dimanche 29 janvier 2012

Mt 4, 1-11

Mt 4, 1-11

Culte-Prédication autour du récit des « tentations » de Jésus

Lectures bibliques : Ex 17, 1-7 ; Mt 6, 24. 19-21 ; Mt 4, 1-11 ; Mt 16, 21-23 
Thématique : qui voulons-nous servir ? … se servir de Dieu… ou se mettre à son écoute et accomplir sa volonté.

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures

- Ex 17, 1-7 (L'eau de Massa et Mériba)

1Toute la communauté des fils d'Israël partit du désert de Sîn, poursuivant ses étapes sur ordre du SEIGNEUR. Ils campèrent à Refidim mais il n'y avait pas d'eau à boire pour le peuple. 2Le peuple querella Moïse : « Donnez-nous de l'eau à boire », dirent-ils. Moïse leur dit : « Pourquoi me querellez-vous ? Pourquoi mettez-vous le SEIGNEUR à l'épreuve ? »

3Là-bas, le peuple eut soif ; le peuple murmura contre Moïse : « Pourquoi donc, dit-il, nous as-tu fait monter d'Egypte ? Pour me laisser mourir de soif, moi, mes fils et mes troupeaux ? » 4Moïse cria au SEIGNEUR : « Que dois-je faire pour ce peuple ? Encore un peu, ils vont me lapider. » 5Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Passe devant le peuple, prends avec toi quelques anciens d'Israël ; le bâton dont tu as frappé le Fleuve, prends-le en main et va. 6Je vais me tenir devant toi, là, sur le rocher — en Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l'eau, et le peuple boira. » Moïse fit ainsi, aux yeux des anciens d'Israël.

7Il appela ce lieu du nom de Massa et Mériba — Epreuve et Querelle — à cause de la querelle des fils d'Israël et parce qu'ils mirent le SEIGNEUR à l'épreuve en disant : « Le SEIGNEUR est-il au milieu de nous, oui ou non ? »

- Mt 6, 24 & 19-21

24« Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent.

19« Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, où les mites et les vers font tout disparaître, où les voleurs percent les murs et dérobent. 20Mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni les mites ni les vers ne font de ravages, où les voleurs ne percent ni ne dérobent. 21Car où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.

- Mt 4, 1-11

1Alors Jésus fut conduit par l'Esprit au désert, pour être tenté par le diable. 2Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir faim. 3Le tentateur s'approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » 4Mais il répliqua : « Il est écrit : Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. » 5Alors le diable l'emmène dans la Ville Sainte, le place sur le faîte du temple 6et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre. » 7Jésus lui dit : « Il est aussi écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. » 8Le diable l'emmène encore sur une très haute montagne ; il lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire 9et lui dit : « Tout cela je te le donnerai, si tu te prosternes et m'adores. » 10Alors Jésus lui dit : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c'est à lui seul que tu rendras un culte. »11Alors le diable le laisse, et voici que des anges s'approchèrent, et ils le servaient.

- Mt 16, 21-23 (Jésus annonce sa passion et sa résurrection)

21A partir de ce moment, Jésus Christ commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter. 22Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander, en disant : « Dieu t'en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t'arrivera pas ! » 23Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 29/01/12

Rien d’étonnant que Jésus connaisse des tentations alors qu’il est dans le désert : un lieu aride et éprouvant où l’on souffre de la faim et de la soif… un lieu où resurgit toutes les questions fondamentales qui hantent l’être humain lorsqu’il est face à lui-même : la peur du manque, le goût du merveilleux, le désir du pouvoir… toutes ces tentations qui nous appellent irrésistiblement… pour venir nous enchaîner, en nous éloignant de Dieu.
Il suffit de se souvenir de l’épisode du veau d’or (Ex 32) qui dit le penchant récurrent de l’humanité pour l’idolâtrie… une idolâtrie qui peut prendre bien des formes.

Notre passage indique que Jésus est là depuis une longue période : quarante jours et quarante nuits. Le nombre « quarante » a ici une valeur symbolique. Il rappelle l’expérience de Moïse sur le mont Sinaï (Ex 24, 18 ; 34, 28) et celle d’Elie dans le désert (1R 19, 8), deux personnages que l’on retrouvera dans le récit de la transfiguration.

L’épisode sur lequel nous méditons aujourd’hui présente le combat intérieur d’un homme : Jésus… qui laisse entrevoir un « acteur » caché : le « diable ».
Alors, qui est-il ce « diable » ou ce « satan » dont nous n’aimons pas trop parler ?

Le mot « diable », du grec diabolos, veut dire « ce qui divise » (qui défait du lien, qui dissocie) ou mieux « ce qui détourne », qui sépare de Dieu.
Par extension, ce qui divise, signifie aussi ce qui rend confus, ce qui apporte la confusion.
Diabolos, c’est le contraire exact du terme sum-bolon (symbole) qui désigne une réalité qui unit, qui joint et relie.
A l’origine, en Grèce, le symbole était un tesson de poterie cassé en deux morceaux et partagés entre deux personnes qui avaient contracté une alliance. Pour signifier ce lien contractuel, on devait réunir les deux morceaux pour qu’ils retrouvent leur unité. L’assemblage parfait des deux parties constituait une preuve de leur origine commune et donc un signe de reconnaissance.
Le diabolique, c’est le stricte opposé du symbolique. Là où il y a relation, lien, alliance, là où il y a du sens, le diabolique fait croire à une cassure, une brisure, et au non-sens.
Pour les Grecs, ce qui relève du diabolique, c’est, par exemple, le bâton qui semble rompu lorsqu’il est plongé dans l’eau ; c’est l’apparence trompeuse ; c’est ce qui fait croire à la cassure et relève de l’illusion des sens.
Cette force qui divise et qui trompe, l’évangéliste Matthieu l’appelle aussi « le tentateur » (v.3)[1]
Le mot « diable » remplace un terme hébreux plus ancien : « satan » (v.10) qui signifie « l’adversaire, l’opposant », « l’accusateur », c’est-à-dire « celui qui se met en travers », « qui empêche le lien ».

Il ne faut donc pas voir ici un nom propre qui désignerait un individu, une personnalité, une créature ou une sorte d’anti-dieu[2], mais plutôt un nom commun signalant une tentation, une force « adverse », qui s’insinue dans notre intimité, pour instiller le doute, nous mettre à mal, semer la confusion, et nous diviser profondément.
Le « diable » n’est rien d’autre que la personnification artificielle de notre propre opposition à Dieu. Il vient signifier un combat intérieur contre ce qui – en l’homme – est encore orgueilleux et idolâtre.

Selon des témoignages (divers et variés au cours de l’histoire), l’expérience de « ce qui divise » peut arriver au moment où l’intensité de la relation avec Dieu est à son comble ; elle vient alors brusquement interroger cette union à Dieu.
C’est le cas ici, pour Jésus, puisque l’épreuve de la tentation survient au cœur de sa vocation… alors qu’il vient de recevoir le baptême et qu’il est conduit par l’Esprit au désert (v.1).

Dans notre récit, les deux premières tentations commencent de la même manière : « si tu es le Fils de Dieu » (v. 3 et 6). La tentation est dans le « si », c’est-à-dire dans le doute au sujet de la vérité de la filiation de Jésus… et, plus avant encore, dans la possibilité qui s’offre à Jésus de renoncer à occuper cette place de Fils, de renoncer à être celui qui vient de la part de Dieu.
Cette filiation a été exprimée dans le passage précédent au moment du baptême, où Jésus reçoit l’Esprit de Dieu (Mt 3, 16), et se voit proclamé « Fils bien-aimé » du Père (Mt 3, 17).

Il faut déjà souligner ici la différence fondamentale entre Dieu et le « diable » :
Là où Dieu fonde l’identité de Jésus comme « Fils » sur une reconnaissance gratuite et inconditionnelle, sur un don… le « diable », lui, remet cette parole de grâce en doute : il demande des preuves, des garanties. Il demande à Jésus de montrer qu’il est à la hauteur, de mériter cette filiation, de la justifier par ses performances.
Autrement dit, il demande à Jésus de se donner lui-même sa propre valeur, au lieu d’accepter de la recevoir de Dieu, dans la confiance en sa parole.

L’autre argument utilisé par le diviseur, l’adversaire, ce sont les Ecritures.
Entre Jésus et le tentateur s’engage une sorte de dispute herméneutique, où tout se joue sur ce qui « est écrit » (v.4.6.7.10).
Précisément, l’adversaire connaît et cite à la lettre l’Ecriture. Toutefois, ce n’est pas pour « l’accomplir », mais pour l’utiliser à ses propres fins…. alors que Jésus s’y réfère en rappelant la volonté de Dieu, ce que Dieu attend des humains.
Le fait que le « diable » tente de se faire l’avocat du « bon Dieu », en utilisant un Psaume, doit attirer notre attention sur les effets pervers du littéralisme qui se meut bien souvent en fondamentalisme : toute citation biblique n’est pas forcément parole d’Evangile. Il est toujours possible de se fonder sur la lettre de l’Ecriture, pour la détourner ou la déformer.

Alors… voyons maintenant plus en détail quelles sont les tentations qui se présentent à Jésus :

- La 1ère tentation (v.3-4) est celle du pain, c’est-à-dire de ce dont l’homme vit, de ce qui est sa vraie nourriture pour ne pas mourir dans le désert : est-ce les aliments (qui entrent dans la bouche de l’homme) ou l’écoute de la volonté de Dieu (c’est-à-dire de ce qui sort de la bouche de Dieu pour entrer dans le cœur de l’homme) ?
Les deux sont essentiels à l’homme, comme le précise Jésus en citant le Deutéronome : « l’homme ne vit pas de pain seulement, mais il vit de tout ce qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8, 3).

A l’heure où notre société de consommation s’essouffle dans un modèle purement matérialiste marqué par l’avoir, le « toujours plus », l’accumulation des biens matériels (tandis que d’autres n’ont même pas le minimum vital), il est bon de réentendre que ce qui nourrit vraiment vient aussi d’ailleurs : de notre relation Dieu, de sa Parole, de ses dons spirituels.
C’est, en réalité, cette Autre nourriture que nos contemporains recherchent, même si beaucoup n’arrivent pas à mettre de mots sur cette véritable quête, ni à trouver la voie de leur préoccupation ultime.
Il y a donc une tentation diabolique (quelque chose qui nous trompe et nous divise) dans le fait de réduire la vie de l’homme, et ce qui constitue sa nourriture, au seul pain matériel.

Alors…. d’où vient cette tentation ? … d’où vient cette tentation qui nous conduit à avoir, à stocker, à accumuler tant de biens de consommation ?
Elle prend d’abord appui sur une peur : la hantise du manque, la peur de manquer, d’être un jour dans le besoin.
Elle repose également sur de faux espoirs, des promesses trompeuses relayées (entre autres) par la publicité : la double illusion selon laquelle l’abondance de biens est capable de nous procurer plus de liberté et de nous offrir le bonheur. (Regardez les spots publicitaires, et vous verrez que ce qui vous est présenté : c’est le prétendu pouvoir d’un produit de vous offrir plus de liberté, de bien-être, et de plaisir…. voire de bonheur.)

Face à ces promesses trompeuses… il est bon de réentendre, ce matin, que l’homme n’a pas seulement faim de biens matériels, mais aussi de la Parole de Dieu, de la relation avec Dieu : de ce qui nourrit plus profondément sa vie et lui donne du sens.

C’est précisément ce que nous demandons à Dieu dans la prière du « Notre Père » que Jésus a donné à ses disciples envoyés en mission : « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » (Mt 6, 11 ; Lc 11, 3)….c’est-à-dire, donne-nous tout ce qui nourrit véritablement : outre le « pain de la terre » pour le corps physique, donne-nous le « pain du ciel » pour le cœur et l’esprit… autrement dit, donne-nous les moyens indispensables pour continuer à accomplir la mission qui nous est confiée : d’être des témoins du monde nouveau de Dieu.

-       Prières (confession du péché & pardon) + Chant -

- La 2ème tentation (v. 5-7) est celle du pinacle du Temple de Jérusalem. « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre » (v.6).
En citant les Ecritures, le tentateur veut inciter Jésus à prendre Dieu au piège de sa propre parole. Il tente d’entraîner Jésus dans une provocation à l’égard de Dieu, en l’obligeant à vérifier que Dieu dit vrai.
L’adversaire cite ici le Psaume 91 (90 LXX).
Mais il omet quelque chose.
Le texte intégral serait le suivant :
« A ses anges il donnera des ordres pour toi de te garder en toutes tes voies. Sur leurs mains ils te porteront pour que ton pied ne heurte pas sur la pierre » (v. 11-12).
Ce psaume promet à chaque croyant une protection angélique (c’est-à-dire divine). Mais « en toutes tes voies » veut dire dans l’existence ordinaire de l’homme, et pas dans une sorte de confiance béate en des solutions miracles… confiance qui laisse penser que tout est possible, comme « satan » voudrait le faire croire.
Jésus lui répond à nouveau par une citation du Deutéronome. Le texte qu’on trouve dans notre Ancien Testament dit exactement :
« Vous ne mettrez pas à l'épreuve le SEIGNEUR votre Dieu comme vous l'avez fait à Massa » (Dt 6, 16).

Qu’est-ce que les Hébreux (les Israélites) ont fait a Massa ? Dans leur impatience, ils ont imposé une épreuve à Dieu ; ils ont murmuré contre Moïse et tenté l’Eternel ; ils l’ont mis en cause et lui ont demandé une manifestation de sa grâce… un miracle… en réclamant à manger et à boire en plein désert (Ex 16 et 17, notamment Ex 17, 1-7).
Or, comme le souligne Jésus, en citant la Torah, l’homme n’a pas à mettre à l’épreuve son Dieu ; il n’a pas à le contraindre à intervenir.

Cette 2ème expérience vécue par Jésus (sommé de se jeter dans le vide du haut du Temple) montre qu’il y aurait donc une tentation diabolique (et trompeuse) de ne pas assumer ses responsabilités, de se mettre en danger, pour finalement invoquer le secours (surnaturel) de Dieu… comme si lui seul devait agir et faire l’impossible, alors que, nous, nous n’aurions pas fait notre possible pour éviter des situations périlleuses.
C’est un peu comme si on jouait avec le feu, sans s’occuper des règles qui nous sont données pour vivre notre liberté… et, lorsque l’incendie se déclare, on demande à Dieu de l’éteindre.
Mais, Dieu n’est pas le pompier de service ; il n’est pas à notre service.

Pourtant en regardant notre monde, on a parfois l’impression que nous sautons cette étape… que nous oublions d’écouter la parole de Dieu… qui nous guide pour faire les bons choix : ceux qui nous conduisent vers plus de vie et de liberté.
Il y a tellement de situations… de domaines… dans notre monde où l’être humain se met en danger en jouant avec des puissances, des éléments, des forces qu’il ne maîtrise pas. Il suffit de regarder autour de nous :
Lorsque l’homme, par exemple, dans sa volonté de maîtrise et de toute puissance, installe des villes dans des endroits dangereux, sur des espaces côtiers régulièrement soumis aux aléas climatiques, aux tempêtes, aux cyclones, à des failles sismiques ou des tremblements de terre…  lorsqu’en toute connaissance de cause, l’homme prend des risques inconsidérés pour des raisons essentiellement économiques…il ne peux pas ensuite invoquer la responsabilité de Dieu dans des catastrophes naturelles (comme beaucoup le font pourtant), alors qu’il n’a pas lui-même fait preuve de responsabilité.
Il y a encore le cas de la force nucléaire. L’homme joue là avec une puissance qu’il est évidemment loin de maîtriser totalement, et dont les conséquences catastrophiques sur le long terme, en cas de difficultés (comme au Japon), laissent à penser qu’il serait sage de renoncer à utiliser une énergie susceptible de nous mettre en danger. Mais, bien sûr, la tentation de la toute-puissance (de la domination et de l’exploitation) est grande et trompeuse. L’homme est souvent prêt à tout pour en avoir davantage : qu’il s’agisse de pouvoir, de richesse ou de puissance.
A notre niveau personnel, la question se pose également. Pouvons-nous renoncer à certaines habitudes, à certaines pratiques, voir à un certain confort, lorsque celui-ci met, à plus ou moins long terme, en danger nos conditions de vie et menace notre environnement.

Dans son impatience et sa course au profit maximum, l’être humain a bien du mal à faire preuve d’humilité, de sagesse et de discernement. Il a bien du mal à s’auto-limiter, à se restreindre, à renoncer à certaines formes de puissance et d’arrogance… autrement dit, à rester à sa place de créature (vulnérable), sans vouloir devenir lui-même (par ses propres forces) un petit dieu.

Compter sur l’appui de Dieu dans sa vie quotidienne, avoir foi en Lui, s’en remettre à un Autre et à sa parole… n’a rien à voir avec le fait de se mettre en danger et d’invoquer le nom de Dieu pour réclamer un miracle… une protection surnaturelle.
Il me semble que cette tentation diabolique – qui suggère à Jésus de « se servir de Dieu » pour satisfaire ses propres désirs (v.3) ou assurer sa protection (v. 6) – interroge (ici encore) notre « conception » de Dieu et nos attentes vis-à-vis de Lui : notre Dieu n’est pas un des dieux du paganisme, une machine à miracles au service de ses fidèles, un dieu magicien, extraordinaire et prodigieux, qui réglerait tous nos maux d’un coût de baguette magique, et devant lequel nous ne serions que des spectateurs ou des marionnettes.
Bien des livres de la Bible, à commencer par la « Torah » (les 5 premiers), nous appellent avant tout à écouter la parole de Dieu et à exercer nos propres responsabilités d’être humain, à qui le Créateur à lui-même confié sa création, pour que l’homme coopère par son action à l’accomplissement à celle-ci (Gn 1, 27-28).
Et pour ce faire, Dieu nous a fait connaître sa volonté à travers sa parole : « la Torah et les Prophètes » auxquels justement se réfère Jésus.
Jésus refuse donc la définition simpliste et archaïque de Dieu que lui offre le « diable » : Dieu n’est pas le dieu-tout-puissant dont nous rêvons, l’idole forgée par l’imaginaire de l’homme.
Il n’est pas un dieu-tout-puissant ignorant la liberté et la place de l’homme.
Il veut être Dieu-avec-nous (Emmanuel).
Sa puissance est celle de l’amour d’un Père pour ses enfants.

-       Prière (confession de foi) + Chant -

- Le récit de la 3ème tentation (v. 8-10) débute par une vision offerte depuis le sommet d’une très haute montagne. Cette expérience fait penser à un épisode de la fin du livre du Deutéronome où le Seigneur montre à Moïse, depuis le sommet du mont Nébo (Dt 34, 1-4), la terre promise, en lui disant que lui-même n’y passera pas, mais qu’elle sera donnée à sa descendance.
Ici, le « diable » – l’adversaire – montre à Jésus les royaumes de ce monde et leur gloire (leur richesse), en lui promettant de lui offrir… à condition, toutefois, qu’il se prosterne devant lui.
Il s’agit donc d’une promesse conditionnelle. Mais, rien ne nous dit que l’adversaire possède vraiment ce qu’il promet[3], d’autant qu’il n’a pas encore vaincu le Messie, mandaté par Dieu.
D’ailleurs, la fin de l’évangile de Matthieu, où le Ressuscité dit : « tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre… de toutes les nations faites des disciples » (Mt 28, 18) montre le retournement de situation, la victoire du Messie… victoire « symbolique » au sens étymologique : c’est-à-dire qui relie, qui fait alliance.

Ici, le tentateur (qui cherche à occuper la place de Dieu) prétend offrir à Jésus un pouvoir qu’il n’a pas encore, mais à condition de le détourner de Dieu, de le faire renoncer à sa propre filiation.
C’est la tentation de la toute-puissance qui s’offre à Jésus, mais d’une toute-puissance à la manière de l’homme, dans la possession, la domination… une toute-puissance qui est forcément liée et soumise à une forme d’idolâtrie.

En effet, qu’est-ce que l’idolâtrie ?
L’idolâtrie consiste à se tromper de cible, à s’arrêter en cours de route, à transformer des moyens en fin ultime. La richesse, par exemple, ne devrait pas être une fin en soi, mais un moyen…un moyen au service de l’amour. Lorsqu’elle est élevée en but à atteindre, elle devient une idole : elle me fait alors tomber sous sa coupe, elle me rend dépendant, et fait de moi son esclave. En devenant l’objet de ma préoccupation ultime, au lieu de rester à sa place d’objet transitoire, de moyen, elle m’enferme sur elle-même et me détourne de Dieu.
Mais qui pourrait résister aux attraits idolâtres de la richesse et du pouvoir ?

Précisément, ce qui est « sagesse » pour le monde est « folie » pour Dieu (cf. 1 Co 1, 18-25).
En occupant la place que veut lui donner l’adversaire, Jésus aurait pu être un Jésus tout-puissant, mais il n’aurait jamais pu être le Christ… l’homme en communion avec Dieu tout au long de sa vie jusqu’à la croix… il n’aurait jamais pu être transparent à Celui qu’il porte en lui, et devenir le Révélateur de Dieu.

Jésus ne peut donc que refuser l’offre de celui qui cherche à le diviser, à le séparer de Dieu, pour le faire tomber dans l’idolâtrie.
Il ne peut que rejeter ce pouvoir qui l’aurait contraint à renoncer à vivre en relation avec le Père.
Par son obéissance, sa fidélité et ses paroles : « Arrière, satan ! », le diviseur est ainsi mis hors jeu.

Il faut souligner que ce sont presque les mêmes paroles qui seront adressées à l’apôtre Pierre, après son offre diabolique d’éloigner Jésus de sa vocation, de le détourner de sa mission messianique (Mt 16, 21-23)… mission qui ne peut s’accomplir que dans la communion avec le Père, même si cette union va le conduire à la croix.

Cette 3ème tentation nous montre toute la difficulté, et même l’impossibilité, qu’il y a à adorer deux maîtres à la fois.
La tentation du pouvoir, sous toute ses formes, est diabolique (au sens étymologique), dans la mesure où elle risque de nous diviser, de nous couper de notre relation à Dieu, car l’exercice du pouvoir selon le monde n’a rien à voir avec l’exercice de l’autorité selon Dieu :
le 1er s’exerce dans l’avoir, la domination, la puissance et la richesse… il est écrasant et il objectivise les personnes en les enfermant dans des rôles déterminés. Le 2nd s’accomplit dans l’être, le don de soi, l’humilité et le service… autrement dit, dans l’agape, l’amour inconditionnel… qui élargit les horizons et fait grandir les autres. Il y a donc une incompatibilité entre ces deux mondes : les royaumes du monde (Mt 4,8) et le règne des cieux (Mt 4, 17).

La seule solution… celle à laquelle Jésus nous appelle… c’est à la fois l’obéissance à la parole de Dieu et la conversion… qui signifie un changement de mentalité.
C’est ce changement à opérer et à vivre que Jésus va expliquer dans son sermon sur la montagne, par lequel il entend accomplir la Loi.

- Les trois tentations ont donc été vaines. « Alors, le diable le laisse, et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient » (v.11), c’est-à-dire, lui procuraient de quoi manger[4].
La fin du récit nous offre une surprise… une promesse : ce que Jésus a refusé comme une tentation, ce qu’il a renoncé à obtenir comme une conquête, en passant par la tromperie et le pouvoir du tentateur, lui a finalement été apporté gratuitement comme un don, comme quelque chose qui vient par surcroît.

Ici prend déjà sens cette parole de Jésus : « Cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu, et tout cela [la nourriture et le vêtement] vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33).
C’est déjà le royaume du service, du don et de la gratuité qui est ici annoncé… à travers la fidélité de Jésus envers la parole de Dieu.

- Alors, chers ami(e)s…. que retenir de ce récit ?

Les tentations sont grandes de vivre à la manière du monde, de céder aux attraits de ce qui pourtant nous éloigne de Dieu : la peur, l’absence de responsabilité, l’idolâtrie, la soif du pouvoir et de l’avoir, etc.
Mais il existe encore bien d’autres épreuves qui n’ont pas été évoquées ici : tentations du découragement, du désespoir, de l’abandon, de la culpabilité qui paralyse.
Bien souvent, l’adversaire, le « diable », ne correspond pas à ce que nous pouvons penser ou imaginer. Il nous faut dépasser les représentations que nous offre, par exemple, l’histoire de l’art… oublier les cornes et les pieds fourchus. Le tentateur est bien plus discret. Il est à l’œuvre lorsque nous écoutons la voix qui vient remettre en question le fondement de notre relation de confiance en Dieu et en sa parole de grâce qui accueille et relève l’être humain sans condition.

Face à ce qui crée la division et la confusion en nous et dans notre monde, Jésus nous montre que la seule attitude possible, pour résister au mal, est l’obéissance : la fidélité envers la parole de Dieu.
« Obéissance » : c’est un mot que nous n’aimons pas beaucoup, nous les adultes. Et pourtant, si nous y réfléchissons, lorsque nous demandons à un enfant d’obéir, c’est en général pour son bien, pour lui éviter de commettre des erreurs, de faire des bêtises, ou de se blesser.
Alors, c’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre l’obéissance.
Il ne s’agit pas d’une soumission aveugle, mais d’une fidélité emprunte d’une totale confiance en un Dieu bon, qui aime ses enfants.
En d’autres termes, il s’agit d’une fidélité qui nous appelle à vivre libre… libre comme Jésus…. et qui nous permet d’ouvrir notre désir… pour le faire grandir et l’orienter vers « quelque chose » de plus grand, de plus ultime, que les promesses stériles (et conditionnelles) d’avoir et de pouvoir offertes par le tentateur.

S’enraciner dans la fidélité pour accomplir la volonté de Dieu, telle que sa parole nous la fait connaître : voilà le chemin auquel Jésus nous appelle à sa suite.

Pour résister à ce qui menace de nous diviser, nous avons le secours d’un paraclet (un avocat, un conseiller, un défenseur) : l’Esprit Saint… qui vient nous éclairer et nous aider à comprendre les Ecritures… ce que Dieu attend de nous (que nous nous mettions au service de son royaume : de l’amour, de la paix et de la justice).
Alors, ne cessons pas de rechercher la volonté de Dieu dans sa Parole vivante… en Jésus Christ…. car c’est précisément dans cette Parole que nous trouvons notre nourriture pour la route… (pour prendre part au monde nouveau de Dieu).
Prions donc… pour que Dieu nous apporte sa lumière et sa sagesse, afin que nous puissions accomplir sa volonté…. afin « que sa volonté soit faite » (Mt 6, 10).
Amen.


[1] Un moyen aussi employé par Paul pour définir le Satan : 1 Th 3, 5 ; 1 Co 7, 5.
[2] Ex 20, 3 ; Dt 5, 7 : « Tu n’auras pas d’autre[s] dieu[x] face à moi ».
[3] La Bible, nous dit, au contraire, que la création est d’abord l’œuvre « bonne » de Dieu.
[4] Diakoneo indique en premier lieu le service de la table. 

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