dimanche 27 mai 2012

La loi et l'Esprit

La loi et l’Esprit

Lectures bibliques : Ga 5, 13-25 ; Rm 7, 4 – 8, 2.14-16 ; Jn 20, 19-23
(Annonce du pardon : Ep 2, 8-9)
Thématique : De « Shavou’ot » à Pentecôte… du don de la loi au don de l’Esprit

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures bibliques

Annonce du pardon : Ep 2, 8-9

8C'est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n'y êtes pour rien, c'est le don de Dieu. 9Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n'en tire orgueil. 10Car c'est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d'avance afin que nous nous y engagions.

Lectures bibliques : Ga 5, 13-25 ; Rm 7, 4 – 8, 2.14-16 ; Jn 20, 19-23 

- Ga 5, 13-25 

13Vous, frères, c'est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair ! Mais, par l'amour, mettez-vous au service les uns des autres. 14Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même15Mais, si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres. 16Ecoutez-moi : marchez sous l'impulsion de l'Esprit et vous n'accomplirez plus ce que la chair désire. 17Car la chair, en ses désirs, s'oppose à l'Esprit, et l'Esprit à la chair ; entre eux, c'est l'antagonisme ; aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez. 18Mais si vous êtes conduits par l'Esprit, vous n'êtes plus soumis à la loi.

19On les connaît, les œuvres de la chair : libertinage, impureté, débauche, 20idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions, 21envie, beuveries, ripailles et autres choses semblables ; leurs auteurs, je vous en préviens, comme je l'ai déjà dit, n'hériteront pas du Royaume de Dieu.

22Mais voici le fruit de l'Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, 23douceur, maîtrise de soi ; contre de telles choses, il n'y a pas de loi. 24Ceux qui sont au Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs. 25Si nous vivons par l'Esprit, marchons aussi sous l'impulsion de l'Esprit.

- Rm 7,4 – 8,2. 14-16

4Vous de même, mes frères, vous avez été mis à mort à l'égard de la loi, par le corps du Christ, pour appartenir à un autre, le Ressuscité d'entre les morts, afin que nous portions des fruits pour Dieu. 5En effet, quand nous étions dans la chair, les passions pécheresses, se servant de la loi, agissaient en nos membres, afin que nous portions des fruits pour la mort. 6Mais maintenant, morts à ce qui nous tenait captifs, nous avons été affranchis de la loi, de sorte que nous servons sous le régime nouveau de l'Esprit et non plus sous le régime périmé de la lettre.

7Qu'est-ce à dire ? La loi serait-elle péché ? Certes non ! Mais je n'ai connu le péché que par la loi. Ainsi je n'aurais pas connu la convoitise si la loi n'avait dit : Tu ne convoiteras pas8Saisissant l'occasion, le péché a produit en moi toutes sortes de convoitises par le moyen du commandement. Car, sans loi, le péché est chose morte. 9Jadis, en l'absence de loi, je vivais. Mais le commandement est venu, le péché a pris vie, 10et moi je suis mort : le commandement qui doit mener à la vie s'est trouvé pour moi mener à la mort. 11Car le péché, saisissant l'occasion, m'a séduit par le moyen du commandement et, par lui, m'a donné la mort. 12Ainsi donc, la loi est sainte et le commandement saint, juste et bon.

13Alors, ce qui est bon est-il devenu cause de mort pour moi ? Certes non ! Mais c'est le péché : en se servant de ce qui est bon, il m'a donné la mort, afin qu'il fût manifesté comme péché et qu'il apparût dans toute sa virulence de péché, par le moyen du commandement. 14Nous savons, certes, que la loi est spirituelle ; mais moi, je suis charnel, vendu comme esclave au péché. 15Effectivement, je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais. 16Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, je suis d'accord avec la loi et reconnais qu'elle est bonne ; 17ce n'est donc pas moi qui agis ainsi, mais le péché qui habite en moi. 18Car je sais qu'en moi — je veux dire dans ma chair — le bien n'habite pas : vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l'accomplir, 19puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. 20Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, ce n'est pas moi qui agis, mais le péché qui habite en moi. 21Moi qui veux faire le bien, je constate donc cette loi : c'est le mal qui est à ma portée. 22Car je prends plaisir à la loi de Dieu, en tant qu'homme intérieur, 23mais, dans mes membres, je découvre une autre loi qui combat contre la loi que ratifie mon intelligence ; elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché qui est dans mes membres. 24Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ? 25Grâce soit rendue à Dieu par Jésus Christ, notre Seigneur ! Me voilà donc à la fois assujetti par l'intelligence à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché.

1Il n'y a donc, maintenant, plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus Christ. 2Car la loi de l'Esprit qui donne la vie en Jésus Christ m'a libéré de la loi du péché et de la mort. […]

14En effet, ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l'Esprit de Dieu : 15vous n'avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. 16Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.

- Jn 20, 19-23

19Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Juifs, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit : « La paix soit avec vous. » 20Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. 21Alors, à nouveau, Jésus leur dit : « La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie. » 22Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l'Esprit Saint ; 23ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 27/05/12

Ce qui est le plus connu dans la fête de Pentecôte… le plus intéressant pour la plupart de nos contemporains… c’est surtout le lundi… un jour férié qu’un gouvernement a un jour voulu supprimer pour rajouter une journée de travail.
Certains sont montés au créneau pour défendre nos acquis. D’autres ont prétendu qu’il s’agissait là d’un nouveau coup porté aux traditions chrétiennes.
Pourtant, initialement la Pentecôte n’est pas une fête chrétienne, c’est une fête juive : une fête de pèlerinage au cours de laquelle on célèbre le début de la saison de la moisson du blé.  

A l’origine, la Pentecôte est une fête juive dénommée « Shavou’ot » ou fête des semaines.
C’est une fête agraire – la fête des prémices – qui a lieu le jour qui suit sept semaines après « Pessa’h », la Pâque juive, c’est-à-dire cinquante jour après la fête des semences.
On y célèbre les premières récoltes sous forme d’offrande à Dieu des prémices de tout ce qui va être récolté et engrangé.

Dans la tradition rabbinique, cette fête va recevoir une signification plus importante :
La Pâque juive commémore la sortie d’Egypte et, cinquante jour plus tard, la fête de « Shavou’ot » célèbre de don de la Loi – de la Torah – au Mont Sinaï.
La Loi, inspirée de Dieu, est donnée par Moïse au peuple libéré de l’esclavage et du joug égyptien, afin qu’il puisse vivre libre et faire bon usage de sa liberté.
Les dix commandements sont offerts comme mode d’emploi d’une vie juste et heureuse (ajustée au désir de Dieu, fondée sur sa justice), comme points de repère pour ne plus s’égarer et retomber en esclavage.
Cette fête – associée au don de la Loi – prend d’autant plus d’importance dans le judaïsme après la destruction du second Temple de Jérusalem, par les Romains, en l’an 70.
Car alors les pèlerinages, les sacrifices et la cérémonie des prémices ne peuvent plus avoir lieu. Le judaïsme se recentre sur la loi, l’enseignement et la prière dans les assemblées : les synagogues.

Pour les chrétiens, la fête de Pentecôte prend une autre signification. Après la mort et la résurrection du Christ, elle célèbre le don de l’Esprit Saint : le souffle de Dieu.
D’après l’évangéliste Luc, dans les Actes des apôtres (Ac 2, 1-13), le « don de l’Esprit Saint aux apôtres » a eu lieu après l’ascension, c’est-à-dire après « la dernière apparition pascale », la dernière apparition du Ressuscité.[1] Cet événement – ce don de l’Esprit – a eu lieu le jour de la fête juive de « shavou’ot ».
D’après l’évangéliste Jean (cf. Jn 20, 22), Pâques et Pentecôte constituent un seul événement. L’Esprit est donné aux disciples par le Ressuscité – par le Christ lui-même – le soir de sa résurrection (cf. Jn 20, 19). 
Les évangélistes ne sont donc pas unanimes quant à la date de cet événement, mais ce n’est pas là l’essentiel. Il faut plutôt porter notre attention sur la signification de ce don… et l’envisager sur le registre missionnaire… car c’est grâce à l’Esprit saint que les disciples vont pouvoir accomplir leur mission d’envoyés, d’ambassadeurs, de représentants du Christ dans le monde.

En évoquant les multiples facettes de cette fête de Pentecôte, ce que nous pouvons remarquer, c’est tout ce que Dieu met en œuvre à destination de l’être humain. Dieu ne cesse de vouloir faire alliance avec son peuple. Il lui donne la Loi pour lui permettre de vivre libre et d’accomplir sa volonté. Il envoie son Fils, son représentant, son mandataire : Jésus Christ, pour renouveler son alliance. Enfin, le don de l’Esprit atteste encore de cette volonté d’alliance de Dieu avec ses enfants, qui – avec la force du souffle créateur et régénérateur de Dieu – sont envoyés dans le monde pour porter la Bonne Nouvelle du salut et annoncer les « merveilles de Dieu » (Ac 2, 11).

Alors, ce matin, à travers cette brève rétrospective, deux questions peuvent se poser à nous.
(1) La première vient de ce passage de l’épître de Paul aux Galates que nous avons entendu : « Mais si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la loi » (Ga 5, 18).
La fête de Pentecôte nous rappelle, d’une part, que Dieu nous donne la loi et, d’autre part, qu’il nous offre son Esprit. Mais, pourquoi ce double don ? Comment l’articuler ? Que faut-il comprendre derrière cette affirmation de l’apôtre Paul, qui pourrait nous laisser entendre que le don de l’Esprit vient remplacer la loi ou tout du moins la détrôner ?
(2) Et deuxièmement, que signifie pour nous ce don de l’Esprit, ce souffle de Dieu ? Quel est la finalité de ce don ? Que faire de ce cadeau de Dieu ?

(1) Penchons nous d’abord sur la question de la loi. 
« si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la loi » (Ga 5, 18).
Ici, Paul ne veut pas dire que la loi n’est plus à prendre en compte…
que nous pouvons faire n’importe quoi, vivre comme nous l’entendons sans nous occuper des commandements les plus élémentaires… parce que nous sommes désormais libres grâce au don de l’Esprit…
Mais il nous appelle d’abord à nous en remettre au Christ (cf. Ph 3, 8 ; Rm 10, 4) et à nous laisser guider par l’Esprit saint.

Le regard que porte Paul sur la loi est complexe. Ce qu’on peut dire, de façon succincte, c’est que Paul ne rejette pas la loi en elle-même – qui est « sainte » et « bonne » (Rm 7, 12s) – mais ce qu’il dénonce… c’est la loi interprétée de façon restrictive[2]… c’est ce que les hommes en ont fait et en font lorsqu’ils cherchent à se justifier devant Dieu par leurs œuvres, par leur volonté de performance … lorsqu’ils cherchent à être impeccables, à être « blancs comme neige »… à laver « plus blanc que blanc »… lorsqu’ils transforment la loi en vertu, en règle de pureté, en idole.

La loi doit être respectée et appliquée (cf. 1 Co 7, 19 ; Rm 2, 13), mais pas dans le but de se justifier devant Dieu.
Pour Paul, la loi ne peut pas conduire à la justice devant Dieu, parce que l’homme n’est pas justifié par ses œuvres. L’homme ne parvient jamais à accomplir pleinement tous les commandements de la loi. Ce n’est donc pas par ses actions qu’il peut être juste aux yeux de Dieu, mais c’est seulement en s’en remettant à Lui dans la foi… en se confiant à Lui… en reconnaissant ses limites, ses faiblesses, sa misère et sa pauvreté.

Dieu justifie l’homme par grâce, indépendamment de ses œuvres, de ses actes, de ses mérites (cf. Rm 3, 21-31 ; Ph 3, 9 ; Ga 2, 16 ; 3, 11 ; Ep 2, 8-9).
La justification est un acte de la grâce de Dieu (rendu manifeste en Jésus Christ ressuscité) et non le résultat d’un effort humain. Dieu nous offre la grâce de son amour, même si nous ne le méritons pas. Et nous lui répondons dans la foi, en acceptant sa grâce, son amour, son pardon.

Tout ce que nous pouvons faire ensuite, pour vivre en conformité avec la volonté de Dieu, avec sa Loi, n’est qu’une réponse… une conséquence de l’amour premier de Dieu.
Bien sûr… sachant que nous sommes sauvés par grâce… nous pourrions en profiter pour nous laisser aller et sombrer dans la paresse. Mais ce serait passer à côté de l’Evangile, de l’enseignement de Jésus et de Paul.
Comme l’écrit le réformateur Luther : « La grâce ne nous affranchit pas des œuvres mais de l’opinion qu’on en a ».
Ce n’est pas parce que nous ne jouons pas notre salut dans nos œuvres, que la Loi devient facultative, que nous sommes exemptés de répondre à l’amour de Dieu. Au contraire, Jésus nous invite à rechercher le Royaume et la justice de Dieu (Mt 6, 33).
C’est précisément parce que le croyant est libéré dans la foi qu’il peut s’attacher au respect de la Loi, dans un esprit de service et de gratuité, sans se soucier de son propre salut.

Alors, si la loi ne permet pas de nous justifier, de nous rendre juste… quel est son rôle, sa fonction ?
D’abord (comme cela vient d’être dit) la loi nous enseigne la volonté de Dieu.
Ensuite, elle nous permet de vivre libre avec nos frères et sœurs, car la loi nous a été donnée pour faire bon usage de notre liberté. En ce sens, elle joue un rôle protecteur et régulateur.[3]
Enfin, la loi a également une fonction pédagogique : elle sert à mesurer le péché.
Elle nous révèle, en réalité, la profondeur de notre péché (Rm 3, 20), de notre injustice, le fait que nous ne parvenons pas à vivre pleinement et authentiquement ce que Dieu attend de nous.[4]
La loi nous conduit à nous reconnaître pécheur. Elle nous conduit à nous en remettre à Dieu, à sa seule grâce, sans vouloir nous justifier (par nous-mêmes, par nos actes).

La réflexion que Paul entretient au sujet de la loi nous rappelle cette chose terrible : le péché habite en nous (Rm 7, 20).
La loi révèle ce péché d’une double manière :
D’une part, parce que l’homme ne parvient jamais à accomplir la loi purement et simplement.
D’autre part, parce que, même s’il s’y atèle, son orgueil le conduit immanquablement au péché (cf. Rm 7, 13-25).

Paul met en avant la relation ambiguë de l’homme avec la loi. Il y discerne une sorte de paradoxe.
Le paradoxe de la loi c’est que, lorsque l’homme veut se justifier par elle, par les œuvres de la loi, il en vient – malgré lui, malgré ses bonnes intentions – à commettre l’injustice.
C’est fort de son expérience personnelle – celle d’un Juif pharisien très engagé – et de sa rencontre bouleversante avec le Christ ressuscité sur le chemin de Damas[5] que l’apôtre Paul dit que nous ne sommes « plus soumis à la loi » (Ga 5, 18).
En disant cela, ce que Paul dénonce et ce qu’il entend dépasser, en référence au Christ[6], c’est un certain rapport à la loi, une certaine interprétation de la loi, telle que pouvaient l’enseigner les pharisiens.
Car c’est précisément en raison de cet enseignement, de cette approche de la loi – de la nécessité d’être juste devant Dieu en observant scrupuleusement tous les commandements – que Paul – ou plutôt Saul, le jeune pharisien zélé et irréprochable – en était venu à persécuter l’Eglise du Christ… à poursuivre les premiers chrétiens… au nom de son attachement fidèle à la loi (cf. Ga 1, 13s ; Ph 3, 4s).

Alors, après sa conversion… lorsque Paul devient un disciple, un apôtre du Christ… lorsqu’il a pris conscience que la justice n’est pas acquise par nos actes, qu’elle ne vient pas de la loi, mais qu’elle est extérieure à nous-mêmes, qu’elle vient de Dieu, de sa puissance de résurrection (cf. Ph 3, 7-11)… la question qui se pose à lui est la suivante :
Si le salut de Dieu offert par grâce a été manifesté en Jésus Christ crucifié et ressuscité, quel doit être désormais notre rapport à la loi ?

A l’époque de Paul chaque courant religieux a sa propre interprétation de la loi et revendique pour lui l’authentique définition de la fidélité à l’élection d’Israël. En raison de divergences, le groupe des pharisiens entend sanctionner les déviances des chrétiens dans l’observance de la Torah.
Mais la défense d’une stricte orthodoxie n’a-t-elle pas pour corollaire une forme d’intolérance ?
Précisément, que penser de la loi lorsque son interprétation par un groupe religieux aboutit finalement à persécuter des êtres humains, des semblables, des frères – en l’occurrence les disciples de Jésus – au nom même de cette loi ?
Que penser de loi, a priori juste et bonne, mais dont l’homme use et abuse à des fins religieuses, identitaires ou nationalistes ?
Que penser de la loi… si l’usage que l’homme en fait la détourne de son rôle de moyen au service de l’humanité et de la relation à Dieu, pour la transformer en finalité, en idole ?
Tout cela… c’est précisément ce qui est arrivé à Paul… à Saul le pharisien qui persécutait les chrétiens.

A bien y regarder, c’est également le même mécanisme… la même logique idolâtre de la loi… la même intolérance… qui a prévalu dans l’environnement de Jésus… et dont celui-ci a été la victime.
C’est bien en raison de leurs convictions religieuses… d’un usage abusif des prescriptions de la loi… que des hommes – des religieux soumis à la loi – ont voulu obtenir la condamnation de Jésus.
En effet, Jésus n’a-t-il pas été traité comme un « hors la loi », n’a-t-il pas été critiqué parce qu’il défendait un autre rapport à la loi… parce qu’il ne respectait pas les interdits prescrits… parce qu’il opérait des guérisons le jour du sabbat… parce qu’il partageait ses repas avec des marginaux, des collecteurs d’impôts… parce qu’il se rendait soi-disant « impur » en fréquentant des prostituées et des personnes atteintes de maladies ou d’infirmités ?… et cela pour apporter guérison et salut, pour répondre à la volonté de Dieu, pour accomplir sa justice, plutôt que de pratiquer la loi à la manière des hommes.
N’est-ce pas pour des raisons religieuses que Jésus a été taxé de blasphémateur parce qu’il appelait Dieu « son Père » et que beaucoup le considérait comme « le messie », l’envoyé de Dieu, son « fils » ?
N’est-ce pas encore pour des raisons religieuses que Jésus a été condamné pour avoir chassé les marchands du temple... pour avoir perturbé le commerce des animaux destinés à servir d’offrandes, en vue des sacrifices au temple… pour avoir contesté les pratiques sacrificielles organisées par les prêtres et accusé les sacrificateurs de mépriser la véritable vocation du temple : être un lieu de prière pour tous… y compris pour les non-juifs, les étrangers, les exclus ?
En annonçant le pardon des péchés indépendamment du temple… en proclamant la possibilité d’une relation simple et directe avec Dieu sans passer par la médiation du temple… Jésus détruisait ainsi des barrières… il remettait en cause la nécessité des offrandes sacrificielles prescrites par la loi… il dénonçait (comme les prophètes avant lui) des pratiques religieuses qui ne conduisent pas à la justice.
En renversant les comptoirs des marchands, Jésus renversait la religion… il s’attaquait au fonctionnement du temple… il menaçait les conceptions et le pouvoir des religieux de son époque.
Et c’est vraisemblablement ce qui a conduit à son élimination.

En nous penchant sur ce processus qui a aboutit à la condamnation et à la crucifixion de Jésus, nous pouvons déceler une sorte de paradoxe :
Parce que Jésus a été le promoteur d’un nouveau rapport à Dieu, d’une manière différente de comprendre la loi et le temple, des religieux de son époque en sont venus à le condamner. Ils ont crucifié l’envoyé de Dieu… au nom même de la loi.
Cela montre à quel point l’homme (même quand ses intentions sont bonnes) a la capacité de s’accaparer et de détourner les dons de Dieu (y compris la loi) pour satisfaire son orgueil spirituel et sa quête de pouvoir. Et, à la suite de l’apôtre Paul, cela ne peut que nous interroger quant au rôle de la loi… à sa faculté de révéler le péché qui agit en l’homme.

Il en ressort une certitude : c’est que la loi renvoie l’homme à ses propres contradictions.
En réalité, lorsque la loi conduit l’homme – dans son orgueil et sa vanité religieuse – à un idéal de pureté et de perfection… lorsqu’elle l’amène à rejeter le péché en se justifiant par ses œuvres… dans un même élan, elle le conduit immanquablement à commettre le péché, en jugeant, en discriminant, en condamnant celui qui ne respecterait pas la même manière de penser, de vivre et d’accomplir la loi.
Le paradoxe de la loi, c’est qu’elle révèle l’orgueil, le péché de l’homme, qui, dans sa quête de performance religieuse, d’impeccabilité, de vertu, utilise la loi à ses propres fins (en vue de développer l’influence et le pouvoir de son groupe), même s’il faut pour cela condamner, rejeter, exclure, persécuter.

Cette pratique de la loi est évidemment opposée à celle de Jésus, qui n’a cessé – pour sa part – de se faire serviteur… de pratiquer la loi d’amour… de remettre debout, de relever les pauvres, les faibles, les exclus, pour les rendre à leur dignité d’homme et de femme devant Dieu.
Mais elle est le propre de l’homme religieux, qui au nom de sa foi ou au nom de la loi, en vient à exclure l’autre, à le condamner pour son comportement, son erreur, son hérésie, à l’excommunier, à le persécuter, à le crucifier ou le brûler, pour défendre une prétendue orthodoxie, une soi-disant pureté religieuse.
L’histoire de la chrétienté, comme celle des religions du monde, est malheureusement parsemée d’abus pratiqués au nom de Dieu, et qui sont en réalité totalement anti-évangéliques.

Paul met donc à jour un paradoxe dans la relation du croyant avec la loi :
Alors que la loi est censée permettre à l’homme de vivre libre, elle risque, en réalité, de devenir pour lui « une pierre d’achoppement » (Rm 9, 31-33), le lieu d’un enfermement… un nouvel esclavage, un moyen au service du péché… tout simplement parce qu’elle peut facilement devenir un instrument de pouvoir, de prétention religieuse, pour se justifier (par soi-même) devant Dieu et se glorifier devant les hommes.
On aboutit alors à la prière bien connue du pharisien : « O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes (…) » (Lc 18, 11)… et, pour un peu, on impose aux autres de devenir comme soi ou on les réduit au silence.

Fort de son expérience personnelle, Paul opère donc un recadrage interprétatif de la Loi. Sa nouvelle évaluation de la Torah s’opère à partir de sa rencontre avec le Christ, dont la « connaissance » est pour lui « le bien suprême » (Ph 3, 8).
C’est en Christ et en Celui qui l’a ressuscité que le croyant est appelé à mettre sa confiance, et non dans la loi, qui n’a pas le pouvoir de nous justifier.

Le résultat de cette analyse, c’est que le croyant est finalement amené à entretenir un double rapport à la loi :
D’une part, il sait que la loi conserve toute sa pertinence en tant que code moral. C’est précisément à ce titre que Paul la confirme.
D’autre part, le croyant sait que les œuvres de la loi ne peuvent pas lui permettre de se justifier devant Dieu. C’est en ce sens que Paul la révoque. La loi ne peut pas nous permettre d’acquérir le salut. Lorsqu’elle prétend faire vivre, elle échoue devant le pouvoir du péché.

(2) Alors face à cette situation… quel est le rôle de l’Esprit saint ?

L’Esprit saint, c’est ce qui nous permet de vivre les choses autrement … dans la foi en la seule grâce de Dieu… à la suite du Christ (Rm 8, 2).
Si la loi nous révèle que le péché habite en nous (Rm 7, 20), que nous ne pouvons pas nous en sortir par nous-mêmes, le vaincre par nos propres forces, l’Esprit saint nous donne l’assurance que Dieu nous offre gratuitement son salut… et que son souffle peut également habiter en nous (Rm 8, 9), pour nous guider, nous transformer, nous sanctifier.

L’Esprit saint, c’est un don de Dieu… c’est le souffle que Dieu nous donne pour accomplir la loi d’amour, dans le même Esprit que le Christ… pour nous éclairer, pour nous conduire et nous permettre d’accomplir la Loi… en ne la pratiquant pas dans la préoccupation de notre propre justification (qui ne dépend que de la grâce de Dieu), mais en ayant seulement le souci de l’autre, de l’amour du prochain.

Comme le dit l’apôtre Paul, la loi trouve son accomplissement dans cette unique parole « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 14). Et l’Esprit saint, c’est ce souffle d’amour et de liberté qui nous permet de mettre en pratique cette loi, de vivre notre vocation d’enfants de Dieu (Ga 4, 6-7 ; Rm 8, 15-16), de « porter les fardeaux les uns des autres » pour « accomplir la loi Christ » (Ga 6, 2).

Paul explique cela avec une très belle formule : « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5).
La finalité de l’Esprit est là : répandre l’amour qui nous libère de nos enfermements, de nos calculs, de la quête égocentrique de notre justification.
L’Esprit nous permet d’accomplir la loi, dans la gratuité, à l’image du Christ, en mettant en pratique le commandement d’amour du prochain (cf. Ga 5, 14 ; 6, 2 ; Rm 13, 9-10 ; 15, 2).

De son côté, l’évangéliste Jean souligne également l’importance de l’Esprit saint et il confirme la visée de ce don de Dieu.
Dans le passage de l’évangile que nous avons entendu, on voit que le Christ Ressuscité souffle sur les disciples, comme pour leur transmettre cet Esprit, comme pour les revêtir d’une autorité spirituelle.
Ce souffle de vie, qui les fait naître à une vie nouvelle[7], signifie que c’est désormais le souffle de Dieu qui anime le cœur des disciples.
En nous donnant son Esprit, Dieu vient habiter en nous, au cœur de notre intimité, au creux de notre existence (cf.1 Co 6, 19).
Tel un guide, un conseiller, un avocat[8], il vient agir au milieu de nous… en nous… pour nous éclairer, nous enseigner, nous consoler, nous permettre de témoigner de l’amour de Dieu autour de nous.

En nous confiant la force de son souffle créateur et régénérateur – ce même souffle qui animait le Christ, le porteur de l’Esprit – Dieu nous donne ainsi les moyens d’accomplir notre mission de disciples… de devenir les envoyés, les représentants du Christ dans le monde… en remettant les péchés d’autrui, en pardonnant, en faisant œuvre de guérison et de libération… au nom du Christ.[9]

La finalité du don de l’Esprit (Jn 20, 21-23) est donc clair : il nous permet de nous mettre en marche, d’accomplir notre mission à la suite du Christ, afin de donner la vie en plénitude, en proclamant le salut de Dieu, son amour qui accueille et qui pardonne, gratuitement, sans condition, indépendamment des œuvres de la loi.

L’Esprit saint ne nous dispense donc pas de mettre la Loi en pratique. Bien au contraire, il nous en donne la possibilité… pour la pratiquer en faveur du prochain… dans le sens de la justice voulue par Dieu (cf. Mt 6, 33 ; Es 58).
En nous dé-préoccupant de nous-mêmes, en nous libérant du poids de notre propre justification, il nous permet d’accomplir la loi du Christ[10], dans la liberté des enfants de Dieu… en témoignant de l’amour de Dieu pour tout homme… en propageant l’Esprit de liberté : le souffle de Dieu qui relève et qui restaure chacun à sa véritable humanité devant Dieu.[11]

Chers amis, frères et sœurs… en ce jour de Pentecôte nous faisons mémoire de ce cadeau inouï que Dieu renouvelle en nous… en s’offrant à nous.
Nous fêtons les prémices de l’Esprit (Rm 8, 23) que nous avons reçus pour vivre en fils et filles de Dieu… pour accomplir notre vocation d’enfants de Dieu… notre mission d’envoyé au service de l’Evangile du Christ.

Alors… puissions-nous vivre dans la liberté de l’Esprit sans perdre de vue la Loi, et être soucieux de la Loi … à la manière du Christ… « selon l’Esprit » qui libère (cf. 2 Co 3,17). 

Amen.  


[1] « Les apparitions pascales sont "la manifestation de quelqu’un qui est au Ciel", et non de quelqu’un qui se trouverait mystérieusement caché quelque part sur la terre. Elles sont théophaniques : des événements qui viennent du Ciel visiter la terre. L’Ascension ne doit pas être comprise comme une montée au ciel de Jésus, qui n’arriverait, finalement, qu’après un séjour de quarante jours sur terre. L’Ascension, c’est, très exactement et tout simplement, la dernière apparition pascale »  (cf. J-P MICHAUD, in O. MAINVILLE, D. MARGUERAT, Résurrection, Labor et Fides, 2001, p.122, note 19).
[2] Cristallisée par exemple dans la circoncision (cf. Rm 2, 28-29) ou les règles de pureté alimentaire (interdisant la commensalité avec les païens).
[3] Elle régule la vie d’Israël et configure sa fidélité à l’Alliance (Ga 3, 12.21 ; Rm 7, 7.14-25).
[4] En ce sens, elle définit le péché et sert de norme au jugement de Dieu (1 Co 15, 56 ; Ga 3, 10 ; Rm 3, 20 ; 4, 15 ; 5, 13s ; 7, 13).
[5] Cf. Ac 9, 1-19 ; 22, 4-16 ; 26, 9-18.
[6] Voir déjà les propos de Jésus dans le sermon sur la Montagne : Cf. évangile de Matthieu, chap. 5 à 7, notamment Mt 5, 17-20.
[7] La formulation utilisée en Jn 20, 22a rappelle Gn 2, 7. Ainsi, « à la création évoquée en Gn 2 correspond la nouvelle création que le Christ accomplit par l’effusion de l’Esprit. De même que Dieu donne vie à ses créature en Gn 2, ainsi en est-il du Christ qui, par le don de l’Esprit, dispense la vie en Jn 20 » (J. Zumstein, L’Evangile selon Jean (13-21), Labor et Fides, p.286).
[8] C’est le sens du mot « paraclet » : celui qu’on appelle auprès de soi, le défenseur, l’avocat, celui qui intercède, qui console (Cf. Jn 14, 15-26 ; 15, 26-27 ; 16, 7-15).
[9] En d’autres termes… à Pentecôte, l’Eglise est envoyée pour représenter le Christ dans le monde et elle reçoit les moyens d’accomplir sa mission grâce au don de l’Esprit.
[10] « La Loi mal interprétée a conduit le Christ à la croix, mais le Christ dans l’amour qu’il manifesta librement à cette occasion a accompli celle-ci, à un point tel que Paul peut parler de la loi du Christ (Ga 6, 2) ». (Cf. J-P Lémonon, in : A. Dettwiler, J-D Kaestli et D. Marguerat, Paul, une théologie en construction, Labor et Fides, p.287)
[11] Pour Paul, « la Loi ne peut atteindre son but véritable, l’agape [l’amour], que dans la force de l’Esprit » (Cf. J-P Lémonon, op.cit., p.292).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire