dimanche 16 octobre 2011

Lc 15, 11-32

Lc 15, 11-32
Culte-Prédication autour de « la parabole des deux fils perdus »

Lectures : Es 25, 6-9 ; Lc 18, 9-14 ; Lc 15,1-3 & 11-32
Thématique : Dieu attend ses enfants les bras ouverts … il nous appelle à accueillir, à vivre, et à nous réjouir – avec nos frères – de sa grâce miséricordieuse et de son amour inconditionnel.

Prédication : voir plus bas, après les lectures


Accueil (Bienvenue…) + Au début du culte (ci-dessous)

Je vous propose de vivre aujourd’hui un temps de culte un peu inhabituel : un temps où nous pouvons à la fois nous mettre à l’écoute de l’Evangile et louer Dieu en chantant.

Je vous propose ce matin de relire une parabole bien connue… la parabole du « fils prodigue »…ou plutôt du « père prodigue »… et de prendre du temps pour redécouvrir la Bonne Nouvelle que cette parabole nous offre… de prendre du temps pour déguster, mâcher et digérer la Bonne Nouvelle que Jésus nous adresse à travers cette parabole.

En général, pour bien digérer un repas copieux, il ne faut pas manger trop vite, et il faut surtout marquer des temps de pause entre les plats. C’est ce que je vous propose ce matin avec cette parabole qui constituera le cœur de notre liturgie : Nous alternerons l’écoute de la Parole, la méditation et les chants qui nous permettrons de digérer et d’intégrer progressivement tous les nutriments que nous offre la Parole, pour qu’elle puisse nous nourrir et nous transformer de l’intérieur… pour que nous puissions l’ingérer, l’intégrer et faire corps avec elle.

Grâce + chant

Illumination + Lecture (voir textes bibliques cités plus haut) + chant

Lectures

- Es 25, 6-9  (Un festin pour tous les peuples)

6Le SEIGNEUR, le tout-puissant, va donner sur cette montagne
un festin pour tous les peuples,
un festin de viandes grasses et de vins vieux,
de viandes grasses succulentes et de vins vieux décantés.

7Il fera disparaître sur cette montagne
le voile tendu sur tous les peuples,
l'enduit plaqué sur toutes les nations.

8Il fera disparaître la mort pour toujours.
Le Seigneur DIEU essuiera les larmes sur tous les visages
et dans tout le pays il enlèvera la honte de son peuple.
Il l'a dit, lui, le SEIGNEUR.

9On dira ce jour-là : C'est lui notre Dieu.
Nous avons espéré en lui, et il nous délivre.
C'est le SEIGNEUR en qui nous avons espéré.
Exultons, jubilons, puisqu'il nous sauve.

- Lc 18, 9-14  (Parabole du Pharisien et du collecteur d'impôts)

9Il dit encore la parabole que voici à certains qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient tous les autres : 10« Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l'un était Pharisien et l'autre collecteur d'impôts. 11Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : “O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères, ou encore comme ce collecteur d'impôts. 12Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme de tout ce que je me procure.” 13Le collecteur d'impôts, se tenant à distance, ne voulait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine en disant : “O Dieu, prends pitié du pécheur que je suis.” 14Je vous le déclare : celui-ci redescendit chez lui justifié, et non l'autre, car tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé. »

- Lc 15, 1-3  (Jésus et les pécheurs)  & 11-32  (Parabole du fils retrouvé)

1Les collecteurs d'impôts et les pécheurs s'approchaient tous de lui pour l'écouter. 2Et les Pharisiens et les scribes murmuraient ; ils disaient : « Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! »
3Alors il leur dit cette parabole : […]
11Il dit encore : « Un homme avait deux fils. 12Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir.” Et le père leur partagea son avoir. 13Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout réalisé, partit pour un pays lointain et il y dilapida son bien dans une vie de désordre. 14Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans l'indigence. 15Il alla se mettre au service d'un des citoyens de ce pays qui l'envoya dans ses champs garder les porcs. 16Il aurait bien voulu se remplir le ventre des gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui en donnait. 17Rentrant alors en lui-même, il se dit : “Combien d'ouvriers de mon père ont du pain de reste, tandis que moi, ici, je meurs de faim ! 18Je vais aller vers mon père et je lui dirai : Père, j'ai péché envers le ciel et contre toi. 19Je ne mérite plus d'être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers.” 20Il alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l'aperçut et fut pris de pitié : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. 21Le fils lui dit : “Père, j'ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d'être appelé ton fils...” 22Mais le père dit à ses serviteurs : “Vite, apportez la plus belle robe, et habillez-le ; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales aux pieds. 23Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, 24car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé.” « Et ils se mirent à festoyer.25Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il approcha de la maison, il entendit de la musique et des danses. 26Appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que c'était. 27Celui-ci lui dit : “C'est ton frère qui est arrivé, et ton père a tué le veau gras parce qu'il l'a vu revenir en bonne santé.” 28Alors il se mit en colère et il ne voulait pas entrer. Son père sortit pour l'en prier ; 29mais il répliqua à son père : “Voilà tant d'années que je te sers sans avoir jamais désobéi à tes ordres ; et, à moi, tu n'as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. 30Mais quand ton fils que voici est arrivé, lui qui a mangé ton avoir avec des filles, tu as tué le veau gras pour lui ! ” 31Alors le père lui dit : “Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. 32Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé.”  »


Prédication de Pascal LEFEBVRE / Marmande, 16/10/11  (interrompue par des chants)
(inspirée d’un ouvrage de J-M Gobert, Sous le regard de Dieu, Olivetan, 2008, p.57-77.)

Quel titre pourrions-nous donner à cette parabole bien connue ?

Il me semble que le titre habituel « parabole du fils prodigue » ne rend pas vraiment justice à l’ensemble de la parabole, parce qu’il oublie deux des trois personnages principaux : le père et le fils aîné.

Si l’on observe le rôle central occupé par le père, nous pourrions davantage l’appeler « la parabole du père prodigue » ou « la parabole de l’amour du père »[1]. Car c’est bien de cela dont il est question ici : d’un père qui dissipe son amour sans compter, qui attend et accueille chacun de ses enfants quoi qu’il fasse.

Mais un autre titre pourrait également convenir à cette histoire : « la parabole des deux fils perdus »[2]. Car elle nous montre l’attitude ambivalente de l’homme face à Dieu.

-       Attitude de l’homme qui ressemble à ce fils cadet, à la fois, insolent lorsqu’il entreprend de devancer le moment du partage de l’héritage, « dissipateur, dilapidateur de biens » [c’est le sens du mot « prodigue »], et pénitent lorsqu’il prend réellement conscience de sa situation. 
-       Attitude de l’homme qui ressemble aussi à ce fils aîné, un homme de devoir, droit dans ses bottes, mais en même temps mesquin et enfermé dans une attitude de jalousie et de mépris vis-à-vis de son frère.

Il est relativement facile de s’identifier au fils cadet. Dans la mesure où la dilapidation des biens donnés par le père constitue bien une image, une métaphore de nos propres vies pécheresses, lorsque nous ne voulons pas vivre sous le regard du Père.
Mais en nous comparant au fils prodigue, nous nous donnons aussi le beau rôle. Car nous nous imaginons consolés, accueillis avec chaleur à une fête organisée pour notre personne, par un père pardonnant, quoi qu’il arrive.

Il est, en revanche, plus difficile d’oser s’identifier avec le fils aîné. Dans la mesure où son attitude antipathique et sa colère peuvent paraître de mauvais goût, quand l’heure est à la fête et aux retrouvailles, et non à quelques bouderies jalouses.

Pourtant, la parabole nous montre ici deux aspects différents du caractère de l’homme.
A côté du repentir « sympathique » du cadet, il ne faut pas oublier le frère aîné – le pharisien que nous sommes de temps à autre – même si nous le trouvons trop mesquin pour nous ressembler.

Précisément, il faut s’interroger sur les raisons de la colère de l’aîné, face au déploiement de tant de festivités pour son vaurien de frère cadet.
A bien y regarder, comment le fils aîné pourrait-il se réjouir face à l’organisation d’une fête pour son frère, alors qu’il n’en a même pas été averti par son père ?

Cette colère révèle en fait l’incompréhension de l’aîné face à son père. Elle révèle un profond malentendu sur la manière dont le fils envisage et comprend sa relation filiale avec son père.
L’aîné inscrit cette relation dans le devoir, plutôt que dans la gratuité de l’amour. Alors lorsqu’il découvre le véritable visage de son père, à travers la puissance de sa miséricorde, il ressent un profond sentiment d’injustice.

Ne se serait-il pas trompé sur son père ? et sur ce que son père attendait de lui ? Pourquoi avoir fait tant d’efforts pour être à la hauteur de l’amour de son père, pour mériter sa place ? Alors que finalement le père accueille son enfant même lorsque celui-ci lui est infidèle ! Pourquoi tant d’efforts pour répondre à ce que lui-même imaginait que son père attendait de lui ? Alors que finalement le père ne demande pas à son enfant d’être un fils parfait, et de devoir mériter sa place de fils !

C’est précisément sur cette question de « l’image » du Père et de notre relation avec lui, qu’il faut situer le contexte de cette parabole dans l’évangile de Luc.
A cet instant, Jésus accueille les collecteurs d’impôts, considérés comme des pécheurs. Et cet accueil est évidemment très mal vu par les pharisiens qui inscrivent leur relation à Dieu dans la stricte application des préceptes de la Loi.
Avec cette histoire, Jésus répond à leurs récriminations et à leurs murmures.

Le fils aîné de cette parabole est le personnage qui, d’une certaine manière, ressemble à ces pharisiens irréprochables.
On pourrait oser mettre dans sa bouche la prière du pharisien qui prie en disant : « Ô Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes… » [Lc 18.11], et l’on pourrait ajouter : « que je ne suis pas comme ce frère, ce vaurien ! »

Mais ici l’orgueil du fils aîné est troublé par le pardon de son père pour le fils cadet.
Ce fils aîné, qui est sans doute un homme de devoir et de fidélité, souffre ici d’un sentiment d’injustice, parce qu’il est plein de sa propre justice, parce qu’il a du mal à admettre que la grâce de son père puisse être aussi éclatante, parce qu’il ne comprend pas que la miséricorde de son père dépasse sa propre conception – toute humaine – de la justice, enracinée dans la réciprocité du donnant-donnant.

A travers la figure de ce père de famille, Jésus révèle la bonté sans mesure du Père :
Dieu le Père ne punit pas son fils rebelle ou infidèle – en réalité, celui-ci s’est déjà puni lui-même, en subissant les conséquences de son éloignement – mais il l’accueille sans s’imposer, sans reproches, sans exigences.
Et c’est cette réaction du père qui surprend : l’extraordinaire accueil et compassion du père, qui reçoit et accepte son enfant sans condition, sans critique, sans en rajouter.

A l’image de ce Père, Jésus rend lui-même manifeste cet accueil inconditionnel avec les pécheurs et les collecteurs d’impôts. C’est là une cause de scandale pour les pharisiens !
Et c’est la bonne nouvelle que nous redit l’évangile de ce matin : Dieu ne nous juge pas ! Mais, il nous aime et nous accueille tels que nous sommes ! Voilà un motif de réconciliation et de joie ! Voilà de quoi mettre un terme à toutes les fausses images que nous construisons lorsque nous imaginons que Dieu serait un juge impitoyable, méchant, pervers ou indifférent.

----- pause : chant (Louange)   -----

(v.11.12.13) « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : "Père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir." Et le père leur partagea son avoir. Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout réalisé, partit pour un pays lointain et il y dilapida son bien dans une vie de désordre. »

La 1ère partie de la parabole nous montre deux personnages :
- Un Père, d’abord, qui ne manifeste aucune résistance à la demande extravagante de son fils. Sans être spécialiste du droit hébreu, on peut supposer sans risque qu’il ne suffisait pas à un fils de demander sa part d’héritage pour que le père se trouve contraint d’obtempérer aussitôt.
Pourtant, ici, l’évangéliste Luc nous montre un père qui accorde toute liberté à son enfant. A l’opposé de toute autorité paternelle, sans réticence, le père s’exécute simplement et répond favorablement à la demande de son fils.

- Un fils cadet, ensuite, qui entend bien faire prévaloir ses droits, et se réaliser seul, par lui-même, en toute autonomie.
Dans sa quête éperdue d’indépendance, le jeune homme part, avec sa part d’héritage, le plus loin possible. Il s’imagine qu’une vie nouvelle s’ouvre à lui, rendue possible par l’argent. Ses désirs de liberté sont alors libérés, mais, dans cette liberté – dans ce mirage de liberté – qu’il a confondu avec une indépendance radicale, il n’y a plus que lui, son argent, et un pays lointain.
Et très vite, la puissance dissolvante de cette fortune va se déployer. Voilà qu’il s’appauvrit au fur et à mesure qu’il satisfait, sans modération, ses désirs d’indépendance, loin de la présence du père.

Alors cette terre lointaine – qui devait être un nouvel « éden » – devient, au contraire, « le pays de l’oubli »[3] : un sol ingrat, un lieu de famine, de manque et de déracinement… où le fils oublie le Père et son identité de fils.

Sa quête de liberté loin du père débouche sur la misère et l’aliénation. Loin de l’abondance attendue, le fils commence à se trouver dans l’indigence.

Face à cela, le premier mouvement du fils n’est pas du tout celui d’une conversion, d’un retournement. Au contraire, il s’agit pour lui de se battre, pour maintenir son indépendance, et demeurer, coûte que coûte, en ces lieux déshérités.
Des rencontres d’infortunes le font devenir gardien d’un troupeau de cochons. Quelle humiliation pour un homme juif !
Cette fois, l’homme est devenu pauvre et misérable. C’est un ventre-creux taraudé par la faim qui aimerait simplement se bourrer l’estomac avec la nourriture des porcs.

C’est à partir de cette situation peu enviable de porcher et de crève-la-faim que la parabole situe les prémisses d’un chemin de « conversion » qui semble – en même temps – quelque peu « intéressé ».

À ce stade de l’histoire – on le voit déjà – c’est la revendication de l’héritage qui pose problème. En demandant sa part d’héritage du vivant de son père, le fils cadet réagit comme s’il ne voulait plus rien à voir avec lui.
Ce n’est pas ici une séparation qui construit, mais une fuite qui détruit. C’est une rupture totale. Le fils cadet semble fuir l’éducation reçue et tous les enseignements que lui a donné son père. En gardant les cochons – animaux considérés comme impurs chez les juifs – il renie l’héritage culturel et religieux transmis par son père.

Mais une fois réalisé son rêve d’autonomie et de toute-puissance, le cadet réalise sa pauvreté et l’impasse dans laquelle il se trouve.
Coupé de son père, de la source de la vie, il finit par prendre conscience qu’il a perdu le sens de son être, de sa vie, qu’il a perdu son identité.
C’est précisément la prise de conscience de cette perte, de ce manque, qui le met en marche, qui lui ouvre un chemin nouveau, un chemin d’espérance vers l’Autre, vers son Père.

On le voit ici : Vivre un échec n’est pas un malheur lorsqu’on arrive à en prendre conscience, à le reconnaître et à le surmonter en se tournant vers Celui qui ne cesse de nous accueillir, malgré nos détours et nos faiblesses.

Alors "Revenant en lui-même" ou "rentrant en lui-même", le fils comprend peu à peu son égarement, mesure son éloignement : (v.17.18.19) « il se dit : "Combien d’ouvriers de mon père ont du pain de reste, tandis que moi, ici, je meurs de faim ! Je vais aller chez mon père et je lui dirai : "Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers." »

Face à la faim, l’humiliation, et la déchéance sociale, s’impose, peu à peu, la mémoire de ce père laissé le plus loin possible.
Mais, à vrai dire, ce souvenir, cette mémoire retrouvée n’a rien d’un examen de conscience bien flatteur. Au tout début, il s’agit quasiment d’un calcul, d’un examen permettant de comparer deux situations :
- D’un côté, la situation présente, concrète, au milieu de la famine et des cochons.
- De l’autre, la situation des salariés du père, bien nourris, qui « ont du pain de reste ».
À choisir, mieux vaut devenir salarié du père que de continuer à s’épuiser à survivre dans ce pays lointain.
Alors, le fils anticipe son arrivé, il l’imagine. Et cette anticipation reste très ambivalente : prise à la fois entre les prémisses d’une conversion et un calcul qui semble bien intéressé.

D’un côté, le cadet pense en des termes précis, d’abord celui du péché : « j’ai péché, je me suis égaré, je me suis trompé de chemin ». Et il prend conscience d’avoir péché non seulement contre « son père », mais aussi contre « le ciel », pour n’avoir pas « honorer » son père, contrairement à ce qu’exige la 5ème des paroles de l’alliance rapportée par Moïse, c’est-à-dire un des dix commandements du livre de l’exode [en Ex 20,12].
Je cite : « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que te donne le Seigneur, ton Dieu ».
L’autre terme précis employé par le jeune homme est l’adjectif « digne » : « je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ».

D’un autre côté, il semble y avoir aussi une certaine ambiguïté, lorsque le fils ajoute à cette confession la 2nde partie de la phrase : « traite-moi comme un de tes ouvriers ». Ici, avec cette 2nde partie, il n’est plus question de conversion, mais d’un simple calcul, car, face à l’impératif vital de manger, même si le cadet en venait à perdre son titre de fils, pour être « rétrogradé » à celui de salarié, il resterait gagnant, puisque même en tant que simple salarié, il serait sûr d’être bien traité et bien nourri.

----- pause : chant (Repentance)   -----

C’est alors que l’Evangile nous en dit davantage sur le véritable visage du Père : (v.20.21.22.23.24) « Il alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut ému aux entrailles : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : "Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs : "vite, apportez la plus belle robe, et habillez-le ; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé." Et ils se mirent à festoyer. »

Bouleversé, pétri d’émotion, le père voit son fils alors qu’il est encore loin. Sans hésitation, son regard reconnaît immédiatement la silhouette de son fils, comme si ce père n’avait jamais cessé d’espérer et d’attendre le retour de ce fils perdu.

La miséricorde du père se dit ici par tous ses gestes : - D’abord, il court vers son fils pour aller au-devant de lui et lui éviter d’avoir à faire les derniers pas de son chemin de repentance. - Ensuite, dans le silence et l’écoute, il laisse à son fils le temps de dire une partie de ce qu’il avait préparé dans son coeur : il n’est plus digne d’être appelé « fils ». - Enfin, la miséricorde du père se montre encore, de manière stupéfiante, en ce qu’il ne permet pas à son fils de dire l’ensemble de ce qu’il avait prévu. Après la confession de son indignité, le fils ne pourra pas dire la 2nde partie de sa phrase : « traite-moi comme un de tes ouvriers » : cette partie qui ne relevait que d’un petit calcul.

A la place du calcul du fils, voilà qu’une fête est donnée par le père.
Le programme festif du père court-circuite et engloutit celui du fils.
Le père explique même à ses serviteurs la raison de tous ces préparatifs : son fils est « ressuscité » ! Il « était mort, et il est revenu à la vie » [v.24].

Le fils lui, dans sa confession, reconnaît son indignité filiale.
Par ces paroles, il s’extirpe de la logique de la revendication par laquelle il s’était perdu, en réclamant sa part d’héritage et son autonomie, pour entrer dans une autre dimension : celle de l’humilité et de la reconnaissance.
Par ces paroles – et appuyé tout contre son père, qui ne lui demande rien, qui n’exige rien – le fils dit ici le cœur de toute prière chrétienne : Je ne suis pas digne d’être appelé ton fils, et pourtant, c’est toi, Père, que je prie.
La reconnaissance de cette indignité est rendue possible par l’attitude du père qui vient au-devant de son fils se jeter à son cou.

Les pharisiens, auxquels Jésus donne cette parabole, jugeaient indécente l’attitude de Jésus qui faisait bon accueil aux pécheurs et aux collecteurs d’impôts.
Par cette parabole, Jésus confirme en un sens le bien fondé de leur irritation.
Oui ! l’amour de Dieu, la démesure de son pardon est indécente, comme ce geste d’un père qui se jette au cou de son fils.

Alors, frères et sœurs, que retenir déjà de la 1ère partie de cette parabole ? 

Grâce au regard miséricordieux de ce père, qui accueille son fils, sans condition, dans la joie et la gratuité de l’amour, je crois que nous pouvons comprendre que le fait de reconnaître sa propre misère… que le fait de se reconnaître sans dignité filiale devant ce Père rend véritablement possible la rencontre et la communion avec Lui.
C’est ce que nous dit aussi la 1ère des béatitudes : « Heureux ceux qui se savent pauvres en eux-mêmes, le Royaume des cieux est à eux ! » [Mt 5,3].
Voilà que celui qui se reconnaît pauvre en lui-même se sait fondamentalement heureux, car il se sait accueilli et en communion avec Dieu.

Ainsi, malgré notre pauvreté, nos turpitudes, nos parcours sinueux, et nos pauvres calculs, Dieu ne nous accable pas, mais, au contraire, nous accueille tels que nous sommes.
Le Dieu de Jésus-Christ est ici ce père blessé qui nous attend, qui regarde à l’horizon et qui ne demande qu’à nous reconnaître pour venir au-devant de nous.
Et lorsque nous approchons, il vient à notre rencontre, à nos côtés, comme un père tendre et bien aimant, qui nous invite aux retrouvailles et à la fête.
Alors, cette présence de Dieu rétablit notre liberté véritable, et nous sommes remis debout en homme libre.
C’est ce que symbolisent ici, dans la parabole, les sandales passées aux pieds de ce fils, et l’anneau qui lui est remis, en signe d’identité filiale.

Voilà donc une « figure » de Dieu que cette parabole nous propose :
Dieu est Celui qui attend, qui nous attend plein d’espérance.
Il est ce père qui accueille et qui pardonne, et qui nous offre de ressusciter.

Le fils, qui est passé de la mort à la vie, sait que, grâce au pardon du père, il sera toujours fils.
Ainsi, la grâce de Dieu nous donne ou nous re-donne notre identité profonde : une identité imprenable, notre identité de fils.

----- pause : chant (Pardon)   -----

Mais le frère aîné, lui, ne va pas comprendre l’attitude de ce père, ni ce passage de la mort à la vie effectué par ce jeune frère.

(v.25.26.27.28.29.30) « Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il approcha de la maison, il entendit de la musique et des danses. Appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que c’était. Celui-ci lui dit : "C’est ton frère qui est arrivé, et ton père a tué le veau gras parce qu’il l’a vu revenir en bonne santé." Alors il se mit en colère et il ne voulait pas entrer. Son père sortit pour l’en prier ; mais il répliqua à son père : "Voilà tant d’années que je te sers sans avoir jamais désobéi à tes ordres ; et, à moi, tu n’as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais quand ton fils que voici est arrivé, lui qui a mangé ton avoir avec des prostituées, tu as tué le veau gras pour lui !" »

Le fils aîné est en colère. Il se sent humilié. Il ne comprend pas l’attitude de son père qui tue le veau gras et organise une fête pour son fils cadet, alors que ce jeune fils a eu un comportement irresponsable et a dilapidé sa part d’héritage, contrairement à lui, l’aîné, qui a toujours su faire fructifier sa part, par son labeur et sa fidélité.

La colère de l’aîné se montre aussi bien par son refus d’entrer dans la maison en fête, que par son refus d’utiliser le mot « frère » pour désigner son cadet, puisqu’il le nomme « ton fils », comme pour bien marquer sa volonté de n’avoir rien en commun avec ce vaurien de frère.

L’aîné exprime ici de la rancœur, de l’amertume, un sentiment d’injustice, et même du ressentiment vis-à-vis de son père.
Lorsqu’il découvre l’étendue de la miséricorde de son père, celle-ci lui paraît scandaleuse, parce qu’elle ne correspond pas à l’image qu’il s’était forgé de lui.
Il pensait peut-être avoir un père exigeant, intransigeant, ou dur [cf. Mt 25,24], mais le retour de son cadet lui révèle le vrai visage du père.

L’aîné ne parvient pas à se réjouir de l’attitude miséricordieuse de son père, parce qu’elle lui paraît injuste, à vue humaine, parce qu’il s’était forgé sa propre conception de la justice, à l’image du légalisme pharisien.
Lui qui vivait dans une relation de servilité vis-à-vis de son père, enfermé dans une obéissance soumise et paralysante, plus proche de la situation d’un esclave que de celle de fils, il n’admet pas que son père soit différent, soit tout autre que ce qu’il avait imaginé.
Lui qui vivait sous la Loi, il est désormais confronté à l’Amour du père plus fort que la Loi. Et il ne comprend pas comment son père peut montrer une miséricorde aussi rapide, aussi festive, sans contreparties, sans reproches, sans même un temps de mise à l’épreuve.
Lui qui s’inscrivait dans la logique du devoir, dans celle du mérite et de la rétribution, basée sur la réciprocité du donnant-donnant, il a du mal à admettre que son père puisse vivre dans une autre dimension : celle de la grâce, qui aime, qui accueille et qui pardonne, au-delà de tout esprit comptable, d’un amour totalement gratuit et inconditionnel.

En d’autres termes, la réaction du fils aîné montre qu’il était toujours resté à côté de son père, mais sans véritablement le comprendre.
Il vivait dans l’obéissance, sans savoir ce que signifie « aimer ».
Sa réaction de colère – emprunte de mesquinerie et de jalousie – révèle précisément sa souffrance et son incompréhension.

Sans doute faut-il aussi entendre dans cette colère du fils l’émergence d’un désir :
L’aîné prend conscience de son désir à l’instant même où son père fait un don à son frère. A cet instant, il découvre l’ampleur de l’amour de son père, et son frère devient son concurrent.
Ainsi apparaît la jalousie de celui qui n’a pas compris que son père offre le même don d’amour, propose la même communion à chacun de ses enfants.

Face à ce torrent de colère, le père, lui, a une attitude admirable :
Non seulement, il a quitté la fête pour porter attention à son fils aîné et le prier de rentrer, mais surtout, il écoute son fils en silence. Et il parvient à trouver les mots justes :

(v. 31.32) « Alors le père lui dit : "Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé." »[4]

D’abord, le père s’adresse à son fils en colère, en le nommant affectueusement « mon enfant ». Puis il ajoute : « toi, tu es toujours avec moi ». Ce qui invite le fils à prendre conscience que, dans sa colère et sa révolte, il reste en communication, en relation avec son père. Enfin, il ajoute encore : « tout ce qui est à toi est à moi ». Ce qui permet de dissiper un terrible malentendu.
A cet instant, le fils aîné se sent éloigné de son père, voire étranger ou ignoré de lui, - parce qu’il en restait à une compréhension morale, s’exprimant en termes de devoir vis-à-vis de son père, - parce qu’il attendait de son père quelques récompenses ou gratifications pour le prix de sa fidélité et de son comportement irréprochable, - parce qu’il s’était forgé une image erronée de son père qui correspondait à son propre orgueil, à sa propre justice, à sa volonté d’être toujours parfait, irréprochable et peut-être même le premier, le meilleur.

Par cette parole : « tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi », le père signifie ici à son fils ce qu’il ne savait pas : à savoir, qu’il est toujours en communion avec lui.
Il répond ainsi au cri de colère de son fils qui exprimait son besoin de relation et d’attention. Et il l’invite, par là, à quitter tous ses enfermements, toutes ses certitudes, toutes les fausses images qu’il avait pu se forger, tout orgueil ou toute idée de rétribution, pour, au contraire, se libérer, s’ouvrir à la fête, et s’émerveiller, à son tour, du mystère d’une miséricorde qui dépasse nos clichés et nos repères humains.

La parabole s’achève ainsi… sur des points de suspension… interrogatifs.
Nous ne savons rien de la suite de cette relation filiale. Nous ne savons pas comment le fils aîné va répondre à l’invitation de son père.
Va-t-il finir par comprendre que le don que le père offre à son fils cadet, en signe d’accueil, d’amour et de joie, pour fêter son retour… que ce don, il peut, lui aussi, le recevoir et en jouir ? Va-t-il comprendre que la surabondance de l’amour du père lui permet d’offrir ce don à chacun de ses enfants ? Va-t-il comprendre que ce don offert à son frère ne le prive de rien, puisqu’il peut à tout moment vivre cette même communion avec son père ?

Pour s’ouvrir à la fête, le fils aîné devra se laisser transformer par l’amour du père : amour scandaleux, démesuré, débordant pour chacun de ses enfants.
C’est en comprenant qui est véritablement son père que l’aîné pourra s’ouvrir à la fête. Et c’est lorsque celui-ci aura rejoint la fête que le Père pourra vraiment être comblé de joie.
En attendant, le père attendra son enfant, car, à la fin de la parabole, c’est cette fois une conversion de l’aîné que le Père attend.

----- pause : chant   -----

Cette parabole des deux fils montre finalement une sorte de retournement :
- Le cadet, le fils prodigue a appris l’humilité parce qu’il s’est retrouvé affamé, dans le manque. Cette faim et cette humilité lui ont permis de découvrir la miséricorde du père.
- Le fils aîné, lui, connaît l’humiliation : l’humiliation devant la surabondance de la bonté paternelle qui blesse son orgueil spirituel.
Cet orgueil spirituel le rend incapable, à cet instant, de vivre la proximité du père, la communion avec lui, ainsi que l’accueil et la générosité envers son frère.
Pour se réjouir du retour de son frère et entrer dans la fête offerte par Dieu, il lui faut d’abord surmonter la logique du devoir et accepter l’extraordinaire accueil et liberté que le Père offre à ses enfants à ses côtés.

Le père, lui, est miséricordieux pour chacun de ses deux fils. Et c’est bien cet amour miséricordieux (vous l’aurez compris !) qui est au cœur de cette parabole.
Cette puissance miséricordieuse de Dieu, dont ce père est ici la figure, nous est montrée sous deux regards :
- Celui du Père qui regarde au loin et attend constamment le retour de son enfant. Ce regard nous apprend que nous sommes toujours attendu par notre Père, même lorsque nous nous sommes éloignés de son amour.
- Et, d’autre part, le regard du Père qui vient écouter notre incompréhension, notre colère ou notre révolte, et nous donner une parole de vie : « tu es toujours avec moi » : - Une parole de vie qui nous permet de nous dépouiller de ce que l’on croyait savoir sur notre Père : que son amour, son accueil infini et son pardon dépassent nos logiques humaines. - Une parole de vie qui nous permet de vivre dans la communion paternelle, et par elle, en communion avec nos frères, quels que soient leurs parcours ou leurs cheminements.

Autrement dit, à l’image de ce père, l’accueil infini est le moyen dont Dieu use pour offrir à ses enfants la possibilité de sortir de la spirale de l’enfermement : enfermement dans l’indépendance appauvrissante ou enfermement dans le devoir sclérosant, et offrir ainsi à chacun la possibilité d’un autre chemin, ouvert sur une vraie liberté et une vraie relation à l’Autre.

Par son attitude, le père de la parabole – qui vient rejoindre, tout à tour, chacun de ses enfants dans leur enfermement – rappelle ici que seule la puissance de l’amour peut transformer la réalité, provoquer le changement, et faire advenir la nouveauté dans la vie quotidienne.

Par ailleurs, au regard de cette puissance de transformation qu’est l’amour, la parabole nous enseigne ici ce que peut être le péché.
Précisément, qu’est-ce que cette parabole nous dit du « péché » ?

À travers cette histoire, nous comprenons que « le péché » n’est pas une faute morale, qu’il n’est pas lié au fait d’enfreindre quelques règles religieuses ou sociales, mais qu’il s’inscrit dans une dimension relationnelle, comme ce qui nous fait manquer notre but, rater notre relation à l’Autre.
Les deux fils représentent – chacun à sa manière – l’homme qui ne se tient plus « devant Dieu », mais recroquevillé en lui-même [« incurvatus in se » (Luther)] et qui cherche à se construire par ses propres moyens, ses propres forces, son propre mérite, en ne comptant que sur lui-même.

Le péché du fils prodigue, c’est le fait de vouloir se poser seul, face à Dieu, dans une revendication d’autonomie, pour tenter de vivre seul, sans Dieu, loin de sa présence.
Le remède au péché advient ici avec l’humilité, la conversion, la reconnaissance de notre dépendance, de notre misère et de notre indignité.

Le péché du fils aîné, c’est l’orgueil spirituel de celui qui pense accomplir parfaitement son devoir, qui peut aboutir à un enfermement et à un manque de générosité, c’est le fait de se croire meilleur que les autres et de juger son prochain dans un esprit comptable, c’est le fait
de ne pas accepter que la bonté et la justice de Dieu dépassent nos petites logiques humaines.
Le remède au péché ne peut venir ici qu’avec l’acceptation de changer notre regard sur Dieu et notre prochain. Il commence avec l’acceptation de la scandaleuse miséricorde du Père, l’acceptation de s’en remettre à sa seule grâce, et à l’écoute de son invitation, pour entrer dans sa communion et partager sa fête avec nos frères.

Ainsi, la parabole nous présente les étapes d’un chemin de conversion qui nécessite d’abord un retour sur soi pour se dire à soi-même, et avouer que nous n’avons aucun argument, aucune prétention et aucun droit à faire valoir, avant d’aller vers le Père.
C’est dans ce cheminement – en reconnaissant, d’une part, notre dépendance et notre indignité, et, d’autre part, la générosité et la surabondance de l’amour Père – que nous acceptons et que nous accédons à la véritable liberté : celle d’être des « enfants de Dieu » et des « frères », accueillis et aimés tels que nous sommes, inconditionnellement, par Celui qui, à lui seul, fait toutes choses nouvelles.

Alors, frères et sœurs – que nous soyons, tour à tour, cadet ou aîné – voilà que l’évangile nous appelle ce matin à entrer dans la liberté des enfants de Dieu : à nous libérer, nous aussi, de notre volonté d’autonomie et de notre orgueil, pour accueillir la grâce du Père, qui nous invite à l’accueil et à la réconciliation, à la générosité et à la communion avec nos frères.
Christ nous engage à oser vivre cet amour entre Père et fils et entre frères.
Libérons-nous de nos peurs et de nos enfermements, pour oser l’aventure de l’Amour, sous le regard du Père.
Amen !

P.L.

----- pause : musique -----


Suite du culte (confession de foi, …)


[1] Pour reprendre une expression de J. Jeremias.
[2] Pour reprendre une expression de E. Fuchs.
[3] Pour reprendre une expression d’Augustin.
[4] Le père n’accepte pas les arguments de son fils aîné. Au « jamais » (v.29), il oppose un « toujours » (v.31). 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire