dimanche 8 juillet 2012

Lc 12, 13-21

Lc 12, 13-21 
Lectures bibliques : Lc 9, 23-27 ; Lc 18, 18-30 ; Lc 12, 13-21 
Thématique : la convoitise et le désir mimétique… choisir le bon modèle : imiter Dieu, à la suite de Jésus.

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lc 9, 23-27 ; Lc 18, 18-30 ; Lc 12, 13-21

- Lc 9, 23-27 

Puis [Jésus] dit à tous : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive. 24En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera. 25Et quel avantage l'homme a-t-il à gagner le monde entier, s'il se perd ou se ruine lui-même ? 26Car si quelqu'un a honte de moi et de mes paroles, le Fils de l'homme aura honte de lui quand il viendra dans sa gloire, et dans celle du Père et des saints anges. 27Vraiment, je vous le déclare, parmi ceux qui sont ici, certains ne mourront pas avant de voir le Règne de Dieu. »

- Lc 18, 18-30 

Un notable interrogea Jésus : « Bon maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage ? » 19Jésus lui dit : « Pourquoi m'appelles-tu bon ? Nul n'est bon que Dieu seul. 20Tu connais les commandements : tu ne commettras pas d'adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère. » 21Le notable répondit : « Tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse. » 22L'ayant entendu, Jésus lui dit : « Une seule chose encore te manque : tout ce que tu as, vends-le, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi. » 23Quand il entendit cela, l'homme devint tout triste, car il était très riche.

24Le voyant, Jésus dit : « Qu'il est difficile à ceux qui ont les richesses de parvenir dans le Royaume de Dieu ! 25Oui, il est plus facile à un chameau d'entrer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu. » 26Les auditeurs dirent : « Alors, qui peut être sauvé ? » 27Et lui répondit : « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. »

28Pierre dit : « Pour nous, laissant nos propres biens, nous t'avons suivi. » 29Il leur répondit : « En vérité, je vous le déclare, personne n'aura laissé maison, femme, frères, parents ou enfants, à cause du Royaume de Dieu, 30qui ne reçoive beaucoup plus en ce temps-ci et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »

- Lc 12, 13-21

(13) Quelqu’un lui dit du milieu de la foule : Maître, dis à mon frère de partager l’héritage avec moi. (14) Mais celui-ci lui dit : Homme ! qui m’a établi juge ou répartiteur parmi vous ? (15) Puis il s’adressa à eux : Faites attention et gardez-vous de toute cupidité, parce que, pour quelqu’un qui est dans l’abondance, la vie ne dépend pas de ses propres biens.

(16) Il leur dit une parabole, en ces termes : Le domaine d’un homme riche prospéra. (17) Il se disait en lui-même et s’adressait ces propos : Que ferai-je, puisque je n’ai pas où amasser mes produits ? (18) Et il dit : Voici ce que je ferai ; je démolirai mes greniers et j’en construirai de plus grands et j’amasserai là tout mon blé et mes biens (19) et je dirai à mon âme : Mon âme, tu possèdes beaucoup de biens, en dépôt, pour beaucoup d’années ; repose-toi, mange, bois, fais bombance ! (20) Mais Dieu lui dit : Insensé, cette nuit même ton âme t’es réclamée. Alors, ce que tu as préparé, à qui sera-t-il ? (21) Ainsi en va-t-il de celui qui récolte des trésors pour soi et ne s’enrichit pas en Dieu. 


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 08/07/12

L’évangile nous fait réfléchir aujourd’hui à nos comportements humains les plus habituels, les plus fondamentaux.
Dans le passage que nous avons entendu nous avons deux parties distinctes : d’abord, un précepte, une sentence de Jésus, avec une mise en garde (v.13-15), puis une parabole avec sa conclusion (v.16-21).
Ces deux parties se rejoignent autour d’une même préoccupation : celle du sens de notre vie… de l’orientation que nous choisissons de lui donner.
Comment vivre ? Que doit-on chercher dans la vie ? Qu’avons nous à y semer… à y récolter ? Dans quel but ? Quelle doit être notre quête ? notre direction ? notre visée ?

(1) Le dialogue entre Jésus et un homme qui l’interpelle du milieu de la foule, répond à cette question en suscitant en nous une interrogation : De quoi… de qui dépend notre vie ? qu’est-ce qui la garantie ? Qu’est-ce qui la fonde ? (cf. Lc 12, 15)

Jésus est interpellé par un anonyme qui visiblement rencontre des difficultés pour faire valoir son bon droit, pour obtenir le partage de l’héritage familial avec son frère.
On imagine un désaccord entre deux frères au sujet des modalités de partage de l’héritage paternel.
Ce genre de situation n’est pas exceptionnel. Il s’agit d’une affaire banale et malheureusement encore fréquente aujourd’hui. Combien de familles se disputent et se divisent au moment d’un héritage ? Nous connaissons peut-être des situations analogues dans notre entourage.

L’homme qui interpelle Jésus souhaite son intervention afin de régler en sa faveur le différent qui l’oppose à son frère. Mais Jésus refuse d’intervenir et de jouer les arbitres dans ce litige, car ce qu’il veut c’est le partage et non la division.
Le refus intransigeant de Jésus laisse entendre que ce qui motive l’attitude d’un des frères est de l’ordre de la convoitise.
C’est précisément cette convoitise – le fait de se mettre au centre, de vouloir tout s’accaparer, tout ramener à soi – qui est à l’origine de la division fraternelle.

Ce qui se cache derrière le mot très fort de « cupidité » employé par Jésus, c’est le désir de possession, la soif de dominer, d’avoir plus que l’autre… quitte à usurper, à s’emparer du bien de l’autre.
Or, la convoitise c’est l’attitude que le dixième commandement proscrit. Car elle aboutit toujours à la violence : « Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain, tu ne convoiteras ni sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni rien qui lui appartienne » (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21).

Pour expliquer la jalousie et la rivalité entre les hommes, le philosophe René Girard parle du « désir mimétique »[1]. Le désir mimétique ce n’est pas seulement le désir de faire comme les autres, mais c’est le désir d’avoir ce que les autres possèdent, c’est le désir de s’accaparer ce que les autres désirent, c’est le désir qui désire au même endroit que l’autre… qui désire l’objet que l’autre désire… car c’est le désir de l’autre qui rend cet objet d’autant plus désirable.

Comme la convoitise, la cupidité est de l’ordre du désir mimétique. Mais puisqu’il s’agit d’un désir égoïste, excessif et mal orienté… il aboutit nécessairement à la jalousie, au ressentiment et à la division. En ce sens, on peut dire que le mimétisme conflictuel est « diabolique »… car il génère le plus souvent des comportements agressifs, des haines, des divisions, qui se résolvent dans la violence faite à autrui.
Là où mon prochain peut avoir ou désirer quelque chose, je le veux moi aussi, mais je prétends me positionner en première position, avoir la première place, y avoir droit plus que lui. C’est cette prétention prioritaire, possessive et dominante, synonyme de cupidité, qui aboutit à la rivalité entre frères.

Pour sortir de cet engrenage, du cercle de la rivalité, Jésus nous invite à changer de mentalité… à changer de quête, de désir… à ne plus prendre notre prochain comme modèle de nos désirs, mais à s’appuyer sur Dieu lui-même… à nous inscrire dans la dépendance vis-à-vis de Dieu.

Ce n’est pas par nous-mêmes, par nos propres forces, nos biens et nos possessions, que nous garantissons notre vie. Notre « être » ne dépend pas de notre « avoir » (cf. Lc 12, 15).
Ce n’est pas à nous d’arracher… de conquérir la valeur de notre existence, par notre avoir, notre pouvoir.

Jésus nous montre que nous pouvons vivre plus simplement, dans la vérité… en acceptant de lâcher prise, d’abandonner notre désir de toute-puissance… en acceptant de dépendre de Dieu, de vivre dans la confiance en Dieu. C’est là – et non en nous-mêmes, ni en nos biens – que nous avons à chercher notre véritable sécurité.
Ce n’est pas quelque chose que nous avons à posséder ou à conquérir, en convoitant le bien de l’autre, en désirant du même désir que l’autre, mais c’est l’acceptation de quelque chose qui nous est donné gratuitement : d’une grâce qui nous est offerte sans condition.

Pour nous détourner des rivalités mimétiques, pour nous enraciner dans cette nouvelle mentalité – dans la gratuité qui caractérise l’amour de Dieu – Jésus nous invite à le suivre, à l’imiter lui-même.
On retrouve cet appel dans plusieurs épisodes de l’évangile. Il est notamment adressé à un notable, un jeune homme riche : « une seule chose te manque encore – lui dit Jésus – tout ce que tu as vends-le, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi » (Lc 18, 22 ; voir aussi Lc 9, 23).

On peut légitimement se poser la question : pourquoi Jésus nous appelle-t-il à le suivre ? Sur quoi l’imitation de Jésus Christ doit-elle porter ?
Ce n’est pas sur ses façons d’être ou ses habitudes personnelles. Ce n’est pas non plus sur une règle de vie ascétique qu’il faudrait adopter. Ce que Jésus nous invite à imiter c’est son propre désir, c’est l’élan qui le dirige vers le but qu’il s’est fixé : ressembler le plus possible à Dieu le Père.

L’évangile nous montre que c’est le but auquel Jésus à consacrer toutes ses forces : imiter Dieu, devenir l’image parfaite de Dieu, l’homme nouveau à la ressemblance de Dieu… le « fils » à l’image du « Père »… car c’est là la véritable vocation de l’être humain créé à l’image de Dieu (cf. Gn 1, 26-27).
En nous invitant à le suivre, Jésus nous appelle à imiter sa propre imitation… à faire ce qu’il fait lui-même.

Autrement dit… quitte à vivre dans le désir mimétique… Jésus nous invite à choisir le bon modèle… à prendre la même orientation que lui… à orienter notre désir vers l’ultime, vers ce qui constitue le fondement et l’aboutissement, l’alpha et l’oméga de notre existence : Dieu le Père.
Jésus nous appelle à mettre notre confiance uniquement là où elle peut être placée en toute sécurité : ni en nous-mêmes, ni en nos biens, mais en Dieu le Père… le fondement… le modèle de toute imitation.

Mais cet appel à imiter Dieu – que Jésus adresse à ses disciples – n’est pas sans question (cf. Lc 6, 36 ; Mt 5, 48). Précisément… qu’est-ce qui nous autorise à penser que Dieu soit un meilleur modèle pour nous que notre prochain ? Pourquoi Jésus regarde-t-il le Père et lui-même comme les meilleurs modèles pour tous les hommes ?
Parce que – contrairement à ce qui se joue dans l’histoire de l’homme anonyme qui interpelle Jésus… révélant une certaine cupidité autour de l’héritage familial – ni le Père, ni le fils, ne désirent avidement, égoïstement.
Dieu « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (cf. Mt 5, 45). Il donne aux hommes sans compter, sans marquer entre eux la moindre différence. Il laisse les mauvaises herbes pousser avec les bonnes jusqu’au temps de la moisson (Mt 13, 24-30 ; 36-43).

Si nous imitons ainsi le désintéressement et la gratuité de l’amour de Dieu, jamais le piège des rivalités mimétiques ne se refermera sur nous, jamais nous ne succomberons au mauvais mimétisme, au mimétisme conflictuel, qui conduit l’homme de la convoitise à la haine et à la violence.

A travers l’histoire de l’anonyme en quête de sa part d’héritage et de la parabole du « riche insensé », une des questions que nous pose aujourd’hui l’évangile pourrait être formulée de la manière suivante : Qu’est-ce qui nous conduit à remplir de blé nos greniers… à sans cesse vouloir amasser, accumuler, thésauriser ?
- est-ce la peur du manque ?
- est-ce l’idée que le bonheur se situerait dans l’assouvissement illimité de tous nos désirs ?
- ou est-ce le désir mimétique de faire comme notre prochain, notre voisin ?
Il y a sans doute plusieurs facteurs qui déterminent l’orientation de notre désir.
Si nous nous arrêtons ce matin quelques instants sur cette notion de « désir mimétique », c’est pour éveiller notre attention et notre liberté dans les choix que nous faisons…
Sommes-nous vraiment libres ou nous laissons-nous orienter… manipuler ?

Posons-nous simplement la question :
Qu’est-ce qui constitue pour chacun d’entre nous la référence en matière de désir ? Quel est le modèle de notre désir ? Qu’est-ce qui motive et oriente fondamentalement nos choix ?
- Pour orienter notre désir, devons-nous recourir aux hommes qui nous entourent ? Sommes-nous condamner à emprunter leurs désirs ?
- Sommes-nous soumis aux puissances de ce monde qui organisent les rivalités mimétiques ? Sommes-nous les esclaves de notre monde, de notre société, qui d’un côté nous appelle à la consommation, pour profiter des soldes et relancer la croissance, et de l’autre, nous invite à la méfiance et aux économies en période de crise économique… de crise de confiance ?
- Au contraire, pouvons-nous faire usage – contre le monde, les médias et la publicité – de notre liberté chrétienne, pour orienter notre désir vers le Royaume de Dieu, vers ce monde nouveau fondé sur la justice de Dieu et l’amour du prochain ?

N’est-ce pas à nous – à la suite de Jésus – d’impulser une nouvelle mentalité, une autre manière de voir et de vivre dans le monde, pour que chacun puisse trouver un autre modèle à son désir… une autre référence que celle de la course au « toujours plus » – à  l’avoir et à la possession – qui reste le modèle dominant pour beaucoup de nos contemporains ?

(2) Pour tenter de répondre à ces questions, Jésus nous offre une parabole… la parabole du riche insensé... qui doit justement nous servir de contre modèle.

L’histoire commence avec un propriétaire, riche et prospère. L’homme pronostique une nouvelle récolte exceptionnelle.
Mais il s’interroge car il n’a pas assez de place dans ses greniers pour engranger tout le blé à venir. La parabole nous livre le monologue intérieur qui anime la réflexion du propriétaire et qui le conduit à prendre une décision. L’homme décide de détruire ses greniers pour en bâtir de plus grand, afin de rassembler l’ensemble de son avoir, et de pouvoir se reposer, faire bombance et vivre dans l’insouciance pour de longues années.

Pour nous faire part de la réflexion de cet homme et exposer son programme de vie, la parabole nous présente une sorte de débat intérieur entre le propriétaire et son âme. Cette exposition met en avant le repli de l’homme sur lui-même et sa solitude, car celui-ci n’a finalement aucun autre interlocuteur, aucune autre compagnie que son âme.
Tout se concentre dans cette petite histoire sur le vis-à-vis de l’homme avec ses biens. Il espère un bien-être qui ne dépend que lui-même, de son avoir et de ses propres décisions, et en aucun cas de sa relation aux autres, ni de sa relation à Dieu.

C’est alors que survient la surprise, le vis-à-vis inattendu avec Dieu, que le riche propriétaire avait complètement oublié.
Concentré sur son avoir, enfermé dans son projet qui devait lui permettre de jouir, seul, de ses biens, voici que surgit un tiers, un Autre qui s’adresse à lui, en le rappelant à la réalité de la finitude humaine… en lui réclamant ce qui lui avait été confié : son âme, sa vie.
Et c’est là que surgit toute l’absurdité de la situation : la vanité et la futilité du projet humain… de celui qui amasse un trésor pour lui-même… au lieu de s’enrichir auprès de Dieu (Lc 12, 20-21).
La parabole nous laisse en suspend sur une interrogation :
Que restera-t-il de ce projet ? Qu’adviendra-t-il de tous ces biens désormais inutiles ?
Qu’a-t-il fait cet homme des talents qui lui ont été confiés ? Les a-t-il mis à disposition des autres ? les a-t-il fait fructifier dans le sens voulu par Dieu ? ou les a-t-il conservés égoïstement pour lui ?

L’intervention de Dieu dans cette parabole met le doigt au moins sur deux choses :
- D’une part, le caractère proprement « insensé » de la situation. Comme le dit Jésus dans un autre passage que nous avons entendu : « à quoi sert-il a un homme de gagner le monde entier, s’il se perd lui-même et subit une perte ? » (Lc 9, 25). 
- D’autre part, la parabole pointe la présence de Dieu en relation avec les hommes. Le Dieu qu’elle montre n’est pas un dieu manipulateur, ni un dieu qui viendrait tout arranger au dernier moment (un deus ex machina). C’est le contraire. C’est un Dieu qui révèle la liberté offerte à l’homme et la responsabilité qui doit l’accompagner.
Qu’on le souhaite, qu’on le regrette ou qu’on le refuse, l’homme est libre… libre d’agir comme il l’entend, mais il n’est jamais seul. Dieu est là, même lorsqu’on l’oublie et qu’on ne l’attend plus.

Toute la question posée par cette parabole est celle du projet de l’homme face au projet de Dieu : son Royaume.
Dans cette histoire, l’homme n’a jamais su accorder son violon – sa volonté – avec celle de Dieu. Il représente clairement l’attitude irresponsable, à ne pas adopter.

L’échec du projet de ce riche propriétaire met en lumière son intention coupable.
Mais quelle est précisément l’erreur commise par cet homme ?
Son erreur vient de son choix : entraîné par la logique du profit, il a voulu couronner le succès de son entreprise par l’agrandissement de ses entrepôts.
En soi, il n’y a rien de mal à cela. Mais ce que la parabole nous laisse entendre c’est qu’à aucun moment l’homme n’a songé à partager ce qu’il avait pourtant en abondance.

Ici encore, ce qui manifeste la nature pécheresse du projet humain, c’est la convoitise, la cupidité de l’homme.
Le riche propriétaire a beaucoup reçu de la nature et vraisemblablement beaucoup obtenu par son travail – il ne faut pas croire que les patrons se la coulent douce, bien au contraire – mais, devant les dons reçus, il n’a jamais su répondre par le don… il n’a répondu que par l’accaparement.
Alors que Dieu offre ses dons sans compter, lui refuse de partager.

Autrement dit… il s’est laissé orienter dans ses choix par le mauvais mimétisme : celui de la course au profit maximum que propose notre société matérialiste et individualiste. Au lieu d’imiter Dieu (de partager), il s’est laissé séduire par les puissances de ce monde.

L’égarement est suggéré dans la parabole par deux points :
- D’une part, il apparaît dans le projet de démolition des granges pour en construire de plus grandes. L’homme est visiblement grisé par sa réussite ; il en veut toujours plus. Ce qui lui convenait jusqu’alors, le laisse désormais insatisfait. Au lieu de songer à partager ce qu’il a en abondance, l’homme est pris dans une sorte de soif insatiable.
C’est cette quête excessive, cette attitude exclusive et égoïste, qui est qualifiée d’« insensée », d’aberrante, de folle par Jésus.
- D’autre part, le but du projet est révélé dans le monologue de l’homme avec son âme : l’homme désire capitaliser… engranger le maximum de blé, afin de pouvoir se reposer, manger, boire et faire bombance. Son but est de pouvoir vivre dans l’insouciance et la tranquillité personnelle… dans un repos hédoniste et narcissique.

En d’autres termes, l’homme vise le « carpe diem ». Son but est de pouvoir profiter de l’instant présent comme le suggère le poète Horace : « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain ». Mais le « carpe diem » compris de la sorte n’a rien d’évangélique.
Il oublie l’éthique, la volonté de Dieu et la misère des autres.

Si Jésus en appelle aussi au « carpe diem » : à ne pas nous faire de soucis pour notre nourriture ou nos vêtements, ce n’est pas pour vivre dans la passivité, l’insouciance et l’égoïsme, mais c’est pour nous rendre disponible pour les autres, pour chercher d’abord le Royaume et la justice de Dieu. (cf. Lc 12, 22-34 ; Mt 6, 25-34).

Conclusion : Alors… pour conclure… que pouvons nous retenir de cette méditation ?

Cette parabole du riche insensé a, à la fois, une visée éthique et exhortative.
Elle considère la vie comme une vie en relation avec Dieu et avec nos frères… une vie dont l’homme n’est pas le propriétaire, mais le responsable.
Elle nous présente un Dieu qui n’est pas un tyran ou un juge inique, mais le Dieu bon de la création et de la providence, qui attend de ses créatures une vie responsable au service des autres et de son Royaume.

En nous rappelant notre condition humaine, la réalité de notre finitude, Jésus nous engage à bâtir notre vie en tenant compte de la mort, en définissant notre identité en relation avec Dieu, en mettant le souci du prochain au cœur de notre existence.

Ce n’est pas en capitalisant pour soi, en amassant égoïstement des biens que l’homme découvre le sens de son existence – ce n’est pas non plus ainsi qu’il se constitue un avenir – mais c’est en vivant dans la confiance sous le regard de Dieu, en donnant et en se donnant, car c’est ce qu’on partage – c’est la relation aux autres – qui nous enrichit véritablement « en » Dieu.

Ce matin l’Evangile nous confronte donc à un choix de vie… un style de vie… une orientation existentielle :
- continuer à engranger et à accumuler des biens à la manière du monde. Ce n’est rien d’autre que de répondre à la logique économique du profit maximum, de choisir la simplicité en orientant notre désir selon le mimétisme dominant qui nous conduit à la convoitise.
- ou penser à la manière du Christ, qui s’est donné en proclamant l’Evangile du Royaume, pour partager l’héritage paternel en le distribuant aux autres (Lc 9, 23-25 ; 12, 33-34), en mettant en pratique le commandement d’amour du prochain (Lc 10, 25-37). C’est prendre appui sur un autre modèle qui s’enracine dans la gratuité et la bonté providentielle de Dieu. C’est choisir la difficulté, mais c’est aussi choisir la vie, en cherchant la justice et le Royaume de Dieu.

Le pari de Jésus… la voie dans laquelle il nous invite à le suivre, c’est l’imitation de Dieu… c’est la conviction que le don est la meilleure façon de gagner et de recevoir la vie (Lc 9, 24)… c’est l’assurance que ce nouveau style de vie, ce bon mimétisme est aussi contagieux et qu’il fera des disciples.

Alors… frères et sœurs… que l’Esprit saint nous conduise dans la voie de ce bon mimétisme… qu’il fasse de nous – pour nos frères – des imitateurs de Dieu le Père.
Amen.


[1] Voir, par exemple, René Girard, Je vois Satan tomber comme l’éclair, Grasset, 1999.

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