dimanche 9 octobre 2011

Lc 19, 1-10

Lc 19, 1-10
Lectures : Lc 5, 27-32 Lc 19, 1-10 Lc 6, 36-42 
Thématique : Accueillir l’autre sans jugement… à l’image… et à la suite… de Celui qui nous accueille inconditionnellement.

Prédication : voir plus bas, après les lectures 

Lectures :

- Lc 5, 27-32  (Vocation de Lévi et appel des pécheurs)

27Après cela, il sortit et vit un collecteur d'impôts du nom de Lévi assis au bureau des taxes. Il lui dit : « Suis-moi. » 28Quittant tout, il se leva et se mit à le suivre.

29Lévi fit à Jésus un grand festin dans sa maison ; et il y avait toute une foule de collecteurs d'impôts et d'autres gens qui étaient à table avec eux. 30Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient, disant à ses disciples : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les collecteurs d'impôts et les pécheurs ? » 31Jésus prenant la parole leur dit : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. 32Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu'ils se convertissent. »

- Lc 19, 1-10  (Zachée. Le salut d'un riche)

1Entré dans Jéricho, Jésus traversait la ville. 2Survint un homme appelé Zachée ; c'était un chef des collecteurs d'impôts et il était riche. 3Il cherchait à voir qui était Jésus, et il ne pouvait y parvenir à cause de la foule, parce qu'il était de petite taille. 4Il courut en avant et monta sur un sycomore afin de voir Jésus qui allait passer par là. 5Quand Jésus arriva à cet endroit, levant les yeux, il lui dit : « Zachée, descends vite : il me faut aujourd'hui demeurer dans ta maison. » 6Vite Zachée descendit et l'accueillit tout joyeux. 7Voyant cela, tous murmuraient ; ils disaient : « C'est chez un pécheur qu'il est allé loger. » 8Mais Zachée, s'avançant, dit au Seigneur : « Eh bien ! Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j'ai fait tort à quelqu'un, je lui rends le quadruple. » 9Alors Jésus dit à son propos : « Aujourd'hui, le salut est venu pour cette maison, car lui aussi est un fils d'Abraham. 10En effet, le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

- Lc 6, 36-42  (La générosité [la compassion] envers le prochain)

36« Soyez généreux [compatissants] comme votre Père est généreux [compatissant]. 37Ne vous posez pas en juges et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, acquittez et vous serez acquittés. 38Donnez et on vous donnera ; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante qu'on vous versera dans le pan de votre vêtement, car c'est la mesure dont vous vous servez qui servira aussi de mesure pour vous. »

39Il leur dit aussi une parabole : « Un aveugle peut-il guider un aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou ? 40Le disciple n'est pas au-dessus de son maître, mais tout disciple bien formé sera comme son maître.

41« Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? 42Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, attends. Que j'ôte la paille qui est dans ton œil”, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Homme au jugement perverti, ôte d'abord la poutre de ton œil ! et alors tu verras clair pour ôter la paille qui est dans l'œil de ton frère.


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Tonneins, le 09/10/11.

L’évangile nous offre ce matin trois textes à méditer.
Quel lien pouvons-nous faire entre ces différents passages du Nouveau Testament ?
Et qu’est-ce que ces textes peuvent nous dire à nous aujourd’hui ?

Pour répondre à ces questions, je vous propose une méditation en deux temps.
- Un premier temps pour cheminer à travers les points communs, les points forts des deux premiers textes (1).
- Un second temps pour tenter de mettre en perspective ces deux textes avec le troisième afin de leur donner un nouvel éclairage (2).

(1) L’histoire – bien connue – de Zachée offre de nombreux points communs avec celle de Lévi.
Quelles sont les similitudes entre ces récits ?

Dans les deux cas, nous avons affaire à un collecteur d’impôts, considéré comme un pécheur aux yeux des pharisiens ou de la foule.

Mais Zachée n’est pas seulement un collecteur de taxes ordinaire, c’est le chef des douanes de Jéricho : un homme certes riche, important et influent, mais aussi un paria, mal considéré, et même copieusement méprisé par les gens de bien, parce qu’il est un collaborateur de l’occupant romain, et qu’il a sans doute fait fortune de façon douteuse, en levant l’impôt sur ses concitoyens et en en profitant – à titre personnel –  au passage.

C’est là le drame de Zachée, dont le nom propre signifie « le pur ».
D’un côté, il traîne avec lui cette appartenance à Israël dont son nom propre rappelle bien l’exigence d’obéissance vis-à-vis de la Loi donnée par Dieu.
De l’autre, il se sait impur, parce qu’en pactisant avec l’occupant romain, il s’est exclu de la synagogue.
Et c’est là tout le drame de cet homme : un pur qui se sait impur ; un homme riche que tout le monde tient pour un pécheur délibéré et obstiné, car un chef des douanes, c’est un peu comme un pécheur-chef.
Voilà donc la contradiction douloureuse qui taraude secrètement Zachée.

La suite des deux récits nous offre également d’autres similitudes :

Jésus regarde chacun des deux hommes et s’adresse à lui de façon personnelle.
La parole adressée à Lévi est un appel : « Suis-moi » !
Celle adressée à Zachée… une nomination et une interpellation : « Lévi… il me faut demeurer dans ta maison » !
Jésus interpelle Zachée… et c’est l’inattendu, l’imprévisible : étonnement pour Zachée, indignation pour la foule.

Précisément, le regard de Jésus est tout autre que celui de la foule :
Il ne s’arrête pas aux apparences, mais il voit les blessures intérieures, pour venir y mettre le baume de son accueil et de son amour.
Jésus a su discerner la quête de ce petit homme, obligé de grimper sur un arbre pour voir le Messie, quitte à se ridiculiser devant la foule en montant sur cet arbre.

La position de ce petit homme dans son sycomore résume bien la contradiction dans laquelle se tient Zachée : riche de biens et de pouvoirs, mais pauvre d’estime et d’amour ; grand sur son sycomore, mais petit dans la foule.

Au regard bienveillant de Jésus et à sa parole d’accueil succède la joie de la rencontre.
Jésus se retrouve accueilli chez les deux hommes : chez Lévi pour un grand festin, chez Zachée pour y être logé.
Par cette rencontre, Jésus re-donne à ces hommes une place : une reconnaissance, une considération, une place dans leur peuple, une filiation.

Mais la joie des uns ne fait malheureusement pas toujours la joie des autres. Tel le frère aîné du fils prodigue, les pharisiens et la foule demeurent enfermés dans leurs préjugés et leurs principes, et ne parviennent pas à se réjouir de la conversion et du salut d’un de leur frère.

Pour les juifs, en effet, loger quelqu’un d’impur ou partager son repas avec lui, signifie se rendre soi-même impur.
Un juif observant ne fréquente pas une personne qui n’obéit pas aux exigences de la Loi.
Il ne peut pas être en communion avec un pécheur, qui ne fait pas partie de la communauté.
Dès lors, la proximité et la commensalité que les disciples de Jésus entretiennent avec Lévi et les collecteurs d’impôts, de même que la communion dans laquelle Jésus choisit d’entrer avec Zachée sont sources de réactions négatives.

C’est le même terme qui apparaît ici : ce sont des « murmures » qui se font entendre : murmures des bons pratiquants et récrimination des biens pensants à l’encontre de l’initiative, du geste d’accueil, et de la proximité de Jésus et de ses disciples avec les pécheurs et les exclus de l’alliance.

Mais précisément, ces pécheurs doivent-ils être exclus ou accueillis ?

Jésus opère ici un renversement et explique son geste :
Zachée est certes un pécheur, mais il est aussi un fils d’Abraham – aimé et appelé par Dieu – un fils de la promesse, un fils de l’alliance.
L’amour de Dieu n’est pas réservé aux pratiquants, à ceux qui se croient justes aux yeux des prescriptions de la Loi.
La justice de Dieu va bien au-delà d’un légalisme formel. Elle est d’abord « accueil » de chacun, avant d’être « exigence » pour tous.

Ceux qui ont besoin de se convertir, d’être sauvés, d’être guéris – c’est le sens étymologique du terme salvus (salut) qui signifie « guéri » – ce sont les malades, les pécheurs, et non les bien portants, les justes.

Alors, le salut : c’est ici accueillir Celui qui nous accueille.
C’est sortir de l’être ancien – d’un passé marqué par une déchirure intérieure, une brisure de la relation à l’autre, une rupture communautaire, et un éloignement d’avec Dieu – pour entrer dans l’Être Nouveau, marqué par la réconciliation avec Dieu, avec soi-même et avec les autres : avec ceux qui acceptent et se réjouissent de cet accueil infini de Dieu, que Jésus Christ manifeste.
Et ce salut – cette guérison, cette libération – n’est pas pour demain, il commence « aujourd’hui » – ici et maintenant – nous dit Jésus [dans l’évangile de Luc] : « Aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison » !

En d’autres termes, par son accueil inconditionnel, Jésus remet ces deux hommes debout.
Il fait le premier pas de la rencontre, restaure la reconnaissance et la confiance, afin de faire advenir la nouveauté et la réconciliation de l’homme avec son être véritable uni à Dieu.

Voilà la résurrection qu’accompli le Fils de l’homme, venu chercher et sauver ce qui était perdu.

Voilà que prend tout son sens la seconde signification du nom propre « Zachée ».
Compris comme une abréviation du nom « Zacharie », il signifie « Dieu [Yahvé] se souvient ».
C’est précisément ce que révèle ces deux récits. En Jésus le Christ, Dieu sauve, il se souvient de ces enfants, il leur offre son amour ; il vient faire sa demeure chez tous ceux qui l’accueillent – justes ou pécheurs.

Et Zachée – à son tour – se souvient lui aussi : il se souvient de tous ceux à qui il a peut-être causé du tort ; il promet réparation au quadruple, en plus d’offrir la moitié de ses biens.
Voilà la réponse de foi, la réponse concrète de Zachée au salut qui lui est offert par grâce.

(2) Alors, j’en viens au second point :
Quel lien peut-on faire entre ces deux récits de conversion de Lévi et de Zachée, et cette histoire de poutre et de paille dans l’oeil [Lc 6, 41-42], qui suit l’invitation à ne pas s’ériger en juge de l’autre et même à l’acquitter [Lc 6, 37] ?

Cette histoire de paille et de poutre dans l’œil – sans doute héritée de la sagesse juive –  nous rappelle en premier lieu qu’il est facile de tomber dans le travers du jugement, de la condamnation ou de la médisance, et de devenir comme ces pharisiens qui jugent les disciples ou comme cette foule qui condamne Jésus.

C’est ce qui sort du cœur de l’homme qui peut le rendre impur [Mc 7, 15] : sa propension à juger trop hâtivement et trop facilement, son penchant à voir le mal et le négatif, sa tendance à juger, à figer, et à étiqueter les personnes dans des rôles restreints et étriqués… et à faire monter la mayonnaise de la médisance et de la condamnation, rendant tout retour, tout retournement, impossible.

Il y a des regards dans l’existence qui peuvent tuer, enfermer ; des paroles qui peuvent condamner, blesser, écraser.
Quelle place la foule et les pharisiens ont-ils laissé à l’autre pour qu’il puisse changer, évoluer, se retourner, se convertir ?
Zachée était certainement un pécheur, c’est-à-dire, un homme qui a raté sa cible, qui est passé – jusqu’alors – à côté de sa véritable vocation d’humain en relation avec ses frères. Pour autant, lui avait-on laissé le droit au changement ? et la possibilité même de changer ?
Lui avait-on offert cette grâce de l’accueil qui ne réduit pas une personne à sa seule fonction – même si cette fonction professionnelle est moralement suspecte et même contestable.
En réalité, Levi et Zachée étaient déjà enfermés dans leur rôle, enfermés par un jugement définitif porté à leur égard.

Le regard que porte Jésus sur ces deux hommes est bien différent :
C’est un regard qui prend acte du présent et qui est pétri de « com-passion », c’est-à-dire de cette capacité de venir rejoindre l’autre, de lui donner son écoute et sa personne, pour « souffrir avec » lui.
C’est un regard qui espère encore et toujours, un regard qui ouvre sur un autre possible, un regard qui ne réduit pas les personnes à leurs actes ou à ce qu’on peut dire sur elles, mais qui élargit l’horizon.
C’est un regard qui voit plus grand que le passé et le présent, pour ouvrir sur la possibilité d’un avenir porteur d’altérité et de nouveauté. Un regard qui espère, qui attend, qui désire l’autre, qui le met en mouvement.

Et voilà que ce regard attentif, qui attend encore et toujours, porte à l’inattendu : contre toute attente, Jésus demande à Lévi, ce collecteur d’impôt, de le suivre, et à Zachée, le chef de ces collecteurs, de l’accueillir chez lui. Et c’est la nouveauté qui surgit.
Voilà qu’un regard neuf porte à un agir nouveau, pour faire place au changement, à la conversion, à la guérison et au salut.
Voilà qu’un regard bienveillant et une parole d’amour enlèvent la paille et révèle la poutre.
La poutre de l’enfermement qui maintenait la paille de l’aveuglement.

Dès lors Zachée répond à l’appel du Christ.
Accueilli et aimé sans condition par Jésus, il se met à son tour à aimer les autres sans calcul.

L’histoire de Zachée nous fait découvrir ici quelque chose d’essentiel : l’importance de l’initiative, de l’amour premier que porte Jésus sur cet homme pécheur.

Ce n’est pas parce qu’il est aimable que Jésus aime Zachée, mais c’est le regard d’amour que Jésus lui adresse d’abord qui le rend à son tour aimant.
Voilà la différence fondamentale entre l’amour humain – qui se contente souvent de répondre – et l’amour de Dieu, dont Jésus le Christ est le révélateur – qui montre l’initiative inconditionnelle de l’agape, de l’amour premier de Dieu.

Et c’est bien à cette dimension de l’amour que Jésus appelle ses disciples lorsqu’il parle d’aimer ses ennemis [Lc 6, 27], c’est-à-dire de prendre l’initiative de  l’amour [Lc 6, 31], de faire le premier pas – quel qu’en soit le résultat. Car seule cette initiative peut faire advenir le changement et la conversion.

Alors, l’histoire finit bien pour Lévi et pour Zachée, ces pécheurs perdus qui ont été trouvés par le Christ.
Le regard bienveillant et la Parole d’accueil inconditionnel qui leur ont été adressés leur ont permis de cheminer vers le Christ.
Mais qu’en est-il de la foule et des pharisiens ? : des prétendus justes, de ceux qui se pensaient bien-portants ?
Jésus n’est-il pas venu pour eux ? Ne sont-ils pas appelés – eux aussi – à recevoir la bonne nouvelle du salut ?

Leurs réactions, leurs murmures et leurs récriminations montrent que l’attitude de Jésus opère un retournement : ceux qui se prétendaient justes s’éloignent – par leurs réactions et leurs rancœurs –  de l’accueil du salut offert par grâce.

Ce retournement signifie précisément que le Christ est bien venu aussi pour eux – comme pour chacun d’entre nous.
Mais faut-il encore que ceux-ci se reconnaissent aussi malades, pécheurs et perdus… qu’ils croient avoir besoin – eux aussi – du salut, et acceptent d’abandonner leur petite justice – leurs principes de pureté légaliste – pour s’en remettre à la seule justice de Dieu : qui accueille tout homme – par grâce – sans condition.

Autrement dit, il n’y a pas le juste, d’un côté, et le pécheur, de l’autre.
L’homme est à la fois pécheur et juste.
Et cette affirmation est paradoxale, car le pécheur qui reconnaît son péché devient juste à l’instant même où il se reconnaît pécheur – donc injuste – devant Dieu [puisqu’il l’est véritablement].

Dieu accueille le pécheur par grâce, malgré son péché. Il accepte le pécheur bien qu’il soit inacceptable.
Le pécheur répond à la grâce de Dieu, en acceptant cette grâce dans la foi : le voilà à la fois juste et pécheur.
Le voilà prêt à vivre, sous le regard de Dieu, un chemin de conversion et de sanctification, une vie nouvelle durant laquelle il pourra peu à peu se laisser transformer par l’action de l’Esprit, pour revêtir le Christ, et vivre à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Voilà donc, frères et sœurs, à quoi nous sommes appelés nous aussi, à la suite de Lévi et des pharisiens, de Zachée et de la foule : déplacer et changer notre regardprendre l’initiative de l’amour et ouvrir la porte de notre cœur, pour faire advenir la nouveauté dans nos vies et celles des autres autour de nous.

La Bonne Nouvelle du Salut offert par grâce retentit à nos oreilles ce matin – ici et maintenant.
Elle nous invite à faire place au changement et à la nouveauté.
Elle nous donne précisément des pistes pour nous orienter sur cette voie : 
D’abord, s’équiper des lunettes de l’Evangile, pour acquérir des yeux qui voient en premier lieu le positif, et pour développer un regard clarifié et bienveillant qui espère toujours et voit au-delà des apparences.
Ensuite, savoir délivrer une parole positive, une parole d’ouverture et d’amour qui accueille sans réserve, et s’abstient du poison de la médisance.
Enfin, renoncer à s’ériger en juge de l’autre et cultiver un cœur ouvert qui – d’une part – s’abstient de tout jugement réducteur ou enfermant, de toute condamnation sans retour, et – d’autre part – dépasse tous les conformismes asservissants, tous les principes générateurs d’exclusion de l’autre.
En d’autres termes, l’évangile nous invite à cheminer à la suite du Christ.
S’équiper des lunettes de l’Evangile dans la vie quotidienne : voilà la recette du changement apte à ouvrir les portes de la nouveauté, et à transmettre la paix et la joie autour de nous.

Amen.
P.L.

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