dimanche 15 avril 2012

Mt 5, 13-16

Mt 5, 13-16
Lectures bibliques : Jn 8, 12 ; Ep 5, 8-14 ; Jc 2, 14-26 ; Mt 5, 13-16
Série de prédications sur Mt 5 à 7 (le sermon sur la montagne) : n°4 – Mt 5, 13-16
Thématique : être le sel de la terre, la lumière du monde… les mains et les bras de Dieu.

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Lectures : 

- Jn 8, 12

Jésus, à nouveau, leur adressa la parole : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie. »

- Ep 5, 8-14

Autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Vivez en enfants de lumière. 9Et le fruit de la lumière s'appelle : bonté, justice, vérité. 10Discernez ce qui plaît au Seigneur. 11Ne vous associez pas aux œuvres stériles des ténèbres ; démasquez-les plutôt. 12Ce que ces gens font en secret, on a honte même d'en parler ; 13mais tout ce qui est démasqué, est manifesté par la lumière, 14car tout ce qui est manifesté est lumière. C'est pourquoi l'on dit :
Eveille-toi, toi qui dors,
lève-toi d'entre les morts,
et sur toi le Christ resplendira.

- Jc 2, 14-26

A quoi bon, mes frères, dire qu'on a de la foi, si l'on n'a pas d'œuvres ? La foi peut-elle sauver, dans ce cas ? 15Si un frère ou une sœur n'ont rien à se mettre et pas de quoi manger tous les jours, 16et que l'un de vous leur dise : « Allez en paix, mettez-vous au chaud et bon appétit », sans que vous leur donniez de quoi subsister, à quoi bon ? 17De même, la foi qui n'aurait pas d'œuvres est morte dans son isolement. 18Mais quelqu'un dira : « Tu as de la foi ; moi aussi, j'ai des œuvres ; prouve-moi ta foi sans les œuvres et moi, je tirerai de mes œuvres la preuve de ma foi. 19Tu crois que Dieu est un ? Tu fais bien. Les démons le croient, eux aussi, et ils frissonnent. » 20Veux-tu te rendre compte, pauvre être, que la foi est inopérante sans les œuvres ? 21Abraham, notre père, n'est-ce pas aux œuvres qu'il dut sa justice, pour avoir mis son fils Isaac sur l'autel ? 22Tu vois que la foi coopérait à ses œuvres, que les œuvres ont complété la foi, 23et que s'est réalisé le texte qui dit : Abraham eut foi en Dieu et cela lui fut compté comme justice, et il reçut le nom d'ami de Dieu. 24Vous constatez que l'on doit sa justice aux œuvres et pas seulement à la foi. 25Tel fut le cas aussi pour Rahab la prostituée : n'est-ce pas aux œuvres qu'elle dut sa justice, pour avoir accueilli les messagers et les avoir fait partir par un autre chemin ? 26En effet, de même que, sans souffle, le corps est mort, de même aussi, sans œuvres, la foi est morte.

- Mt 5, 13-16

[Le passage de l’évangile suit les Béatitudes. Jésus s’adresse à ses disciples]

« Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.
14« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. 15Quand on allume une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. 16De même, que votre lumière brille pour tous les hommes, pour qu'en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux.


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 15/04/12

« Vous êtes le sel de la terre ». « Vous êtes la lumière du monde ».
Dans le monde antique, le sel et la lumière passaient communément pour deux réalités dont personne ne peut se passer.[1]
Le sel : c’est le bien le plus précieux. C’est ce qui conserve et purifie. C’est ce qui donne de la saveur, du goût à toute chose.
La lumière : c’est ce qui permet de vivre. C’est ce qui fait grandir et croître. C’est ce qui permet d’éclairer nos routes, pour ne pas tomber, pour trouver la bonne direction.
Avec ces deux images : celles du sel et de la lumière, on peut dire que Jésus révèle toute l’importance qu’ont les disciples à ses yeux : ils ne sont pas simplement ceux qui suivent, qui écoutent, mais ceux qui conservent l’alliance avec Dieu[2] : les paroles de la Loi de Dieu (de la Torah) et les enseignements de Jésus. Ils sont ceux qui mettent ces paroles en pratique « au profit de »[3] tous et éclairent ainsi par leurs œuvres – leurs actes jutes, leurs bonnes actions – la vie de leurs proches, faisant resplendir par là même la gloire de Dieu.
Jésus commence ainsi son sermon (le sermon sur la montagne) en rappelant aux disciples la valeur infinie de leur existence aux yeux de Dieu : valeur inconditionnelle de tout être humain au regard de Dieu, et valeur particulière des disciples, en tant que témoins fidèles, signes visibles de l’alliance entre Dieu et les hommes, en Jésus Christ.

Pour comprendre toute l’importance que Jésus donne à ses disciples dans l’évangile de Matthieu, il faut se souvenir que dans l’Ancien Testament, Dieu lui-même est lumière (Ps 27, 1 ; voir aussi Jn 1, 5), sa Torah – sa Loi – est lumière (Ps 119, 105) et le peuple d’Israël qui pratique et enseigne la Torah est défini comme « la lumière des nations » (Es 42, 6 ; 49, 6).
Les premiers chrétiens ont relu la prophétie d’Esaïe dans un sens messianique et l’ont appliqué à Jésus (cf. Mt 4, 16 ; Lc 2, 32 ; Jn 1, 9 ; Jn 8, 12). C’est ce que nous proclamons lors de la fête de l’épiphanie : Jésus, le Christ de Dieu, est, pour nous, la vraie lumière, la Parole vivante qui éclaire notre route. Les évangélistes Marc et Luc ont aussi repris l’image de la lampe qui éclaire. La lumière de la lampe désigne l’Evangile, demeuré caché pour un temps, mais rayonnant désormais sur l’ensemble de l’humanité depuis la résurrection de Jésus Christ. (Mc 4, 21s ; Lc 8, 16s ; 11, 33). L’évangéliste Matthieu tire les conséquences de cette image de la lampe qui éclaire les hommes, pour l’appliquer aux disciples de Jésus, dans la mesure où ils participent à la vie du Christ… où ils sont les messagers de son Evangile.

« Vous êtes la lumière du monde » : c’est parce qu’ils participent à la vie du Christ (et uniquement pour cette raison) que les disciples sont eux-mêmes « lumière du monde ».
Jésus ne dit pas « vous êtes des lumières » (ne rêvons pas trop !), mais « vous êtes lumière », car c’est ensemble, collégialement, communautairement, que les disciples le sont : en tant que membres du corps du Christ, qui est la lumière du monde.
C’est ce qu’affirme également l’épître aux Ephésiens : « vous êtes lumière dans le Seigneur » (Ep 5, 8). C’est en vivant de la vie du Christ, du Ressuscité (Ep 5, 14), que les disciples font resplendir sur eux et sur autrui la lumière du Christ.
Autrement dit, Jésus incorpore les disciples à son œuvre. Il leur confie une mission : saler la terre et éclairer les hommes.

Pour bien comprendre qui sont ces disciples du Christ, il faut revenir au texte qui précède notre passage : celui des Béatitudes (Mt 5, 3-12).
Ceux qui sont appelés ici « sel de la terre » et « lumière du monde » sont ceux à qui s’adressaient les béatitudes : ce sont ceux qui sont en marche vers le Royaume et la justice de Dieu (Mt 6, 33).
Lorsque nous avons médité ce passage, il y a quelques dimanches, nous avons vu que ceux à qui s’adressent les promesses de bonheur dans les béatitudes, sont ceux qui ont adopté un certain style de vie : un style de vie fait de confiance, de pauvreté, de douceur, de compassion. Ce sont ceux qui ont le cœur disponible, qui sont des artisans de justice (Mt 5, 6.10) et de paix (Mt 5, 9).
En d’autres termes, ce sont des hommes et des femmes qui ont fait un choix de vie : celui de suivre le Christ.
Ce choix est synonyme d’une nouvelle manière de vivre. Il signifie l’adoption de certains comportements relationnels, fondés sur l’amour inconditionnel de Dieu (Mt 5, 44-45. 48 ; Lc 6, 36). Car, à l’image de Dieu (qui fait lever son soleil sur les bons comme sur les méchants), les disciples du Christ sont invités à adopter une attitude compatissante : une attitude qui vit de la miséricorde de Dieu et qui cherche sa justice.

Ceux à qui Jésus donne donc l’importance décisive du sel et de la lumière – éléments indispensables à la vie – sont ceux qui vivent concrètement dans la dynamique des béatitudes. Ce sont des hommes et des femmes dont l’existence est fondée sur Dieu, sur la confiance en Dieu, et qui travaillent courageusement afin de promouvoir la paix et la justice, malgré les obstacles et les oppositions qu’ils peuvent rencontrer.
Et lorsqu’on regarde les valeurs déterminantes (et discriminantes) qui servent à modeler notre société : l’argent, la richesse, le pouvoir, le donnant-donnant, le mérite, la performance, la réussite qui écrase … on voit que fonder sa vie sur Dieu… sur sa volonté de justice (Mt 5, 20 ; 6, 33 ; 7, 23), sur son amour (Mt 5, 44-45), sur son pardon (Mt 6, 12.14-15 ; Lc 6, 36s) qui accueille tout être humain, gratuitement, sans condition… n’est pas sans risque, ni de tout repos.

Au contraire, il en va autrement… car il s’agit d’une lutte…d’une lutte créatrice et transformatrice des artisans du monde nouveau de Dieu… visant à créer des ouvertures et des prises de conscience… et d’une action régénératrice de l’Esprit saint qui souffle imperceptiblement pour agir dans les cœurs. C’est ce qu’exprime très bien les images du sel et de la lumière.
En effet, qu’est-ce que le sel ? Pas grand chose. Mais il suffit de quelques grains pour purifier et relever le goût d’un plat. Il en suffit de très peu pour donner de la saveur à l’ensemble, pour donner du caractère et du goût à tout le reste.
C’est la même chose pour la lumière. Il suffit d’une faille pour la faire percevoir, d’un interstice, d’une ouverture, pour montrer son éclat.
Alors lorsqu’elle est placée en hauteur, sur son support, c’est encore mieux, car c’est là qu’elle brille pour tous, au profit de chacun.

En écoutant ce passage de l’évangile, ce matin, il me semble que nous pouvons nous poser une question : une question qui nous concerne collectivement, communautairement.
Et nous ?… nous, Eglise du Christ à Tonneins… ne sommes-nous pas appelés, nous aussi, à être « sel de la terre » et « lumière du monde » ?
Il s’agit évidemment de notre vocation de disciples, à la suite du Christ.
Nous sommes, nous aussi, les destinataires de cette parole de Jésus. Nous sommes, nous aussi, appelés à enraciner nos vies dans la foi et les valeurs de l’Evangile des béatitudes : esprit de pauvreté, douceur, pureté du cœur et du regard (Mt 5, 8 ; 6, 22), œuvres de justice et de paix.

Précisément, la fin du texte de l’évangile nous donne une indication claire à ce sujet : « Ainsi que votre lumière brille pour tous les hommes, afin qu’ils voient vos belles œuvres et qu’ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux » (v.16).[4]
Être « disciples » du Christ, ce n’est pas seulement écouter l’Evangile, c’est le mettre en pratique, c’est vivre et partager cet Evangile autour de nous dans le quotidien de notre existence.
La foi ne peut pas être déconnectée des œuvres de la foi, comme le dit à juste titre l’apôtre Jacques (Cf. Jc 2, 14-26).
Ceux qui sont disciples du Christ, ceux qui participent à cette réalité qu’est le Christ, sont amenés à faire les œuvres du Christ, à être les mains et les bras de Dieu.

Le réformateur Luther a déployé une image pour exprimer cela. L’adoption fait de nous de frères du Christ, dès lors, nous sommes, nous aussi, conduits à être des « petits » Christ pour nos frères et nos sœurs. Nous sommes conduits à être des porteurs du Christ, pour faire rayonner l’amour de Dieu autour de nous. Et cela se fait, à la fois, en paroles et en actes.

En réalité, on ne peut pas séparer la foi et les œuvres, les paroles et les gestes. Il y a une nécessaire cohérence entre ce qui nous anime et ce que nous faisons.
En hébreux, le mot « parole » (dabar) – utilisé pour parler de ce que Dieu dit et fait – désigne la parole agissante, la parole vivante et efficace : une parole performative, qui fait ce qu’elle dit. Alors, être les porte-paroles du Christ (Parole de Dieu) dans notre monde, c’est bien annoncer l’Evangile en paroles et en actes, de façon créative et créatrice de lumière pour les autres, afin que chacun puisse se placer sous le regard de Dieu.

Alors… si ce matin l’évangile nous invite à vivre notre foi, de façon pratique et concrète … quelles sont ces bonnes œuvres que Jésus nous demande d’accomplir… non pas par devoir, mais par amour, comme réponse à la grâce de Dieu ?
Dans le judaïsme du temps de Jésus, outre la prière et le jeûne, ces bonnes œuvres sont l’aumône et les actions charitables, comme l’aide aux pauvres, aux veuves et aux orphelins, la visite des malades, le rachat des prisonniers, l’ensevelissement des morts. Mais Jésus, d’une certaine manière,  recadre cette notion des bonnes œuvres : D’une part, il insiste sur la notion de justice. Faire des belles œuvres, c’est faire des œuvres justes, c’est pratiquer la justice, qui doit se préoccuper des plus faibles, des plus petits. Il faut donc dépasser le légalisme stérile et sclérosant des scribes et des pharisiens hypocrites qui, sous couvert d’appliquer les préceptes de la Loi, en réalité ne recherchent pas la justice (Mt 5, 20 ; 6, 33 ; 7, 21-23 ; 23, 13).
D’autre part, Jésus élargit cette notion de bonnes œuvres en affirmant que les gestes de miséricorde (comme nourrir l’affamé, recueillir l’étranger, vêtir le nécessiteux, visiter le malade et le prisonnier. Cf. Mt 25, 31-46) conduisent en réalité à la rencontre du Christ, le frère des petits et des malheureux.

Le sens de ces œuvres est aussi expliqué. L’accomplissement de bonnes œuvres n’est ni une manière de mériter ou de gagner son salut (il nous est déjà acquis par la grâce de Dieu), ni une manière de se mettre en avant, de se faire remarquer aux yeux des hommes (il n’y a aucune gloriole personnelle à tirer du fait d’aimer son prochain). Mais les gestes posés humblement en faveur du prochain n’ont qu’un seul but : manifester l’amour et la miséricorde de Dieu.
Parce qu’ils sont libres (et déjà sauvés) dans la foi, les disciples du Christ sont invités à être serviteurs dans l’amour. Ils sont appelés à accomplir des œuvres bonnes et justes qui soient le reflet de la générosité de Dieu. Ces gestes posés avec humilité auront l’éclat de la lumière la plus brillante, de sorte que les hommes y reconnaîtront l’emprunte de la main de Dieu et pourront ainsi lui rendre grâce.
Ici, Jésus donne un poids inouï à l’action des disciples… à notre action, nous qui sommes participants, membres de l’Eglise, corps du Christ : Les gestes de miséricorde que nous sommes invités à accomplir ont pour but de révéler l’amour même de Dieu.
Jésus nous investit d’une mission prioritaire : être les mains et les bras de Dieu, pour relever les plus petits, et ainsi manifester l’amour lumineux de Dieu.

Nous sommes là dans le droit-fil de la parole du prophète Esaïe : « Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Alors ta lumière jaillira comme l'aurore, et tes forces reviendront rapidement. Ta justice marchera devant toi, et la gloire du Seigneur t'accompagnera (...). Ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi. » (Esaïe 58, 7-8.10)

Se mettre au service des plus démunis : c’est ce que beaucoup d’associations à caractère diaconal, social, caritatif ou humanitaire, tentent de faire, à leur mesure. C’est aussi ce que nous essayons de faire, modestement, à l’Entraide Protestante, par notre engagement diaconal.
L’Evangile de ce jour nous rappelle le bien-fondé et le sens de ce service.

La perspective lumineuse offerte par Jésus pour tous les disciples du Christ montre la volonté de Dieu à notre égard et l’importance de notre engagement à la suite du Christ. Il en va de notre responsabilité de chrétiens : de mettre en pratique les paroles de Jésus, d’obéir librement au Christ.

Mais, la comparaison avec le sel qui peut s’affadir, et devenir insipide[5], sonne aussi pour notre Eglise comme une mise en garde. Il est possible d’être véritablement « le sel de la terre » et « la lumière du monde », de mettre en synergie – en interaction – notre foi et nos actes, de vivre dans une dynamique de foi qui transforme peu à peu le monde. Mais il est aussi possible que notre sel perde progressivement sa faculté de saler, que notre lumière reste cachée sous le boisseau. Alors, il nous faut à nouveau entendre cette parole qui nous appelle et nous envoie, pour nous mettre en chemin, suivre le Christ et lui obéir, en devenant des artisans du Royaume, du monde nouveau de Dieu, et de sa justice (Mt 6, 33).

Le théologien Dietrich Bonhoeffer, par son œuvre et par sa vie, a mis en avant cette notion d’obéissance à la suite du Christ. Je le cite :
« Quiconque vit dans l’obéissance parce qu’il a été atteint par l’appel de Jésus, est, par cet appel même, dans son existence tout entière, sel de la terre »[6].
« Ceux qui obéissent [à Jésus] sont l’Eglise visible, leur obéissance consiste en une action visible par laquelle ils se distinguent du monde »[7].

Pour Bonhoeffer, l’Eglise du Christ ne doit pas se conformer au monde, mais, au contraire s’en distinguer par la lumière qu’elle fait briller, en accomplissant des œuvres bonnes et justes, qui rendent gloire à Dieu.
Dire que les disciples du Christ sont « lumière du monde », c’est implicitement mettre à jour une tension entre ce qui est lumière et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est salé et ce qui ne l’est pas. Ceux qui sont lumière du monde et sel de la terre sont ceux qui recherchent et qui vivent déjà dans le monde nouveau de Dieu.
Ce monde nouveau – ce royaume qui vient – se distingue du monde ancien, du monde présent, car il repose sur Dieu… sur sa fidélité et sa justice… sur des valeurs qui ne sont pas celles de notre société.

Là où le monde croit au bonheur par l’avoir et le pouvoir, là où le monde met son salut dans la richesse, l’indépendance, la puissance et la force … (il suffit pour s’en convaincre de regarder les slogans des élections présidentielles)… le monde nouveau et ses disciples, ses artisans, croient, quant à eux, à la douceur et à l’humilité de cœur (Mt 5, 3-4 ; Mt 11, 29), à l’interdépendance [à la dépendance des hommes entre eux], au pouvoir du don, du service, de la gratuité, de la compassion…. car leur comportement s’enracine dans l’amour et la bonté de Dieu pour tout homme (Mt 5, 45.48 ; Lc 6, 36).
Autrement dit, ceux qui sont lumière du monde et sel de la terre sont ceux qui ont donné leur cœur à Dieu, qui lui ont confié le sens dernier de leur existence, et qui investissent leur énergie dans la recherche de son royaume et de sa justice.
C’est précisément cette prière que nous adressons à Dieu dans le Notre Père : « Que ton règne vienne ! » (Mt 6, 10 ; Lc 11, 2).

Dire « que ton règne vienne ! », c’est bien sûr proclamer notre espérance. Mais ce n’est pas seulement cela. C’est tout mettre en œuvre pour faire advenir ce règne… c’est être artisan de ce royaume.
Et c’est là – je crois – ce que nous pouvons retenir de ce passage de l’évangile.
Être lumière du monde, c’est être les mains et les bras de Dieu, c’est mettre en œuvre tout ce qui est en notre pouvoir, pour faire resplendir son visage sur ceux qui nous entourent.

Etre « lumière du monde », c’est vivre ouvertement et librement sa foi, de sorte que ceux qui ne connaissent pas le Christ et son enseignement le discernent avec nous (et à travers nous).

Notre vocation est de revêtir le Christ, pour faire briller la lumière de l’Evangile. Et ce n’est pas en restant enfermés, recroquevillés, silencieux ou inactifs que nous répondrons à notre vocation, mais c’est en faisant preuve de confiance, en partageant la confiance que nous recevons de Dieu.
La foi, c’est la force, l’énergie que Dieu suscite en nous, par son Esprit saint, pour nous permettre rendre témoignage à la lumière.

Alors… Frères et Sœurs… osons mettre notre grain de sel dans la vie du monde pour y apporter la Bonne Nouvelle de l’Evangile… pour lui donner le goût de la Vie et de l’Espérance.
Soyons autour de nous (par nos paroles et nos actes) le sel de la vie humaine sur la terre, la fleur de sel de l’amour de Dieu… et notre vie sera véritablement lumière pour les hommes. 
Amen.



[1] « Ce qui est de première nécessité pour la vie de l’homme, c’est l’eau, le feu, le fer, le sel » (Si 39, 26).
[2] Le sel dans l’Ancien Testament (en tant que réalité inaltérable) avait valeur de fidélité dans l’alliance. Il fallait ajouter du sel à tous les sacrifices (Lv 2, 13). Le sel était le signe de l’alliance avec Dieu. Le livre des Nombres parle d’une « alliance de sel, à perpétuité, devant le Seigneur, pour toi et pour ta descendance avec toi » (Nb 18, 19 ; voir aussi Ex 30, 35 ; 2 Ch 13, 5).
[3] Le « devant », « aux yeux des hommes » (Mt 5,16) a le sens de « au profit de », « pour tous ». Il ne s’agit pas de faire une exhibition d’œuvres pieuses, mais de faire des œuvres justes, de pratiquer la justice.
[4] Les « bonnes » actions sont, littéralement, des actions « belles » à voir. Dans le grec de Matthieu, « beau » et « bon » semblent synonymes. « Le bon arbre (agathos) fait de bon fruits (kaloi) » (Mt 7, 17).
[5] En réalité, chimiquement, le sel ne peut pas devenir fade. Mais cette hypothèse est posée dans le texte biblique (cf. Mt 5, 13), en raison de son sens. Car si le sel devenait fade… et donc inutile… rien ne pourrait le remplacer !
[6] D. Bonhoeffer, Le prix de la Grâce (Nachfolge), ed. Delachaux et Niestlé, 1962, p.78.
[7] Ibid, p.79.

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