dimanche 24 juin 2012

Le Royaume ou le monde nouveau de Dieu

Le Royaume ou le monde nouveau de Dieu

Lectures bibliques : Lc 17, 20-21 ; Mc 1, 14b-15 ; Mt 10, 5-8 ; 1 Co 3, 5-7 ; Mc 4, 26-29 ; Mt 13, 31-35
Volonté de Dieu : Dt 6, 4-7 ou Mc 12, 29-31                            
Thématique : changer de mentalité… prendre part au monde nouveau de Dieu… et par le don de soi… jeter sur la terre la semence du règne de Dieu

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures bibliques

- Lc 17, 20-21                                                                        

Les Pharisiens demandèrent [à Jésus] : « Quand donc vient le Règne de Dieu ? » Il leur répondit : « Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. 21On ne dira pas : “Le voici” ou “Le voilà” . En effet, le Règne de Dieu est parmi vous. »

- Mc 1, 14b-15

Jésus vint en Galilée. Il proclamait l'Evangile de Dieu et disait : 15« Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s'est approché : convertissez-vous et croyez à l'Evangile. »

- Mt 10, 5-8

Les douze [disciples], Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Ne prenez pas le chemin des païens et n'entrez pas dans une ville de Samaritains ; 6allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël. 7En chemin, proclamez que le Règne des cieux s'est approché. 8Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.

- 1 Co 3, 5-7

Qu'est-ce donc qu'Apollos ? Qu'est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez été amenés à la foi ; chacun d'eux a agi selon les dons que le Seigneur lui a accordés. 6Moi, j'ai planté, Apollos a arrosé, mais c'est Dieu qui faisait croître. 7Ainsi celui qui plante n'est rien, celui qui arrose n'est rien : Dieu seul compte, lui qui fait croître

- Mc 4, 26-29

[Jésus] disait : « Il en est du Royaume de Dieu comme d'un homme qui jette la semence en terre : 27qu'il dorme ou qu'il soit debout, la nuit et le jour, la semence germe et grandit, il ne sait comment. 28D'elle-même la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, enfin du blé plein l'épi. 29Et dès que le blé est mûr, on y met la faucille, car c'est le temps de la moisson. »

- Mt 13, 31-35

[Jésus] leur proposa une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à un grain de moutarde qu'un homme prend et sème dans son champ. 32C'est bien la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est la plus grande des plantes potagères : elle devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent faire leurs nids dans ses branches. »

33Il leur dit une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à du levain qu'une femme prend et enfouit dans trois mesures de farine, si bien que toute la masse lève. »

34Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans paraboles, 35afin que s'accomplisse ce qui avait été dit par le prophète : J'ouvrirai la bouche pour dire des paraboles, je proclamerai des choses cachées depuis la fondation du monde.


Prédication de Pascal LEFEBVRE[1] / Tonneins, le 24/06/12  / Culte avec baptême

Certains de nos contemporains voient parfois le christianisme comme une religion qui n’a plus rien à nous dire, et la Bible comme un vieux livre poussiéreux, inadapté aux préoccupations d’aujourd’hui.
En effet, en quoi la proclamation du Royaume de Dieu peut bien nous concerner et nous intéresser dans notre situation actuelle ?
Pour tenter de voir si le message de Jésus peut avoir une pertinence, il faut partir de notre monde, de ses préoccupations, de ses interrogations… autrement dit, des questions qui nous animent aujourd’hui.

Depuis plusieurs années, on ne cesse d’entendre parler de « crise ». C’est un thème récurrent qui revient régulièrement aux oreilles des humains à chaque génération depuis des siècles sans doute.
A l’époque de Jésus, la région du monde appelée Judée – soumise au pouvoir de l’occupant romain – était elle aussi en crise.
Il est difficile de décrire les ingrédients constitutifs d’une période de crise : crise économique, crise politique, crise religieuse, crise de sens. La crise se caractérise par une perte de repère liée à une situation critique, de déclin ou d’instabilité. Elle impose de faire des choix… dans une période où on ne sait plus que faire, que choisir, comment s’en sortir, quelle solution trouver. L’inquiétude est de mise ; la précarité de la situation… sa fragilité… pousse généralement au désespoir. On ne sait plus à quel saint se vouer… tout semble aller de travers… le monde perd pied et nous avec.
En temps de crise, cette situation d’instabilité n’est pas seulement propre au monde, à la vie en société, elle est également ressentie à l’intérieur même des individus.
Dans une société plurielle et multiculturelle, marquée par une perte de repères et de sens, l’individu ne sait plus où donner de la tête… sa vie est éclatée, dispersée… et les différents morceaux qui constituent le puzzle de l’existence ne parviennent plus à s’emboîter, à trouver une cohérence.
De toute part, l’individu est écartelé, tiraillé… il ne cesse d’être sollicité… il est pris dans de multiples injonctions : on lui demande d’être utile, d’être performant et rentable ; on le reconnaît par son travail et on lui explique qu’il faut se battre… qu’on a rien sans rien… qu’il faut absolument réussir : il lui faut s’inscrire dans le système du mérite, du donnant-donnant. Mais, en même temps, la situation économique rend le travail rare et difficile.
Alors, on brandit autour de lui la menace que ferait peser l’étranger : on l’invite à la méfiance, on provoque la peur de l’autre… qui serait responsable des difficultés.
A côté de la quête de la performance et de la réussite se présente l’injonction de la consommation. On demande à l’individu d’être un bon consommateur pour favoriser la croissance… de rentrer dans le moule d’une société hyper matérialiste et individualiste. La consommation devient une nouvelle idole, un but en soi. En dehors de la vie professionnelle, il n’est plus question de s’engager pour les autres, de faire du bénévolat, de donner du temps gratuitement… il faut davantage consommer… consommer de la technologie matérielle ou virtuelle… car la société inscrit là une nouvelle promesse de bonheur, centrée sur soi, sur le plaisir, sur l’idée que la possession aurait seule la capacité de rendre l’individu heureux et épanoui.
C’est là la promesse de toute publicité : faire naître et entretenir le désir de possession, de convoitise, dans le but de jouir des biens, pour son seul profit. C’est une manière de cultiver notre illusion de toute-puissance et de maîtrise… pour oublier la fragilité et la finitude de notre condition humaine.
Le problème c’est que toutes ces injonctions objectivisent et fonctionnalisent la personne… elles délitent le lien social… elles ne donnent aucune direction… elles rendent les individus égoïstes et égocentriques… elles ne livrent aucunement le sens de notre existence.

Face à cette situation, à ce monde qui est le nôtre, avec ses joies (certainement !), mais aussi ses faiblesses, ses perversités, ses injustices, ses atrocités, Jésus nous appelle à regarder la vie d’une autre manière. Il nous invite à accepter de vivre notre existence présente dans deux mondes : le monde présent et le monde qui vient : le monde nouveau de Dieu… qu’il appelle le « royaume de Dieu ».
Il nous invite à placer notre existence sous le regard de Dieu… à ajouter… à recevoir… à vivre une autre dimension : une dimension spirituelle et relationnelle… qui donne de l’épaisseur à notre existence… qui lui donne sens et espérance.

Ce royaume de Dieu est marqué par des valeurs strictement inverses à celles du monde :
- Là où le monde est soumis à la domination des plus puissants, à l’injustice et au chacun pour soi, le royaume de Dieu se fait proche là où s’accomplit la justice de Dieu et l’amour du prochain.
- Là où le monde tente de se justifier en mettant en avant les mérites de chacun, leurs actions, leurs œuvres, en pratiquant le donnant-donnant, en récompensant sur le principe de la rétribution, le monde nouveau de Dieu s’inscrit dans la surabondance du don, de la gratuité, de la miséricorde, du pardon, qui reconnaît chacun indépendamment de ses actes ou de ses performances.
- Là où le monde calcule et place chacun sous la loi de la symétrie, de la réciprocité, le monde nouveau de Dieu prône le don unilatéral, la grâce d’un amour qui donne sans compter.

Ce royaume, cet ordre qui vient, est toujours en marche. Il est la seule réalité capable de venir ébranler le monde présent.
C’est pourquoi, Jésus nous propose d’y prendre part… de nous inscrire dans cette nouvelle réalité qui vient bouleverser les habitudes, les comportements, les valeurs de ce monde.

Alors… peut-on en savoir plus sur ce « royaume de Dieu » ?… comment qualifier cette réalité, à la fois, déjà là et en devenir ?... qu’est-ce que nous en disent les évangiles ?

D’abord, il faut dire qu’il est au cœur de la prédication de Jésus et de son Evangile.
Si Jésus en parle, s’il nous invite à y participer, c’est que ce monde nouveau a réellement pris pied sur notre terre avec Jésus.
La conviction fondamentale du chrétien qui croit au Dieu de Jésus Christ, c’est que Jésus (en tant qu’il est le Christ, le porteur de l’Esprit de Dieu) est la manifestation centrale du royaume de Dieu dans l’histoire.
Grâce à la personne de Jésus, ce royaume de Dieu n’est plus une utopie… il n’est plus sans lieu, sans inscription dans l’histoire… il a été dévoilé par lui.

Ensuite, on peut dire que ce monde nouveau de Dieu recouvre plusieurs aspects : un aspect individuel et un aspect collectif.
Il touche, il saisit, il s’inscrit dans les individus… comme il a pris chair en Jésus… mais aussi dans les groupes, dans les communautés.
C’est à ce monde nouveau de Dieu que l’Eglise du Christ appartient… auquel elle veut participer… avec lequel elle entre en communion ici ou là… sans pour autant prétendre l’accaparer.

En d’autres termes, il s’agit d’une réalité spirituelle et relationnelle… d’une réalité qui s’incarne concrètement ici ou là.
Là où souffle l’Esprit de Dieu… là où l’homme accepte de le recevoir dans la foi… là où l’amour et la justice triomphent dans le cœur de l’homme… là se manifeste et grandit le royaume de Dieu.

Ce qui est intéressant avec les textes que nous avons entendus aujourd’hui, c’est que nous recevons des pistes pour prendre part à ce monde nouveau de Dieu.

(1) D’abord, dans l’évangile de Luc, Jésus nous fait comprendre que ce royaume de Dieu ne va pas tomber tout cuit du haut du ciel (si j’ose dire). Car, en réalité, il est déjà là, à notre portée :

« Le règne de Dieu ne vient pas de façon spectaculaire. On ne dira pas : "le voici" ou "le voilà". En effet, le règne de Dieu est entre vos mains »… à votre portée (Lc 17, 21).

(2) Ensuite, avec le début de l’évangile de Marc, Jésus annonce que ce règne de Dieu ne va pas sans une conversion, sans un retournement complet de notre mentalité :

« Le monde nouveau de Dieu est devenu tout proche. Changez de mentalité, croyez le message de salut » (Mc 1, 15).

Précisément… en quoi consiste ce changement de mentalité ?

A adopter un nouveau style de vie… à laisser Dieu régner sur nos vies… pour vivre dans la confiance, pour dépasser nos propres jugements (ce qui nous enferme et enferme les autres).
C’est précisément ce qu’a fait Jésus en plaçant tous ceux qu’il a rencontré sous le regard de Dieu. C’est ainsi qu’il a fait œuvre de salut, c’est-à-dire de guérison et de libération… en faisant tomber les barrières et les catégories sociales qui excluent les individus… en cessant de faire peser sur les coupables le poids écrasant du passé et des fautes accumulées… en montrant que la volonté de Dieu n’est pas une loi qui asservit les humains mais un don capable de libérer.

Tout au long l’évangile, nous voyons la nouvelle mentalité que Jésus a semé autour de lui et les changements profonds qui s’en sont suivis pour ceux qui ont croisé sa route.
Il nous montre que là où souffle l’Esprit de Dieu, là où la justice est associée à l’amour, il est offert à chacun la possibilité de recommencer, de repartir, de rebondir… chacun est remis debout, restauré à sa véritable humanité devant Dieu.

Mais l’évangile nous révèle aussi les nombreuses résistances à la nouveauté … l’opposition suscitée par ce monde nouveau que Jésus a inauguré et qui l’a conduit jusqu’à la croix.
Evidemment… le règne de la confiance, du don gratuit et de l’amour inconditionnel ne fait pas bon ménage avec l’idéologie traditionnelle du salut par plus d’avoir et plus de pouvoir.
Le fait que la nouvelle voie ouverte par Jésus se heurte à de nombreuses difficultés ne doit donc pas nous étonner… ni nous décourager.
Jésus nous invite, au contraire, à continuer à semer… car il y a toujours des endroits où le message nouveau de Dieu tombe dans la bonne terre… où la semence pousse (Mt 13, 32)… où la pâte lève (Mt 13, 33)… où la récolte est abondante (cf. Mt 13, 8.23).

(3) Pour comprendre la dynamique de croissance du royaume de Dieu, Jésus nous donne une parabole, une image : il en est de ce royaume « comme d’un homme qui jette la semence en terre » (Mc 4, 26s).

Ce que l’homme est invité à « jeter en terre » c’est quelque chose de petit mais qui contient une potentialité fabuleuse : une potentialité de croissance, de transformation, pour produire du nouveau et venir modifier la surface de la terre.

L’image de la semence nous laisse entendre que ce processus de croissance est d’une certaine manière « automatique ». Une fois que la semence est libérée… une fois qu’elle est jetée en terre… elle va peu à peu grandir et pousser toute seule… l’homme ne peut plus rien pour elle... et d’ailleurs, elle n’a pas besoin de son aide.
« D’elle-même – explique Jésus – la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, et enfin le blé qui remplit l’épi » (Mc 4, 28). Et un beau jour la moisson est mûre, il n’y a plus qu’à la récolter.
Le paysan qui a jeté la semence sur la terre n’a plus aucun pouvoir sur elle : « qu’il dorme ou qu’il s’active, la nuit et le jour, la semence germe et grandit, et il ne sait comment » (Mc 4, 27). Cela lui échappe complètement.

Ainsi l’avenir du monde nouveau de Dieu, c’est l’affaire de Dieu.  Comme la semence jetée en terre, le monde nouveau de Dieu cache en lui un dynamisme insoupçonné. Il saura très bien faire son chemin tout seul jusqu’à l’heure de la moisson.
La seule chose que Jésus nous invite à faire, nous les paysans de Dieu : c’est de semer comme notre Maître.
Notre rôle est de semer… c’est là notre responsabilité.

Mais « semer »… jeter sur la terre la semence du règne de Dieu... qu’est-ce que cela veut dire ?

- D’abord… c’est déjà vivre dans le monde nouveau de Dieu… c’est déjà expérimenter en nous-mêmes cette conversion, cette nouvelle mentalité… c’est commencer par s’engager concrètement dans les valeurs de l’Evangile… pour faire rayonner le message du royaume.
Autrement dit, c’est déjà reconnaître que Dieu est notre Roi et que seule son autorité a du poids à nos yeux.

Dans un monde profondément persuadé que tous les problèmes ne peuvent se régler que par un rapport de force, que par la puissance de l’avoir et du pouvoir, Jésus nous propose un nouveau style de vie : un style de vie orienté par la seule autorité de Dieu.

Mais reconnaître à Dieu seul une autorité sur nos vies implique une confiance, un abandon.
Cela veut dire, par exemple, lui abandonner tout jugement : renoncer à juger par soi-même – ou selon les critères du monde – ce qui est bon ou mauvais… afin de s’en remettre à ce que Dieu juge bon ou mauvais.
Cela signifie donner notre confiance à un Autre qui est extérieur à nous-mêmes, pour lui laisser la possibilité d’agir en nous-mêmes.

Ce que l’Evangile nous révèle, c’est que l’autorité de Dieu n’est pas une autorité qui contraint par la force… mais qui fait grandir, qui fait croître (c’est l’étymologie du mot « autorité » qui vient de augere : augmenter, faire croître). C’est une autorité qui rend libre (Jn 8, 31-32), parce qu’elle nous permet de trouver la bonne direction, parce qu’elle nous éclaire et nous guide… en nous disant simplement : « Voilà ce qui est bien et bon… voilà ce que tu devrais faire… choisis la vie ! » C’est une autorité qui rend chacun responsable de ses décisions.
Dans le monde nouveau de Dieu… auquel Jésus nous invite à prendre part… la domination des uns sur les autres n’a pas sa place.
C’est cette semence du royaume que Jésus nous invite à semer à notre tour : une vie sans domination.

En ce jour de baptême… vous les parents, parrain et marraine de Naël… c’est cette semence que vous vous êtes engagés à semer dans le cœur de Naël tout au long de son enfance… de son éducation… afin qu’il puisse un jour faire ses propres choix en ayant entendu parler du message de l’Evangile…. afin qu’il puisse devenir pleinement citoyen du monde nouveau de Dieu : de ce monde qui refuse d’exercer sur les autres la moindre domination… de ce monde fondé sur l’amour de Dieu et l’amour du prochain.

- Ensuite… « semer »… c’est oser témoigner de notre foi en ce Dieu d’amour autour de nous par notre vie, nos actes et nos paroles.
Pour que le message de l’Evangile soit semé, il faut non seulement le mettre en pratique, mais aussi le proclamer, le répandre. Et cela ne se fera pas sans nous, sans témoins.
Nous sommes tous invités à témoigner autour de nous de ce qui nourrit notre existence, de ce qui lui donne sens et espérance.
Si nous avons la conviction que Dieu nous aime comme ses enfants… que l’Evangile du Christ nous relève, nous construit, nous appelle à la fraternité… il faut le faire savoir… il nous faut partager cette Bonne Nouvelle autour de nous.
C’est à nous de révéler au monde qu’il existe une autre manière de vivre que celle de la loi du plus fort… que nous avons mieux à faire que de dépenser notre vie en courant pour obtenir davantage d’avoir et de pouvoir… que la vie a un autre sens… un autre but… lorsque nous acceptons de la vivre en relation avec Dieu et avec nos frères.

(4) Pour conclure cette méditation, il nous reste à regarder brièvement les deux petites paraboles que nous livre l’évangéliste Matthieu : celle de la graine de moutarde et celle du levain (cf. Mt 13, 31-35).
Mais auparavant, je vous invite à marquer une pause, en chantant.

- pause musicale -

Il y a deux manières de comprendre la parabole de la graine de moutarde :
(4a) D’abord, en mettant en évidence le contraste entre la petitesse de la graine (« la plus petite de toute les semences ») et la taille de la plante adulte (« la plus grande des plantes potagères »). Ce contraste est le même qu’entre le commencement du monde nouveau de Dieu, en apparence petit et insignifiant, et son aboutissement, promis à un grand accomplissement :
- Au départ, une toute petite chose tombe à la surface du sol : un homme seul, ou presque – Jésus, à la suite de Jean le baptiste – un homme sans ressources, sans appuis politiques, sans domicile fixe… parce qu’il a volontairement renoncé à tous ces avantages. Cet homme lance un message des plus déconcertants : il proclame que « le monde nouveau de Dieu est devenu proche » (Mc 1, 15) et il le rend manifeste par sa vie, ses gestes, ses paroles.
Sa popularité ne touche que les petites gens sans influence ou les exclus de la société (des employés de péage, en rupture avec la loi de Moïse, des lépreux considérés comme « impurs », des femmes).
Tout cela peut paraître insignifiant et dérisoire aux yeux du monde… mais c’est pourtant ainsi qu’a pris pied le monde nouveau de Dieu sur la terre des hommes… comme quelque chose de petit en apparence… en apparence seulement…
- Car à l’arrivée, la plante de moutarde a la taille d’un arbuste… au point que les « oiseaux du ciel viennent faire leurs nids dans ses branches ». Les « oiseaux du ciel » symbolisent ici l’ensemble des peuples[2]. Le monde nouveau semé par Jésus est appelé à devenir si grand qu’il pourra offrir un abri aux hommes de toutes conditions, de toutes langues, de toutes races, de tous les continents.

Ainsi, comme une graine de moutarde dérisoire aux yeux des humains quand elle est jetée sur la terre, la mini-graine du règne de Dieu cache une dynamique insoupçonnée et produit une plante qui surpasse toutes les autres… une plante toujours en croissance… puisque le monde nouveau de Dieu est destiné à accueillir tous les humains… y compris, bien sûr, ceux qu’on attend le moins : les exclus de toutes sortes et les païens.

Entre parenthèse… cette parabole peut nous faire réfléchir sur la composition de nos Eglises aujourd’hui : quels groupes sociaux ou quels groupes d’âge en sont absents ? Pourquoi ces groupes ne sont-ils pas représentés dans nos assemblées ?
Comment semer l’Evangile… comment témoigner… pour toucher ceux qui n’y sont pas ?... comment mieux les accueillir ?

Il ne faut sans doute pas confondre l’Eglise et le Royaume de Dieu… mais l’Eglise du Christ ne doit-elle pas être un instrument au service de l’avènement du monde nouveau de Dieu ?
C’est bien cet avènement qu’on demande à Dieu dans la prière du « Notre Père » : « que ton règne vienne ! »

(4b) La seconde manière de comprendre cette parabole est de la rapprocher de celle de l’évangile de Jean (cf. Jn 12, 24).
Selon l’idée que se faisaient les Anciens, une graine déposée sous terre doit mourir pour donner du fruit. C’est ce qu’explique le quatrième évangile : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il produit beaucoup de fruit » (Jn 12, 24. Voir aussi 1 Co 15, 36).
L’évangéliste Matthieu a exactement la même manière de penser. On la retrouve dans cette parole de Jésus : « Qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie, à cause de moi, la trouvera » (Mt 16, 25. Voir aussi Mt 10, 39 et Jn 12, 25).
Le mot « psyché » en grec signifie : « vie » et « âme ».
« Perdre sa vie » veut dire « donner son âme ». Il s’agit là de l’exigence la plus radicale de la Torah [du Shema’] : aimer le Seigneur notre Dieu de tout notre être (Dt 6, 5)… de toute notre âme (Mc 12, 30 ; Mt 22, 37).
« Aimer », c’est bien « donner », « se donner »… donner ce que l’on est… donner sa vie par amour (cf. Jn 15, 13).

Voici donc en quoi consiste le plus grand mystère du royaume : le royaume est une puissance de vie prodigieuse qui est mis en route par un petit geste souvent caché et ignoré de tous : le don de soi, le don de sa propre vie. 
« Semer », ce n’est pas retenir, posséder, conserver… mais c’est accepter de perdre la semence pour gagner la récolte… c’est « se donner », c’est libérer la semence de vie qui est en soi pour la donner, pour lui permettre d’exprimer toute sa potentialité.

On retrouve cette idée dans la parabole du levain caché dans la pâte. Cette image met en avant l’action cachée du levain qui permet de faire fermenter toute la pâte. Pour obtenir un tel résultat, pour faire lever toute la masse, il suffit d’un peu de levain.
Ce qui est mis en relief ici, c’est le fait que le levain doit être « enseveli » dans la farine pour développer son action de ferment.

Autrement dit, ce qui est à l’origine de la plante de moutarde ou de la masse qui lève, c’est un don : don de la semence ou don du levain… le don de soi qui permet de libérer les potentialités de l’être… pour laisser grandir le royaume.

Conclusion :  Alors… finalement… que pouvons retenir de cette méditation ?

- Tout d’abord, que le « royaume de Dieu », le monde nouveau de Dieu, est une réalité en devenir. Cela signifie que les croyants vivent dans une formidable tension : ils n’appartiennent pas seulement au monde tel que la plupart des hommes le voient, mais aussi au monde tel que Dieu le voit et le veut : à ce monde dont Dieu est le Roi… là où on le laisse régner.
- De la parabole de la semence qui pousse toute seule (Mc 4, 26-29), nous pouvons retenir que notre rôle, notre seule responsabilité, c’est de semer la semence du règne de Dieu… le reste appartient à Dieu. 
C’est Dieu qui fait croître… mais il nous appartient de « semer ».
- De la parabole de la graine de moutarde (Mt 13, 31-32), nous pouvons retenir que Jésus nous invite « à ne pas mépriser les petits commencements » (cf. Za 4, 10a), mais à prendre courage comme Jésus… en n’oubliant pas que ce monde nouveau est pour tous.
- De la parabole du levain (Mt 13, 33) qui confirme celle de la graine de moutarde, nous pouvons retenir que le secret, qui permet de faire lever le tout, relève d’un don : le don de soi, le don de sa propre vie.
- Enfin, puisque nous accueillons aujourd’hui Naël qui vient de recevoir le baptême… nous pouvons aussi nous souvenir que Jésus nous invite à accueillir le royaume comme un enfant (cf. Mc 10, 15). Il nous appelle à la confiance, à laisser l’Esprit de Dieu agir en nous… et pour cela il nous invite à nous déplacer, à changer de mentalité, pour nous ouvrir au monde nouveau de Dieu, qui nous libère de nos enfermements et de nos égoïsmes.

Frères et sœurs… reposons-nous en Dieu, notre Père et notre Roi… laissons le agir dans notre existence pour qu’il puisse véritablement régner sur nos vies. Ainsi son Esprit, son souffle vivifiant, nous fera grandir dans la foi.
Car ne l’oublions pas… Jésus nous l’affirme… si un jour notre foi est semblable à une graine de moutarde, nous parviendrons à déplacer les montagnes, à réaliser l’impossible (cf. Mt 17, 20 ; Mt 21, 21s)… alors vraiment nous serons proches du royaume de Dieu.

Amen.


[1] Partiellement inspirée d’une prédication de Jean-Marc Babut.
[2] Cf. Dn 4, 9.18 ; Ez 17, 23 ; 31, 6. « Les lecteurs du Premier Testament connaissent l’image du grand arbre à l’abri duquel viennent s’abriter les oiseaux du ciel. On le trouve au livre de Daniel dans le songe de Nabuchodonosor, où il symbolise l’Empire babylonien, et deux fois encore dans le livre d’Ézéchiel : une fois comme symbole de l’Empire égyptien et une autre fois pour symboliser le royaume du Messie que Dieu suscitera pour remplacer le dernier roi de Jérusalem, qui a failli à ses engagements. Dans tous les cas les oiseaux symbolisent l’ensemble des peuples qui trouvent à la fois nourriture et protection à l’abri du grand empire dont il est question » (J-M Babut, Actualité de Marc, Cerf, p.83). 

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