dimanche 27 mai 2012

La loi et l'Esprit

La loi et l’Esprit

Lectures bibliques : Ga 5, 13-25 ; Rm 7, 4 – 8, 2.14-16 ; Jn 20, 19-23
(Annonce du pardon : Ep 2, 8-9)
Thématique : De « Shavou’ot » à Pentecôte… du don de la loi au don de l’Esprit

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Lectures bibliques

Annonce du pardon : Ep 2, 8-9

8C'est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n'y êtes pour rien, c'est le don de Dieu. 9Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n'en tire orgueil. 10Car c'est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d'avance afin que nous nous y engagions.

Lectures bibliques : Ga 5, 13-25 ; Rm 7, 4 – 8, 2.14-16 ; Jn 20, 19-23 

- Ga 5, 13-25 

13Vous, frères, c'est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair ! Mais, par l'amour, mettez-vous au service les uns des autres. 14Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même15Mais, si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres. 16Ecoutez-moi : marchez sous l'impulsion de l'Esprit et vous n'accomplirez plus ce que la chair désire. 17Car la chair, en ses désirs, s'oppose à l'Esprit, et l'Esprit à la chair ; entre eux, c'est l'antagonisme ; aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez. 18Mais si vous êtes conduits par l'Esprit, vous n'êtes plus soumis à la loi.

19On les connaît, les œuvres de la chair : libertinage, impureté, débauche, 20idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions, 21envie, beuveries, ripailles et autres choses semblables ; leurs auteurs, je vous en préviens, comme je l'ai déjà dit, n'hériteront pas du Royaume de Dieu.

22Mais voici le fruit de l'Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, 23douceur, maîtrise de soi ; contre de telles choses, il n'y a pas de loi. 24Ceux qui sont au Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs. 25Si nous vivons par l'Esprit, marchons aussi sous l'impulsion de l'Esprit.

- Rm 7,4 – 8,2. 14-16

4Vous de même, mes frères, vous avez été mis à mort à l'égard de la loi, par le corps du Christ, pour appartenir à un autre, le Ressuscité d'entre les morts, afin que nous portions des fruits pour Dieu. 5En effet, quand nous étions dans la chair, les passions pécheresses, se servant de la loi, agissaient en nos membres, afin que nous portions des fruits pour la mort. 6Mais maintenant, morts à ce qui nous tenait captifs, nous avons été affranchis de la loi, de sorte que nous servons sous le régime nouveau de l'Esprit et non plus sous le régime périmé de la lettre.

7Qu'est-ce à dire ? La loi serait-elle péché ? Certes non ! Mais je n'ai connu le péché que par la loi. Ainsi je n'aurais pas connu la convoitise si la loi n'avait dit : Tu ne convoiteras pas8Saisissant l'occasion, le péché a produit en moi toutes sortes de convoitises par le moyen du commandement. Car, sans loi, le péché est chose morte. 9Jadis, en l'absence de loi, je vivais. Mais le commandement est venu, le péché a pris vie, 10et moi je suis mort : le commandement qui doit mener à la vie s'est trouvé pour moi mener à la mort. 11Car le péché, saisissant l'occasion, m'a séduit par le moyen du commandement et, par lui, m'a donné la mort. 12Ainsi donc, la loi est sainte et le commandement saint, juste et bon.

13Alors, ce qui est bon est-il devenu cause de mort pour moi ? Certes non ! Mais c'est le péché : en se servant de ce qui est bon, il m'a donné la mort, afin qu'il fût manifesté comme péché et qu'il apparût dans toute sa virulence de péché, par le moyen du commandement. 14Nous savons, certes, que la loi est spirituelle ; mais moi, je suis charnel, vendu comme esclave au péché. 15Effectivement, je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais. 16Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, je suis d'accord avec la loi et reconnais qu'elle est bonne ; 17ce n'est donc pas moi qui agis ainsi, mais le péché qui habite en moi. 18Car je sais qu'en moi — je veux dire dans ma chair — le bien n'habite pas : vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l'accomplir, 19puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. 20Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, ce n'est pas moi qui agis, mais le péché qui habite en moi. 21Moi qui veux faire le bien, je constate donc cette loi : c'est le mal qui est à ma portée. 22Car je prends plaisir à la loi de Dieu, en tant qu'homme intérieur, 23mais, dans mes membres, je découvre une autre loi qui combat contre la loi que ratifie mon intelligence ; elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché qui est dans mes membres. 24Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ? 25Grâce soit rendue à Dieu par Jésus Christ, notre Seigneur ! Me voilà donc à la fois assujetti par l'intelligence à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché.

1Il n'y a donc, maintenant, plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus Christ. 2Car la loi de l'Esprit qui donne la vie en Jésus Christ m'a libéré de la loi du péché et de la mort. […]

14En effet, ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l'Esprit de Dieu : 15vous n'avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. 16Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.

- Jn 20, 19-23

19Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Juifs, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit : « La paix soit avec vous. » 20Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. 21Alors, à nouveau, Jésus leur dit : « La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie. » 22Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l'Esprit Saint ; 23ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 27/05/12

Ce qui est le plus connu dans la fête de Pentecôte… le plus intéressant pour la plupart de nos contemporains… c’est surtout le lundi… un jour férié qu’un gouvernement a un jour voulu supprimer pour rajouter une journée de travail.
Certains sont montés au créneau pour défendre nos acquis. D’autres ont prétendu qu’il s’agissait là d’un nouveau coup porté aux traditions chrétiennes.
Pourtant, initialement la Pentecôte n’est pas une fête chrétienne, c’est une fête juive : une fête de pèlerinage au cours de laquelle on célèbre le début de la saison de la moisson du blé.  

A l’origine, la Pentecôte est une fête juive dénommée « Shavou’ot » ou fête des semaines.
C’est une fête agraire – la fête des prémices – qui a lieu le jour qui suit sept semaines après « Pessa’h », la Pâque juive, c’est-à-dire cinquante jour après la fête des semences.
On y célèbre les premières récoltes sous forme d’offrande à Dieu des prémices de tout ce qui va être récolté et engrangé.

Dans la tradition rabbinique, cette fête va recevoir une signification plus importante :
La Pâque juive commémore la sortie d’Egypte et, cinquante jour plus tard, la fête de « Shavou’ot » célèbre de don de la Loi – de la Torah – au Mont Sinaï.
La Loi, inspirée de Dieu, est donnée par Moïse au peuple libéré de l’esclavage et du joug égyptien, afin qu’il puisse vivre libre et faire bon usage de sa liberté.
Les dix commandements sont offerts comme mode d’emploi d’une vie juste et heureuse (ajustée au désir de Dieu, fondée sur sa justice), comme points de repère pour ne plus s’égarer et retomber en esclavage.
Cette fête – associée au don de la Loi – prend d’autant plus d’importance dans le judaïsme après la destruction du second Temple de Jérusalem, par les Romains, en l’an 70.
Car alors les pèlerinages, les sacrifices et la cérémonie des prémices ne peuvent plus avoir lieu. Le judaïsme se recentre sur la loi, l’enseignement et la prière dans les assemblées : les synagogues.

Pour les chrétiens, la fête de Pentecôte prend une autre signification. Après la mort et la résurrection du Christ, elle célèbre le don de l’Esprit Saint : le souffle de Dieu.
D’après l’évangéliste Luc, dans les Actes des apôtres (Ac 2, 1-13), le « don de l’Esprit Saint aux apôtres » a eu lieu après l’ascension, c’est-à-dire après « la dernière apparition pascale », la dernière apparition du Ressuscité.[1] Cet événement – ce don de l’Esprit – a eu lieu le jour de la fête juive de « shavou’ot ».
D’après l’évangéliste Jean (cf. Jn 20, 22), Pâques et Pentecôte constituent un seul événement. L’Esprit est donné aux disciples par le Ressuscité – par le Christ lui-même – le soir de sa résurrection (cf. Jn 20, 19). 
Les évangélistes ne sont donc pas unanimes quant à la date de cet événement, mais ce n’est pas là l’essentiel. Il faut plutôt porter notre attention sur la signification de ce don… et l’envisager sur le registre missionnaire… car c’est grâce à l’Esprit saint que les disciples vont pouvoir accomplir leur mission d’envoyés, d’ambassadeurs, de représentants du Christ dans le monde.

En évoquant les multiples facettes de cette fête de Pentecôte, ce que nous pouvons remarquer, c’est tout ce que Dieu met en œuvre à destination de l’être humain. Dieu ne cesse de vouloir faire alliance avec son peuple. Il lui donne la Loi pour lui permettre de vivre libre et d’accomplir sa volonté. Il envoie son Fils, son représentant, son mandataire : Jésus Christ, pour renouveler son alliance. Enfin, le don de l’Esprit atteste encore de cette volonté d’alliance de Dieu avec ses enfants, qui – avec la force du souffle créateur et régénérateur de Dieu – sont envoyés dans le monde pour porter la Bonne Nouvelle du salut et annoncer les « merveilles de Dieu » (Ac 2, 11).

Alors, ce matin, à travers cette brève rétrospective, deux questions peuvent se poser à nous.
(1) La première vient de ce passage de l’épître de Paul aux Galates que nous avons entendu : « Mais si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la loi » (Ga 5, 18).
La fête de Pentecôte nous rappelle, d’une part, que Dieu nous donne la loi et, d’autre part, qu’il nous offre son Esprit. Mais, pourquoi ce double don ? Comment l’articuler ? Que faut-il comprendre derrière cette affirmation de l’apôtre Paul, qui pourrait nous laisser entendre que le don de l’Esprit vient remplacer la loi ou tout du moins la détrôner ?
(2) Et deuxièmement, que signifie pour nous ce don de l’Esprit, ce souffle de Dieu ? Quel est la finalité de ce don ? Que faire de ce cadeau de Dieu ?

(1) Penchons nous d’abord sur la question de la loi. 
« si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la loi » (Ga 5, 18).
Ici, Paul ne veut pas dire que la loi n’est plus à prendre en compte…
que nous pouvons faire n’importe quoi, vivre comme nous l’entendons sans nous occuper des commandements les plus élémentaires… parce que nous sommes désormais libres grâce au don de l’Esprit…
Mais il nous appelle d’abord à nous en remettre au Christ (cf. Ph 3, 8 ; Rm 10, 4) et à nous laisser guider par l’Esprit saint.

Le regard que porte Paul sur la loi est complexe. Ce qu’on peut dire, de façon succincte, c’est que Paul ne rejette pas la loi en elle-même – qui est « sainte » et « bonne » (Rm 7, 12s) – mais ce qu’il dénonce… c’est la loi interprétée de façon restrictive[2]… c’est ce que les hommes en ont fait et en font lorsqu’ils cherchent à se justifier devant Dieu par leurs œuvres, par leur volonté de performance … lorsqu’ils cherchent à être impeccables, à être « blancs comme neige »… à laver « plus blanc que blanc »… lorsqu’ils transforment la loi en vertu, en règle de pureté, en idole.

La loi doit être respectée et appliquée (cf. 1 Co 7, 19 ; Rm 2, 13), mais pas dans le but de se justifier devant Dieu.
Pour Paul, la loi ne peut pas conduire à la justice devant Dieu, parce que l’homme n’est pas justifié par ses œuvres. L’homme ne parvient jamais à accomplir pleinement tous les commandements de la loi. Ce n’est donc pas par ses actions qu’il peut être juste aux yeux de Dieu, mais c’est seulement en s’en remettant à Lui dans la foi… en se confiant à Lui… en reconnaissant ses limites, ses faiblesses, sa misère et sa pauvreté.

Dieu justifie l’homme par grâce, indépendamment de ses œuvres, de ses actes, de ses mérites (cf. Rm 3, 21-31 ; Ph 3, 9 ; Ga 2, 16 ; 3, 11 ; Ep 2, 8-9).
La justification est un acte de la grâce de Dieu (rendu manifeste en Jésus Christ ressuscité) et non le résultat d’un effort humain. Dieu nous offre la grâce de son amour, même si nous ne le méritons pas. Et nous lui répondons dans la foi, en acceptant sa grâce, son amour, son pardon.

Tout ce que nous pouvons faire ensuite, pour vivre en conformité avec la volonté de Dieu, avec sa Loi, n’est qu’une réponse… une conséquence de l’amour premier de Dieu.
Bien sûr… sachant que nous sommes sauvés par grâce… nous pourrions en profiter pour nous laisser aller et sombrer dans la paresse. Mais ce serait passer à côté de l’Evangile, de l’enseignement de Jésus et de Paul.
Comme l’écrit le réformateur Luther : « La grâce ne nous affranchit pas des œuvres mais de l’opinion qu’on en a ».
Ce n’est pas parce que nous ne jouons pas notre salut dans nos œuvres, que la Loi devient facultative, que nous sommes exemptés de répondre à l’amour de Dieu. Au contraire, Jésus nous invite à rechercher le Royaume et la justice de Dieu (Mt 6, 33).
C’est précisément parce que le croyant est libéré dans la foi qu’il peut s’attacher au respect de la Loi, dans un esprit de service et de gratuité, sans se soucier de son propre salut.

Alors, si la loi ne permet pas de nous justifier, de nous rendre juste… quel est son rôle, sa fonction ?
D’abord (comme cela vient d’être dit) la loi nous enseigne la volonté de Dieu.
Ensuite, elle nous permet de vivre libre avec nos frères et sœurs, car la loi nous a été donnée pour faire bon usage de notre liberté. En ce sens, elle joue un rôle protecteur et régulateur.[3]
Enfin, la loi a également une fonction pédagogique : elle sert à mesurer le péché.
Elle nous révèle, en réalité, la profondeur de notre péché (Rm 3, 20), de notre injustice, le fait que nous ne parvenons pas à vivre pleinement et authentiquement ce que Dieu attend de nous.[4]
La loi nous conduit à nous reconnaître pécheur. Elle nous conduit à nous en remettre à Dieu, à sa seule grâce, sans vouloir nous justifier (par nous-mêmes, par nos actes).

La réflexion que Paul entretient au sujet de la loi nous rappelle cette chose terrible : le péché habite en nous (Rm 7, 20).
La loi révèle ce péché d’une double manière :
D’une part, parce que l’homme ne parvient jamais à accomplir la loi purement et simplement.
D’autre part, parce que, même s’il s’y atèle, son orgueil le conduit immanquablement au péché (cf. Rm 7, 13-25).

Paul met en avant la relation ambiguë de l’homme avec la loi. Il y discerne une sorte de paradoxe.
Le paradoxe de la loi c’est que, lorsque l’homme veut se justifier par elle, par les œuvres de la loi, il en vient – malgré lui, malgré ses bonnes intentions – à commettre l’injustice.
C’est fort de son expérience personnelle – celle d’un Juif pharisien très engagé – et de sa rencontre bouleversante avec le Christ ressuscité sur le chemin de Damas[5] que l’apôtre Paul dit que nous ne sommes « plus soumis à la loi » (Ga 5, 18).
En disant cela, ce que Paul dénonce et ce qu’il entend dépasser, en référence au Christ[6], c’est un certain rapport à la loi, une certaine interprétation de la loi, telle que pouvaient l’enseigner les pharisiens.
Car c’est précisément en raison de cet enseignement, de cette approche de la loi – de la nécessité d’être juste devant Dieu en observant scrupuleusement tous les commandements – que Paul – ou plutôt Saul, le jeune pharisien zélé et irréprochable – en était venu à persécuter l’Eglise du Christ… à poursuivre les premiers chrétiens… au nom de son attachement fidèle à la loi (cf. Ga 1, 13s ; Ph 3, 4s).

Alors, après sa conversion… lorsque Paul devient un disciple, un apôtre du Christ… lorsqu’il a pris conscience que la justice n’est pas acquise par nos actes, qu’elle ne vient pas de la loi, mais qu’elle est extérieure à nous-mêmes, qu’elle vient de Dieu, de sa puissance de résurrection (cf. Ph 3, 7-11)… la question qui se pose à lui est la suivante :
Si le salut de Dieu offert par grâce a été manifesté en Jésus Christ crucifié et ressuscité, quel doit être désormais notre rapport à la loi ?

A l’époque de Paul chaque courant religieux a sa propre interprétation de la loi et revendique pour lui l’authentique définition de la fidélité à l’élection d’Israël. En raison de divergences, le groupe des pharisiens entend sanctionner les déviances des chrétiens dans l’observance de la Torah.
Mais la défense d’une stricte orthodoxie n’a-t-elle pas pour corollaire une forme d’intolérance ?
Précisément, que penser de la loi lorsque son interprétation par un groupe religieux aboutit finalement à persécuter des êtres humains, des semblables, des frères – en l’occurrence les disciples de Jésus – au nom même de cette loi ?
Que penser de loi, a priori juste et bonne, mais dont l’homme use et abuse à des fins religieuses, identitaires ou nationalistes ?
Que penser de la loi… si l’usage que l’homme en fait la détourne de son rôle de moyen au service de l’humanité et de la relation à Dieu, pour la transformer en finalité, en idole ?
Tout cela… c’est précisément ce qui est arrivé à Paul… à Saul le pharisien qui persécutait les chrétiens.

A bien y regarder, c’est également le même mécanisme… la même logique idolâtre de la loi… la même intolérance… qui a prévalu dans l’environnement de Jésus… et dont celui-ci a été la victime.
C’est bien en raison de leurs convictions religieuses… d’un usage abusif des prescriptions de la loi… que des hommes – des religieux soumis à la loi – ont voulu obtenir la condamnation de Jésus.
En effet, Jésus n’a-t-il pas été traité comme un « hors la loi », n’a-t-il pas été critiqué parce qu’il défendait un autre rapport à la loi… parce qu’il ne respectait pas les interdits prescrits… parce qu’il opérait des guérisons le jour du sabbat… parce qu’il partageait ses repas avec des marginaux, des collecteurs d’impôts… parce qu’il se rendait soi-disant « impur » en fréquentant des prostituées et des personnes atteintes de maladies ou d’infirmités ?… et cela pour apporter guérison et salut, pour répondre à la volonté de Dieu, pour accomplir sa justice, plutôt que de pratiquer la loi à la manière des hommes.
N’est-ce pas pour des raisons religieuses que Jésus a été taxé de blasphémateur parce qu’il appelait Dieu « son Père » et que beaucoup le considérait comme « le messie », l’envoyé de Dieu, son « fils » ?
N’est-ce pas encore pour des raisons religieuses que Jésus a été condamné pour avoir chassé les marchands du temple... pour avoir perturbé le commerce des animaux destinés à servir d’offrandes, en vue des sacrifices au temple… pour avoir contesté les pratiques sacrificielles organisées par les prêtres et accusé les sacrificateurs de mépriser la véritable vocation du temple : être un lieu de prière pour tous… y compris pour les non-juifs, les étrangers, les exclus ?
En annonçant le pardon des péchés indépendamment du temple… en proclamant la possibilité d’une relation simple et directe avec Dieu sans passer par la médiation du temple… Jésus détruisait ainsi des barrières… il remettait en cause la nécessité des offrandes sacrificielles prescrites par la loi… il dénonçait (comme les prophètes avant lui) des pratiques religieuses qui ne conduisent pas à la justice.
En renversant les comptoirs des marchands, Jésus renversait la religion… il s’attaquait au fonctionnement du temple… il menaçait les conceptions et le pouvoir des religieux de son époque.
Et c’est vraisemblablement ce qui a conduit à son élimination.

En nous penchant sur ce processus qui a aboutit à la condamnation et à la crucifixion de Jésus, nous pouvons déceler une sorte de paradoxe :
Parce que Jésus a été le promoteur d’un nouveau rapport à Dieu, d’une manière différente de comprendre la loi et le temple, des religieux de son époque en sont venus à le condamner. Ils ont crucifié l’envoyé de Dieu… au nom même de la loi.
Cela montre à quel point l’homme (même quand ses intentions sont bonnes) a la capacité de s’accaparer et de détourner les dons de Dieu (y compris la loi) pour satisfaire son orgueil spirituel et sa quête de pouvoir. Et, à la suite de l’apôtre Paul, cela ne peut que nous interroger quant au rôle de la loi… à sa faculté de révéler le péché qui agit en l’homme.

Il en ressort une certitude : c’est que la loi renvoie l’homme à ses propres contradictions.
En réalité, lorsque la loi conduit l’homme – dans son orgueil et sa vanité religieuse – à un idéal de pureté et de perfection… lorsqu’elle l’amène à rejeter le péché en se justifiant par ses œuvres… dans un même élan, elle le conduit immanquablement à commettre le péché, en jugeant, en discriminant, en condamnant celui qui ne respecterait pas la même manière de penser, de vivre et d’accomplir la loi.
Le paradoxe de la loi, c’est qu’elle révèle l’orgueil, le péché de l’homme, qui, dans sa quête de performance religieuse, d’impeccabilité, de vertu, utilise la loi à ses propres fins (en vue de développer l’influence et le pouvoir de son groupe), même s’il faut pour cela condamner, rejeter, exclure, persécuter.

Cette pratique de la loi est évidemment opposée à celle de Jésus, qui n’a cessé – pour sa part – de se faire serviteur… de pratiquer la loi d’amour… de remettre debout, de relever les pauvres, les faibles, les exclus, pour les rendre à leur dignité d’homme et de femme devant Dieu.
Mais elle est le propre de l’homme religieux, qui au nom de sa foi ou au nom de la loi, en vient à exclure l’autre, à le condamner pour son comportement, son erreur, son hérésie, à l’excommunier, à le persécuter, à le crucifier ou le brûler, pour défendre une prétendue orthodoxie, une soi-disant pureté religieuse.
L’histoire de la chrétienté, comme celle des religions du monde, est malheureusement parsemée d’abus pratiqués au nom de Dieu, et qui sont en réalité totalement anti-évangéliques.

Paul met donc à jour un paradoxe dans la relation du croyant avec la loi :
Alors que la loi est censée permettre à l’homme de vivre libre, elle risque, en réalité, de devenir pour lui « une pierre d’achoppement » (Rm 9, 31-33), le lieu d’un enfermement… un nouvel esclavage, un moyen au service du péché… tout simplement parce qu’elle peut facilement devenir un instrument de pouvoir, de prétention religieuse, pour se justifier (par soi-même) devant Dieu et se glorifier devant les hommes.
On aboutit alors à la prière bien connue du pharisien : « O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes (…) » (Lc 18, 11)… et, pour un peu, on impose aux autres de devenir comme soi ou on les réduit au silence.

Fort de son expérience personnelle, Paul opère donc un recadrage interprétatif de la Loi. Sa nouvelle évaluation de la Torah s’opère à partir de sa rencontre avec le Christ, dont la « connaissance » est pour lui « le bien suprême » (Ph 3, 8).
C’est en Christ et en Celui qui l’a ressuscité que le croyant est appelé à mettre sa confiance, et non dans la loi, qui n’a pas le pouvoir de nous justifier.

Le résultat de cette analyse, c’est que le croyant est finalement amené à entretenir un double rapport à la loi :
D’une part, il sait que la loi conserve toute sa pertinence en tant que code moral. C’est précisément à ce titre que Paul la confirme.
D’autre part, le croyant sait que les œuvres de la loi ne peuvent pas lui permettre de se justifier devant Dieu. C’est en ce sens que Paul la révoque. La loi ne peut pas nous permettre d’acquérir le salut. Lorsqu’elle prétend faire vivre, elle échoue devant le pouvoir du péché.

(2) Alors face à cette situation… quel est le rôle de l’Esprit saint ?

L’Esprit saint, c’est ce qui nous permet de vivre les choses autrement … dans la foi en la seule grâce de Dieu… à la suite du Christ (Rm 8, 2).
Si la loi nous révèle que le péché habite en nous (Rm 7, 20), que nous ne pouvons pas nous en sortir par nous-mêmes, le vaincre par nos propres forces, l’Esprit saint nous donne l’assurance que Dieu nous offre gratuitement son salut… et que son souffle peut également habiter en nous (Rm 8, 9), pour nous guider, nous transformer, nous sanctifier.

L’Esprit saint, c’est un don de Dieu… c’est le souffle que Dieu nous donne pour accomplir la loi d’amour, dans le même Esprit que le Christ… pour nous éclairer, pour nous conduire et nous permettre d’accomplir la Loi… en ne la pratiquant pas dans la préoccupation de notre propre justification (qui ne dépend que de la grâce de Dieu), mais en ayant seulement le souci de l’autre, de l’amour du prochain.

Comme le dit l’apôtre Paul, la loi trouve son accomplissement dans cette unique parole « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 14). Et l’Esprit saint, c’est ce souffle d’amour et de liberté qui nous permet de mettre en pratique cette loi, de vivre notre vocation d’enfants de Dieu (Ga 4, 6-7 ; Rm 8, 15-16), de « porter les fardeaux les uns des autres » pour « accomplir la loi Christ » (Ga 6, 2).

Paul explique cela avec une très belle formule : « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5).
La finalité de l’Esprit est là : répandre l’amour qui nous libère de nos enfermements, de nos calculs, de la quête égocentrique de notre justification.
L’Esprit nous permet d’accomplir la loi, dans la gratuité, à l’image du Christ, en mettant en pratique le commandement d’amour du prochain (cf. Ga 5, 14 ; 6, 2 ; Rm 13, 9-10 ; 15, 2).

De son côté, l’évangéliste Jean souligne également l’importance de l’Esprit saint et il confirme la visée de ce don de Dieu.
Dans le passage de l’évangile que nous avons entendu, on voit que le Christ Ressuscité souffle sur les disciples, comme pour leur transmettre cet Esprit, comme pour les revêtir d’une autorité spirituelle.
Ce souffle de vie, qui les fait naître à une vie nouvelle[7], signifie que c’est désormais le souffle de Dieu qui anime le cœur des disciples.
En nous donnant son Esprit, Dieu vient habiter en nous, au cœur de notre intimité, au creux de notre existence (cf.1 Co 6, 19).
Tel un guide, un conseiller, un avocat[8], il vient agir au milieu de nous… en nous… pour nous éclairer, nous enseigner, nous consoler, nous permettre de témoigner de l’amour de Dieu autour de nous.

En nous confiant la force de son souffle créateur et régénérateur – ce même souffle qui animait le Christ, le porteur de l’Esprit – Dieu nous donne ainsi les moyens d’accomplir notre mission de disciples… de devenir les envoyés, les représentants du Christ dans le monde… en remettant les péchés d’autrui, en pardonnant, en faisant œuvre de guérison et de libération… au nom du Christ.[9]

La finalité du don de l’Esprit (Jn 20, 21-23) est donc clair : il nous permet de nous mettre en marche, d’accomplir notre mission à la suite du Christ, afin de donner la vie en plénitude, en proclamant le salut de Dieu, son amour qui accueille et qui pardonne, gratuitement, sans condition, indépendamment des œuvres de la loi.

L’Esprit saint ne nous dispense donc pas de mettre la Loi en pratique. Bien au contraire, il nous en donne la possibilité… pour la pratiquer en faveur du prochain… dans le sens de la justice voulue par Dieu (cf. Mt 6, 33 ; Es 58).
En nous dé-préoccupant de nous-mêmes, en nous libérant du poids de notre propre justification, il nous permet d’accomplir la loi du Christ[10], dans la liberté des enfants de Dieu… en témoignant de l’amour de Dieu pour tout homme… en propageant l’Esprit de liberté : le souffle de Dieu qui relève et qui restaure chacun à sa véritable humanité devant Dieu.[11]

Chers amis, frères et sœurs… en ce jour de Pentecôte nous faisons mémoire de ce cadeau inouï que Dieu renouvelle en nous… en s’offrant à nous.
Nous fêtons les prémices de l’Esprit (Rm 8, 23) que nous avons reçus pour vivre en fils et filles de Dieu… pour accomplir notre vocation d’enfants de Dieu… notre mission d’envoyé au service de l’Evangile du Christ.

Alors… puissions-nous vivre dans la liberté de l’Esprit sans perdre de vue la Loi, et être soucieux de la Loi … à la manière du Christ… « selon l’Esprit » qui libère (cf. 2 Co 3,17). 

Amen.  


[1] « Les apparitions pascales sont "la manifestation de quelqu’un qui est au Ciel", et non de quelqu’un qui se trouverait mystérieusement caché quelque part sur la terre. Elles sont théophaniques : des événements qui viennent du Ciel visiter la terre. L’Ascension ne doit pas être comprise comme une montée au ciel de Jésus, qui n’arriverait, finalement, qu’après un séjour de quarante jours sur terre. L’Ascension, c’est, très exactement et tout simplement, la dernière apparition pascale »  (cf. J-P MICHAUD, in O. MAINVILLE, D. MARGUERAT, Résurrection, Labor et Fides, 2001, p.122, note 19).
[2] Cristallisée par exemple dans la circoncision (cf. Rm 2, 28-29) ou les règles de pureté alimentaire (interdisant la commensalité avec les païens).
[3] Elle régule la vie d’Israël et configure sa fidélité à l’Alliance (Ga 3, 12.21 ; Rm 7, 7.14-25).
[4] En ce sens, elle définit le péché et sert de norme au jugement de Dieu (1 Co 15, 56 ; Ga 3, 10 ; Rm 3, 20 ; 4, 15 ; 5, 13s ; 7, 13).
[5] Cf. Ac 9, 1-19 ; 22, 4-16 ; 26, 9-18.
[6] Voir déjà les propos de Jésus dans le sermon sur la Montagne : Cf. évangile de Matthieu, chap. 5 à 7, notamment Mt 5, 17-20.
[7] La formulation utilisée en Jn 20, 22a rappelle Gn 2, 7. Ainsi, « à la création évoquée en Gn 2 correspond la nouvelle création que le Christ accomplit par l’effusion de l’Esprit. De même que Dieu donne vie à ses créature en Gn 2, ainsi en est-il du Christ qui, par le don de l’Esprit, dispense la vie en Jn 20 » (J. Zumstein, L’Evangile selon Jean (13-21), Labor et Fides, p.286).
[8] C’est le sens du mot « paraclet » : celui qu’on appelle auprès de soi, le défenseur, l’avocat, celui qui intercède, qui console (Cf. Jn 14, 15-26 ; 15, 26-27 ; 16, 7-15).
[9] En d’autres termes… à Pentecôte, l’Eglise est envoyée pour représenter le Christ dans le monde et elle reçoit les moyens d’accomplir sa mission grâce au don de l’Esprit.
[10] « La Loi mal interprétée a conduit le Christ à la croix, mais le Christ dans l’amour qu’il manifesta librement à cette occasion a accompli celle-ci, à un point tel que Paul peut parler de la loi du Christ (Ga 6, 2) ». (Cf. J-P Lémonon, in : A. Dettwiler, J-D Kaestli et D. Marguerat, Paul, une théologie en construction, Labor et Fides, p.287)
[11] Pour Paul, « la Loi ne peut atteindre son but véritable, l’agape [l’amour], que dans la force de l’Esprit » (Cf. J-P Lémonon, op.cit., p.292).

dimanche 20 mai 2012

Mt 5, 38-48

Mt 5, 38-48
Lectures bibliques : 1 Co 13, 1-8a ; Mt 5, 38-48 ; Mt 7, 12
Volonté de Dieu : Rm 13, 8-10
Série de prédications sur Mt 5 à 7 (le sermon sur la montagne) : n°7 – Mt 5, 38-48
Thématique : passer de la logique de la symétrie et de la réciprocité, à l’esprit du don et de la gratuité.

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures bibliques

- 1 Co 13, 1-8a

Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des anges,
s'il me manque l'amour,
je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante.

2Quand j'aurais le don de prophétie,
la science de tous les mystères et de toute la connaissance,
quand j'aurais la foi la plus totale,
celle qui transporte les montagnes, s'il me manque l'amour,
je ne suis rien.

3Quand je distribuerais tous mes biens aux affamés,
quand je livrerais mon corps aux flammes,
s'il me manque l'amour,
je n'y gagne rien.

4L'amour prend patience, l'amour rend service,
il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s'enfle pas d'orgueil,

5il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt,
il ne s'irrite pas, il n'entretient pas de rancune,

6il ne se réjouit pas de l'injustice,
mais il trouve sa joie dans la vérité.

7Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.

8L'amour ne disparaît jamais. […]

- Mt 5, 38-48

Vous avez appris qu'il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent.
39Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant.
Au contraire, si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre.
40A qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau.
41Si quelqu'un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
42A qui te demande, donne ; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos.

4Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
44Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent,
45afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes.
46Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir ? Les collecteurs d'impôts eux-mêmes n'en font-ils pas autant ?
47Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens n'en font-ils pas autant ?
48Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

- Mt 7, 12

Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c'est la Loi et les Prophètes.


- Rm 13, 8-10  (volonté de Dieu)

N'ayez aucune dette envers qui que ce soit, sinon celle de vous aimer les uns les autres ; car celui qui aime son prochain a pleinement accompli la loi.
9En effet, les commandements : Tu ne commettras pas d'adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas, ainsi que tous les autres, se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
10L'amour ne fait aucun tort au prochain ; l'amour est donc le plein accomplissement de la loi.


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, le 20/05/12.

Le passage de l’Evangile que nous méditons aujourd’hui vient nous interroger sur notre mode de relations aux autres.

Dans notre vie quotidienne, ne nous arrive-t-il pas parfois d’être déçus des autres… d’être déçus de leur réaction ou de leur absence de réaction ?
Nous attendions tant de tel ou tel ami, de telle ou telle connaissance… puis un événement survient dans notre vie ou dans celle de l’autre (une épreuve, un échec, une maladie)… et nous constatons que cette personne n’a pas su manifester ce que nous espérions, qu’elle n’a pas vraiment répondu à notre attente : aucun geste d’affection, d’amitié, d’amour ou de compassion ne s’est produit, alors que nous escomptions un soutien, un mot, une marque d’affection.

Ce genre de déception … dont nous avons peut-être fait l’expérience… peut nous interroger sur ce que nous attendons des autres, sur ce que nous espérons lorsque se construit une relation avec une personne qui progressivement peut devenir un proche, un ami ou une amie.

Nous avons tous besoin de relations pour avancer, pour nous construire, pour grandir.
Nous avons tous besoin de reconnaissance, d’amour et d’amitié.

Mais, s’il nous arrive d’être déçus dans nos relations avec les autres, n’est-ce pas parce que nous attendons de recevoir un jour – sous une forme ou sous une autre – ce que nous avons nous-mêmes donné ?…. n’est-ce pas parce que nous nous sommes investis dans une relation, et que nous espérons de l’autre le même engagement : une relation symétrique, un échange, un partage, de la réciprocité ?

Alors forcément… lorsque ce retour n’est pas au rendez-vous… nous éprouvons une certaine déception et même une certaine amertume. 

Ce constat peut légitimement nous interroger sur notre entourage, sur notre rapport aux autres… mais il doit également venir questionner la nature de nos attentes : ce qui motive parfois, plus ou moins consciemment, notre rapport à l’autre.

En réalité, peut-on construire une relation à autrui dans l’optique de la réciprocité ?
Peut-on construire une relation à autrui dans l’espoir de recevoir, un jour ou l’autre, le fruit de son investissement affectif, de son engagement envers l’autre ?

N’y a-t-il pas là, dans cette manière de voir les choses, dans ce type d’attente, une forme de calcul, d’intérêt, voire d’égoïsme ?
Ne doit-on pas envisager le rapport à l’autre de manière fondamentalement différente, en sortant justement de cette logique de la symétrie et de l’échange, qui caractérise, en réalité, une relation de type commercial, où nous attendons, dans une sorte de retour sur investissement, de récolter les fruits de notre don d’affection, d’amitié ?

Pour être honnête et lucide… n’y a-t-il pas, parfois, dans notre rapport à autrui, une attente de ce type… qui s’intéresse, en partie, à notre intérêt personnel, à ce que l’autre peut éventuellement nous procurer en termes de soutien ou de reconnaissance ?

Dans le passage de l’Evangile que nous avons entendu, Jésus nous invite à envisager toutes nos relations – avec nos proches, nos amis… comme avec ceux qui ne nous aiment pas ou qui nous sont hostiles : nos ennemis – sur un autre mode : celui don et de la gratuité, sans calcul, sans réciprocité, sans penser à notre intérêt, mais d’abord à celui de l’autre, à ce qui peut initier et provoquer un changement d’attitude et de relation à l’autre.

Jésus nous propose un retournement, une conversion complète de notre rapport à autrui : un changement de système, fondé sur l’amour de Dieu, sur la perfection miséricordieuse de Dieu (Mt 5, 48), qui est bon avec chacun – croyants ou incroyants, reconnaissants ou ingrats – puisqu’il distribue généreusement, gratuitement et inconditionnellement « son soleil sur les méchants et sur les bons et… sa pluie sur les justes et les injustes » (cf. Mt 5, 45).

Le pari sous-jacent à cette nouvelle manière de voir les choses, dans la perspective du Royaume de Dieu : du monde nouveau de Dieu, c’est que mon attitude, dans la mesure où elle relève du don, d’un acte gratuit et désintéressé, peut conduire l’autre à changement de regard, à un dépassement de son enfermement ou de son égoïsme, et même à un retournement de son hostilité.
Le pari de Jésus, c’est que l’amour peut changer les relations, transformer les individus et les groupes.

Alors, voyons plus en détail, à travers ce passage de l’Evangile, ce qu’il en est exactement[1] (cf. Mt 5, 38-42) :

« Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent ».
Selon l’antique loi du talion, les problèmes entre personnes doivent être réglés avec exactitude selon le système de l’échange, de la symétrie, en fonction d’une règle de proportionnalité (cf. Ex 21, 24 : « œil pour œil […] main pour main, pied pour pied, etc. »).

« Mais moi je vous dis : ne résistez pas au méchant.
A celui qui te gifle sur la joue droite, tends l’autre joue ;
à celui qui veut te faire un procès et te prendre ta tunique, donne-lui aussi ton manteau.
Avec celui qui te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui ».
Selon Jésus, une meilleure justice est possible dans les relations humaines, à condition de dépasser le système de la réciprocité.
La meilleure justice réside dans l’adoption par les disciples – c’est-à-dire, par nous, aujourd’hui – de la non-violence comme forme de comportement asymétrique, offensif et créatif.
La meilleure justice se manifeste dans l’excès du don. Car seul le don peut provoquer le changement de l’autre et le faire sortir, à son tour, de la logique de la réciprocité, qui conduit à rendre coup pour coup, à répondre au mal par le mal, à justifier la violence et le chacun pour soi.

Jésus conclut par un conseil pratique :
« Donne à celui qui te demande et ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter ».
Le sujet est invité à donner et à prêter sans calculer.

Pour Jésus, la relation à l’autre – qu’il soit mon ami ou mon ennemi – ne conduit à aucun changement, si elle se déploie dans le système de l’échange et se limite à la réciprocité (qui appartient à la même logique que la rétribution, le mérite, le donnant-donnant).
Seul le système du don et de la gratuité permet d’initier le changement, dans la mesure où il invite l’autre à sortir d’une logique restrictive, centrée sur soi, pour prendre part à une nouvelle dimension de l’existence, plus large et plus ouverte, où l’autre n’est plus considéré par rapport à moi, comme un concurrent ou un partenaire, en fonction de mon propre intérêt, mais où il devient un frère, fils du même Père, qui est bon pour chacun, sans distinction.

Précisément, la seconde partie de notre passage nous livre la raison, la justification, le fondement théologique de ce nouveau système que Jésus nous invite à adopter (cf. Mt 5, 43-48).

« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. […]
[Mais] si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ?
Les collecteurs d’impôts ne font-ils pas de même ?
Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous de plus ?
Les païens ne font-ils pas de même ? »
Jésus rappelle, ici encore, l’interprétation habituelle de la loi, ce qui règle traditionnellement les comportements, les relations entre individus.
Notre rapport à autrui – notre manière de réagir – est généralement (et naturellement) fondé sur le système de la symétrie : rendre la pareille à ceux qui nous aiment ; rendre l’inimitié à ceux qui nous sont hostiles. C’est également cette logique qui caractérise le comportement des païens et des collecteurs d’impôts. Il s’agit de la mentalité ancestrale et quasi universelle qui préside depuis toujours (et pratiquement partout) la conduite des humains les uns envers les autres.

Mais Jésus appelle ses disciples à dépasser cette manière courante de voir les choses et de réagir. Il nous invite à agir autrement, à faire quelque chose « de plus » (v.47).
C’est cette chose supplémentaire – « extra-ordinaire » – qui change tout.
« Mais moi je vous dis :
Aimez ceux qui vous traitent en ennemis et priez en faveur de ceux qui vous persécutent ».
Pour Jésus, la meilleure justice réside dans la miséricorde inconditionnelle qu’il convient d’exercer, en aimant l’autre comme une personne, indépendamment de ses qualités, indépendamment même de notre sentiment ou de notre intérêt à son égard.
L’amour ne compte pas, « il ne cherche pas son intérêt » – nous a aussi rappelé l’apôtre Paul (cf. 1 Co 13, 5) – mais celui de l’autre.
Car c’est ainsi que Dieu aime, sans calcul, sans compter, gratuitement et généreusement.

« Aimez ceux qui vous traitent en ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent.
Afin de devenir les fils de votre Père céleste, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber sa pluie sur les justes et les injustes. […]
Vous, donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait »[2].
Ce qui fonde cette attitude d’amour inconditionnel, c’est Dieu lui-même, c’est l’amour sans limites de Dieu, qui s’adresse à chacun de ses enfants, sans distinction.
Les disciples du Christ sont donc invités à devenir parfaitement miséricordieux comme leur Père est parfaitement miséricordieux (cf. aussi Lc 6, 36). Ils sont appelés à devenir les Fils – les mandataires, les représentants, les ambassadeurs – de leur Père céleste, en adoptant la même attitude que lui, en modelant leur conduite sur la Providence de Dieu, qui s’inscrit dans la bonté, la magnanimité et la miséricorde à l’égard de tous.

Pour suivre le Christ, il faut sans cesse nous souvenir de cet enracinement théologique, de cette possibilité… de cette nécessité… de prendre appui sur Dieu.
Ce n’est pas par nous-mêmes, par nos propres forces, que nous pouvons adopter ce nouveau modèle, ce nouveau comportement, mais c’est en nous appuyant sur Dieu, sur notre relation à Dieu. Car ce nouveau paradigme est uniquement fondé sur la providence de Dieu, sa bonté et sa miséricorde à l’égard de chacun de ses enfants. Il découle de la confiance et de la certitude que Dieu reconnaît et aime chaque personne, inconditionnellement et indépendamment de ses qualités ou de ses mérites.
C’est parce que Dieu agit ainsi, et que nous sommes ses enfants, que nous sommes conduits à faire de même avec nos frères et sœurs. C’est là – pour Jésus – la seule manière de vivre des relations justes, de mettre en pratique la « justice de Dieu » fondée sur la surabondance de l’amour, sur l’esprit du don et de la gratuité.

Ce n’est donc pas un petit changement que Jésus nous invite à faire. Mais c’est un retournement, un changement de centre, une véritable révolution copernicienne qu’il nous invite à opérer. En d’autres termes, c’est une conversion, une nouvelle naissance. Car s’enraciner en Dieu, vivre à son image, vivre de son amour gratuit et inconditionnel, c’est agir en rupture avec le monde, c’est sortir de nos logiques calculatrices, c’est précisément aller à contre-courant des comportements les plus répandus dans notre société, fondée sur le commerce, l’échange, le « donnant-donnant ».

On voit aujourd’hui que ce système basé sur l’échange est a bout de souffle.
Un sociologue canadien Jacques T. Godbout[3] a montré que la réduction des rapports sociaux au système de l’échange – tel que l’idée « libérale » ou plus exactement « néo-libérale » du marché libre le définit – a des effets négatifs quand à la responsabilité des individus les uns envers les autres.
En réalité, la réduction des rapports sociaux au système de l’échange libère l’individu du poids de ses obligations personnelles, de sa responsabilité éthique et de ses loyautés.
Cette libération (qui se concentre sur l’échange, sur l’objet échangé, et non sur les personnes) débouche sur un hyper individualisme. Il présuppose un style de vie qui chosifie, qui réifie la personne de l’autre et qui la fonctionnalise au service de ses propres intérêts.
Dans les faits, lorsque l’échange (ou l’objet échangé) prime sur la personne de l’Autre, notre préoccupation prend une tournure de plus en plus utilitariste. La seule question qui vaille devient alors la suivante : qu’est-ce que cela me rapporte ? Quel est mon intérêt personnel ? Qu’est-ce que cela me procure ? En quoi cela peut-il me servir ?

Au contraire, le dépassement du système de l’échange par celui du don conduit à un changement de perspective. Il produit un retournement… un recentrement de la relation sur l’Autre, sur la personne elle-même, plus que sur l’objet du don.
Il ne réduit pas l’Autre à une relation commerciale, mais le reconnaît comme sujet sur qui peut se porter mon regard, mon amitié ou mon amour… indépendamment de ce qu’il peut ou non me procurer.

Jésus nous invite donc à un changement de mentalité et d’attitude existentielle.
Pour pratiquer la justice (telle que Dieu la veut), pour exercer notre responsabilité fraternelle vis-à-vis de notre prochain, nous sommes conduits à renoncer à la logique de l’échange, au profit de la gratuité.

Alors… précisément… comment vivre ce changement que Jésus nous invite à opérer ?
Pour ce faire, Jésus nous invite à prendre l’initiative de l’amour, sans rien attendre en retour que le fait d’accomplir simplement notre vocation d’enfants de Dieu.
Jésus nous demande de faire les premiers pas, de prendre les devants, de façon unilatérale, afin d’initier le changement, de transmettre l’amour de Dieu autour de nous.

C’est ainsi qu’il faut lire la règle d’or que nous avons entendue :
« Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les Prophètes » (Mt 7, 12 ; voir aussi Lc 6, 31).
Autrement dit : « Comme Dieu agit envers vous, agissez vous de même envers les autres ».

« Agir comme Dieu » : rien de moins ! Pour nous, ce n’est ni naturel, ni évident. Il s’agit plutôt de se laisser saisir, d’accepter d’enter dans une dynamique, dans d’un processus de « devenir » (v.45), de prise de conscience, d’écoute, d’apprentissage, pour advenir à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26), pour peu à peu apprendre à vivre dans la gratuité.
Car l’enjeu est bien là : s’il s’agit de répandre l’amour autour de nous … s’il nous appartient d’être des ouvriers dans la vigne du Seigneur… il ne nous appartient pas, en revanche, de savoir ce que notre prochain fera de ce don, de cette marque d’amitié et de bonté.
Il y a là un risque, un pari. Celui qui prend l’initiative est placé devant la liberté de l’autre. Chacun est libre de donner ou de ne pas donner son amitié, de même que chacun est libre de répondre ou de ne pas répondre à l’amour de Dieu.
En ce sens, l’amour est comme la foi, il nous met face à un choix.
Dieu espère que nous répondront à son amour, dans la foi.
De même, nous espérons que notre prochain répondra à notre amitié.
Mais, rien ne peut le garantir. C’est en cela qu’il s’agit de grâce et de gratuité.
C’est en cela qu’il s’agit d’un don et non d’un échange « donnant-donnant ».
Et c’est parce qu’il existe cette heureuse incertitude que toute vraie relation est de l’ordre du don, d’une aventure ouverte à l’imprévisibilité, à la joie de la surprise, de la découverte et de l’inattendu.

Alors… en dépit de ce risque inhérent à l’amour… en dépit des difficultés à mettre en œuvre ce programme : aimer son prochain jusqu’à aimer ses ennemis … celui qui fait le choix de suivre le Christ reçoit une promesse (et quelle promesse !) :
« Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35).
« Qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile, la sauvera » (Mc 8, 35 ; voir aussi Mt 16, 25 ; Lc 9, 24).

Chers amis, frères et sœurs, enracinons notre existence dans l’amour de Dieu, qui est source de promesses et de dons.
C’est cet amour gratuit qui accomplit la justice et qui nous permet de nous approcher du Royaume des cieux, d’entrer dans une véritable relation de proximité avec Dieu et notre prochain.

Amen.


[1] Cf. M. Stiewe et F. Vouga, Le Sermon sur la Montagne, Labor et Fides, p.96-99.
[2] Mt 5, 48. Cf. Lv 11, 44.45 ; Lv 19, 2.

dimanche 13 mai 2012

Mt 8, 23-27

Mt 8, 23-27
Lectures bibliques : Mt 8, 18.23-27 (au début du culte avec mise en scène par les jeunes de l’Ecole Biblique)Mc 4, 35-41 ; Ps 27, 1-3.11-14 ; Ps 63, 2-9 ; Ps 107, 1-3.23-32.
Thématique : la foi  / Culte avec les jeunes de l’Ecole Biblique et du KT

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures bibliques

- Mt 8, 18. 23-27

18Voyant de grandes foules autour de lui, Jésus donna l'ordre de s'en aller sur l'autre rive. […]
23Il monta dans la barque et ses disciples le suivirent. 24Et voici qu'il y eut sur la mer une grande tempête, au point que la barque allait être recouverte par les vagues. Lui cependant dormait. 25Ils s'approchèrent et le réveillèrent en disant : « Seigneur, au secours ! Nous périssons. » 26Il leur dit : « Pourquoi avez-vous peur, hommes de peu de foi ? » Alors, debout, il menaça les vents et la mer, et il se fit un grand calme. 27Les hommes s'émerveillèrent, et ils disaient : « Quel est-il, celui-ci, pour que même les vents et la mer lui obéissent ! »

- Mt 4, 35-41

Ce jour-là, le soir venu, Jésus leur dit : « Passons sur l'autre rive. » 36Quittant la foule, ils emmènent Jésus dans la barque où il se trouvait, et il y avait d'autres barques avec lui. 37Survient un grand tourbillon de vent. Les vagues se jetaient sur la barque, au point que déjà la barque se remplissait. 38Et lui, à l'arrière, sur le coussin, dormait. Ils le réveillent et lui disent : « Maître, cela ne te fait rien que nous périssions ? » 39Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence ! Tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme. 40Jésus leur dit : « Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n'avez pas encore de foi ? » 41Ils furent saisis d'une grande crainte, et ils se disaient entre eux : « Qui donc est-il, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

- Ps 27, 1-3. 11-14

1Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut,
de qui aurais-je peur ?
Le SEIGNEUR est la forteresse de ma vie,
devant qui tremblerais-je ?
2Si des malfaiteurs m'attaquent
pour me déchirer,
ce sont eux, mes adversaires et mes ennemis,
qui trébuchent et tombent.
3Si une armée vient camper contre moi,
mon cœur ne craint rien.
Même si la bataille s'engage,
je garde confiance. […]
11Montre-moi, SEIGNEUR, ton chemin,
et conduis-moi sur une bonne route
malgré ceux qui me guettent.
12Ne me livre pas à l'appétit de mes adversaires,
car de faux témoins se sont levés contre moi,
en crachant la violence.
13Je suis sûr de voir les bienfaits du SEIGNEUR
au pays des vivants.
14Attends le SEIGNEUR ;
sois fort et prends courage ;
attends le SEIGNEUR.

- Ps 63, 2-9

2O Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche, j'ai soif de toi.
Tout mon être soupire après toi,
comme une terre aride, desséchée, sans eau.
3Dans le temple, je t'ai cherché du regard
pour voir ta puissance et ta présence glorieuse,
4car ta bonté / ta fidélité vaut mieux que la vie.
Je proclamerai ta louange,
5toute ma vie je te remercierai ;
en levant les mains vers toi je dirai qui tu es.
6Je serai comblé,
comme rassasié des meilleurs morceaux.
Je laisserai exploser ma joie, je t'acclamerai.
7Quand je suis couché, je me souviens de toi ;
je pense à toi pendant les heures de la nuit :
8tu es venu à mon secours.
A l'abri de tes ailes je crie ma joie.
9Je suis attaché à toi de tout mon être,
ta main droite est mon soutien. […]

- Ps 107, 1-3. 23-32

1Célébrez le SEIGNEUR car il est bon,
car sa fidélité est pour toujours.
2Qu'ils le redisent, ceux que le SEIGNEUR a défendus,
ceux qu'il a défendus contre la main de l'adversaire,
3qu'il a rassemblés de tous les pays,
du levant et du couchant,
du nord et de la mer. […]
23Ceux qui partent en mer sur des navires
et exercent leur métier sur les grandes eaux,
24ceux-là virent les œuvres du SEIGNEUR
et ses miracles en haute mer.
25A sa parole se leva un vent de tempête
qui soulevait des vagues.
26Ils montent aux cieux,
descendent aux abîmes,
sont malades à rendre l'âme ;
27ils roulent et tanguent comme l'ivrogne
et toute leur adresse est engloutie.
28Ils crièrent au SEIGNEUR dans leur détresse, et il les a tirés de leurs angoisses :
29il a réduit la tempête au silence, et les vagues se sont tues.
30Ils se sont réjouis de ce retour au calme et Dieu les a guidés au port désiré.
31Qu'ils célèbrent le SEIGNEUR pour sa fidélité et pour ses miracles en faveur des humains.
32Qu'ils l'exaltent dans l'assemblée du peuple et le louent à la séance des anciens.

Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 13/05/12

Voici un récit qui nous est familier… que la plupart d’entre nous connaissons sans doute depuis notre enfance.
La principale difficulté de ce passage – ce qui peut nous interroger, nous gêner – c’est tout bonnement le miracle apparent… le miracle qui saute aux yeux… et qui est un peu comme l’arbre qui cache la forêt… qui vient faire de l’ombre aux paroles de Jésus (Mt 8, 26).

Alors, ce matin, si nous voulons découvrir ce que les évangélistes cherchent à nous dire à travers ce récit, il nous faut dépasser… outrepasser… cet aspect miraculeux qui fait écran à ce que Jésus lui-même demande à ses disciples… à l’interrogation qu’il adresse à ceux qui veulent le suivre… et qui vient questionner notre foi.

Rappelons en quelques mots le contexte de notre passage :
Les disciples viennent de recevoir un enseignement : le sermon sur la montagne, au cours duquel Jésus les a appelé – avec autorité (Mt 7, 28s) – à enraciner leur existence dans la confiance en Dieu, à rechercher d’abord le Royaume et la justice de Dieu (Mt 6, 33).
Ils viennent aussi d’être témoins de nombreuses guérisons de malades (Mt 8, 16s). Tout ceci a dû les porter à la confiance envers leur maître.
Ils sont maintenant confrontés à une épreuve, une tempête.

Pour les Juifs de l’époque de Jésus, la mer n’est pas comme aujourd’hui synonyme de loisir, de détente, de vacances au soleil.
Elle symbolise plutôt le danger et la mort.
La mer évoque l’élément primordial du chaos ou les forces hostiles du mal qui ont la capacité d’engloutir la vie de l’homme.
Symboliquement, la tempête est le lieu de la crise, de la suspension entre vie et mort.
Voilà qu’une tempête surgit qui va révéler l’état d’esprit des disciples, leur réaction dans une situation de crise, au milieu de l’épreuve.

D’abord, ce que ce récit met en crise, c’est ce que Jésus demande aux disciples de faire ou plutôt de vivre : vivre dans la confiance en Dieu.
Jésus appelle ses disciples à croire, à se fier à Dieu, à se confier à Lui, à s’en remettre fidèlement à Lui, en toutes situations.
Mais la tempête révèle en réalité la peur des disciples, leur incrédulitéleur manque de foi : « Pourquoi avez-vous peur, hommes de peu de foi ? » (Mt 8, 26).
Ce que ce passage nous montre, c’est la difficulté pour les disciples de mettre en pratique la prédication de Jésus … c’est la difficulté de suivre le Christ en s’enracinant dans la confiance et la fidélité.

Ensuite, lorsque Jésus répond à l’inquiétude des disciples… lorsqu’il rappelle la création à l’ordre… à l’ordre de Dieu le Créateur… lorsque les vents et la mer enfin se calment… l’apaisement de la tempête ne crée toujours pas la foi, mais des réactions variées : l’étonnement ou l’émerveillement des disciples, selon l’évangéliste Matthieu (Mt 8, 27) ; une grande crainte, selon Marc (Mc 4, 41) ; une stupeur, faite à la fois de crainte et d’admiration, selon Luc (Lc 8, 25).

Il y a là quelque chose de paradoxal.
Le paradoxe de cet épisode, c’est que, d’un côté, cette épreuve, cette situation de crise donne aux disciples des éléments permettant de mieux comprendre qui est Jésus, en tant que Christ… permettant de discerner l’identité de leur maître… mais, d’un autre côté, elle met en relief l’incrédulité et la peur des disciples.
Le paradoxe, c’est que la Parole agissante de Jésus que les disciples réclament, en l’appelant au secours parce qu’ils ont peur (Mt 8, 25), en réalité, ne suscitent pas la foi, mais une interrogation, une nouvelle peur, faite d’étonnement et de crainte.

Ce récit nous révèle donc une sorte de contradiction. Il nous montre de façon paradoxale quel est le problème des disciples… qui est peut-être le problème de tout disciple.
Le problème des disciples, c’est qu’ils attendent quelque chose d’extra-ordinaire – un miracle – pour croire, et lorsque ce miracle advient, ils s’y arrêtent, ils s’y bloquent, au lieu de s’en tenir à la Parole de Dieu, que Jésus Christ vient rendre manifeste en appelant « simplement » à vivre dans la confiance.

En d’autre termes, ce récit nous met face à un paradoxe lié à ce qu’est la foi… à la nature même de la foi.
La foi n’est pas de l’ordre du savoir – ou du surnaturel –  mais elle est de l’ordre d’une rencontre existentielle qui nous inscrit dans une dynamique. Elle est de l’ordre d’une relation de confiance – de l’abandon dans la confiance – qui engage notre être… notre personne… à s’en remettre à un Autre.
La foi ne consiste pas en un savoir au sujet de Jésus Christ, mais à vivre de sa Parole, qui nous appelle à confier notre existence, et le sens de notre existence, à Dieu, notre Père, le Créateur.

Bien évidemment, ce récit de « la tempête apaisée » est une manière de nous révéler l’identité de Jésus, en tant que Christ, et son autorité :
A travers cet épisode, les évangélistes nous font comprendre qu’en Jésus le Christ, le souffle de Dieu – son Esprit Créateur, sa Parole créatrice – est lui-même présent et agissant. Il nous montre qu’en Jésus Christ, Dieu se révèle, qu’il est avec nous [Emmanuel], qu’il est agissant :
En Jésus Christ, Dieu est capable de surmonter la tempête et les flots qui symbolisent la mort ; il est capable de nous arracher à la mort, de nous faire traverser l’épreuve, car il est Celui qui nous sauve. C’est pourquoi, nous pouvons nous en remettre à lui dans la confiance.
Dieu – Créateur et Sauveur – veille sur ses créatures, ses enfants. Il ne les abandonne pas au néant. Il est avec nous, à nos côtés, en toutes situations.

Mais, en même temps, nous voyons que le fait de savoir cela n’est pas suffisant pour la foi.
Il ne suffit pas de savoir qui est Jésus, qu’il est le Christ, l’envoyé de Dieu, le Révélateur du Père… il ne suffit pas de savoir qu’il est ressuscité – car sans aucun doute ce récit renvoie à la résurrection, à la victoire sur la mort – mais, encore faut-il se fier à sa Parole, s’en remettre à elle, l’écouter, lui obéir, lorsqu’il nous appelle à confier notre vie à Dieu.

La foi… s’en remettre à Dieu, se confier à Lui… ne consiste pas seulement à savoir qui est Jésus, ni même à croire qu’il est le Christ, mais cela relève d’autre chose : c’est un mouvement de l’être tout entier, c’est un abandon, un lâcher prise, une remise de notre existence toute entière entre les mains d’un Autre.
Cette remise, ce don de soi, cet abandon dans la foi – qui caractérise Jésus – conduit alors à la paix, au calme, à la sérénité … car tout ce qui est essentiel et ultime est finalement confié à Dieu.[1]

Ce récit nous montre donc deux choses importantes :

La première, c’est que les miracles, en réalité, ne suscitent pas la foi. Au contraire, ici le surnaturel, l’extraordinaire, aboutit à l’incompréhension (Mt 8, 27) et à la stupeur (Lc 8, 25).
Il me semble que cela doit nous interroger sur notre « conception » de Dieu, sur nos attentes et notre rapport à Dieu, dans la foi.
La foi ne consiste pas à attendre d’abord que Dieu agisse de façon visible, qu’il réalise des miracles, pour ensuite pouvoir croire. Mais elle naît de la relation/dans la relation à Dieu, dans la simplicité du quotidien de notre existence.
La foi ne consiste pas à croire en Dieu, parce qu’il fait des miracles. Mais parce que nous croyons en Dieu, parce que nous lui confions le sens premier et dernier de notre existence, alors nous envisageons la vie, notre vie elle-même, comme un miracle, nous pouvons l’accueillir comme tel, laisser Dieu y régner et y accomplir des miracles.

Autrement dit, « croire »… ce n’est pas croire en un « Dieu-cachet d’aspirine » qui règlerait toutes nos difficultés et nos ennuis. Ce n’est pas non plus croire en un « Dieu-parapluie », qui nous préserverait des tempêtes de toutes sortes. Mais, c’est croire qu’en toutes situations, y compris au milieu des bourrasques (lorsque les vents semblent contraires… lorsque nous sommes assaillis par l’échec, le malheur ou l’adversité), que Dieu est là, à nos côtés… que nous ne sommes pas livrés à l’abandon et à la solitude… qu’il nous accompagne, nous donne courage et nous conduit, si nous voulons bien nous en remettre à lui.
Dieu ne nous protège pas de toutes épreuves, mais nous soutient dans toutes épreuves, pour nous aider à les traverser (cf. Ps. 23).

Le second point que nous montre ce récit, c’est la différence entre Jésus et ses disciples.
Alors que les disciples sont gagnés par l’agitation, la confusion, l’angoisse et l’incrédulité, Jésus, lui, dort en paix, car il se sait entre les mains de Celui qui reste, en toutes circonstances, le maître de la vie, le maître des forces de la nature[2].
Jésus est confiant, parce qu’il a fait sienne les paroles du psalmiste (que nous avons entendues dans le psaume 27) : « Le Seigneur est le protecteur de ma vie, je n’ai rien à redouter » (cf. Ps 27, 1) .

La foi : c’est ce qui différencie fondamentalement Jésus et ses disciples (cf. Mt 8, 26)… et c’est là la source de l’autorité de Jésus.
Le secret de Jésus dans la tempête n’est pas celui d’une sorte de « superman ». Il n’est pas à rechercher dans quelque pouvoir surhumain, mais dans sa seule confiance en Dieu le Créateur.
Le vent et la mer, Jésus ne les domine pas en déployant quelques pouvoirs magiques, mais il les rappelle simplement à l’ordre… à l’ordre de Dieu, leur Créateur.[3]
« Ainsi, malgré les apparences, malgré même ce qu’imaginent les disciples, Jésus n’est pas un faiseur de miracles, qui arrangerait d’un mot une situation qui tourne mal. Il est tout simplement le seul vrai croyant de l’équipage dans la tempête, celui qui garde envers et contre tout une confiance sans faille.
Malheureusement, ce n’est pas la foi de Jésus que les disciples voient en regardant après coup leur maître. Ils n’aperçoivent en lui qu’un personnage doué de pouvoirs surhumains, et ils sont pris d’une nouvelle angoisse, car on est toujours méfiant face à des forces qu’on ne contrôle pas.
Mais en voyant en Jésus un faiseur de miracles, les disciples passent à côté de la foi, de la confiance en Dieu à laquelle Jésus les appelle »[4].
Et c’est là toute l’ambiguïté, le paradoxe de ce récit de « la tempête apaisée ».
A bien y regarder… la tempête est apaisée extérieurement, mais elle ne l’est pas dans le cœur des disciples.
Elle ne le sera que lorsqu’ils accepteront de suivre le Christ, de le laisser naître en eux, en enracinant leur existence dans la confiance en Dieu.

Alors tout ceci nous amène finalement à une question : qu’est-ce qui manque aux disciples pour dépasser leur angoisse et vivre dans la confiance ?

Si les disciples ont ainsi peur de la mort – comme beaucoup d’entre nous, peut-être – c’est sans doute qu’ils ne sont pas encore assurés de la bonté de Dieu.
Avec les disciples, il nous faut donc réentendre cette parole du psaume 63, qui nous a rappelé cette certitude au sujet de Dieu : « ta bonté – ta fidélité – vaut mieux que la vie » (cf. Ps 63, 4).
Nous sommes assurés de la bonté de Dieu, de son amour fidèle. C’est la raison pour laquelle nous pouvons lui confier notre vie.
Cette bonne nouvelle de la bonté de Dieu pour nous – plus forte et plus durable que la mort – ne nous met certes pas à l’abri du danger, ni même de la mort. Mais elle nous place à l’abri de la peur, de l’angoisse du néant, de l’absurde et du désespoir. Car nous savons que rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, de sa bonté fidèle (Rm 8, 38-39).

Conclusion : Alors, chers amis… pour conclure… que pouvons-nous retenir de cette méditation ?

Le Christ n’attend pas de nous l’admiration ou la crainte, mais la confiance en Dieu, en toutes situations, afin de lui remettre nos vies, nos personnes, mais aussi de lui confier nos peurs, nos limites, nos doutes, nos souffrances lorsque surgit l’épreuve.
Un moment de crise… l’inconnu qui se présente à nous… la proximité du danger, de la maladie ou de la mort… une épreuve difficile… peuvent ébranler notre foi.
C’est pourquoi Jésus appelle ses disciples à vivre en communion avec Dieu, jour après jour, à enraciner leur existence quotidienne dans la confiance en Dieu.

La foi est une relation qui s’inscrit et se développe peu à peu dans la durée, tout au long de notre existence.
Elle consiste en une seule chose : répondre à l’amour premier de Dieu qui nous offre sa grâce… lui remettre notre vie jour après jour et oser lui confier celles de ceux dont nous portons le souci.
C’est en acceptant le don de Dieu, en lui répondant, dans la foi, que nous entrons dans cette relation, que nous nous inscrivons dans un mouvement, dans une dynamique de relation avec Celui que Jésus nous invite à appeler simplement « notre Père ».

Dans cette relation, le doute ne s’oppose pas à la foi. Il est nécessaire à la foi. Il vient l’interroger, mettre du jeu, provoquer la réflexion et susciter l’intelligence de la foi.
En revanche, la peur révèle l’incrédulité, le manque de foi… de confiance en l’Autre. C’est pourquoi Jésus nous appelle à déposer tout ce que nous sommes, y compris nos craintes, pour les confier à Dieu.

Suivre le Christ, c’est répondre à l’amour de Dieu, c’est s’engager (Mt 8, 22), franchir un pas, faire le choix de la confiance (Mt 8, 26), malgré l’inconnu et les difficultés (Mt 8, 20.25 ; Mt 14, 22-33)… C’est « passer sur l’autre rive » (Mt 8, 18) : celle de la foi… qui nous rend capable d’affronter, d’assumer, de traverser l’épreuve… et même de déplacer les montagnes, avec la foi du Christ (cf. Mt 17, 20 ; Mt 21, 21s ; Jn 14, 12s).
Car c’est bien ce que nous indique en substance ce récit : la foi est un ressort caché, une dynamique, une puissance de vie. Elle est force de création et de transformation.

Alors, chers amis, frères et sœurs, n’attendons pas des signes extraordinaires, des preuves irréfutables, des miracles, pour offrir à Dieu notre confiance, mais osons répondre à son amour, à son alliance, à sa confiance, en lui offrant la nôtre.
C’est en lui confiant notre vie que nous le laisserons y accomplir des miracles… la transformer et la faire fructifier. 
Amen.


[1] Autrement dit, la foi est une dynamique qui consiste à passer existentiellement du « croire que » au « croire en ».
[2] En particulier de la puissance de la mer : cf. Jr 5, 22 ; Jb 38, 10-11 ; Ps 104, 9 ; Ps 106, 9 ; Ps 107, 23-32 ; le livre de Jonas. Tout au long de l’Ancien Testament, la domination sur la mer et sur les eaux témoigne du pouvoir divin : de la création au déluge, de la traversée de la mer rouge à l’aventure de Jonas.
[3] En rappelant la création à l’ordre de Dieu le Créateur et en manifestant son autorité sur les éléments naturels déchaînés, Jésus accomplit, en réalité, la vocation propre à l’humanité. En Gn 1, 26-28, en effet, l’homme a reçu pour vocation spécifique de dominer toute la terre, et de maîtriser la création. Jésus, en tant que Christ, est donc ici l’être humain par excellence : le nouvel Adam. Il réalise la vocation spécifique de l’homme.
[4] J.-M. Babut, Actualité de Marc, Cerf, p.86.