peut comprendre le mot « salut » à partir du latin « salvus » qui veut dire « guéri ».
Le salut est un processus de guérison, de délivrance, de libération.
Mais de quelle guérison s’agit-il ?
A travers ce récit, nous voyons que le salut ne désigne pas seulement une guérison physique ou physiologique du corps (une purification). Plus fondamentalement, il s’agit d’une guérison du cœur et de l’âme : une guérison de la personne toute entière, qui implique un déplacement du sujet dans sa propre compréhension de lui-même, de Dieu et du monde.
Pour être véritablement « salut » et pas seulement « guérison d’un symptôme », la guérison du corps nécessite une guérison du cœur.

D’autre part, on peut comprendre le mot « foi » à partir du grec « pistis » ou du latin « fides ». La foi désigne un mouvement de confiance et de fidélité.
Mais la foi se limite-t-elle à la confiance ?
L’attitude du Samaritain et son dialogue avec Jésus nous montrent que la foi ne désigne pas seulement la confiance, mais également un mouvement de retour sur soi, de conversion, et un mouvement de reconnaissance, permettant une transformation de la personne toute entière.

« Va, ta foi t’a sauvé ! » (v.19)

Comment comprendre ce raccourci théologique ?
Est-ce la foi qui sauve, la grâce de Dieu ou les deux ?

Dans notre passage, l’évangéliste Luc met l’accent sur l’aspect réceptif et participatif du salut offert par grâce :

Premièrement, le salut est l’œuvre de Dieu. Il nous est offert par grâce. C’est l’aspect objectif du salut.
Deuxièmement, nous pouvons le recevoir dans la foi… par le moyen de la foi. C’est l’aspect réceptif du salut.
Mais cet aspect réceptif comprend lui-même un autre aspect : un aspect participatif.
Recevoir la grâce de Dieu dans la foi implique d’y prendre part, de l’accepter dans son existence et de se laisser transformer par elle.

Dieu est l’auteur de la foi, mais chacun de nous en est acteur : il revient à chacun d’accepter le don qu’il lui est offert et de se laisser saisir par lui.

C’est précisément ce point que notre récit met en lumière.
A travers ce qui se passe avec le Samaritain, nous pouvons comprendre que le salut – la guérison de la personne toute entière – ne va pas sans un cheminement personnel, sans un mouvement de relecture et de retour sur soi, permettant de changer nos représentations, de nous libérer de ce qui nous enferme, des blessures et des fausses images de nous-mêmes, pour nous abandonner dans la confiance et la reconnaissance envers Dieu.

La foi, c’est ce chemin de confiance, de conversion et de reconnaissance. C’est une dynamique de vie, une « puissance de résurrection » (Ph 3, 10) qui conduit à une transformation de notre personne, de notre être relationnel.
Ce processus de transformation est un processus de guérison, de libération… de salut.

Conclusion :

Alors, Frères et Sœurs, avec quoi pouvons-nous repartir aujourd’hui, aux termes de cette méditation ?

Une chose me semble particulièrement intéressante et étonnante dans ce récit de guérison, c’est que Jésus renvoie les lépreux aux prêtres (v.14), c’est-à-dire à leur quotidien.

Si on regarde la méthode thérapeutique de Jésus, on peut constater qu’il envoie les lépreux sur le chemin prescrit par la loi et la religion.
Il les invite à vivre simplement leur quotidien selon les préceptes de la religion et les traditions attachées à leur foi ; à dire la prière matin et soir, à accomplir les rites prescrits.

Cela nous montre une chose : c’est que la foi se vit dans le quotidien de l’existence.
Pour Jésus, c’est sur ce chemin simple et ordinaire que la métamorphose peut avoir lieu, que nous pouvons changer, nous transformer.

Mais comment vivre une telle conversion ?
L’Evangile nous invite simplement à suivre l’exemple du Samaritain : prendre du temps pour revenir en nous-mêmes, pour ouvrir et relire le livre de notre vie, pour y discerner les traces de la présence de Dieu, pour changer de regard sur la vie… sur notre existence.

La foi : c’est d’abord une question de regard.
C’est ce qui peut arriver quand on se penche sur le chemin parcouru et qu’on commence à regarder en arrière, à découvrir que quelque chose s’est passé en soi et pour soi.
C’est une prise de conscience, dans l’après coup… de quelque chose – ou plutôt de quelqu’Un – qui était déjà là au départ, qui nous accompagnait sur notre route.

C’est dans le quotidien ordinaire que nous pouvons réfléchir à notre parcours, prendre du recul, accueillir la Parole de Dieu et la Bonne Nouvelle de son salut, nous laisser transformer par son Esprit d’amour, pour vivre réconciliés avec nous-mêmes, avec Dieu et avec les autres.

Alors… quand la métamorphose s’opère peu à peu… il importe de remercier Dieu et de ne pas sombrer dans la banalité du quotidien.
L’Evangile nous enseigne à accomplir nos tâches ordinaires avec reconnaissance, car c’est grâce à elle que nous prenons conscience de la transformation et de la guérison intérieure que Dieu opère progressivement en nous.

Faire notre ordinaire, en s’enracinant dans la confiance, en nous laissant transformer par l’amour de Dieu, en vivant dans la reconnaissance, c’est le chemin que nous propose Jésus : un chemin de guérison.
Amen.


[1] Leur interpellation rappelle le langage des Psaumes. Elle peut nous faire penser à la prière de l’homme accablé, qui appelle au secours son Seigneur : « Seigneur, aie pitié de moi… guéris mon âme » (Ps 41, 5)… « purifie-moi de mon péché » (Ps 51, 3-4).

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