dimanche 25 décembre 2011

Mt 1, 1-25

Mt 1, 1-25
Lectures bibliques : Mt 1, 1-3 […] 16-25 ; 2 Co 3,17 ; Ga 4, 1-7 ; Rm 8, 14-16.
Thématique : notre identité véritable (de fils ou de fille de Dieu) est à la fois déjà là et en devenir. Elle n’est pas à conquérir, mais à recevoir… en accueillant l’Esprit… qui forme le Christ en nous.

Prédication = voir plus bas, après les lectures

Lectures

- Mt 1, 1-3 […] 16-25

1Livre des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham :
2Abraham engendra Isaac,
Isaac engendra Jacob,
Jacob engendra Juda et ses frères,
3Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar,
Pharès engendra Esrom,
Esrom engendra Aram,
[…] etc.
16Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie,
de laquelle est né Jésus, que l'on appelle Christ.
17Le nombre total des générations est donc : quatorze d'Abraham à David, quatorze de David à la déportation de Babylone, quatorze de la déportation de Babylone au Christ.

18Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint. 19Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement. 20Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint, 21et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » 22Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète : 23Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ».24A son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, 25mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

- 2 Co 3, 17

Le Seigneur est l'Esprit, et là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté.

- Ga 4, 1-7

1Telle est donc ma pensée : aussi longtemps que l'héritier est un enfant, il ne diffère en rien d'un esclave, lui qui est maître de tout ; 2mais il est soumis à des tuteurs et à des régisseurs jusqu'à la date fixée par son père. 3Et nous, de même, quand nous étions des enfants soumis aux éléments du monde, nous étions esclaves. 4Mais, quand est venu l'accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme et assujetti à la loi, 5pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu'il nous soit donné d'être fils adoptifs. 6Fils, vous l'êtes bien : Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, qui crie : Abba — Père ! 7Tu n'es donc plus esclave, mais fils ; et, comme fils, tu es aussi héritier : c'est l'œuvre de Dieu.

- Rm 8, 14-16

14En effet, ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l'Esprit de Dieu : 15vous n'avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. 16Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 25/12/11

Qu’est-ce que les textes bibliques que nous venons d’entendre disent de l’identité de Jésus et que disent-ils de notre identité d’homme ou de femme du 21ème siècle ?

Au delà des aspects surnaturels ou légendaires de ce récit qui peuvent sans doute nous questionner, je crois qu’il est surtout intéressant de nous interroger sur l’intention profonde de l’évangéliste Matthieu dans le 1er chapitre de son livre.

A quelles questions Matthieu veut-il répondre ?
Sans doute à plusieurs… Il me semble possible d’en formuler quelques-unes :
De qui Jésus est-il le Fils ?
D’où vient Jésus ?
Quelle est son identité ?

A toutes ces questions, l’évangéliste apporte une réponse en emboîtant différents éléments, comme pour reconstituer le puzzle qui nous livrerait l’identité de Jésus.

Ce travail d’assemblage, c’est aussi celui que nous faisons pour nous mêmes, lorsque des changements importants traversent notre vie, et nous obligent à déconstruire et à reconstruire le puzzle de notre identité, pour emboîter les morceaux autrement, pour trouver de nouvelles imbrications possibles.

Alors, voyons – à travers Jésus – quels sont pour Matthieu les éléments constitutifs de l’identité de l’homme :

- Tout d’abord, Matthieu nous dit que la venue de Jésus s’inscrit dans une histoire.
Cette histoire est celle du peuple juif. Elle est marquée par une promesse et une espérance.
  • Jésus est « fils d’Abraham » (Mt 1,1). Comme chaque juif, il est héritier des promesses de Dieu faites à ses pères.
  • Jésus est aussi « Fils de David » (Mt 1,1). C’est à la descendance de David qu’a été promis le royaume. Le titre de « Fils de David » est implicitement messianique. Il inscrit Jésus dans une lignée nourrit d’une espérance : celle de voir émerger un messie qui concrétisera le royaume de Dieu dans l’histoire des hommes. Et c’est précisément ce que Jésus fera… en manifestant le Royaume de Dieu autour de lui (Lc 17,21) … non pas à la manière des hommes… mais en s’inscrivant dans le plan de Dieu.
Qu’en est-il de nous aujourd’hui ?
Notre histoire s’inscrit-elle dans une promesse ?
Et si oui, quelle est cette promesse ? Quel est son objet ?

L’apôtre Paul répond à cette question. Il révèle aux Galates – et à nous encore aujourd’hui – que nous sommes aussi héritiers d’une promesse.
Par la foi, nous sommes fils ou fille d’Abraham (Ga 3). Puisque nous sommes croyants, nous sommes aussi au bénéfice de cette promesse.
L’objet de cette promesse : c’est L’Esprit (Ga 3, 14)… l’Esprit saint que Dieu envoie dans nos cœurs (Ga 4, 6) et que nous recevons par la foi (Ga 3, 14). C’est cet Esprit qui fait de nous des enfants de Dieu, des fils adoptifs (Ga 4, 5 ; Rm 8, 15).

- Ensuite, l’évangéliste Matthieu nous livre une longue généalogie. Cette longue liste est intéressante sur plusieurs plans. D’une part, parce qu’elle livre des noms très divers : des hommes comme Abraham, connus pour leur confiance en Dieu, et des rois descendants de Salomon, qui n’ont pas tous été des justes, et qui ont même fait souffrir leur peuple. D’autre part, parce que cette généalogie mentionne 4 femmes. Non pas les 4 mères d’Israël : Sarah, Rébecca, Léa et Rachel, mais 4 femmes : Tamar, Rahab, Ruth et Bethsabée (la femme d’Urie), qui sont loin d’avoir été irréprochables, puisque l’une ou l’autre a été prostituée ou adultère. Il y a donc là, dans cette liste d’ancêtres, une grande diversité humaine, où se côtoie le juste et l’injuste, le fidèle et l’infidèle.

Deux raisons peuvent expliquer pourquoi Matthieu mentionne ces 4 femmes :

La première, c’est qu’il veut montrer qu’aucune imperfection morale ou religieuse n’est un obstacle à la venue de la nouveauté, à la venue du Christ dans l’histoire.
Et si tel est le cas pour Jésus, c’est également vrai pour nous-mêmes.
Comme pour Jésus, l’histoire des générations qui nous ont précédées est peut-être aussi faite d’un mélange du meilleur et du pire. Mais nous ne sommes pas prisonnier de ce passé. Quelque chose de neuf peut surgir dans notre vie… quelque chose de bon peut advenir… quels que soient les tumultes de notre passé… proche ou lointain.

La seconde raison – plus probable – c’est que la mention de ces 4 femmes étrangères permet de suggérer que les non juifs, les gentils, sont partie intégrante de l’histoire d’Israël, de cette histoire qui a donné au monde un messie. Par conséquent, ce messie (ce Christ) est destiné à tous les hommes.

- Enfin, Matthieu nous parle de plusieurs éléments susceptibles de définir l’origine de Jésus. Ce sont ces différents niveaux réunis et conjoints qui constituent l’identité de Jésus, reconnu comme étant le Christ :

Le premier point est au passé (v.20) et tous les autres sont au futur (v.21-23), puisque l’objet de ce récit n’est pas de présenter la naissance de Jésus, mais de dire sa conception, son « origine ». Il s’agit de révéler – avant même la naissance de cet enfant – qui il sera, quelle est son identité véritable.

  • Le 1er point concerne l’identité fondamentale de Jésus, son identité « spirituelle ».
« Ce qui a été engendré en elle [en Marie] est d’Esprit saint » (Mt 1, 20). Matthieu veut nous livrer ici le point originel de l’identité de Jésus. En désignant « l’Esprit Saint », il nous révèle une origine imprenable, une origine inaccessible, une origine inatteignable, puisqu’elle vient du Créateur, elle s’enracine en Dieu lui-même… qui est Esprit (Jn 4, 24).
Ce que Matthieu formule ici n’est pas le résultat d’une enquête historique, mais s’apparente à une affirmation de foi.
Cette confession de foi, c’est que Jésus est le Christ, le porteur de l’Esprit, le fils de Dieu.

Cette conviction s’enracine dans celle des communautés chrétiennes de la génération précédente.
Déjà, pour l’apôtre Paul, le Seigneur c’est l’Esprit (2 Co 3, 17). Cette affirmation résulte d’une expérience de foi, d’une apparition du Ressuscité (1 Co 15, 8).
Si, pour Paul, la résurrection a révélé que Jésus était bien le fils de Dieu (Rm 1,4), c’est, selon l’évangéliste Matthieu, qu’il était déjà le porteur de l’Esprit durant son existence, son ministère, au moment de son baptême (Mt 3, 16-17 [Marc commence ici : Mc 1, 10-11]), et même dès sa naissance. Matthieu en conclut que Jésus – avant même sa naissance – a été engendré d’Esprit saint.

  • Le deuxième point révèle l’identité biologique ou génétique de Jésus. Il est un homme, le fils d’une jeune femme : Marie… la mère qui va l’enfanter, le porter, l’attendre avant même qu’il vienne, et lui donner naissance (Mt 1, 21.23).

  • Le troisième point nous livre l’identité filiale de Jésus, à travers la figure de Joseph, le personnage sur lequel débouche la longue généalogie récapitulée par Matthieu.
« Tu lui donneras le nom … » (v.21) : Il s’agit là du rôle qui est offert au père, qui évidemment n’a pas porté l’enfant, mais qui doit le recevoir, l’accepter, lui donner un nom, le reconnaître, l’adopter, l’inscrire dans une filiation, lui ouvrir son foyer, pour lui offrir son amour, sa protection, une éducation, lui transmettre des repères éthiques, psychologiques, culturels et religieux.

Souvent, dans l’Ancien Testament, le nom désigne l’identité ou le rôle attribué à un homme dans le dessein de Dieu. Par le nom de « Jésus » (v.21) : Yeshua, qui veut dire « le Seigneur sauve », Matthieu précise que cet enfant sera celui qui va libérer son peuple, pour restaurer la relation… le rapport entre l’homme et Dieu.

  • Enfin, le dernier point concerne l’identité « sociale » de Jésus, ou plutôt son identité « relationnelle » ou « communautaire ». Il s’agit de l’image qu’auront de lui ses disciples, la manière dont ils le reconnaîtront. Et puisque Matthieu est un disciple du Christ, il révèle ici, dès le début de l’évangile, l’identité que son groupe – son église et lui-même – a donné à Jésus, en l’identifiant comme l’« Emmanuel » (v.23) : qui signifie « Dieu avec nous », « Dieu parmi nous », « Dieu au milieu de nous ».
C’est là – bien sûr – ce que confesseront plus tard les premiers chrétiens, au terme de l’existence historique de Jésus : en Jésus le Christ, Dieu se manifeste… il se révèle dans l’humain à l’humanité… il habite au milieu de nous.

Par Jésus, l’homme réalise ainsi concrètement que Dieu est présent dans l’humanité en son essence. C’est la raison pour laquelle Jésus est appelé « le nouvel Adam » [Paul] ou « l’être nouveau » [Tillich], dans la mesure où il accomplit pleinement cette humanité en communion avec Dieu, cette humanité fécondée par l’Esprit, qui lui donne toute sa dimension.

Ce qui est frappant dans ce 1er chapitre de l’évangile de Matthieu, c’est cette cohérence entre l’identité « personnelle » de Jésus, son identité fondamentale, le « lieu » où il s’enracine : en Dieu qui est Esprit … et son identité « sociale », l’identité dans laquelle il est reconnu par ses disciples, comme « Emmanuel », comme manifestation de la présence de Dieu, c’est-à-dire comme le porteur de l’Esprit.

Or, nous savons que ce que Matthieu pose ici comme une conviction, comme quelque chose d’a priori… cela n’a pas du tout coulé de source… cela n’a pas du tout été une évidence pour tous ceux qui ont croisé Jésus et qui ont été bousculés par lui.
Bien sûr, les évangiles nous révèlent que Jésus a été, durant son existence, un homme en parfaite communion avec Dieu : une personnalité unique, aussi bien par l’intensité de sa foi, que par la totale cohérence entre ses paroles et ses actes, par la force de son enseignement, que par la puissance de ses guérisons. Mais cela n’a pas empêché les autorités religieuses qu’il remettait en cause d’obtenir sa condamnation à mort. Cela n’a pas empêché, non plus, certains de ceux qui le suivaient, de le renier, de l’abandonner, ou de douter de son identité après sa mort.
Comme dit l’apôtre Paul, l’homme, dans sa prétendue sagesse, n’a pas reconnu l’envoyé de Dieu, puisqu’il l’a crucifié (1 Co 1, 18-25).
Ce n’est, en réalité, qu’a posteriori, après sa résurrection, que toute l’histoire de cet homme a pu être relue, à la lumière de Pâques.

Alors, la question que l’on peut se poser, est la suivante : comment Jésus a-t-il fait pour être reconnu pour ce qu’il est véritablement ? comment a-t-il fait pour vivre une telle cohérence entre ce qu’il était et ce qu’il faisait… entre qui il était et l’image qu’il donnait de lui-même ?

Pourquoi – de notre côté – ne parvenons-nous pas à vivre la même cohérence dans notre existence ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à faire correspondre ce que nous sommes – ou ce que nous pensons être – avec l’image que nous avons de nous-mêmes, ou avec celle que nous voulons donner aux autres ?

La question qui est posée là, en creux, c’est la question de ce qui fait notre identité, et de ce que nous donnons à voir aux autres de cette identité.

Qui suis-je véritablement ? Est-ce que je sais qui je suis ?

Cette question de l’identité est complexe, car, comme ce récit nous le montre à travers Jésus, il y a plusieurs niveaux interdépendants qui s’entremêlent dans ce qui constitue notre identité.

Même si je ne voulais retenir que 2 niveaux, pour rendre ici les choses plus claires, nous voyons bien qu’il faudrait mettre en perspective :
-   d’une part, notre identité fondamentale, imprenable : notre identité d’enfant de Dieu,
-   avec, d’autre part, l’identité que nous construisons peu à peu, tout au long de notre vie, dans la relation aux autres et à nous-mêmes.

Comment notre identité… cette identité en devenir…peut-elle se construire en cohérence avec notre identité véritable, notre identité d’enfant de Dieu ?

A chaque fois que nous traversons des évènements importants dans la vie, des joies ou des épreuves – comme, par exemple, une rencontre qui va bouleverser notre existence, la foi, notre futur(e) conjoint(e), une personne qui va compter pour nous, une réussite, ou, au contraire, un deuil, une maladie, un échec : des évènements qui viennent modifier le cours de notre vie et interroger l’image que nous avons de nous-mêmes – nous opérons un travail de déconstruction et de reconstruction de notre identité.
Il y a une élaboration… une construction de l’identité qui suppose un travail permanent… un travail sans cesse à renouveler, selon ce qui nous arrive à tel ou tel moment de notre existence.
Ce travail consiste à trouver de nouvelles imbrications possibles pour nous-mêmes, pour accepter les changements que nous choisissons ou les limites qui désormais s’imposent à nous, pour accepter que les choses se défassent, se dénouent, pour se reconstruire autrement.

Le but de ce travail que nous faisons – plus ou moins consciemment – c’est de faire correspondre le possible de soi-même, le champ des potentialités qui s’offrent à nous (avec certaines limites), avec une représentation cohérente de soi, tenant compte de la réalité nouvelle qui traverse notre vie… et qui vient soit élargir, soit restreindre, le champ des possibles.

Or, bien souvent, nous nous épuisons dans ce travail, car l’image que nous avons de nous mêmes ou celle que nous voulons donner à voir aux autres, à tel ou tel instant, ou suite à tel ou tel événement, ne correspond jamais complètement avec ce que nous sommes en dernière instance, ou ce que nous pouvons être (dans le champ de notre potentialité d’être), et parce que tout cela évolue, au fil des évènements qui se présentent à nous.
Je pense notamment à ce qui se joue dans la maladie, et à ce travail de l’identité qu’elle impose à celui qu’elle vient toucher et limiter.

La question qui se pose dans ce travail de l’identité (qui consiste à construire ou reconstruire une représentation de soi même en adéquation avec ce que nous pensons être ou ce que nous voyons de nous-mêmes), c’est précisément que nous ne pouvons pas opérer pleinement ce travail par nous-mêmes, par nos propres capacités, car un être humain ne peut jamais se réduire aux images qu’il offre lui-même aux autres, car ce que « je suis » fondamentalement est toujours en surcroît – au delà – de ce que je sais de moi-même et de ce que les autres savent de moi.

Alors, plutôt que de s’épuiser dans ce travail de l’identité qui consisterait à construire soi-même son identité, pourquoi ne pas accepter de faire comme Jésus, c’est-à-dire de recevoir son identité d’un Autre ?

Plutôt que de vouloir construire son identité, pourquoi ne pas simplement accepter de la recevoir ?… accepter que notre être véritable – cet être créé à l’image de Dieu – nous soit donné par un Autre et construit par Lui ?

En d’autres termes, lorsque je m’interroge sur ce qui fait mon identité, et l’image que j’ai de moi-même, puis-je accepter que quelque chose de moi-même m’échappe ? que « mon être », ce qui fait ce que « je suis », soit inscrit comme un inconnu, un trou, un espace, comme ce qui manque dans le champ des représentations, dans la capacité que j’ai d’imaginer les choses ou de me le représenter ?

Si tel est le cas – et si cet espace inconnu qui constitue « mon être » est ouvert à une altérité, à quelque chose que je peux recevoir d’ailleurs – est-ce que le champ des possibles qui s’offre à moi, n’est pas alors plus large, plus ouvert, plus fécond ?

Au contraire, si tel n’est pas le cas, et si je confonds mon être avec une image de moi-même, fixée, immobile, est-ce que je ne risque pas de tout perdre, lorsqu’un jour un événement viendra abîmer cette image ou la briser ?

C’est précisément parce qu’il existe un espace inconnu en nous-mêmes, un espace libre, un espace « autre », que nous pouvons toujours inventer ou réinventer des figures de nous-mêmes, tout en sachant qu’elles ne se confondent pas avec ce que nous sommes ultimement, en dernière instance.

C’est là – je crois – le cadeau qui nous est offert à Noël et que Jésus Christ vient nous révéler.
Notre identité est certes en évolution, en devenir, mais, à travers Jésus, l’Evangile nous montre que nous n’avons pas besoin de construire cette identité par nos propres forces, car fondamentalement elle nous est offerte.
Notre véritable identité, cette identité de fils ou de fille de Dieu est à recevoir, et non à conquérir.

L’image de Jésus, en tant que Christ, nous montre un homme, qui a vécu pleinement son humanité créée à l’image de Dieu… un homme parfaitement transparent à l’Esprit de Dieu dont il était le porteur….un homme qui a vécu sa vocation : son identité de fils, de Révélateur du Père.

A Noël… nous fêtons la naissance du Révélateur de Dieu, de ce Dieu qui est Esprit, qui est Amour.
La venue au monde de Jésus le Christ, le porteur de l’Esprit, signifie que Dieu a infiniment plus de prétentions sur nous que nous pouvons en avoir nous-mêmes. Il voudrait qu’à l’image de Jésus, le véritable Adam, nous devenions des hommes et des femmes, pleinement humain, et non pas seulement des mammifères intelligents et évolués, capables de montrer une belle image d’eux-mêmes en société. 

La Bonne Nouvelle de Noël est à la fois un cadeau merveilleux et dérangeant :
« Merveilleux », parce que Jésus nous montre la réalité de l’homme tel qu’il peut être, lorsqu’il vit pleinement son humanité en communion avec Dieu.
« Dérangeant », car, en nous montrant ce que nous pourrions être, Jésus vient nous bousculer… et nous appeler à vivre véritablement notre humanité, conformément à cette image de fils de Dieu (Rm 8, 29).
Autrement dit, Jésus est un cadeau « exigeant »… un cadeau qui nous appelle à une réponse… qui nous engage à le suivre, pour devenir ce que nous sommes appelés à être depuis notre origine : des enfants de Dieu.

Comme Jésus a été engendré de l’Esprit saint, nous devons nous aussi naître de l’Esprit ; nous devons nous aussi faire advenir… faire émerger ce que nous sommes fondamentalement, ce que Dieu nous demande d’être : ses enfants, animés par son Esprit d’amour.

Pour être plus concret… je vous soumets une petite comparaison :
Imaginez, par exemple, que quelqu’un vous offre un cadeau pour Noël. Dans la boite que vous recevez, vous découvrez une image avec une plante magnifique, une graine, et tout ce qui faut pour la faire pousser : un pot, de la terre, de l’eau, de l’engrais et des vitamines.
Qu’est-ce que vous allez faire de ce cadeau ? Soit vous le revendez sur Internet parce qu’il ne vous intéresse pas. Soit vous le mettez dans un placard parce que vous n’avez pas le temps de vous en occuper. Soit vous gardez l’image de cette plante avec vous, pour la mettre sous cadre et la regarder de temps en temps, car elle est vraiment magnifique. Soit vous vous décidez à planter la graine et à l’arroser régulièrement, pour faire croître la plante, en espérant qu’elle devienne aussi belle que l’image qui était avec la graine dans l’emballage.
L’Esprit saint, c’est l’eau qui accompagne le cadeau (la graine et l’image) pour nourrir votre plante et la faire grandir.
Mais, faire pousser une plante n’est pas toujours simple…. car des évènements inattendus viennent parfois l’endommager ou la tailler… et parfois sévèrement. Dans ces moments-là, c’est le découragement qui nous guette. C’est là, précisément, qu’il faut regarder et s’imprégner de l’image : de Jésus Christ… pour s’enraciner dans l’espérance.
Pour faire repartir la plante, il faut continuer à la nourrir et à l’arroser.

La présence de l’Esprit, c’est ce qui fait que l’homme créé à l’image de Dieu advient à sa ressemblance.
Pour vivre notre vocation d’enfant de Dieu, il faut « simplement » accepter cette origine imprenable qui vient engendrer notre véritable humanité… il faut « simplement » accepter de recevoir d’un Autre l’identité qui est la nôtre…et accueillir l’Esprit… cet Esprit qui fait naître et grandir en nous cette identité de fils ou de fille de Dieu… cet Esprit qui « forme le Christ en [nous] » (Ga 4, 19).

Notre identité véritable est à la fois déjà là et en devenir : elle nous est pleinement révélée en Jésus Christ. 
Elle est inscrite en nous [Dieu est présent dans l’humanité en son essence], mais il nous reste à l’accueillir [à vivre de cette présence dans le concret de l’existence].
Elle n’est pas à conquérir par nos actes et nos efforts, mais à recevoir … en nous laissant de plus en plus envahir par l’amour de Dieu, par son Esprit.

Noël nous rappelle que nous sommes au bénéfice d’un don et d’une promesse. Dieu a un projet pour nous.
Osons recevoir et accueillir en nous son Esprit… pour qu’il nous ouvre et nous libère de nos enfermements. Osons abandonner à Dieu ce que nous sommes, dans la confiance… pour faire grandir le Christ en nous, et le laisser transformer notre existence.

A l’image de Celui que nous recevons ce matin : le Christ, le porteur de l’Esprit… ouvrons-nous totalement à l’amour de Dieu… il nous libère de toutes les images que nous nous construisons nous-mêmes… pour nous offrir la seule qui soit éternelle : celle de fils ou de fille de Dieu.
Amen.
P.L.

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