dimanche 12 février 2012

Mt 4, 12-25

Mt 4, 12-25 

Lectures bibliques : Dt 30, 11-20 ; Ps 119, 97-112 ; Mt 4, 12-25 ; Mt 8, 18-22
Volonté : Ga 5, 13-14
Thématique : vocation, appel et suivance[1].

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures

- Dt 30, 11-20

11Oui, ce commandement que je te donne aujourd'hui n'est pas trop difficile pour toi, il n'est pas hors d'atteinte. 12Il n'est pas au ciel ; on dirait alors : « Qui va, pour nous, monter au ciel nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique ? » 13Il n'est pas non plus au-delà des mers ; on dirait alors : « Qui va, pour nous, passer outre-mer nous le chercher, et nous le faire entendre pour que nous le mettions en pratique ? » 14Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, pour que tu la mettes en pratique.

15Vois : je mets aujourd'hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, 16moi qui te commande aujourd'hui d'aimer le SEIGNEUR ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes. Alors tu vivras, tu deviendras nombreux, et le SEIGNEUR ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession. 17Mais si ton cœur se détourne, si tu n'écoutes pas, si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d'autres dieux et à les servir, 18je vous le déclare aujourd'hui : vous disparaîtrez totalement, vous ne prolongerez pas vos jours sur la terre où tu vas entrer pour en prendre possession en passant le Jourdain.

19J'en prends à témoin aujourd'hui contre vous le ciel et la terre : c'est la vie et la mort que j'ai mises devant vous, c'est la bénédiction et la malédiction. Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, 20en aimant le SEIGNEUR ton Dieu, en écoutant sa voix et en t'attachant à lui. C'est ainsi que tu vivras et que tu prolongeras tes jours, en habitant sur la terre que le SEIGNEUR a juré de donner à tes pères Abraham, Isaac et Jacob.

- Ps 119, 97-112

Mem

97Combien j'aime ta Loi,
tous les jours je la médite.
98Ton commandement me rend plus sage que mes ennemis,
je le fais mien pour toujours.
99Je suis plus avisé que tous mes maîtres,
car j'ai médité tes exigences.
100J'ai plus de discernement que les anciens,
car j'ai observé tes préceptes.
101J'ai évité toutes les routes du mal
afin de garder ta parole.
102Je ne me suis pas détourné de tes décisions,
car c'est toi qui m'as instruit.
103Que tes ordres sont doux à mon palais,
plus que le miel à ma bouche !
104Grâce à tes préceptes j'ai du discernement,
aussi je déteste toutes les routes du mensonge.

Noun

105Ta parole est une lampe pour mes pas,
une lumière pour mon sentier.
106J'ai juré, et je le confirme,
de garder tes justes décisions.
107Je suis bien trop humilié,
SEIGNEUR, fais-moi revivre selon ta parole.
108Agrée, SEIGNEUR, l'offrande de mes prières,
enseigne-moi tes décisions.
109Au constant péril de ma vie,
je n'ai pas oublié ta Loi.
110Des infidèles m'ont tendu un piège,
mais je n'ai pas erré loin de tes préceptes.
111Tes exigences sont à jamais mon patrimoine :
elles sont la joie de mon cœur.
112Je m'applique à pratiquer tes décrets ;
c'est à jamais ma récompense.

- Mt 4, 12-25

12Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en Galilée. 13Puis, abandonnant Nazara, il vint habiter à Capharnaüm, au bord de la mer, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali, 14pour que s'accomplisse ce qu'avait dit le prophète Esaïe :

15Terre de Zabulon, terre de Nephtali,
route de la mer,
pays au-delà du Jourdain,
Galilée des Nations !
16Le peuple qui se trouvait dans les ténèbres
a vu une grande lumière ;
pour ceux qui se trouvaient dans le sombre pays de la mort,
une lumière s'est levée.

17A partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : « Convertissez-vous : le Règne des cieux s'est approché. »

18Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon appelé Pierre et André, son frère, en train de jeter le filet dans la mer : c'étaient des pêcheurs. 19Il leur dit : « Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs d'hommes. » 20Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent. 21Avançant encore, il vit deux autres frères : Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d'arranger leurs filets. Il les appela. 22Laissant aussitôt leur barque et leur père, ils le suivirent.

23Puis, parcourant toute la Galilée, il enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle du Règne et guérissait toute maladie et toute infirmité parmi le peuple. 24Sa renommée gagna toute la Syrie, et on lui amena tous ceux qui souffraient, en proie à toutes sortes de maladies et de tourments : démoniaques, lunatiques, paralysés ; il les guérit. 25Et de grandes foules le suivirent, venues de la Galilée et de la Décapole, de Jérusalem et de la Judée, et d'au-delà du Jourdain.

- Mt 8, 18-22

18Voyant de grandes foules autour de lui, Jésus donna l'ordre de s'en aller sur l'autre rive. 19Un scribe s'approcha et lui dit : « Maître, je te suivrai partout où tu iras. » 20Jésus lui dit : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l'homme, lui, n'a pas où poser la tête. » 21Un autre des disciples lui dit : « Seigneur, permets-moi d'aller d'abord enterrer mon père. » 22Mais Jésus lui dit : « Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts. »


1ère approche du texte & Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 12/02/12

I. 1ère approche du texte

Le passage sur lequel nous méditons ce matin marque le début du ministère public de Jésus. Il est constitué de plusieurs éléments :

- Premièrement, l’annonce de la proximité du royaume. « Convertissez-vous : le royaume des cieux s’est approché » (Mt 4, 17). Jésus indique un événement qui est là (qui a déjà eu lieu dans le temps et dont les effets perdurent) : le royaume s’est approché… il est aux portes.
Cette proximité soulève implicitement la question de l’accueil de ce royaume. Les auditeurs de Jésus sont-ils prêts à l’accueillir, à le recevoir ?... sont-ils prêts à se mettre en marche, en mouvement… à entrer dans un cheminement qui implique un changement de mentalité, de repères et de valeurs ?

Dans l’expression « royaume des cieux », le terme « cieux » est une métaphore, une figure pour dire « Dieu » (en évitant, par respect, de prononcer son Nom). Ce terme permet aussi de dire que Dieu exerce un pouvoir qui s’oppose aux royaumes « de la terre » ou « du monde » (Mt 4,8).
En d’autres termes, « Royaume des cieux » veut dire que Dieu règne efficacement dans l’histoire, mais que ce royaume n’est pas comparable aux royaumes du monde. Non pas qu’il soit sur les nuages, au ciel, hors de la réalité, mais plutôt parce qu’il est différent, tout autre : il a des valeurs propres, en contradiction radicale avec celles des royaumes du monde.
Il ne se conquiert pas, mais il se reçoit, pour qui se convertit, se tourne vers Dieu et s’ouvre à lui.

- Le deuxième point qui marque le début du ministère de Jésus, c’est l’appel des quatre premiers disciples. Jésus les appelle « derrière » lui, à sa suite (Mt 4, 19).
Le mot « derrière » dénote ici une relation de maître à disciples.

L’expression « pêcheurs d’hommes » employée par Jésus rappelle le prophète Jérémie (Jr 16, 16). Ici, le verbe « Pêcher » a sans doute le sens de « faire venir », « ramener », « gagner des hommes au royaume de Dieu ». Ce qui est intéressant dans cette expression (« pêcheurs d’hommes ») c’est qu’il s’agit, d’une certaine manière, d’une analogie contraire avec les « pécheurs de poissons ». Pour les uns, il s’agit de ramener des poissons, en les faisant passer de la vie à la mort. Pour les autres – au contraire – il s’agit de conduire des hommes de la mort à la vie… des eaux ténébreuses de la mer à la vie nouvelle (Rm 6, 4).

Vous avez sans doute remarqué que cet épisode de l’appel des disciples est très bref, très concis. Ce qui peut nous frapper, c’est le « tout de suite », l’instantanéité qui accompagne la réponse… comme si cet appel s’était imposé aux disciples… comme une évidence… comme quelque chose qui nécessite une décision immédiate (un « oui » ou un « non »).
Et cette réponse coïncide avec un déplacement des disciples qui « aussitôt laissent leurs filets », pour suivre Jésus. (Mt 4, 20).
Cet enchaînement accéléré de l’appel et de la suivance (c’est-à-dire du mouvement des disciples à la suite de Jésus) semble montrer la force de l’irruption du royaume dans l’histoire de ces hommes (qui, instantanément, obéissent et se mettent en mouvement).

- Le troisième point de ce début de ministère récapitule toute l’activité de Jésus en Galilée : enseigner, prêcher, guérirL’enseignement a pour objet l’interprétation des Ecritures. La prédication porte sur « l’Evangile du royaume », la Bonne Nouvelle : la joyeuse annonce de la proximité du royaume des cieux. Enfin, la guérison de « toute maladie et toute infirmité » (cf. Mt 4, 23 qui renvoie peut-être à la « promesse » de Dt 7, 15) montre la dynamique de l’activité thérapeutique de Jésus, capable de libérer les hommes de diverses maladies (v.24).

Dans cet épisode, l’évangéliste Matthieu souligne la popularité de la prédication de Jésus : sa renommée et le fait que « beaucoup de foules » le suivent (Mt 4, 25).
Il s’agit là, vraisemblablement, de la situation de l’Eglise telle qu’elle se présente à l’époque de l’évangéliste Matthieu. A ce moment-là, ce n’est plus seulement un petit noyau de « disciples » suivant l’enseignement de Jésus, mais un grand nombre (venant d’Israël et des Nations) qui s’est mis à suivre le Christ Ressuscité.
Cette situation laisse entendre que l’Evangile est bien destiné à atteindre « de grandes foules » (v.25), c’est-à-dire toutes les nations… comme le rappellera la fin de l’évangile (Mt 28, 19) : « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples… ».

II. Prédication

Intéressons-nous, ce matin, à ce que dit l’évangéliste Matthieu (chap. 4) concernant le début du ministère public de Jésus… et arrêtons-nous sur un des aspects de cet épisode : celui de l’appel des disciples.

Il existe un mot souvent employé pour parler de cet appel, c’est celui de « vocation ».
Du latin vocare (appeler), le terme de « vocation » peut avoir plusieurs dimensions :
Il peut, d’une part, désigner notre vocation fondamentale et commune : celle de « devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12), à la suite de Jésus Christ.
Il peut, d’autre part, signifier l’appel que peuvent ressentir des personnes à une mission particulière.
Quand on parle de « vocation », en France, on pense tout de suite à certains métiers : pasteur, médecin, enseignant, etc.
Mais, par exemple, en Allemagne, c’est le même terme (Beruf) qui signifie « profession » et « vocation ».
Il ne faut donc pas forcément distinguer ces deux aspects : Il est possible de suivre le Christ – de vivre notre vocation fondamentale – de différentes manières, à travers différentes vocations particulières.

Le concept de « vocation » est lié, d’une part, au thème de l’écoute, car il s’agit d’être attentif à un appel, et, d’autre part, au thème de la suivance – c’est-à-dire à la réponse donnée – car l’écoute est normalement suivi d’un effet, d’une mise en mouvement… faisant suite à la réception d’un appel.

Ce qui me semble important pour nous ce matin – du fait de notre mode de vie contemporain, marqué par des emplois du temps chargés, des rythmes rapides, des vies fragmentées – c’est d’être attentif aux conditions de possibilité d’une vocation, à ce qui fait qu’une parole peut être entendue et reçue.
Dans le cas des disciples, trois éléments me paraissent essentiels : la disponibilité, la liberté, et la confiance.

L’écoute d’un appel aussi bien que la réponse à cet appel nécessitent avant tout une certaine disponibilité : disponibilité à entendre et disponibilité à suivre.
C’est là un des enjeux de la suivance (c’est-à-dire de l’engagement à la suite du Christ, là où nous sommes, quel que soit notre état, notre situation professionnelle ou notre âge) : Il s’agit, d’une part, de se mettre dans une disposition d’écoute et d’ouverture, pour pouvoir être réceptif à un appel (parfois inattendu), et, d’autre part, de faire preuve de confiance, de liberté et d’audace, pour pouvoir y répondre librement (le moment venu)…. car cette réponse implique un changement : elle signifie d’accepter de se laisser déplacer, de se mettre en mouvement… autrement dit, de « suivre » en toute confiance (dans la foi en Celui qui appelle, en sa Parole donnée, écoutée et reçue)[2].

Ce qui résulte de la vocation, c’est le fait de « suivre » le Christ.
C’est cet élément clé que l’on retrouve à deux reprises dans notre passage : « laissant aussitôt / leurs filets / leurs barque et leur père / ils le suivirent » (v.20.22).

Alors… de quoi s’agit-il lorsque l’on parle de « suivre » le Christ ?

Avant de dire, ce que peut être la suivance (le fait de devenir disciple), je crois qu’il faut commencer par dissiper un malentendu et dire ce qu’elle n’est pas.
Il me semble qu’on confond souvent « suivre » et « imiter ».
Or, la suivance n’a rien à voir avec l’imitation.
Il serait illusoire de vouloir imiter le Christ, dans une sorte de perfection, d’idéal… en réalité impossible à atteindre.
Si on confond la suivance et l’imitation, alors « suivre Jésus » devient une nouvelle loi (un légalisme) : une loi trop exigeante, perdue d’avance, vouée à l’échec, désespérante… car inatteignable.

« Suivre le Christ »… ce n’est pas une nouvelle forme d’esclavage, de servilité… mais c’est la liberté…  liberté inscrite dans la foi, dans la confiance en une parole donnée… qui m’invite à « suivre », à inscrire mon existence dans la dynamique du royaume, c’est-à-dire dans le service et l’amour.
Sur ce point, on pourrait presque dire que « suivre », c’est le contraire d’« imiter », dans la mesure où la stricte imitation – en réduisant la diversité des chemins et des vocations – peut entraver la vie et restreindre la liberté.

Il est évident que tous les êtres humains n’ont pas reçu les mêmes charismes, le même appel, la même vocation. Les chemins qui conduisent au Christ sont pluriels, car les dons de Dieu sont multiples.
Chacun doit pouvoir suivre le Christ à sa manière, en avançant à son pas, dans la voie qui lui semble être la sienne, et dans laquelle, il pense pouvoir cheminer et se laisser transformer par l’Esprit saint, en vivant dans la proximité du royaume : c’est-à-dire en s’enracinant dans l’amour, le don et la gratuité… en oeuvrant pour la paix et la justice… là où il se trouve.

Comme le souligne l’apôtre Paul, c’est à la liberté que le Christ nous appelle (Ga 5, 13) en devenant compagnon de route, en cheminant à sa suite. Et cela ne peut se faire qu’avec ce que nous sommes (notre personnalité), à notre manière, en empruntant nos propres routes, et non en suivant une unique piste toute tracée d’avance.

Cette distinction entre « suivre » et « imiter » m’amène à ouvrir une parenthèse sur le terrain de l’éthique… des questions morales :
« Suivre le Christ » ne correspond pas à un contenu éthique. Il ne s’agit pas de faire ceci ou de ne pas faire cela. Mais il s’agit d’un acte de foi, d’un engagement de l’être…. de notre personne… à la suite du Christ.
« Suivre le Christ » consiste à répondre à un appel, et non à adopter un modèle unique, un seul comportement « chrétien ».
C’est là d’ailleurs toute la richesse et toute la difficulté de l’éthique.
S’il existe une éthique chrétienne, fondée sur les enseignements de Jésus et l’interprétation des Ecritures, cette éthique (basée sur une distinction claire entre ce qui est bien ou mal, ce qui est porteur de vie ou de mort (cf. Dt 30, 19-20)) doit pouvoir éclairer nos choix, nos actes et nos comportements. Mais elle n’est pas un code de la route qui prévoit toutes les situations ; elle n’est pas un carcan destiné à régler précisément tous nos faits et gestes.

Dans son sermon sur la montagne (Mt : chap. 5 à 7), Jésus entend accomplir la Loi en la dépassant lorsque son interprétation ne conduit pas à la justice, lorsqu’elle exclut des personnes de la société, pendant qu’elle enferme les autres dans un légalisme desséchant, au lieu de les conduire à plus de vie et de liberté sous le regard de Dieu.

Dans une situation donnée, dans un contexte particulier, il peut parfois exister plusieurs façons d’agir pour le bien, vers ce qui libère, ce qui relève et qui fait vivre, comme il peut se trouver plusieurs façons d’agir pour le mal, vers ce qui enferme, divise ou détruit.
Il s’agit donc, en toute circonstance, de s’interroger.
Et peut-être faut-il commencer par le commencement, en nous questionnant sur notre manière d’agir, dans telle ou telle situation, lorsque nous avons des choix importants à faire :
Nous arrive-t-il de prendre du temps… de prier, pour demander à Dieu son discernement ? de dialoguer avec un autre chrétien dans la confiance et la confidence ?
Nous posons-nous la question de savoir… si tel ou tel choix est générateur de plus de vie pour nous-mêmes et notre entourage ? si c’est un choix (à long terme) qui ouvre, qui libère, qui vivifie, ou, au contraire, qui enferme, qui réduit ?
Autrement dit, à l’heure du choix, mon action (à cet instant) peut-elle aider mon prochain à être un homme (ou une femme) devant Dieu ?
Au moment de faire des choix importants, les Ecritures peuvent nous aider dans notre réflexion, à condition toutefois de s’attacher à l’Esprit et non à la lettre qui tue (2 Co 3, 6).
Le psaume que nous avons entendu nous rappelle qu’il est bon de se mettre à l’écoute de la parole pour choisir la vie : « Ta parole est une lampe pour mes pas, une lumière pour mon sentier » (Ps 119, 105).
(Je ferme ici cette parenthèse.)

En parlant de « vocation » – comme écoute d’un appel, pour suivre le Christ – j’ai fait allusion à deux aspects : l’écoute permettant d’entendre cet appel (d’une part) …. la réponse donnée, la suivance (d’autre part).
Ce double aspect montre que toute « vocation » relève à la fois d’un impératif (d’une absence de choix) et d’un choix (d’une réponse libre).

Le 1er élément : l’appel… fait référence à une extériorité…à quelque chose qui nous saisit venant d’ailleurs… à la parole – l’interpellation – qu’un autre nous adresse.
Dans le passage que nous avons entendu, c’est une rencontre, une relation personnelle entre le Christ et chacun des disciples qui est à l’origine de leur vocation. Jésus adresse une parole et cette parole saisit, touche, forme un appel ; elle se présente comme impératif dans le cœur de chacun. Il y a là un mystère, un secret, une parole qui chemine et travaille intérieurement.
De ce point de vue, on peut dire que la 1ère étape de la suivance correspond à un non-choix : une absence de choix. 
Voilà qu’une rencontre survient, qu’un appel retentit, et le disciple est sommé de répondre.
Il n’a choisi ni le lieu, ni le temps, ni la manière, ni le chemin….mais il lui faut répondre (dire « oui » ou « non »)… obéir ou refuser d’obéir…. il n’y a pas d’échappatoire.

Suivre le Christ ne consiste pas alors à abandonner sa volonté... mais (à cet instant, en cette occasion) à mettre sa volonté en accord avec la Parole de Dieu, à mettre sa volonté dans celle de Dieu. Autrement dit, à tourner sa volonté vers Dieu.

Le 2nd élément de la suivance : c’est précisément le choix de la réponse. Notre épisode (dans sa brièveté) ne nous livre pas le détail de la réponse de Simon-Pierre, d’André, de Jacques ou de Jean, mais nous montre l’instantanéité de leur réponse à travers leurs actes : abandonner leurs filets ou leur barque… qui correspond ici à un « oui » immédiat… un acte de foi.

En répondant positivement – en obéissant librement à l’appel reçu – chacun des disciples se met alors dans une situation où la foi devient possible… où elle peut désormais grandir et s’épanouir.

En effet, si Jacques, Jean, et les autres disciples n’avaient pas suivi Jésus… ils n’auraient, en réalité, jamais appris véritablement ce qu’est la foi.
Il y a donc là une relation à double sens entre la « foi » et la « suivance » : il faut d’abord croire – faire confiance – pour suivre le Christ, mais il faut aussi suivre le Christ, pour apprendre ce qu’est la foi, pour que cette foi s’élargisse et s’épanouisse.
Ce n’est qu’en marchant à la suite de Jésus que les disciples vont peu à peu apprendre ce qu’est la foi[3].

Cela veut dire – a contrario – qu’il n’y a pas de foi véritablement épanouie, sans obéissance, sans suivance... et donc… qu’on ne peut pas vraiment dissocier la foi et les actes. Il doit y avoir une cohérence entre la confiance et la suivance, entre la foi et les actes.

La foi engage !… et c’est une difficulté pour beaucoup ! Plusieurs passages de la Bible nous montrent que la réponse au Christ peut aussi être négative : le jeune homme riche, par exemple, ne parvient pas à lâcher sa fortune pour suivre Jésus.
De même, d’autres personnages bibliques tentent de différer leur réponse, comme, par exemple, le disciple qui demande à Jésus « d’aller d’abord enterrer son père » (Mt 8, 21-22).
[Face à un deuil qui incluait six jours de condoléances après la sépulture (qui avait lieu en Palestine le jour même de la mort), Jésus exprime l’urgence d’une mission qui ne doit plus être retardée.
Cette urgence – qui prime sur les devoirs religieux (prétendument sacrés) – c’est la promotion du monde nouveau de Dieu… c’est l’urgence du salut dont l’humanité a besoin.
Pour comprendre la réponse (assez radicale) de Jésus, il faut lire ici de façon métaphorique le mot « morts ». Pour l’évangéliste Matthieu, ceux qui n’entrent pas dans le royaume sont, d’une certaine manière, déjà « morts ». La suivance de Jésus est la clé qui donne accès au royaume… donc à la vie en plénitude. Il faut donc, avant tout, se préoccuper de ne pas être mort, plutôt que de se préoccuper d’enterrer les morts.]

En réalité, bien des personnages bibliques refusent dans un premier temps leur vocation. Il suffit de penser à Moïse ou à Jonas.
Les objections formulées face à un appel ne sont pas forcément négatives : elles peuvent révéler, au contraire, la prise au sérieux d’une vocation et l’engagement qui en découle.
Un certain temps est parfois nécessaire pour mûrir, dépasser les peurs et réaliser que Dieu accompagne celui (ou celle) qu’il appelle, ici ou là.

Mais les exemples de refus dont témoigne l’évangile soulèvent également plusieurs questions :
- Quels peuvent être, dans notre existence, les obstacles susceptibles de nous empêcher de répondre pleinement à notre vocation ?
A l’instar du jeune homme riche, il semble que l’attrait du pouvoir ou de l’argent peut faire barrage à cet appel. Mais, en réalité, toute préoccupation – lorsqu’elle prend trop de place et risque de devenir pour nous une idole – peut nous empêcher d’entendre ou de répondre à notre vocation d’enfants de Dieu, aussi bien qu’à une vocation particulière.
- Il faut également nous demander si – comme le scribe ou le disciple dans le deuil (Mt 8, 18-22) – nous n’avons pas aussi tendance à poser un certain nombre de conditions avant de nous engager à suivre le Christ, ou à trouver un certain nombre d’excuses pour différer notre réponse à son appel.

Il me semble que selon les périodes de notre vie, nous ne sommes pas toujours prêts à répondre au Christ. Et c’est souvent a posteriori que nous pouvons prendre conscience d’un appel que nous avons reçu, par le passé, chacun à notre manière, dans telle ou telle situation particulière.

La Bonne Nouvelle que nous laisse les divers récits de vocations, c’est que, malgré nos questions, nos hésitations ou nos refus temporaires, il n’est jamais trop tard pour Dieu… il n’est jamais trop tard pour répondre à son appel.
Bien des passages bibliques mettent en avant la fidélité et la patience de Dieu.
Ce qui compte, c’est bien de répondre… quelle que soit l’heure : souvenons-nous de Jonas ou de la parabole des ouvriers embauchés à des heures différentes de la journée (Mt 20, 1-16).

Pour conclure cette méditation, j’aimerais que nous gardions en mémoire les trois éléments déjà évoqués : la disponibilité, la liberté et la confiance.

« Devenir disciple » ne nécessite pas de compétences a priori, ni de capacités ou d’aptitudes particulières. Jésus ne demande pas un savoir-faire préalable, des diplômes ou un C.V. bien étoffé. Il n’appelle pas les uns ou les autres pour leur qualité exceptionnelle, leur sainteté ou leur perfection.
Regardez les disciples : ce sont des pécheurs, des hommes simples.

Mais aux yeux de Jésus, ils ont l’essentiel : d’abord la disponibilité pour se mettre à l’écoute d’une parole, ensuite la liberté pour pouvoir répondre et suivre le Christ, enfin la confiance pour surmonter leur faiblesse et s’appuyer sur Dieu.
C’est là – je crois – tout ce qui est finalement nécessaire à la suivance : la disponibilité pour écouter, la liberté pour agir, s’engager et prendre ses responsabilités, et la confiance, pour s’en remettre à Dieu, compter sur son appui en toute situation.

Autrement dit, la grâce de Dieu suffit (2 Co 12, 9)…. Il ne reste à l’homme qu’à l’accepter et à s’engager sur le chemin qu’elle ouvre : celui de la gratuité et de l’amour.

Face à tout ce qui peut nous emprisonner dans notre vie quotidienne ou dans nos choix… face à nos peurs : peur de ne pas y arriver, peur d’être jugé, peur de l’échec, peur de manquer, peur de la charge ou de notre faiblesse, peur de perdre… face à toutes ces peurs… et conscient de nos limites et de nos fragilités…. Jésus nous appelle à nous en remettre totalement à la grâce de Dieu, pour vivre libres et confiants.

« Venez à ma suite…. et je vous ferai pêcheurs d’hommes » ! (v.19)
Une Parole est donnée…. un appel est lancé.
Il n’y a pas d’explication…pas de mode d’emploi.
Nous voilà simplement appelés à répondre dans la confiance… à suivre le Christ…en se fiant à sa seule Parole.

Cher(e)s ami(e)s… en ces temps où nos vies sont souvent bien remplies et parfois agitées… que l’Esprit saint souffle sur nous un vent de paix et de liberté …. apte à susciter disponibilité et écoute … afin qu’en ouvrant nos cœurs à la Parole … nous suivions le Christ…. pour vivre (avec l’audace de la foi) dans la proximité du royaume des cieux.
C’est ce royaume que nous sommes appelés à rendre manifeste « ici-bas » autour de nous.

« Suivre le Christ », ce n’est pas imiter Jésus, mais c’est faire naître le Christ en nous, c’est laisser émerger en nous l’être humain véritable, le Nouvel Adam, l’être humain vivant en communion avec Dieu.
En vivant cette unité, nous devenons alors témoins : témoins de l’amour de Dieu, qui veut enlacer tout être humain dans les filets de sa grâce… de son salut qui fait vivre.
Amen. 


[1] Nous empruntons ce mot à D. Bonhoeffer. Le titre de son ouvrage Nachfolge (le Prix de la Grâce) pourrait être traduit par : « suivance », « obéissance » ou « obéissance dans la suivance » ou encore « devenir disciple ».
[2] D’une certaine manière, la suivance est liée au thème de la conversion, car elle implique un changement, un mouvement, une rupture.
[3] Autrement dit, la suivance (l’entrée dans l’obéissance à la suite du Christ) est, à la fois, une conséquence et une condition de la foi. Il s’agit là d’un rapport dialectique (mis en avant par D. Bonhoeffer) : la foi précède la suivance, mais la suivance précède l’épanouissement de la foi. « Croire » n’appartient pas au registre de l’observation en retrait du monde, mais à celui de l’immersion à la suite du Christ, qui impose un arrachement de l’ancienne vie à la manière du monde et engendre une situation nouvelle d’individu en Christ. Ce n’est que dans cette situation – dans la suivance, dans l’obéissance, dans la proximité avec le Christ – que la foi peut s’apprendre, se vivre et s’élargir. En d’autres termes : on n’apprend véritablement à croire qu’en marchant à la suite du Christ.